« Fructus » (jpra)
OPTIMISER LA DEMOCRATIE
Démocratisation et bonne gouvernance sont les marques de la fin du XXème siècle et du début du XXIème.
Mais, le fait est qu’il n’existe pas un seul processus démocratique applicable à toutes les situations et à tous les pays. Et c’est tant mieux !
Car, la démocratie doit être vivante, par conséquent portant la marque de la diversité.
Parce que, tant devant la diversification des inspirations nationales que des situations, il est certainement nécessaire de rendre effective l’appropriation des initiatives par les populations concernées au moyen d’une valorisation de leurs propres génies et capacités.
C’est dans cette approche que le Droit et la morale politique doivent jouer leur rôle, et que le transfert de leurs valeurs de même que le partage des expériences sont destinés à leur venir en renfort.
DEMOCRATIE OU DEMOCRATIES ?
L’idée était déjà en germe chez Platon dans « La République ».
Et Socrate se voyait déjà « citoyen du monde » !…
A la base de cette « science du Bien » qu’est la République, la légalité doit s’imposer. Mais, bien plus encore: la norme juridique dans son essence et non dans sa simple expression formelle (car, n’oublions pas que les régimes de terreur se réclament également de la « légalité »…).
Car, la légalité peut se fabriquer et s’instrumentaliser, tandis que la norme juridique en puisant dans son essence demeure référentielle.
Or, l’Histoire nous enseigne que les idéologies totalitaires peuvent se servir de la légalité (n’oublions pas: Hitler a accédé au pouvoir par la voie légale et les forces extrêmistes actuelles savent utiliser les voies légales pour s’imposer à travers le monde), et que la vieille querelle autour du plus d’Etat ou moins d’Etat n’a toujours pas réussi à résoudre l’équation de l’éradication de la pauvreté et de l’épanouissement du citoyen dans un contexte de croissance économique.
Car, la paupérisation est un terreau où se nichent les pulsions totalitaires, tels le fascisme et son enfant, le nazisme ou encore au Japon le militarisme d’antan.
L’Etat de droit, quant à lui, est invoqué comme un leitmotiv qui, devant les difficultés, prend trop souvent une forme quelque peu incantatoire, et souvent sans trop savoir ce que recouvre cette formule…
LES TRADUCTIONS CONCRETES POUR PARVENIR A L’ETAT DE DROIT
De quoi s’agit-il ?
Ad minima, de plusieurs notions conjuguées:
. primauté du droit et conformité à la constitution dans l’exercice de tous les pouvoirs ; contrôle de la constitutionnalité des lois et règlements ; contrôle de légalité des actes de l’administration ; possibilité pour tout citoyen de saisir un médiateur ; justice impartiale, indépendante, accessible et efficace ; existence d’institutions et de mécanismes juridictionnels ou non juridictionnels ?
En effet, c’est tout cela à la fois.
Mais, tout cela n’a de sens que si la primauté de l’Homme (et, bien sûr, la Femme y incluse !) est affirmée, valorisée et rendue opérationnelle. Il y a aussi le lien nécessaire et permanent à établir entre bonne gouvernance et développement durable.
Ces références étant réunies et assimilées, la qualité de la démocratie pourra ainsi se mesurer sur cinq critères :
. le degré de mobilisation librement acceptée par la population ;
. l’émergence de nouveaux partenariats entre initiatives publiques et privées aptes à mobiliser tous les acteurs engagés pour la démocratie et les droits de l’Homme ;
. la faculté pour les individus, regroupés au sein d’organisations reconnues, de négocier avec les institutions et les administrations, ou pour peser sur l’action gouvernementale et contrôler le pouvoir de l’Etat ;
. le degré de participation du peuple à l’exercice du pouvoir ;
. le degré de déconcentration des administrations et de décentralisation de l’Etat, afin d’assurer une proximité et une réceptivité plus grandes.
Car, au total et in fine, il s’agit de parvenir à un état de droit, avec un petit « e », c’est-à-dire un état de fait où dans la quotidienneté prime le Droit, la norme juridique et la morale politique, et non pas simplement la légalité.
Deux autres dimensions sont aussi à considérer : le transfert culturel et les formes d’expression de la démocratisation.
Il est admis qu’il n’y a pas de mode d’organisation unique calqué sur un modèle donné et applicable en tous lieux et en toutes circonstances.
Or, l’ingénierie constitutionnelle ou institutionnelle est devenue un métier répandu pratiqué par les grands juristes de ce monde, lesquels sont nécessairement (trop) imprégnés de leur propre tradition juridique et institutionnelle et sont marqués par la propension à vouloir l’imposer.
Cette réserve de précaution étant dite, pour une large part, quand on parle d’ingénierie constitutionnelle ou institutionnelle, nous sommes dans des opérations d’adaptations ou de « réparations », pouvant aller jusqu’à la mise en place d’un système global.
Parallèlement ou à cause d’elles, la stratégie des affaires comme les nécessités relationnelles étatiques induisent, à travers les produits échangés, les questions débattues et les concepts véhiculés, un transfert d’idées, de savoir-faire et de façon d’être, et entraînent derrière elles un transfert culturel en provenance des sociétés dominantes.
UN DEFI PERMANENT
Un défi permanent est ainsi à relever :
Comment éviter qu’un tel transfert influe sur d’éventuelles expressions ou applications erronées de la démocratie dans un pays donné ?
Il s’agit tout d’abord de s’extraire d’un déficit local en matière de connaissance et de pratique des droits fondamentaux en se posant deux questions fondamentales :
. d’une part, y a –t-il un véritable consensus sur les principes et critères essentiels de l’Etat de droit tels qu’exposés plus haut ?
. d’autre part et de façon supplétive, ne faut-il pas considérer que, quelles que soient les « spécificités culturelles », chaque culture doit, à sa façon et à son rythme, « se dépasser » elle-même pour retrouver l’essence commune des droits fondamentaux et de la démocratie ?
C’est tout le sens des efforts constants menés au sein des instances des Nations Unies où, faut-il le rappeler, les pères fondateurs et la mère fondatrice de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée à Paris au Palais de Chaillot le 10 décembre 1948, un Chinois (le docteur Chang, représentant la Chine, celle de Taïwan), trois Français (René Cassin, Henri Laugier et Stéphane Hessel), une Américaine (Eleanor Roosevelt, veuve du Président des Etats-Unis), un Libanais (Charles Habib Malik) , un Canadien (John Peters Humphrey), un Belge et un Chilien, ont réussi à faire valoir les concepts de leur culture respective pour parvenir à ce monument référentiel de nature non pas simplement internationale mais bien universelle.
Tous les grands textes et standards internationaux procèdent de la même manière.
On parvient ainsi à constater que l’Humanité a un patrimoine commun (cf. réaffirmation, par la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme de Vienne en juin 1993, de l’universalité de ces droits, à la suite de laquelle fut créé le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme) et une éthique commune en matière de droits fondamentaux et de Démocratie.
En tout cas, c’est ce à quoi il faut tendre.
Il s’agit dès lors que le peuple trouve les formes idoines de l’exercice de sa souveraineté dans l’universalité.
Dans cette configuration, les valeurs culturelles sont – et doivent être – garantes de la capacité des sociétés à générer le Droit et la Démocratie chez elles.
Se posent maintenant les questions de l’opportunité, de l’adaptabilité, de la sélectivité et du rythme des réformes à engager.
« Offrande de fruits », pastel, JPRA
LES EXPRESSIONS DE LA DEMOCRATIE
Le processus recherché est que la démocratisation, en tant qu’exercice de bonne gouvernance, s’inscrive dans les réalités et les spécificités historiques, culturelles et sociales de chaque peuple.
A cet égard, se prévalant d’une autre vision des libertés plus inspirée par un système de normes comportementales que par le droit, certains pays, surtout en Asie, avancent une autre conception de la démocratie qui sort du modèle libertaire.
Cela signifie-t-il aussi au niveau institutionnel moins de multipartisme et moins de jouissance de tous les droits, civils et politiques, économiques, sociaux et culturels, assortis de mécanismes de garanties qu’implique le modèle libéral qui tend à s’imposer avec le phénomène de la mondialisation ?
Et, que peuvent signifier le multipartisme et le pluralisme quand on sait que l’un conduit trop souvent à l’émiettement de la vie politique (exemples, entre autres, de l’Italie et du Japon), et que l’autre, reconnaissant certes les différences de tous ordres, y compris les minorités ethniques là où elles existent, aboutit à la création d’une multitude d’organismes publics et privés qui peuvent, à force de pousser loin leurs avantages respectifs, nuire à leur efficacité et à la cohérence d’un système ?
C’est là où il est nécessaire que la qualité de la démocratie passe par des adaptations permanentes aux spécificités sociétales et par le développement combiné d’une démarche particulière devant allier « patrimoine commun » et « éthique commune », tels que vus plus haut, avec le principe de l’ « indivisibilité des droits de l’Homme ».
C’est bien ainsi, par exemple, que des intellectuels asiatiques (notamment originaires de Chine, de Birmanie, d’Indonésie, du Tibet, de Timor oriental et du Vietnam), par ailleurs tous défenseurs des droits humains, avaient manifesté leurs avis à l’occasion de la session annuelle de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU en avril 1998.
Face à la posture adoptée par leur gouvernement respectif marquée par un conformisme confucéen (qui englobe toute l’Asie orientale du nord au sud) ou islamique, soucieux de discipline, ces intellectuels s’appuient, eux, sur les philosophies de l’épanouissement personnel et de la libération spirituelle que sont le taoïsme et le bouddhisme, le représentant tibétain soulignant notamment le principe que « nul ne saurait être heureux aux dépens des autres », et les représentants birman et vietnamien de renchérir en disant : « la Déclaration universelle des droits de l’Homme est partie intégrante de la philosophie bouddhiste ».
On l’a compris, toutes ces considérations n’impliquent pas le particularisme qui empêcherait la mise en œuvre indivisible des droits de l’Homme dans un esprit universaliste, puisque, comme le soulignait le Professeur Mario Bettati (qui fut mon professeur de Droit en année doctorale…) , « les droits affirmés ne concernent pas des citoyens, ressortissants des Etats, mais des individus appartenant à une même fratrie humaine ».
Mais, il est vrai aussi que pour ménager le principe intangible de la souveraineté des Etats, les traités internationaux contiennent souvent une clause particulière de sauvegarde ou de réserve, permettant à chaque Etat partie au traité d’écarter l’application à son égard de telle ou telle disposition non substantielle dudit traité, ou leur accordant une marge d’appréciation dans la mise en œuvre effective d’autres dispositions.
Pourtant, malgré ces réserves ou cette fameuse marge d’appréciation, le droit d’ingérence est maintenant un principe acquis en droit international en matière humanitaire.
Or, la notion même d' »humanitaire » tend à l’extension en ces temps où la condition humaine connaît de multiples violations…
La notion même de diversité dans l’expression du droit et de la démocratie demeure primordiale, sachant cependant qu’aux termes de l’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ».
On voit bien que face à toutes ces balises – nécessaires -, la Démocratie réclame de la part des hommes et des femmes auxquels elle s’applique, mais plus encore de la part de leurs dirigeants, des capacités éprouvées de réflexion, d’action et d’ajustements qui ne doivent souffrir aucune approximation.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
* Résumé d’une conférence que j’ai prononcée dans le cadre de la délégation de l’UNESCO lors du 1er Forum Social Mondial de Porto Alegre (Brésil), janvier 2001, séminaire sur « Démocratie et gouvernance mondiale, les défis du XXIème siècle ».