REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR – LE PROJET « MADAGASIKARA MIJORO » (dernière partie)

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Fresque: « Tradition et modernité » (jpra)


Nous sommes parvenus à la phase conclusive de notre longue traversée des siècles.

Le phare Madagascar, celui que nous évoquions (voir précédemment: « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar » 12ème partie), doit donc à nouveau se ranimer.

Il est pourtant douteux qu’avec les institutions actuelles ce soit possible, tellement l’action politique actuelle, d’où qu’elle naisse et de quelque parti qu’elle s’inspire, est vouée à l’échec à terme faute d’impulsion forte d’une véritable vision ou faute d’être soutenue par un véritable dessein, c’est-à-dire que les constructions proposées actuellement autour de recettes bien trop normées et technocratiques, certes paraissant répondre à des principes actuels de bonne gouvernance, ne peuvent cependant aucunement satisfaire des aspirations du cœur et de l’esprit qu’une Nation, telle une personne dotée d’une âme propre, se doit d’être porteuse afin qu’elle vive sa vie.

                                      SE RACCROCHER AUX FONDAMENTAUX ET AU SACRE

Or fondamentalement, n’avons-nous pas besoin, en conscience et en cherchant au fond de notre âme, ce par un exercice de refondation de nos valeurs de gouvernance éprouvées par l’Histoire, d’imaginer, d’inventer ou de rêver, de nous raccrocher au Sacré ?

Oui ! de vivre une vision idéale, claire et hautement valorisante de notre destinée, une envolée collective, c’est-à-dire d’être tous habités par un vaste projet vital de nature identitaire puisé aux meilleures sources sans nous jeter corps perdu dans les bras de quelque « leader », d’une figure faussement providentielle ou d’une idéologie « révélée » ?

Parmi les voies possibles, nous voyons le projet « Madagasikara Mijoro» (« Madagascar debout »), dont tout un peuple doit être porteur.

Il ne s’agit pas – et il ne suffit pas – de faire la synthèse de principes supposés avancés avec une approche théorique et technocratique des choses. Il ne s’agit pas et il ne suffit pas, en effet, de construire clé en mains une constitution au bout d’une ingénierie institutionnelle surgie ex-nihilo de nulle part.

Pour ne prendre que cet exemple, en 1997 le Royaume du Maroc avait su opérer une réforme constitutionnelle fondamentale et en profondeur en introduisant un Parlement modernisé. L’opération a réussi  sans anicroche grâce à un sérieux diagnostic du corps social et à la faveur d’une stabilité servie par un système institutionnel pérenne.

Etre son propre architecte.

Voilà la seule disposition d’esprit à avoir et à travailler.

Regarder notre destin en face nécessite une vue expurgée de toute pesanteur, car la voie doit être dégagée, visible, qui parle parce qu’elle puise véritablement dans le tréfonds de notre mentalité et de nos ressorts tant civilisateurs que psychologiques forgés par l’Histoire.

Nous en sommes capables…!

Car, aucun Malagasy ne doit oublier que Zanahary, le Dieu-Créateur de Madagascar dans les temps immémoriaux, la divinité créatrice, comme l’est la Déesse Amaterasu pour le Japon, nous a légué notre civilisation dont l’unicité de caractère nous oblige dans le devoir sacré de la mener sur sa voie de progrès. Chaque génération se doit, étant sous le regard de Zanahary et de nos ancêtres, de la paver des meilleures intentions et réalisations. C’est sous ce prisme exigeant et cette conscience qu’en responsabilité chacun, dans sa condition et dans son rôle, a à se mobiliser.

Pourquoi « Madagasikara Mijoro » ?

Disons-le tout de suite, « Madagasikara Mijoro » est appelé à se traduire par une « Monarchie républicaine » de souche originale malagasy !

C’est la traduction d’une innovation en marche pour être au diapason des réalités et des nécessités tant nationales qu’internationales.

L’horizon visé est nécessairement prospectif et se situerait avant la fin de ce XXIème siècle, c’est-à-dire à une échéance réaliste.

Ce qui suppose que préalablement, il soit pavé solidement étape par étape et avec méthode, en commençant par le rétablissement rapide et durable de l’Etat – et de l’état – de droit que l’issue des élections actuelles devrait – et doit – permettre.

En se laissant guider par l’alliance nécessaire entre la tradition et la modernité, il s’agit de changer d’optique afin de donner un vrai visage au régime institutionnel appelé à être permanent.

Or, chaque peuple n’est-il pas dépositaire devant l’Eternel des legs de la nation, dotée de son âme propre et riche de son patrimoine civilisateur, matériel et immatériel ? Il ne s’agit donc pas simplement de la gérer, mais bien d’assurer sa postérité à travers les âges et les générations.

Si la République offre dans ses principes et valeurs un système institutionnel idéal de type égalitaire, elle se limite par contre à une représentativité bien trop abstraite, voire galvaudée, du peuple et de la nation.

En effet, elle n’a ni visage ni corps identifiés, sauf l’éventuelle énumération chiffrée des régimes successifs qu’elle génère. Elle ne parle pas non plus, puisque ni sa parole ni sa geste ne sont personnifiées. Et surtout, elle n’est nullement incarnée au sommet de l’Etat. Elle n’a pas d’âme identifiée. Mais certes, elle renferme tous les idéaux élevés et permanents d’une bonne gouvernance jamais inventés à ce jour.

Offrande de fruits

« Offrande de fruits ». JPRA


De la nécessité d’une représentation concrète d’un idéal authentique et de tout un système de valeurs.

La notion de Hasina – sacralité – à laquelle les Malagasy sont viscéralement attachés et leur esprit à la fois imaginatif et pragmatique, tout cela appelle donc une incarnation visible et une représentation concrète d’un idéal authentique au plan institutionnel.

Il s’agit ainsi d’insérer les idéaux, principes et valeurs républicains, tout ce qui représente la Res Publica, dans un cadre idéalisé et valorisant et plus concret à l’esprit malagasy qui, à n’en pas douter, a toujours aspiré à une certaine sacralisation de l’institution placée au sommet de l’édifice institutionnel, parce qu’entre autres vertus elle le relie également à l’au-delà, c’est-à-dire précisément à Zanahary, au Dieu-Créateur de Madagascar « Tany Masina » (« Terre Sacrée »), l’esprit suprême et quintessencier.

Mais en l’occurrence, par référence à nos valeurs propres, ce Dieu n’est pas nécessairement et obligatoirement religieux. Nous ne sommes pas dans une démarche théocratique.

Dans notre cas, le rattachement céleste ne revêt pas le souverain d’un quelconque caractère divin; il est par contre dans la position et la posture qui en font un corps d’intermédiation entre le Ciel et la Nation territorialisée. Cela n’a, en effet, rien à voir avec une quelconque religiosité, sinon on tomberait dans le travers confessionnel et théocratique qu’il faut éviter absolument.

C’est ce qui, historiquement,  différencie fondamentalement notre projet des dérives qui ont tout particulièrement émaillé les règnes des différentes reines malgaches qui en réalité ne furent, les malheureuses, que les inventions de l’oligarchie dominantes d’antan.

Conformément à la conception malgache de la haute gouvernance des temps et des considérations et non des objectifs matériels, ce rattachement céleste suggère par contre une origine transcendantale qui hisse au-dessus des considérations humaines, lesquelles sont nécessairement contingentes, le devoir et les responsabilités suprêmes assumés par celui qui, par le « Hasina » (sacralité royale), est investi de l’incarnation et de la personnification de toute une nation.

De façon singulière, mais non fortuite, dans un grand pays asiatique qu’est le Japon avec lequel les Malgaches partagent bien des valeurs référentielles, cette conception trouve une illustration moderne en la personne du Tennô japonais dont l’origine céleste est perpétuée au sommet de l’édifice institutionnel.

Ceci nous fait comprendre également qu’il ne s’agit nullement d’infantiliser ou d’aliéner un peuple majeur, vacciné, averti et souverain, mais au contraire de sublimer son existant et son vécu comme un hommage à son sens d’une vie responsable.

C’est dire aussi qu’il convient, par déclinaison, de comprendre et de manier avec adéquation, en la replaçant dans un système de valeurs cohérent, la notion de « Ray-amandreny » – parents, père et mère – en lui restituant son sens originel, non pas paternaliste, mais de référence légataire, et aussi de repère à la fois affectif et respectueux. Ainsi, cette notion peut-elle se réinscrire en lettres de noblesse.

Au-delà de la référence historique évènementielle, ce sont là aussi, entre autres, les leçons fondamentales que nous tirons des contes et légendes malgaches (« Angano ») qui, à travers les traditions merina, betsileo, sakalava ou antemoro, forment le corpus cosmologique sur lequel se sont bâties toutes les dynasties royales et princières malagasy.

Or, également, pour un peuple, comme l’est le peuple malagasy, qui n’a pas encore fait sa révolution ou sa mue dans son esprit, ce dans le sens d’une rupture conceptuelle et sociale sur un passé bien trop chargé d’erreurs, la continuité historique pour une société évolutive veut qu’il ne faut point rejeter les éléments d’un corpus aussi structurant que celui bâti autour de ces contes et légendes, mais par contre elle exige de les  traduire dans l’esprit des temps successifs et en vue d’une destinée promise à formuler et à porter sur la bonne voie.

C’est à cet exercice dialectique mêlant l’Histoire, le spirituel, la sagesse, la vision et l’intelligence, qu’on reconnaît les peuples capables de modernité vraie.

Qui prétendrait que le peuple malagasy ne puisse pas en faire partie ?

L’autre dimension à retenir concerne l’attachement viscéral de tout Malagasy au dème, à SA terre d’origine (« Tanindrazana »), gage de son appartenance filiale et familiale. Donc identitaire.

Mais, ici encore il ne s’agit point de transposer dans un habillage républicain sans visage un système de valeurs hérité de traditions féodales. L’âme d’une localité se caractérise par la personnalité des lieux nourris par l’histoire des hommes et, par conséquent, par une conscience collective locale qui, par contre, doit être éclairée par l’altérité.

A cette condition d’ouverture, le désenclavement des esprits ne pourra que libérer des énergies nouvelles, des synergies à l’échelle de la nation tout entière.

Car, il est nécessaire qu’à partir des ressources locales de toutes natures se conjuguent les valeurs intrinsèques, de sorte que se retrouve dans un engrenage commun à l’échelle du pays leur force motrice.

L’autre notion induite de « Firenena » (patrie) prendra ainsi nécessairement, en relais, son plein sens dans un esprit de prolongement positif et valorisant.

L’autre nécessité: distinguer l’intemporel du temporel pour une véritable innovation malagasy.

Tels sont les ressorts spirituels et organiques de l’émergence d’une monarchie constitutionnelle malgache, d’essence républicaine et moderne, où les démons d’antan, faits des rancoeurs tenaces passées, dont abonde trop la vie politique et publique malgache, n’auront plus matière à s’exercer, chacun se reconnaissant dans une voie commune.

C’est pourquoi, il ne saurait s’agir d’une restauration qui ramènerait une dynastie ou un système féodal ou monarchique définitivement révolus.

Bien au contraire, c’est à une véritable innovation à laquelle nous aspirons.

On observe que dans beaucoup de régimes monarchiques de ces temps modernes, l’alliance des principes républicains et démocratiques avec le fait monarchique, loin d’être antinomique, s’avère bénéfique en termes d’ancrage et, par conséquent, de stabilité.

Un Etat ne saurait être un « monstre froid ».

Nous le répétons : il doit être le réceptacle de l’âme de toute une nation conçue comme un corps vivant.

Au-delà des considérations temporelles et catégorielles, il doit être le cadre valorisant de l’intemporel et du permanent.

Il faut donc pouvoir clairement distinguer, parmi les institutions à mettre en place, celles qui ressortent de l’exercice des pouvoirs temporels (exécutif, législatif, judiciaire, autonomie locale) de celles qui sont du ressort des prérogatives de l’ordre intemporel, propres à l’institution monarchique.

L’institution monarchique, parce qu’elle incarne la permanence et l’âme de la nation, l’Etat étant son habitat, ne saurait donc en aucun cas s’immiscer dans aucun des pouvoirs temporels qui sont par nature l’expression de la volonté du peuple souverain.

Car, en effet, dans un Etat moderne et démocratique, la souveraineté appartient au peuple, cette prérogative politique suprême étant la condition même de son autodétermination et de la libre disposition de lui-même.

Ainsi, le monarque, symbole vivant de l’unité de la nation, représentant de son âme, et, en tant que tels, protecteur de ses valeurs, garant de la permanence de l’Etat et de ses institutions autant que de son intégrité territoriale, et, en tant que tel, l’institution immanente d’un peuple au niveau de l’intemporel, est statutairement le Chef de l’Etat mais politiquement dépouillé au profit du chef du Gouvernement des prérogatives et des attributs de chef de l’Exécutif.

Les expériences japonaise, britannique, espagnole, suédoise ou thaïlandaise, pour ne citer qu’elles, démontrent jour après jour depuis leur reconversion ou consolidation démocratique combien une telle construction, parfaitement adaptable à nos réalités d’aujourd’hui, renforce la pérennité des institutions et la prospérité de toute une nation, qui se voit consolidée dans ses propres références spirituelles et dans ses bases morales et sociales.

Par ailleurs, nul n’ignore à Madagascar l’importance identitaire et sociale des clans authentiquement constitués et forgés par l’Histoire à travers les régions malgaches, à l’instar de ces clans dont s’enorgueillissent les Ecossais chez eux et, autrefois, les Japonais sur leur archipel.

A cet égard, ne confondons pas les clans constitués, qui doivent faire partie de ce qu’on appelle les « corps constitués », avec l’esprit clanique issu de considérations de pouvoir. Le fait qu’ils se soient renforcés autour des hameaux en ces temps de crise morale est significatif d’un besoin d’ancrage, d’identification et de reconnaissance.

Tout naturellement, parce que ces clans, dûment reconnus, dont il faudra exclure les regroupements circonstanciels destinés à accorder à leurs membres des avantages et distinctions artificiels, ont vocation à former ensemble les différentes strates et composantes du peuple malgache, dans notre édifice institutionnel ils auront donc, chacun, à désigner ou à élire en leur sein leur représentant afin qu’en toute égalité ces représentants forment, auprès du monarque et au rang des organismes représentatifs, une Chambre des Pairs, une autorité morale de nature consultative et sans pouvoir décisionnel ni de censure, mais pouvant, à l’initiative concurrente du monarque et du gouvernement, donner des avis sur tous les sujets sociétaux et relatifs à la destinée de la nation.

Nature morte

« Offrande de fruits 2 ». JPRA


Mpanjaka Ny…

Quant au mode d’occupation du trône, sujet ô combien  délicat !, il faut impérativement éviter qu’il provoque et réinstalle une malsaine concurrence entre des familles aux traditions royales et princières les unes aussi respectables que les autres.

Il sera donc, à l’instar du système monarchique malaisien, de caractère tournant.

C’est-à-dire qu’à la base, en se fondant sur les six provinces actuelles ou sur les vingt et une régions actuelles à Madagascar, chacune de ces provinces ou régions devra d’abord élire parmi toutes les familles princières locales historiquement constituées, réunies en conclave provincial ou régional son monarque local (« Mpanjaka Ny… » – complété par le nom de sa province ou de sa région – ) pour un mandat représentatif, par exemple, de trois ans.

Le caractère tournant de l’occupation du trône provincial ou régional fera que le monarque local ainsi élu est assuré de provenir, une fois tous les trois ans, de chacune de ces familles princières locales.

Chacune de ces familles princières locales est ainsi assurée d’être, son tour venu le souverain de Madagascar, le Roi de Madagascar (« Mpanjaka Ny Madagasikara »), pour trois ans dans le cas envisagé, le temps de son mandat national.

En effet, dans ce système, qui n’a pas besoin d’adopter la forme d’une Fédération, le haut degré d’autonomie locale qu’assure le système unitaire dans sa mouture actuelle suffisant largement, tous les monarques locaux seront réunis tous les trois ans en conclave national afin qu’ils élisent celui – ou celle – de leurs pairs qui, pour trois ans, occupera le trône malgache, et ainsi de suite de sorte que chaque monarque provincial ou régional et que chaque famille princière locale soient certains d’occuper un jour, pour une période donnée, le trône malgache, renforçant ainsi cumulativement les principes et le respect de l’autonomie et de la spécificité locales ainsi que ceux de l’unité nationale.

Quant aux structures sociales, il faudra veiller à ce qu’il n’y ait plus, ni en droit ni en fait, d’aristocratie ou d’oligarchie constituées ni de privilège de source féodale, mais il est sain que les traditions familiales et claniques formées autour des dèmes historiques se maintiennent et soient reconnues.

C’est même un facteur de vitalité locale et rurale certain.

Dans ce sens, la Cour du monarque – tant locale que nationale – sera réduite à sa plus simple expression, c’est-à-dire qu’au niveau national elle sera seulement et temporairement composée de la famille immédiate du souverain et d’un grand chambellan (charge renouvelable attribuée tous les cinq ans par la Chambre des Pairs et placée sous son contrôle exclusif) dont le seul rôle sera d’assurer la bonne continuité du service de la chambre du souverain.

Un Etat solide sur ses bases temporelles – une société mobile.

Certes, les mauvais penchants ont la vie dure, pouvant faire craindre que des privilèges de type féodal renaissent, mais l’essentiel dans tout cela est que parallèlement ou face aux vraies traditions claniques qui, au demeurant, sont essentiellement de nature intégratrice, l’Etat et ses différents pouvoirs temporels (exécutif, législatif, judiciaire, autonomie locale) soient suffisamment forts et respectés pour que la mobilité et la justice sociales soient assurées, s’imposent et se renforcent.

Ce sont là également les conditions nécessaires à l’ascension sociale par l’éducation, la promotion, l’encouragement, l’esprit d’entreprise, la créativité, l’inventivité, les services rendus, l’exercice signalé d’une compétence ou la reconnaissance d’un talent particulier, marques de toute société ouverte, et que tout ceci soit possible pour tous et au bénéfice de toutes les couches sociales.

Enfin, nous sommes convaincus que cette mobilité sociale nouvelle, gage de ressourcement et d’éclosion, contribuera, comme un pendant naturel, à la re-générescence des arts et des lettres, des métiers, de toutes les œuvres de l’esprit, des pratiques spirituelles vraies (pas celles des sectes, malheureusement actuellement florissantes, crise des consciences aidant).

Car ce qui manque le plus à nos sociétés de consommation ou de connexion artificielle, où le factice tient lieu de lien existentiel, c’est précisément que, la vie publique étant monopolisée par les « mass media », le matérialisme dialectique et les faiseurs de rêves, la vraie communication individuelle, elle, a besoin de la libération et de rencontres des esprits autant que de la vitalisation d’une société civile responsable.

Or, le devenir humain d’un peuple commence et se développe par la mobilisation de toutes ses énergies, le raisonnement gestionnaire qui consiste à atteindre des cibles grâce à la performance, certes utile, ne suffisant pas à satisfaire le sentiment de plénitude dont a fondamentalement besoin une société saine, équilibrée et sécurisée.

Les monarchies constitutionnelles actuellement en place à travers le monde, en Europe ou en Asie, allient toutes, à des degrés différenciés il est vrai, démocratie et modernité, tradition et progrès, permanence et évolution. En tout cas, devraient le permettre idéalement.

Cette triple alliance doit se faire au bénéfice exclusif du peuple, seul souverain réel en son pays, et tant son authenticité que son caractère éternel, portés au sommet par la personne même du monarque – ou plutôt, devrions-nous dire pour être exact, « par l’institution monarchique » – sont préservés. Le monarque lui-même n’est là que par la volonté du peuple.

Printemps, Maquette de vitrail-paravent, JPRA

« Alliance ».  JPRA


L’alliance de la monarchie et des principes républicains à travers le monde.

Le Japon allie de façon quasi idéale ces exigences. Le Japon de l’après-guerre est resté lui-même malgré le terrible traumatisme de sa défaite grâce, en grande partie, au maintien de l’institution de l’Empereur, le Tennô demeuré sacré même si sa personne est quelque peu démythifiée et rendue accessible, un empereur qui, cependant, est dépouillé de tout pouvoir.

La Malaisie, qui il est vrai est une Fédération mais de type unitaire, assure par l’institution monarchique une réelle démocratie et une stabilité institutionnelle remarquables, le seul bémol à apporter étant la récente montée inquiétante d’un « islamisme » qui se veut impératif.

En Espagne, en 1981, le roi Juan Carlos a pu, en s’imposant à tous et sans jamais verser dans l’autoritarisme, écarter les affres d’un coup d’Etat militaire.

En Thaïlande, près de dix ans après, le roi, se faisant le défenseur de la patrie et de la pérennité nationale, a sommé les partis politiques de parvenir à résoudre une crise de régime trop souvent attisée par des politiciens seulement soucieux de clientélisme.

La royauté britannique, ébranlée en 1997 par l’onde de choc provoquée par la tragique disparition de la princesse Diana, avait fait sa mue avec les actions conjuguées du prince Charles et du premier ministre Tony Blair, pour mieux s’enraciner dans le peuple et accompagner durablement la modernité britannique.

De Gaulle, un moment donné après le désastre de la seconde guerre mondiale, avait sérieusement pensé à assurer la pérennité de la France et de ses institutions par le transfert au chef de la Maison de France, le comte de Paris, de l’héritage d’un Etat français redevenu pleinement républicain et stable mais dont les fondements risquaient de se fissurer à nouveau dangereusement sous les coups de boutoir auxquels est périodiquement soumise la société française.

Une « Monarchie Républicaine » donc !

Une formule extrêmement parlante émise à propos du Japon par le professeur Fukase, éminent constitutionnaliste japonais, pour caractériser la nature du régime japonais actuel.

Nous la lui empruntons bien volontiers pour caractériser le système institutionnel de nos vœux pour Madagascar, qui, nourri par les leçons du passé et des inspirations positives de nos valeurs et de celles des autres, fera en sorte, espérons-le, que la Grande Ile vive à nouveau des années de lumières.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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 * Résumé de mon manuscrit « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Droits réservés pour tous pays. Reproduction, même partielle, interdite.

REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR – LECONS D’UN LOURD PASSE – (12ème partie)

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Vitrail: « Perspectives nouvelles 2 » (jpra)


CONSTATS LIMINAIRES

Au terme de notre analyse historique sur l’évolution de Madagascar tout au long de cette traversée des siècles qui a débutée au XVIème siècle, et qui trouve ici en ce début du XXIème siècle non pas un aboutissement mais le temps d’un bilan, il faut bien se l’avouer que Madagascar et les Malgaches ont perdu leur boussole.

Tirons les leçons du lourd passé dont nous avons décrit les ondulations à travers les six siècles traversées..

Il est un fait qu’à ce stade de leur évolution, après avoir traversé les siècles, quelques fois sur les cimes, mais trop souvent dans de pesantes besognes, Madagascar et les Malgaches, qui replongent actuellement dans les profondeurs du désespoir y demeureront s’ils ne se reprennent pas en main dans leur capacité de résilience.

Eh oui ! Ayant goûté à plusieurs reprises aux promesses de l’espoir, successivement avec les sillons creusés par les premiers souverains-guerriers, puis au XIXème siècle à l’entrée de la modernité grâce aux pénétrantes visions de  Andrianampoinimerina et de son fils  Radama 1er, et récemment encore aux XXème et XXIème siècles  avec les performances des présidents Tsiranana et Ravalomanana au début de leur mandat respectif (mais s’agissant de ces derniers, sur la fin de leur mandat, on l’a vu, ils furent cependant les propres acteurs de leur perte et avec eux celle d’une nation soudainement déboussolée…), à présent les Malgaches se morfondent en effet dans un chagrin mêlé de colère, car ils voient bien l’énorme gâchis causé par la cupidité et l’avidité du pouvoir, vers quelque politicien qu’ils se tournent.

Pour cela, c’est assurément directement aux sources premières de l’histoire commune à tous les Malgaches, quelles que soient les régions de leur origine, qu’il conviendrait maintenant de directement puiser, celles qui doivent conduire à une vraie re-fondation des valeurs et des institutions qui les traduisent, et non à des simulacres de réformes basées sur des notions mal acquises et, en tout cas, mal conçues et menées dans un singulier désordre ou inspirées seulement par certaines recettes de marketing politique.

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« Florilège cosmique » (JPRA)

                                                                                *

L’Histoire de Madagascar nous enseigne qu’à la condition sine qua none d’imposer les réformes indispensables nourries par une réelle vision en profondeur, le plein accomplissement d’un cycle de prospérité doit dépasser un cap fatidique situé autour des sept à dix ans de régime continu, – mais un régime authentiquement bien ancré – , et réclame donc du temps pour s’ouvrir une perspective qui se projette sur près de trente ans (mais qu’on ne s’y trompe pas en termes de références, car ce ne sont certainement pas les périodes trentenaires des régimes suicidaires de Ranavalona 1ère ou de Didier Ratsiraka, qui durèrent chacun plus de trente ans, et dont on a décrit les caractéristiques dans nos développements antérieurs, qui s’imposent ici…).

A défaut d’une telle impulsion et d’un tel prolongement sur le long terme, qui nécessitent ténacité, clairvoyance et ouverture, les lourdes récurrences de l’histoire nationale reviendront inévitablement peser de leurs pesantes besognes.

Si de telles conditions sont réunies, le début du commencement de la reconstruction devrait être au rendez-vous.

Car, par la suite il faudra sans délai creuser plus profond encore et voir loin pour qu’après l’orage la lumière du jour, soutenue par les réformes adéquates, apparaisse à nouveau sous le ciel à Madagascar.

SAVOIR SURMONTER LES HANDICAPS

Pour Madagascar, sans doute plus encore que pour d’autres pays, le critère géographique paraît fondamental et déterminant, ce à un triple titre.

Tout d’abord, pourquoi cette île du bout du monde, Madagascar, a-t-elle été choisie, dès le premier millénaire de notre ère, comme terre d’aboutissement ou comme terre d’accueil par les vagues successives de peuplement d’origines disparates, venues là pour, en définitive, former une nation au bout de deux cents ans de gestation entre le XVIIème et le XIXème siècles, telle que nous l’avons vue précédemment ?

Sans aucun doute, par la dynamique d’un élan vital attisé par une grande ambition. Et, une série de questions subsidiaires s’y ajoutent : quels sont ces migrants ? d’où viennent-ils exactement et pourquoi ont-ils quitté leur terre d’origine ?

Ensuite, le caractère quasi-continental de cette île, par sa force centripète et grâce au cerclage des éléments civilisateurs qu’il génère, a singulièrement aidé au façonnement puis à la fixation des substrats d’une civilisation à part entière, résultat d’une osmose de ces éléments épars apportés là par des peuples pourtant d’origines diverses, auxquels se sont ajoutés des emprunts venus de l’extérieur.

Cette polyvalence, non seulement ne s’est donc pas effacée au fil des temps et des localisations des uns et des autres sur cette terre malgache, mais a constitué et continue de constituer ce fort ciment qui agrège et syncristallise une civilisation originale.

En troisième lieu, force est de constater que l’éloignement géographique par rapport aux grands carrefours de civilisation et aux routes migratoires, ainsi que la continentalité malgache sont à ce point si pesants que, si l’on n’y prend pas garde, ils tendront toujours malheureusement, comme c’est à présent le cas, à figer les esprits dans un mouvement de repli sur soi ou de contentement de soi, au lieu de les ouvrir sur le monde extérieur pour un authentique éveil des consciences.

Ainsi, les Malgaches au cours de ces six siècles de leur Histoire sur ces terres pourtant hospitalières de Madagascar ont-ils trop inscrit leur évolution dans un cycle souvent fermé au lieu de le rendre évolutif et, contrairement à la manière de la vision asiatique de l’évolution, se sont ainsi éloignés d’un nécessaire engrenage dialectique libérateur d’énergies, d’inventivités et de forces vitales.

Pour briser l’actuel cycle sclérosant lié à cette sorte de piège continental, il faut donc, encore et toujours comme l’ont fait certains souverains et dirigeants rencontrés au cours de cette marche des siècles, révolutionner les esprits. Cela demande un gros effort d’humilité sur soi, un travail introspectif, d’intuition, de mobilité d’esprit, de rigueur, de reconstruction, de confiance, de foi et d’altérité vraie.

Ronds fond blanc

« Florilège cosmique 2 » (JPRA)


Or, chacun sait que les civilisations ne meurent, face aux défis de la condition humaine et du monde extérieur, que si précisément elles se figent dans leur suffisance plutôt que d’être en capacité de les affronter en les vidant de leur négativité. Il est certain que ce fort stimulant les fait régénérer. Celles des civilisations continentales qui se veulent homogènes, sans doute trop fières et trop sûres d’elles-mêmes, sont celles qui redoutent ou méprisent le plus le monde extérieur.

A l’inverse, il est certain qu’une civilisation qui ne serait basée que sur le seul principe de l’ouverture à tous les vents  est vouée à disparaître sous les effets dévastateurs d’agressions anarchiques. Le juste milieu, la voie juste, entre les pesanteurs de la continentalité et l’illusoire quiétude qu’offre l’insularité, est donc à trouver.

Trouver cette voie juste est le grand défi que les Malgaches doivent à présent relever en ce XXIème siècle déjà en cours.

Quand on mêle cette géographie à l’Histoire vécue, on s’aperçoit, en observant le déroulement des phases cycliques traversées que trop souvent le peuple malgache, sans doute séduit par la richesse exceptionnelle des terres, s’est trop laissé bercé dans une sorte de paresse de l’esprit et n’a que trop oublié ses penchants pionniers des débuts.

D’une certaine manière, baignant dans une certaine mais vaine quiétude, les Malgaches ont cessé de bâtir une civilisation prometteuse en se contentant d’en poser les fondations supposées éternelles, sans songer à élaborer l’architecture d’une société aux structures à vocation évolutive et capable de soutenir et de dépasser les chocs de l’Histoire.

La politique, et particulièrement, une certaine conception du nationalisme malgache telle qu’on la connaît, va accentuer cette sclérose, en désignant clairement l’Etranger et le monde extérieur comme les fauteurs de trouble de cette illusoire quiétude malgache qu’on a voulu bâtir sur des valeurs archaïques et à partir desquelles, au surplus, on a érigé tout un système de gouvernance.

Or, pour un pays comme pour un individu plongé dans une société, en l’occurrence celle des nations, la quiétude ne saurait constituer une vocation, comme le serait la neutralité suisse fondée sur un capital de richesse accumulé au cours des temps sur fond de sanctuarisation et au centre de multiples courants d’échanges. Ce qui n’est pas le cas de Madagascar, géographiquement éloignée de tout carrefour, même si elle recèle d’énormes richesses naturelles, d’ailleurs actuellement convoitées et exploitées par d’autres. Pour être considérée, il faut donc qu’elle se constitue en pôle attractif fondé sur sa capacité inventive.

DE LA NECESSITE D’UN EVEIL SUR LE MONDE EXTERIEUR

Pour cela, il est nécessaire que cette Grande Ile soit dans un éveil constant sur son environnement extérieur, comme ont su y procéder en leur temps respectif, et toutes proportions gardées, les rois Andriamanelo (XVIème siècle),  Ralambo (XVIème/XVIIème siècles), Andriantsimitoviamiandriandehibe (XVIIème siècle), Andrianampoinimerina (XVIIIème siècle) et Radama 1er (XIXème siècle), puis plus récemment les présidents Tsiranana (XXème siècle) et Ravalomanana (XXIème siècle) dans leur début de mandat respectif, c’est-à-dire durant une période, au demeurant malheureusement discontinue, de cent cinquante huit ans seulement au total, vue du haut des six siècles considérés de l’Histoire générale de Madagascar.

Chez les Malgaches il y a donc, à l’évidence, comme un déficit flagrant de vocation au progrès, et il n’est que  temps de rattraper le temps perdu. Avec courage et détermination.

Les patentés auto-proclamés de l’ « authenticité malgache », cette vaste illusion identitaire née du règne de Ranavalona 1ère  comme le fut pour l’Afrique à une période plus récente l’ « authenticité africaine » prônée notamment par le Congolais Mobutu,  ne sauraient poursuivre leur œuvre de négation de cette nécessité d’ouverture.

Or, à l’origine notre passé de pionniers migrants, comme les périodes fastes évoquées plus haut, nous suggèrent fortement la voie à suivre, celle qui puise dans un passé nourricier et dans le fonds commun de l’humanité afin de retrouver les ressorts du renouveau.

A ceux qui désespèrent et qui s’installent dans le fatalisme, il faut qu’ils se convainquent que Madagascar n’est pas maudite des dieux, sinon il y aurait longtemps que, malgré les actuelles effroyables tueries perpétrées tant par des « dahalo » (« traditionnels » voleurs de bœufs) et des éléments des forces de l’ordre dans le Grand Sud , malgré les invasions acridiennes qui déciment forêts et récoltes, les prédations , les déprédations et autres violations de toutes natures y compris contre les hommes et les valeurs les plus fondamentales, il y aurait longtemps que ce pays serait soumis à jamais par les fléaux.

Madagascar est « seulement », hélas !, trompée par les siens, ceux qui dans l’obscurité de leur pensée et dans leur incapacité inavouée à s’élever, ont brisé et continuent de briser un élan vital qu’ils nous obligent maintenant à faire renaître dans les pires conditions.

L’heure est donc aux gens de progrès, aux modernes, aux patriotes, aux consciences nourries à bonne source, qui savent ce qu’est la tradition vraie, qui toujours vont vers la lumière et non dans des combinaisons qui se veulent subtiles mais en réalité obscures, qui savent s’ouvrir aux valeurs générées par d’autres, qui allient intelligence du cœur, pénétration de l’esprit, sens de l’intérêt général et conscience politique qui dépasse les contingences du moment, qui aime sincèrement le peuple, pour savoir traduire en inspirations fondamentales des aspirations exprimées et non-exprimées et servir pleinement dans une totale disponibilité.

Ceux-là, contrairement aux autres, ne confisquent pas l’Histoire, ils la servent et en tirent toujours des leçons pour bâtir, améliorer, amender l’avenir, et afin de la faire évoluer dans le sens du progrès humain et matériel, la centralité de l’Homme devant toujours  primer sur le reste.

Si le culte des ancêtres est notre credo commun, et nous référant aux découvertes récentes, alors sachons que depuis l’établissement des premiers habitants à Madagascar et avant la formulation de l’Histoire générale de ce pays telle qu’elle nous est révélée à ce jour, c’est non pas six siècles mais en réalité au moins un millénaire d’Histoire, sinon davantage, qui nous contemple et nous juge !

Nous sommes de ceux qui croient profondément que la conception d’une philosophie politique authentique et vraie, indispensable à la définition d’une vision claire de notre devenir qui ait l’adhésion du peuple, ne peut se passer d’une référence constante à cette Histoire, parce qu’elle seule nous restitue ce que nous sommes devenus et qu’elle nous invite sans complaisance à nous regarder à travers notre miroir.

Aucune technicité, produit froid de la technocratie envahissante et souvent créatrice stérile de structures mécaniques et systémiques qui broient et excluent, aucune science manœuvrière, née d’une disposition d’esprit souvent mal inspirée, aucune idéologie révélée, mère de fléaux doctrinaires, ne pourront jamais se substituer à la culture ni à la sagacité et former la base d’une action politique digne des aspirations profondes d’un peuple assoiffé d’identité et d’espérance.

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« Florilège cosmique 3 » (JPRA)


 LE PHARE DE L’OCEAN INDIEN OCCIDENTAL

Rappelons nos débuts.

Car, nous souvenons-nous encore que nous étions un phare, non pas simple point de repère mais vigie d’un monde nouveau ?

Manuthias ? Non, ce nom n’est pas celui de notre Ile. Chezbezat, Komr ou Serendah, comme l’appelaient alors les Arabes il y a plus de mille ans ? Non plus. Encore que « Komr » semble alors désigner indifféremment les actuelles Comores et Madagascar. Alors, quoi ? Marco Polo, celui dont certains disaient qu’il n’avait en fait jamais mis les pieds en Chine, suggère Mogedaxo ou Mogelasio.  Ce n’est toujours pas ça !

Auteurs, marchands ou navigateurs arabes, persans, indiens ou européens s’imaginaient que l’Ile, isolée et comme perdue dans l’immensité de l’océan, se désespérait de se trouver là et d’être un jour visitée et habitée. Mais, cette désespérance n’était que dans l’imagination de ces hommes venus des rives du Nord, celles qui connaissaient des hommes de science pétris de certitudes et peut-être trop sûrs de leur savoir.

Or, pendant que ceux-là spéculaient, cette Ile était déjà une « Terre Nouvelle » dès avant le premier millénaire, avec l’établissement de gens venus d’Indonésie et d’Afrique orientale. Et même, peu avant cette époque des guerriers et des navigateurs venant du royaume indonésien de Crivijaya, dont les limites territoriales et maritimes s’étendaient de la partie orientale de Sumatra jusqu’à la partie occidentale de Bornéo, et dont la population et la civilisation empruntaient à l’Inde du Sud, prêtaient main forte au royaume frère de Chola situé sur la partie sud-orientale de l’Inde.

Certains de ces vaillants émigrants, guidés par la mousson d’hiver, poussaient leur aventure jusqu’aux Iles Maldives et aux parages de l’Afrique orientale, des îles Comores et du Nord-Ouest et Nord de Madagascar. Certains s’y  établissaient momentanément ou définitivement, tandis que d’autres rapportaient à leurs semblables leurs heureuses découvertes.

Par ces raids dans cette partie occidentale de l’océan indien, ces découvreurs en provenance des archipels indonésiens ne faisaient que s’adonner, en les élargissant, à leurs habituels rites exploratoires pratiqués tous azimuts dans le Pacifique Sud et dans la partie orientale de l’océan indien (c’est assurément par atavisme que par la suite, au XVIIIème siècle, des navigateurs-guerriers Betsimisaraka et Sakalava, lointains descendants de ces émigrants indonésiens, entreprenaient des expéditions maritimes sur les côtes comoriennes et africaines à partir de leurs bases malgaches.

Sur l’autre rive de l’Océan Indien, dans les innombrables îles indonésiennes, l’écho de ces explorations fit nécessairement grand bruit. La légende naquit ainsi et une nouvelle épopée commençait pour des migrants indonésiens poussés par des nécessités vitales.

Chez ceux-ci, la force évocatrice de cette légende décuplait avec la poussée migratoire d’un genre nouveau, émigration de masse ou par petits groupes successifs, prenant sa source essentielle chez les habitants du Sud-Est de Bornéo, qui aurait été rendue nécessaire par des vagues d’épidémies, de famines ou d’épuisement des terres dû à une pratique trop intensive du brûlis (cette pratique perpétuée par les Malgaches actuels, surtout en ces temps de crise aiguë, sans aucun doute là aussi par atavisme).

Or, ces Indonésiens, navigateurs nés et géniaux, capables des plus grandes distances sur leurs pirogues à balancier, avec pour seuls guides les étoiles couvrant l’immensité de l’Océan indien, sont des habitués des raids et des grandes traversées maritimes et sont mentalement armés pour de nouvelles découvertes.

Cette Grande Terre de l’Océan Indien, futur Madagascar, le phare du Nouveau Monde pour les Malayo-Polynésiens, le grand « Waqwaq » de l’Ouest, qui offre au surplus un sol et une végétation comparables en bien des points à ceux des régions quittées, se présente comme une terre promise et sert de base nouvelle d’établissement et de peuplement.

Des Bantous d’Afrique orientale et du Sud, alertés par ces nouveaux migrants venus de l’Asie lointaine avec lesquels ils avaient semble-t-il noué des relations pacifiques en terre d’Afrique par le truchement d’échanges commerciaux (notamment par l’intermédiation des Arabes), ou emmenés plus tard par des trafiquants arabes et perses, étaient venus avec ou à la suite des migrants indonésiens, et se mêlaient peu à peu à ceux-ci dans le Nord-Ouest de Madagascar, premier foyer où ce monde de pionniers s’est retrouvé dans cette nouvelle terre d’accueil, chacun apportant sa contribution, les mots se mêlant pour former la future langue et civilisation malgaches d’origine.

Tout cela était-il donc écrit d’avance ?

Mais dans cette synthèse nouvelle, c’est la composante asiatique qui domine et absorbe l’africain. Ce peuple, qu’on qualifiera désormais de « malgache », sait s’organiser mais bientôt des regroupements se font jour autour de chefs incontestés. Des scissions accentuent ces regroupements et la composante asiatique de ce peuple nouveau est poussée vers l’arrière-pays et, bientôt, vers les hauts-plateaux du Centre pour s’y établir définitivement, ce dans un élan naturel comparable à celui de leurs lointains aïeux ou cousins des hauts-plateaux des pays de l’Asie du Sud-Est et du Sud.

Ces nouveaux venus rencontrent avec surprise un peuplement primitif, les « Vazimba ». Ils sont tout nus, parlant un langage incompréhensible, trop petits de taille et de traits si différents qu’ils ne peuvent pas être considérés comme des frères de race qui seraient arrivés là depuis des temps immémoriaux.

Qui sont-ils alors ? Sans doute des descendants rescapés d’une peuplade ayant pris racine ici depuis l’aube des temps, de ces temps où Madagascar était encore rattachée à l’Afrique et à l’Amérique du Sud avant la terrible secousse tellurique qui l’en détachera et la fera glisser au pied de l’Afrique.

Certains groupes malgaches massacrent ces pauvres indigènes, mais néanmoins des croisements feront naître des progénitures métissées tandis que le Malgache fera siens certains apports Vazimba dans ses us et coutumes.

D’ailleurs, il est tout à fait significatif que, à des fins politiques évidentes, certains clans roturiers Hova (de nos jours encore) croient habile d’insinuer qu’étant apparentés à des Vazimba ils ont, spécialement sur les Andriana (nobles), une sorte de droit d’aînesse, de préséance ou de priorité, quant à la gouvernance du pays Merina, et par extension de Madagascar.

Ce qui explique beaucoup de choses quant au comportement de certains clans qui, tout au long du XIXème siècle surtout – et assurément aujourd’hui et demain tant que les mentalités et les références ne changeront pas – , n’ont de cesse de manœuvrer, moyennant une conception patrimoniale du pouvoir si implacablement rétrograde, pour accaparer tous les pouvoirs et parvenir à s’installer sur le trône de Madagascar en y plaçant des reines qui sont leurs obligées.

Cependant, de nos jours et si l’on examine les arcanes cachées de la grave crise provoquée par le coup de force du 17 mars 2009, il se révèle que cette curieuse et néfaste conception d’un archaïsme sans équivalent  reste vivace même si, de peur de bousculer un tabou séculaire de nature clanique, personne n’ose l’évoquer parce qu’au fond de la psychologie ambiante et bien trop ancrée une certaine forme de bien-pensance l’interdit.

De sorte que, peu ou prou les avatars de tout ce lourd passé, au-delà même de la persistance de ceux de la crise de 2009, perdurent toujours dans une forme suicidaire d’inconscience généralisée.

C’est ce cycle infernal qu’il convient de briser…

C’est à cette condition que Madagascar et les Malgaches retrouveront le cours de leur Histoire, de cette histoire qui attend et qui pourtant réserve aux réformateurs et modernisateurs tout l’espace qu’ils méritent.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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  • Résumé du manuscrit de Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays. Reproduction, même partielle, interdite.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et des illustrations

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REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR (11ème partie)

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« Fitiavana » (Aménité, amitié ») – Jipiera – Reproduction interdite


                                      UNE PRISE DE POUVOIR PROMETTEUSE

Incontestablement, les Malgaches reprennent espoir et d’aucuns n’hésitent pas à voir en Ravalomanana un « nouveau Radama ».

C’est qu’à l’instar du grand roi, il réussit très rapidement dès le début de sa gouvernance en 2002 à hisser Madagascar dans le peloton de tête des pays africains en termes de développement, à réinsérer Madagascar en position renforcée dans le concert des nations avec une diplomatie tous azimuts fondée sur l’équilibre stratégique, à redonner de la couleur à la fierté nationale par une promotion nouvelle de la « malgachité » qui fut d’ailleurs une thématique majeure de la 1ère République malgache dans la première moitié des années 1960, et à élever le niveau d’instruction et d’enseignement.

Mais plus largement, aux problématiques identitaires de la « Malgachisation » ou de la « Malgachité », qui avaient par trop saisi de complexes les Malgaches depuis les années de colonisation jusqu’au début de ce XXIème siècle, se substitue désormais une vraie mobilisation nationale pour le relèvement, que tous espèrent au fond de soi, cette fois-ci encore, pérenne.

Cependant, au tournant de l’année 2008 ce relèvement-là se révèlera avoir des pieds d’argile.

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Ravalomanana, originaire d’Imerinkasinina, l’une des collines historiques de l’Imerina où avait vécu un moment Andrianampoinimerina, est un jeune self-made man avec le volontarisme de l’investisseur qui caractérise ce type d’homme, à vrai dire assez rare à Madagascar où l’on cultive plutôt les situations de rente, et qui porte en lui avec ses indéniables qualités tous les défauts correspondants.

Lui-même ne se destinait sans doute nullement à briguer la magistrature suprême quand en 1999 il fut ce Maire d’Antananarivo qui en a rendu les lustres d’antan.

Le personnage Ravalomanana s’est fabriqué par les fastes augures d’une bonne étoile conjuguées aux mérites propres de l’intéressé et à la mobilisation exceptionnelle du peuple malgache.

Car, il fallait se ressaisir et se mobiliser fortement, et en même temps résister, face aux provocations, à la répression et aux multiples agressions de Ratsiraka et de ses partisans qui ne voulaient en aucune façon lâcher le pouvoir après avoir été battu à la régulière à l’élection présidentielle de fin 2001.

Ratsiraka, le président sortant et battu se retranche à Tamatave, sa ville natale, d’où l’amiral qu’il est coordonne des attaques meurtrières contre les partisans de Ravalomanana auxquels se mêle une population prête à en finir avec ce faussaire de la démocratie, et Ratsiraka n’hésite cependant pas non plus à agiter par des harangues vengeresses le spectre de la « lutte ethnique » pour fustiger une soit disant « nouvelle domination Merina » sur Madagascar et les populations côtières.

Mais loin de se laisser impressionner, le peuple et Ravalomanana opposent à Ratsiraka et à ses partisans un pacifisme résolu qui finit par désarmer l’agresseur et le renvoyer dans les cordes.

Ravalomanana, le nouveau Président, est adoubé par le peuple un 22 février 2002 mémorable à Mahamasina, tout le symbole de la légitimité dont ce lieu est imprégné lui revenant ainsi, et par ailleurs tous les attributs de la magistrature suprême, qui lui confèrent par délégation populaire la représentation de la souveraineté, lui étant également remis par les membres de la Cour Suprême puis, en avril, par ceux de la Haute Cour Constitutionnelle.

Quant à la communauté internationale, elle laisse la Commission de l’ « OUA » (Organisation de l’Unité Africaine) s’ingérer inopportunément dans la crise malgache, dont le secrétaire général, Amara Essy, un soutien de Ratsiraka, appuyé en sous-main par une bonne partie de chefs d’Etat africains francophones au nombre desquels figure Abdoulaye Wade, veut imposer aux Malgaches des solutions bancales à travers des « accords de Dakar » – I puis II – qui consistaient à repêcher purement et simplement Ratsiraka.

A l’occasion de ces dures négociations de Dakar, où Ravalomanana avait failli tomber dans le piège en acceptant une « co-présidence » avec Ratsiraka, le rôle plus qu’étrange joué par Ratsirahonana, alors conseiller principal de Ravalomanana, est apparu. Dans ces tractations, la France n’est pas restée inactive, la « couverture » de l’OUA au sein de laquelle elle ne s’est pas ménagée, lui ayant fait espérer que les solutions contenues dans les « accords de Dakar » prospèrent.

Il est vrai qu’à propos de Madagascar la diplomatie française, tiraillée, en ces temps de cohabitation politique, entre les vues positives de l’Elysée et celles négatives de Matignon, ne s’est pas déployée avec la clarté souhaitable, l’Elysée optant plutôt pour admettre le triomphe de Ravalomanana et Matignon se montrant très récalcitrant à l’endroit de Ravalomanana. Pour avoir été en contact constant et à la manoeuvre, en représentation du nouveau Président élu malgache , avec les deux équipes de l’Exécutif français en charge de Madagascar, je peux en témoigner de façon précise.

La voie et les vues élyséennes s’imposent finalement de façon franche, ouverte et évidente du côté français puisque, peu de temps après la déroute législative socialiste en France qui voit Jacques Chirac disposer d’une majorité qui lui est dévouée dès mai 2002, le ministre des affaires étrangères de son nouveau gouvernement, Dominique de Villepin, arrive à Madagascar mi-juillet 2002 toutes affaires cessantes et rétablit en faveur de Ravalomanana une balance que sous le gouvernement Jospin la France avait risqué de façon incompréhensible et préjudiciable de laisser pencher du mauvais côté.

Dès lors, les rapports avec cette France décidément hésitante à admettre pour Madagascar l’indépendance pleinement souveraine jusqu’à une époque récente, qu’elle-même pourtant n’a jusque là de cesse de revendiquer vis-à-vis des Etats-Unis et de l’OTAN, reprennent avec une grande confiance réciproque.

Mais, il est vrai aussi qu’à l’égard des pays africains la France avait alors décidé de réorienter vers un esprit de partenariat la vision de ses rapports avec eux (d’où la proposition d’un « Document Cadre de Partenariat »), plutôt que d’en rester à une vision quelque peu paternaliste de la coopération. Cette formule lui permet, autre avantage avéré, d’éviter de parler de « relations privilégiées » à maintenir avec les Etats africains francophones et de s’ouvrir davantage aux autres pays anglophones, lusophones et hispanophones.

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                                                                        L’EMBELLIE

Ainsi, déjouant tous les a priori comme il sait le faire, le supposé « anglophile » Ravalomanana peut, au moment où nous le servons comme ambassadeur à Paris, se permettre de réserver à la France une attention toute particulière en y effectuant une visite officielle de cinq jours début avril 2003, au cours de laquelle, chose unique et privilégiée qui fera ensuite jurisprudence en faveur d’autres chefs d’Etat prestigieux comme la Reine Elizabeth II du Royaume-Uni et le Président Ziang Zemin de Chine les mois suivants : il est solennellement reçu au siège de la Fondation Charles de Gaulle à Paris, ce au résultat d’un travail commun que j’avais eu grand plaisir à mener à bien avec le président de cette vénérable institution, Yves Guéna.

Dans la foulée, deux importants accords de remise et de rééchelonnement de dettes sont signés, et le paysage financier étant ainsi dégagé, s’en est suivi quelques mois après en juillet 2003 un accord de protection et de promotion réciproques des investissements, le premier du genre que la France va par la suite proposer à d’autres Etats africains.

Ce dynamisme que je recherchais dès le début de ma mission d’ambassadeur en 2002 et que j’avais suscité grâce à un immense travail commun en amont avec les plus hautes autorités françaises, qui se traduit également rapidement par un rehaussement sans précédent du niveau des relations franco-malgaches, trouve une autre heureuse concrétisation dans le regain d’intérêt grandissant du monde des affaires français pour Madagascar.

Saisissant l’occasion de cette conjoncture très favorable, très rapidement je décide donc d’organiser une mission économique multi-sectorielle, la première du genre qu’une ambassade malgache ait organisée. Ainsi, en septembre 2003 c’est une vingtaine de chefs d’entreprises, grandes et petites, que j’emmène à Madagascar, avec à la clé une audience collective auprès du Président de la République de Madagascar, suivie d’une séance de travail, au palais d’Ambohitsorohitra.

Par la suite, d’une année sur l’autre, j’organise d’autres missions économiques, sur des thématiques spécifiques, de sorte que durant mon mandat d’ambassadeur ce sont environ deux cents cinquante entreprises françaises de tous secteurs d’activités, très grandes (exemples: les groupes « Accor » ou « Véolia », pour ne citer qu’eux), moyennes et petites, que j’ai emmenées à Madagascar, dont la plupart réaliseront les projets qu’elles avaient souhaité développer.

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Première mission économique française que j’avais conduite à Madagascar en septembre 2003, ici en séance de travail sous la présidence du Président Ravalomanana (à l’extrême gauche sur la photo). A droite : l’ambassadeur de France, Mme. Boivineau ; à la gauche du président Ravalomanana : le Secrétaire général de la Présidence, et moi-même. Archives personnelles de Jipiera – Reproduction interdite –


Par la suite, j’avais également eu grand plaisir à assurer le succès d’autres grands rendez-vous diplomatiques franco-malgaches.Parmi ceux-ci, les voyages du Président de la République française à Madagascar.

En effet, le Président Chirac, qui avait effectué auparavant en mai 2005 une visite privée à Madagascar avec son épouse marquée par une chaleur particulière des relations personnelles des couples présidentiels français et malgache, y revient très volontiers, cette fois-ci en visite officielle en juillet 2005, à l’occasion de laquelle le président Ravalomanana est fait grand’croix de la Légion d’Honneur, geste exceptionnel puisque seule avant lui la Reine Ranavalona III avait reçu, dans les conditions moins heureuses que nous avons vues, la même dignité en septembre 1888.

Cette embellie franco-malgache était sans doute trop forte pour l’esprit réfractaire des trop nombreux francophobes qui gravitaient autour du président Ravalomanana. Inévitablement, peu à peu ils vont lui faire jouer les mauvais calculs consistant, de façon primaire, à stigmatiser ou à exclure la France et les Français de certains choix stratégiques majeurs en toutes matières.

Ceci est devenu d’une évidence signalée à partir de 2008 après la réélection de Marc Ravalomanana à la présidence de la République début 2007, qui l’a amené à prendre en 2008 une série de mesures perçues par le nouveau Président Sarkozy en France comme ouvertement anti-françaises et anti-francophones sous couvert de défendre les intérêts nationaux, mais qui malencontreusement faisaient apparaître, selon Paris, des préférences marquées pour l’anglophilie, l’américanophilie et la germanophilie, voire même l’ « asiaticophilie ».

Ainsi, par excès de confiance le président malgache s’est-il laissé enfermer dans une appréciation manichéenne des relations internationales, alors même que les élans de sa présidence pendant la période faste de 2002 à 2008 allaient dans le bon sens, celui d’un rééquilibrage relationnel au niveau international, qui n’exclut aucun pays ou zone particulière, mais qui polarise Madagascar et son potentiel économique et fait de ce pays un des points de convergence de l’investissement international.

C’est pourtant ainsi qu’avait été lancé fin 2006 un plan quinquennal (2007-2012) intelligent se déclinant en huit engagements majeurs et connu sous le nom de « MAP » (« Madagasikara Amperin’Asa » ou « Madagascar Action Plan », ou encore « Plan d’Action pour Madagascar »), le premier du genre en Afrique qui soit articulé de façon précise avec chiffrage, évaluation et programmation (en comparaison, le « NEPAD » imaginé par le président sénégalais Abdoulaye Wade n’a aucun caractère opérationnel de la sorte), et qui ait reçu une appréciation unanimement favorable de tous les partenaires de Madagascar ainsi que des organisations internationales.

Cette planification de type incitatif comprenait les huit engagements (une allusion à peine voilée  au nom du président Ravalomanana qui signifie littéralement « celui qui possède le huit » le chiffre 8 étant de bon présage selon les croyances malgaches) suivants: une gouvernance responsable ; une infrastructure reliée ;  une transformation de l’éducation ; un développement rural ; amélioration de la santé, du planning familial et de la lutte contre le Vih/sida ; une économie à forte croissance ; prendre soin de l’environnement ; et la solidarité nationale.

C’est enfin une planification qui s’intégrait elle-même dans une véritable vision de développement « rapide et durable » baptisée « Madagascar Naturellement » avec cette profession de foi présidentielle qui résume à elle seule toute l’ambition que Ravalomanana avait assignée à son pays : « Madagascar aura une économie de première classe avec une compétitivité maximisée vers 2020. Son environnement sera protégé et sera utilisé d’une façon sage et responsable pour mettre en valeur notre développement ».

C’est que, en effet Madagascar est par excellence le pays de la biodiversité et de la diversité culturelle, et au résultat de cette double diversité héritée du fond de son histoire ce pays peut offrir, avec le brassage continu des coutumes, des légendes, des croyances ou des proverbes propres à chacun des groupes de population de la Grande Ile, un syncrétisme vivant et très complexe en apparence, mais qui se caractérise par une unité linguistique et civilisationnelle remarquable.

Le retour gagnant de Madagascar dans le concert des nations, tant sur le plan multilatéral qu’au niveau bilatéral, qui s’accompagnait d’une nouvelle affirmation de cette spécificité comme elle avait su l’exprimer durant les années 1960, se traduisait cette fois-ci par une excellente intégration internationale et régionale dans le domaine économique.

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« Rosace  » – Vitrail – Jipiera – Reproduction interdite


Ce retour gagnant fait l’objet de mon article sur le même intitulé sur ce même Blog le 23 septembre 2013 , et auquel j’invite le lecteur à se reporter.

Les réalisations économiques accomplies par les deux gouvernements successifs du président Ravalomanana, servies par une stabilité politique et sociale remarquée, sont impressionnantes et séduisent la communauté internationale.

Tout cela a été conduit d’une main de maître par un homme issu du monde des affaires qui a fait de son entreprise, le « Groupe Tiko », le premier groupe agro-alimentaire de tout l’Océan Indien, dissuadant ainsi des groupes mondiaux comme « Danone » d’aller le concurrencer localement.

Mais, bientôt, les méthodes autocratiques de Ravalomanana, qui n’hésite pas, par ailleurs, à éliminer ou à écarter de façon brutale des hommes que lui-même et son proche entourage craignent ou qu’ils soupçonnent de velléités concurrentielles, vont malencontreusement former une armée de vengeurs, de revanchards et de laissés pour compte plus ou moins aigris qui n’attendront que le moment propice pour agir contre lui.

Et, à ce titre et sur ce registre, l’histoire politique de Madagascar ne manque pas de précédents célèbres et d’ « exemples » inspirants comme on l’a vu en remontant le temps…Ceux-là, n’écoutant que leur colère et que leur rage, sans discernement ni esprit responsable, sont en effet capables de toutes les bassesses au risque de provoquer des effets destructeurs au détriment du peuple pourvu que leur rancune soit satisfaite. Et, ils auront toujours beau jeu de prétendre qu’ils agissent ainsi « dans l’intérêt du pays ».

Il est cependant exact que, malgré des volets sociaux indéniablement traités avec la priorité requise et la promotion de valeurs morales de solidarité active, la politique économique de Ravalomanana, qui ne comporte pas de systèmes de redistribution de revenus, fait la part trop belle à l’enrichissement matériel et financier, finissant par instaurer un climat malsain de compétition, par encourager l’esprit de lucre, et par instiller dans l’esprit du petit peuple de chimériques attentes.

Les ennemis qu’a su se fabriquer Ravalomanana par certaines de ses méthodes brutales ou par de graves erreurs de choix de politique intérieure ou internationale ont en tout cas réussi eux aussi à attiser ce cocktail explosif, aidés par une certaine rancoeur des traditionnels rentiers malgaches et étrangers longtemps établis à Madagascar, lesquels voyaient s’effriter leur patrimoine bâti sur fond de monopoles et de chasses gardées dont ils voient les contours se rétrécir au fur et à mesure de l’arrivée d’investissements massifs en provenance de l’étranger.

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                                                              LE DEBOULONNAGE

Ravalomanana, qui persiste avec une foi inébranlable dans sa propre étoile qu’il croit éternelle, finit ainsi par perdre pied après l’inattendue défaite municipale d’Antananarivo de novembre 2006, élection municipale gagnée haut la main par un ambitieux Andry Rajoelina qui a su exploiter les insuffisances de son adversaire soutenu par Ravalomanana.

Par réflexe, n’écoutant que les mauvais et nombreux « conseilleurs » qui gravitent autour de lui dans un esprit de cour propre à un régime qui s’installe dans une sclérose de l’intelligence, étant incapable de réagir adéquatement pour corriger des erreurs que par entêtement Ravalomanana aggrave au contraire, la roue tourne brutalement dans le sens contraire.

Pire, il laisse prendre par son premier ministre une série de décisions inouïes d’inconséquences à l’encontre du dangereux nouveau maire d’Antananarivo, celles qu’il ne fallait surtout pas prendre pour ne pas lui donner des raisons d’allumer l’incendie !

Ce que ce dernier ne manque pas de faire en organisant méticuleusement, avec l’aide efficace de ses soutiens malgaches et étrangers, des opérations périlleuses mais réussies de pure destruction des symboles du pouvoir et de la richesse ostentatoire, ce en instrumentalisant le petit peuple miséreux facilement manipulable et « grassement » rétribué pour de basses besognes.

De décembre 2008 à février 2009, ces opérations destructrices vont crescendo sans que les forces de l’ordre soient capables de les réprimer. Ravalomanana, reclus dans ses certitudes pacifistes, refuse absolument d’utiliser la force pour ramener le calme et l’ordre, étant persuadé que la masse du peuple qui, en effet, lui manifeste son soutien indéfectible, saura, comme en 2001/2002, non seulement résister aux provocations mais imposer l’apaisement.

Quant aux forces armées, toutes demeurées loyales, Ravalomanana ancré dans un pacifisme qui se veut « absolu » refuse également à les déployer et à les pré-positionner à titre préventif, même autour des palais présidentiels d’Ambohitsorohitra et de Iavoloha.

C’est dans ce contexte surréaliste et dans cette logique insurrectionnelle infernale que le catastrophique carnage provoqué intentionnellement – car, c’en est un ! – survient un 17 mars 2009 devant le palais présidentiel d’Ambohitsorohitra.

En effet, comme l’établissent la matérialité des faits, la convergence des témoignages directs ainsi que la simple relation des évènements, des tirs ciblés de provocation provenant des bâtiments faisant face à ce palais déclenchent, comme cela étaient prévu par les commanditaires du complot, une réaction désordonnée de la garde présidentielle qui, pensant ainsi être attaquée et se voyant assaillie par la foule de miséreux recrutés pour faire figures de manifestants menaçants, à laquelle se mêle des éléments armés composés essentiellement de sous-officiers, tire pour défendre le périmètre de sécurité du palais présidentiel puisque tout ce monde venait de franchir la ligne rouge qui sanctuarise son entrée principale.

Puis, menacé lui-même de liquidation physique en son palais présidentiel d’Iavoloha où il se trouve avec sa famille, ce qui amènera son exfiltration pour l’Afrique du Sud, comme pour donner à la tragédie un tour encore plus pathétique, les mêmes mauvais « conseilleurs » font prendre par Ravalomanana une autre décision lourde de conséquence, que leur inspire bien malencontreusement une précédente « formule » adoptée par Tsiranana en 1972 avant de quitter le pouvoir : sous la forme d’un mandat impératif et sans démissionner, Ravalomanana délègue ses prérogatives présidentielles, pour un temps donné et pour prendre des dispositions limitativement énumérées, à un « directoire militaire » présidé par l’officier général le plus haut gradé (un autre amiral, comme Ratsiraka) !…

Inévitablement, des fruits aussi tentants ont immédiatement été saisis et confisqués par ceux qui, de plus en plus nombreux, avaient guetté comme des vautours autour de l’irrésistible attrait de leur pulpeuse saveur.

Demeuré jour et nuit en contact direct et permanent avec Ravalomanana durant ces terribles jours et heures de plomb à mon poste d’ambassadeur à Rome, de même que maintenant ma mobilisation entière vis-à-vis des hautes autorités italiennes soucieuses d’être ponctuellement informées des évolutions de la grave crise malgache, je vivais ces évènements, minute par minute, prêt à agir et réagir dans l’instant, en pleine solidarité active avec « mon » Président. Dans nos échanges téléphoniques, celui-ci avait gardé, de façon exemplaire et jusqu’à la dernière minute, celle du moment crucial où il fallait évacuer le Palais de Iavoloha, tout son calme et sa lucidité…

                                                                              *****

rosace 2

« Rosace 2  » – Vitrail – Jipiera – Reproduction interdite


                                                    UN CYCLE INFERNAL A BRISER

C’en est donc fini, car en ce même funeste jour du 17 mars 2009 on sonne la curée générale, tout cela se déroulant, comble d’ignominie et sous les yeux éberlués de l’ambassadeur des Etats-Unis, dans les locaux de l’Episcopat catholique d’Antananarivo avec la bénédiction de l’archevêque d’Antananarivo en personne, où une escouade de sous-officiers conduits par un colonel musculeux, tous des adeptes des meilleurs personnages des films à castagnes,  malmène le chef de l’Eglise Réformée de Madagascar malencontreusement présent sur les lieux, et où le « meilleur juriste de Madagascar » qu’est Norbert Ratsirahonana entre en scène pour « transférer » prestement ces prérogatives présidentielles déléguées à Andry Rajoelina qui, à son tour, se proclame aussitôt en charge de l’Etat pour une période transitoire…destinée à durer !

C’est aussi par cet enchaînement voulu d’actes gravissimes que la route pourtant bien pavée du « MAP », ce plan de développement « rapide et durable » unique en Afrique prend fin brusquement !

Quant au gouvernement français – rappelons que nous sommes sous la présidence Sarkozy -, dont le rôle singulier et défavorable à Ravalomanana est difficile à occulter, le moins qu’on puisse dire est qu’il se félicite de voir disparaître politiquement un Ravalomanana qui, à partir de sa réélection début janvier 2007, manifestait à ses yeux « trop d’indépendance » par rapport à des vues et à des visées françaises plus ou moins avouées ou avouables dans cette partie du monde, l’Océan Indien occidental, où les intérêts stratégico-économiques de la France sont nombreux et grandissants.

A cet égard, il n’est que de constater la fixation que fait la France sur ces Iles Eparses, riches en minerais et en gaz ou pétrole, qui font incontestablement partie du plateau continental malgache, et qu’elle avait malicieusement « oublié » de transférer à l’Etat malgache naissant à l’Indépendance de Madagascar en 1960, lui permettant aujourd’hui de continuer à les administrer par les soins du préfet en charge …des lointaines îles australes françaises.

Par cette posture sans ambiguïté que la France a adoptée lors du coup d’Etat du 17 mars 2009, qui se rend ainsi finalement vulnérable aux critiques les plus acerbes étant donnés les énormes dégâts qu’on qualifierait de « collatéraux », et que ne manquent pas de déplorer vivement, cependant  sans trop d’ostentation, tous les autres partenaires principaux de Madagascar, à commencer par les Etats-Unis, l’Union Européenne, l’Allemagne, la Norvège et le Royaume-Uni, la position de la France à Madagascar connaît à nouveau des heures sombres.

Car le profond ressentiment du peuple malgache à l’égard de la « patrie des droits de l’homme », au sein duquel on compte désormais ceux qui jusque là se montraient les plus Francophiles, est une triste réalité. Le lourd complexe relationnel franco-malgache emboîte ainsi le pas, de façon répétée, aux crises cycliques malgaches, lesquelles n’en finissent décidément pas de se renouveler !…

Mais, la conséquence la plus grave en est qu’à nouveau le peuple, avec la fin du régime de Ravalomanana, « celui qui possède le huit », lequel n’aura donc duré que huit ans, vit une autre misère.

A l’échelle de ses six siècles d’histoire traversés, tels qu’ils se sont déroulés ainsi que rapportés dans les chapitres précédents, la crise que vit Madagascar à la suite du coup d’Etat du 17 mars 2009 est sans doute une des plus graves, en tout cas la plus grave des temps modernes avec les troubles de 1947, même si ces crises ne sont pas de même nature.

Celle que les Malgaches vivent actuellement n’est, bien sûr, pas uniquement d’ordre politique et institutionnel.  Plus profonde que cela, hélas !, elle a ses dimensions morale, culturelle, sociologique, psychologique, voire psychiatrique, comme en France dans les années 1940.

Sur le plan politique et institutionnel, cette crise révèle non pas une simple et supposée inadéquation des institutions elles-mêmes, qui sont ce qu’elles sont, mais bien plus, se caractérise par une très mauvaise assimilation  des principes et notions que les sciences juridique, politique et humaine auraient dû faire inculquer aux autorités et dans lesquelles celles-ci auraient dû être mieux formées.

A cela s’ajoutent corrélativement une compréhension erronée des missions étatiques et une pratique irrationnelle ou dévoyée du fonctionnement des rouages institutionnels.

Au résultat de cela, les principes qui prennent leur source dans la Démocratie et dans les textes fondamentaux des droits humains sont perçus comme de simples ornements inscrits aux frontons, tandis que les acteurs politiques n’ont de formation et de références que les expériences de leur héritage familial, clanique, catégoriel ou confessionnel, sans qu’une once d’idéologie ou d’idéal ne vienne donner une cohérence et une haute vision à leur combat.

Que dire alors de la pratique institutionnelle et des rouages de l’Etat quand on voit que chaque « chef d’institution », fidèle à une conception patrimoniale du pouvoir, se croit à la tête d’un fief,  jaloux de ses prérogatives, si petites soient-elles, et se constitue à partir de là une clientèle politique !

Dans ces conditions, et logiquement, bien loin de l’esprit du « chef d’institution » et de ses collaborateurs et subordonnés sont les notions de service public ou  de la citoyenneté, par contre on s’attache bien volontiers aux notions féodales de « gouvernants » et de « gouvernés ».

Quant aux dimensions qui ont trait à l’état de la société et à ses ressorts aussi profonds qu’intimes du niveau sociologique, psychologique ou psychiatrique, il n’est pas exagéré de dire que la fermeture d’esprit, engendrée par les excès de la phraséologie d’un certain nationalisme borné assénée notamment par les préceptes du « Boky mena » (« Livre rouge »), par la résurgence du culte d’une forme rétrograde du traditionalisme, par un retour aux réflexes régionalistes et par une exacerbation de l’orgueil national, dont s’est nourri l’inconscient du citoyen malgache pendant les quelques vingt et un ans de régime ratsirakien (de 1975 à 1991, puis de 1996 à 2001), continue de produire ses effets pervers sur une société sclérosée qui s’interdit toujours les ouvertures nécessaires à son éclosion.

Les respirations nouvelles et les formes de libéralisation pratiquées par Ravalomanana n’ont en définitive pas pu résorber ces durs handicaps, sans aucun doute faute de temps, de réformes en profondeur, de solidarité sociale plus cohérente et de pratique politique plus éclairée.

Néanmoins, durant le court temps du régime de Ravalomanana, les Malgaches ont-ils pu percevoir des perspectives positives pour leur avenir et goûter aux promesses qu’une réelle amélioration de leur condition de vie a pu offrir.

Il n’empêche que les déceptions générées par certaines erreurs commises par ce même Ravalomanana, mais surtout les lourdes et incomparables frustrations, privations et vexations de tous ordres,  qu’impose et continue d’imposer la très « mal gouvernance » de Rajoelina, ont-elles provoqué chez beaucoup trop de Malgaches une grave dépression psychologique, et chez certains d’entre eux, jusqu’à un désordre mental, car ceux-là sont convaincus qu’une fatalité maligne frappe décidément ce pays qui est le leur, incapable d’assurer pour le présent et pour les générations à venir sa prospérité.

Certes, dès son commencement la communauté internationale s’est saisie de cette grave crise malgache pour aider Madagascar à la surmonter au moyen d’un processus dit « consensuel et inclusif de sortie de crise ».

Mais, les appréciations erronées et les difficultés semblent si insurmontables qu’après plus de quatre années d’essais successifs de sortie de crise, à commencer en août 2009 par un accord dit de « Maputo I » jusqu’à un « Acte additionnel d’Addis-Abeba » en passant par un « Maputo II » et, pour finir, avec la signature en novembre 2011 d’une « Feuille de Route » à la rédaction de laquelle la France a joué un rôle certain, tout cela dans le cadre d’un régime dont les pouvoirs sont confisqués par une clique qu’on a fini par tolérer, toutes les solutions envisagées sont loin d’être satisfaisantes.

De telle sorte que personne n’ose plus prévoir dans quel type d’abîme tout cela risque de conduire (voir : mon article « Interventionnisme à Madagascar » sur ce même Blog, daté du 22 septembre 2013). Sauf que certaines consciences majeures, en son temps le très regretté cardinal Razafindratandra ou, aujourd’hui Raymond Ranjeva, ancien vice-président de la Cour Internationale de Justice de La Haye, voient relayés par Ravalomanana les idéaux qu’ils ont développés, lequel, peut-être un peu tardivement, finit  le 29 mars 2012, à l’occasion de la commémoration des tragiques évènements du 29 mars 1947, par s’en inspirer pour réclamer le grand pardon, la réconciliation et le rassemblement entre les plus humbles des citoyens jusqu’aux plus élevés des responsables politiques.

La hauteur de vue et la grandeur d’âme exprimées ainsi, fidèles à la tradition vraie du « Fihavanana » et du « Fitiavana » malgache, et empruntant la voie suggérée par un Nelson Mandela, porte certainement en elles les germes du retour promis à la réintégration morale. Avec elle, l’intégrité territoriale constitue aussi un bien précieux que certains politiques voudraient pourtant remettre en cause.

Dans cette continuité conceptuelle, le « MAP » (« Madagascar Action Plan ») aura le plus fait dans l’œuvre de désenclavement des régions malgaches, avec ses multiples connexions par voie routière, maritime, aérienne, et de solidarité/complémentarité active inter-régionale.

Rêveries montagneuses

« Montagnes célestes », acrylique – Jipiera – Reproduction interdite

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Voudrait-on, au contraire, imiter le contre-exemple de la séparation et de la désintégration entre l’Ethiopie et l’Erythrée, héritage persistant d’une sanglante guerre civile, pour recréer les handicaps  de l’enclavement ?

Cependant, l’Ethiopie malgré cela et les énormes destructions de toutes natures qu’elle avait subie a su opérer son relèvement avec une capacité extraordinaire de résilience. Un autre pays africain tout récemment meurtri par les pires exactions à grande échelle, le Rwanda, opère de même un relèvement sans précédent.

Ces deux exemples historiques sont donnés, avec pleine raison, pour exemplaires !

Les peuples éthiopien et rwandais démontrent avec fermeté que « là où il y a une volonté, il y a un chemin » !

Ce qui nous faisait dire : « Aujourd’hui, pour une renaissance de Madagascar, cette volonté est à nouveau incarnée, étant désormais fort de ses expériences et épreuves passées, par un Marc Ravalomamana muri et amendé, incontestablement ! »

Mais, ce « aujourd’hui » c’était en octobre 2013 au moment où nous écrivions cet article.

Car, aujourd’hui, et ce depuis plusieurs années maintenant, il nous faut dépasser cette opinion conjoncturelle pour aller plus au fond des choses. C’est à dire, envisager un ancrage profond, que dis-je, un re-enracinement plus que nécessaire afin de juguler les courants néfastes à toute marche vers le progrès.

C’est ce que nous exposons dans notre projet « Madagasikara Mijoro », autrement dit l’innovation monarchique nécessaire pour un Madagascar régénérée et une nation renaissante (voir sur ce même blog notre article « Madagasikara mijoro » du 24 juillet 2014).

Il se trouve d’ailleurs que dès 2019 s’est réinstallé à Madagascar dans le sillage de Rajoelina les protagonistes de la régression, au résultat de quoi le pays ne cesse de s’enfoncer dans le sous-développement et le peuple dans une misère jamais atteinte.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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* Résumé du manuscrit de Jean-PierreRazafy-Andriamihaingo, « Madagascar, lLa marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays. Reproduction, même partielle, interdite.

REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR (10ème partie)

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Vitrail: « Nouvelles perspectives 1 » (jpra)


                                   A LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE DESTINEE

Toute une nation vit l’état d’orphelinat.

Le Rova d’Antananarivo en se vidant de ses illustres occupants est hanté par les esprits incrédules de ses inventeurs, et par décision de Gallieni se transforme dès le 16 novembre 1897 en un musée qui devient, certes, le témoin privilégié des grandeurs passées, mais le gouverneur général de la Grande Ile prend soin d’atténuer ce caractère en adjoignant au musée historique un autre musée, celui d’histoire naturelle, et une école des beaux-arts dans les mêmes lieux.

Et, demeurant fidèle à sa politique d’exclusion, Gallieni n’en permet l’accès qu’aux Européens et aux « Assimilés  Français» pour mieux l’interdire aux Malgaches et leur confisquer la référence majeure à la royauté !

Cependant, dépassant cette autre forme d’annihilation, les Malgaches peuvent légitimement se poser la question : comment maintenant se réinventer une identité sans ces « Ray amandreny » (« père et mère ») qu’étaient ces souverains, sans « Père et Mère », selon une philosophie de vie profondément ancrée dans l’âme de tout un chacun où qu’il se trouve à Madagascar ?

Gallieni, certainement conscient de cette interrogation fondamentale, entend en tout cas éviter qu’elle donne lieu, aux emplacements des sépultures de certains souverains et princes royaux situés hors de l’enceinte du Rova d’Antananarivo, à des scènes de culte et à des rassemblements insurrectionnels. Or, il n’oublie pas que ce Rova est aussi une nécropole royale, à l’image de la cathédrale de Saint-Denis en France.

Alliant tout de même respect et souci de sécurité il fait transférer les restes mortels de ces souverains et princes qui autrefois avaient été inhumés à Ambohimanga, pour les regrouper dans les tombeaux du Rova d’Antananarivo, et fait de même pour ce qui concerne le corps de Radama II qui avait été enterré à Ilafy. Il veut imposer à Madagascar et aux Malgaches une ère nouvelle conforme aux seules vues de la France.

Mais cette volonté de soumission d’un pays et d’un peuple riches d’une civilisation originale apparaît si fortraite, qu’elle ne peut résister à la marche de l’Histoire. Inévitablement donc, elle vient se heurter au retour naturel d’une identité qui légitimement revendique sa place.

                                    MALGACHITE, MALGACHITUDE, MALGACHISATION ?

La malgachisation ou la malgachité comme réponse à la soumission et à la dépendance ? 

C’est la question fondamentale qui se pose à ce stade de l’histoire de Madagascar. Madagascar, colonie française, « le plus beau fleuron colonial » que la France se devait de conquérir comme le souhaitait vivement Lambert en s’adressant naguère en 1856 à l’empereur Napoléon III, amorce une mutation douloureuse.

Parmi les Malgaches, certaines leçons du passé récent sont tirées, en ce début du XXème siècle, pour donner naissance à un patriotisme nourrit aux sources nouvelles de la technicité et de la connaissance occidentales tout en demeurant ce qui fait d’eux des Malgaches fiers du passé mais épris d’ouverture.

D’un autre côté, et par rapport au point de vue français, le paradoxe de la volonté de soumission de Madagascar est qu’elle a besoin de l’intégrité territoriale du pays, avec un pouvoir central fort, mais pas nécessairement de l’unité d’un peuple dont Gallieni accentue au contraire les rivalités régionales en s’appuyant d’une façon générale sur les chefs des populations côtières, ceux-là même qui n’ont au fond d’eux-mêmes jamais accepté la domination des habitants des hauts plateaux.

Pour donner un fondement pseudo-scientifique à ces visées et pour venir en appui à la formule « diviser pour régner », un qualificatif nouveau, appliqué habituellement aux peuples dominés, est tout trouvé : l’ethnicité. Ceci pour faire admettre l’existence à Madagascar d’histoires séparées, ce contrairement à l’évidence des faits anthropologiques, ethnologiques, sociologiques et autres convergences historiques vus précédemment et qui établissent au contraire de forts liens parentaux et civilisationnels entre les différents peuplements de la Grande Ile.

Bref, Madagascar est administrativement divisée en vingt provinces et subdivisée en soixante quinze districts. La paix politique et sociale étant cependant une réalité vécue au fil des ans, parmi la population un sentiment de bien-être matériel naît et se renforce, développant à l’égard de la France des pensées plus positives et plus confiantes.

C’est donc bien volontiers que Madagascar participe à l’effort de guerre lors de la première guerre mondiale, non seulement en produits agricoles et en vivres avec les fameux « corned beef » qui par leur valeur nutritive contribueront au relèvement moral des combattants français sur les différents fronts, mais aussi en matériels divers, dont trois appareils de guerre (baptisés respectivement « Madagascar », « Tananarive » et « Emyrne ») pour la flotte aérienne française, fournis et armés grâce à une souscription spéciale organisée par le « Comité malgache de soutien à l’effort de guerre » présidé par notre arrière-grand père maternel.

Les combattants malgaches sont en grand nombre, avec un contingent total de près de quarante cinq mille soldats, qui vont au combat sur tous les théâtres d’opération à travers le continent européen et jusqu’en Macédoine, la justesse du combat particulier de la France contre l’ennemi allemand et ses alliés étant reconnue. Sur le front principal en France même, le 12ème Bataillon de chasseurs malgaches s’illustre tout particulièrement par sa bravoure dans les offensives finales qui vont donner la victoire en 1918 et reçoit pas moins de trois citations à l’ordre de l’Armée avec ce qualificatif du général Mangin, chef des armées alliées : un « Bataillon magnifique » !

Mais au bilan de cette guerre effroyable, Madagascar a payé bien cher sa franche contribution à la victoire des alliés, sans véritablement avoir reçu la gratitude attendue comme une juste reconnaissance en retour, de sorte que le patriotisme nouveau qui semblait prendre consistance jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, se mue maintenant en un nationalisme radical avec une figure de proue, Jean Ralaimongo, qui reçoit l’appui du parti communiste français.

La Liberté et l’Indépendance sont les thèmes récurrents de la revendication malgache, laquelle rejette l’idée de l’ « assimilation des Indigènes aux Français », qui refuse en fait la citoyenneté française. Ceci engendre une situation politique et sociale tendue sur toute l’étendue du territoire malgache pendant une vingtaine d’année, avant que ne résonnent à nouveau les bruits de bottes annonçant cette fois-ci la seconde guerre mondiale.

Entre temps, en novembre 1938 le Rova d’Antananarivo accueille dans un dernier hommage respectueux et dans la nostalgie exprimée de loin par le peuple, car celui-ci reste interdit d’accès à « son » Rova, la dépouille mortelle de la reine Ranavalona III décédée en 1917 à Alger. Elle revient ainsi parmi les siens, parmi ses ancêtres et ses anciens sujets, car pour les Malgaches ce retour est, selon le rite du « Famadihana », comme un retour à la vie et il ne peut que raviver ainsi un sentiment national toujours à vif.

LES FORMES DE NEGATION DE L’IDENTITE MALGACHE

Cependant, à nouveau, Madagascar aura à payer cher sa contribution à l’effort de guerre lors de la seconde conflagration mondiale, cette fois-ci avec un regard plus circonspect.

Car, en dépit de la fierté qu’aurait pu éprouver le peuple grâce à la bravoure de certains héros malgaches malheureusement mal connus et mal récompensés, lesquels se sont signalés tant sur le front de la Somme que dans la Résistance française, et au nombre desquels figurent nos propres parents, la soudaineté de la déroute des armées françaises accompagnée de l’affaissement de l’Etat français pose la question même de la fiabilité et de la crédibilité d’une France qui prétend toujours et encore en imposer à Madagascar et ailleurs.

Ce n’est pas pour autant que les nationalistes malgaches parviennent à se déterminer. Ce d’autant moins, que le sort même du statut de Madagascar face au combat triangulaire que se livrent sur place à Madagascar les Vichystes, les Anglais et les Français libres les désoriente. Mais finalement l’intégration de Madagascar dans l’ensemble de la France Combattante en novembre 1942 que De Gaulle réussit, conduit le général Legentilhomme, son Représentant local, à imposer au pays et au peuple des mesures drastiques de réquisitions diverses qui heurtent d’autant plus profondément la conscience nationale qu’elles s’accompagnent maladroitement de faveurs accordées aux colons et à des communautés étrangères que sont les commerçants chinois et indiens venus nombreux.

Ce sont là d’autres germes qui vont alimenter davantage encore la rancœur et le ressentiment, malgré les ouvertures vers l’autodétermination, voire l’indépendance, que laisse percevoir le fameux discours de Brazzaville du général De Gaulle en 1944. Certes, la IVème République française s’est faite sans De Gaulle qui eût pu conduire à ces évolutions souhaitables. Mais, il est un fait que la rupture avec une quelconque forme de « francisation » est définitivement consommée.

Elle tend même à s’exacerber tant les autorités coloniales persistent dans la négation de certains droits fondamentaux et dans la division entre les « côtiers » et les habitants des hauts plateaux. Même pour le Rova d’Antananarivo aucun élargissement n’est prévu et il a fallu que son tout nouveau conservateur en chef nommé en mai 1946 – notre mère – agisse très fermement  auprès du gouverneur général de Coppet, aidée en cela par notre père, alors directeur très influent de l’Architecture, de l’Urbanisme et de l’Habitat au gouvernorat général de Madagascar, pour qu’enfin soit levée l’interdiction d’accès au Rova jusque là opposée aux « indigènes » malgaches.

La rébellion, la révolte, l’insurrection éclatent dans la nuit du 29 au 30 mars 1947 sur fond d’exacerbation des rancoeurs prétendument « ethniques » auxquelles se greffent des luttes politiques et confessionnelles ainsi que des ressentiments raciaux entre les colons et les habitants, sans que personne sache d’où vient le signal.

Le carnage collectif, fratricide à bien des égards, qui a donné lieu à des tueries en grand nombre de part et d’autre, sans qu’on puisse en établir une comptabilité exacte, saisit le pays tout entier durant plus d’un an et demi. Les nationalistes les plus radicaux, tout en niant la responsabilité des tueries, revendiquent le caractère de révolution de ce qu’ils présentent comme l’expression populaire d’une quête légitime et désespérée pour l’Indépendance et pour le strict respect des droits des peuples.

En vérité les Malgaches étaient dépassés par cette dimension bien théorique, imputant par contre la responsabilité principale des tueries sur des forces de l’ordre coupables de méthodes barbares et déplorant tant le discours chimérique que le manque de maîtrise et de réalisme des nationalistes extrémistes, lesquels ont seulement réussi à enflammer certains esprits exaltés et à flatter des ambitions mal conçues.

Or, l’émancipation immédiate et sans condition, suivie de l’autodétermination rapide et réelle parachevée par l’Indépendance subséquente dans l’ordre, l’honneur et la certitude étaient programmées par les tenants d’un patriotisme qui se veut responsable et conscient des réalités et des nécessités.

VERS UNE ERE NOUVELLE ?

Les débats qui suivent une nouvelle période répressive qui va durer jusqu’au milieu des années 1950 vont être axés sur ces deux grandes tendances politiques parmi les acteurs les plus en vue.

Notre père, porteur d’une réelle espérance nouvelle qui s’appuie sur son expérience de combattant de la Liberté contre l’horreur nazie, de lutte contre l’arbitraire français pendant les évènements de 1947, et en prévention des menaces du communisme stalinien, de défenseur d’une conception moderniste de constructeur qu’il est en tant que premier architecte-urbaniste malgache et planificateur formé aux meilleures écoles française et britannique, de promoteur des arts malgaches avec la création successive des groupes « Les Vakondrazana » et « Ny Antsaly », et pratiquant l’ouverture sur l’international démocrate-chrétien au sein de la mouvance catholique, s’inscrit résolument dans cette seconde tendance patriotique.

Il est en outre, avec Norbert Zafimahova, le leader de l’ « Union des Démocrates Sociaux de Madagascar » (UDSM) à sa vice-présidence, le grand parti rival du « Parti Social Démocrate » (PSD) de Philibert Tsiranana. L’ « UDSM » milite pour un régime mi-présidentiel mi-parlementaire, tandis que le « PSD » soutient la thèse d’un régime pleinement présidentiel.

Tout ceci participe à la maturation politique de part et d’autre, côté malgache comme côté français, ainsi qu’à un nouvel apaisement grâce auxquels désormais Français et Malgaches, se respectant et sans doute se comprenant suffisamment, apprennent à coopérer et à oeuvrer à la reconstruction d’une nation malgache incontestablement vouée à se gouverner elle-même à nouveau quoi qu’il arrive. Au résultat d’efforts communs, les anciens dirigeants du parti nationaliste « MDRM » (Mouvement Démocrate pour le Renouveau Malgache) sont élargis en 1955 et bénéficient en 1956 d’une amnistie.

Par le niveau de conscience de ses responsables politiques, de ses cadres comme de ses forces vives, cette nation là saisit l’occasion de la « loi-cadre Gaston Defferre» du printemps 1956 pour formuler dans la richesse des débats politiques ce que doit être la configuration du prochain Etat souverain que les Malgaches se doivent de bâtir.

Le Rova d’Antananarivo lui-même connaît sous la conduite de son actif conservateur en chef malgache une seconde vie avec la réorganisation totale de la Salle du Trône du palais de « Manjakamiadana » qui, pour utiliser sa propre expression, « scintille des joyaux de la dernière reine malgache » que les nombreux visiteurs étrangers de marque découvrent avec intérêt, leur conviction étant d’avoir affaire à une civilisation originale.

Dans une inspiration dont il a seul le secret, fin août 1958 c’est le général De Gaulle lui-même qui, dans sa manière prothétique dès qu’il s’agit des destinées étatiques, donne le ton et fixe le cap à atteindre pour Madagascar après sa seconde visite complète de ce Rova qui l’a visiblement impressionné en 1953 comme maintenant en 1958, en proclamant haut et fort devant la foule massée au stade de Mahamasina, l’ancien champ-de-mars malgache du temps de la royauté : « Demain vous serez de nouveau un Etat, comme vous l’étiez lorsque ce palais était habité !». L’allusion est claire, doublée d’une assignation à peine voilée.

Elle invite en effet à considérer sérieusement l’occurrence d’une revitalisation de cette acropole, de cette cité royale et de ce haut lieu de la souveraineté malgache comme devant constituer un ardent projet pour une nouvelle modernité institutionnelle. Les clameurs enthousiastes de la foule en liesse, que nous avions nous-mêmes ressenties avec fébrilité en vivant l’évènement du haut de la balustrade de la terrasse ouest du Rova, sont significatives d’une approbation populaire sans équivoque. C’est donc à une marche vers une souveraineté nouvelle qui est proposée à la vocation que Madagascar et les Malgaches ont maintenant à concevoir.

Elle suppose et implique nécessairement de prendre ses distances avec ce phénomène de francisation qui a immédiatement suivi la colonisation de la Grande Ile pour parvenir à une malgachisation intelligente et authentique.

C’est bien cette évolution qui tend à se mettre en mouvement. Madagascar commence par intégrer la Communauté Française par approbation à 77% lors d’un référendum et permet la proclamation le 14 octobre 1958 de la « République malgache, membre de la Communauté » avec pour emblème national les couleurs blanche et rouge rappelant l’ancienne souveraineté royale et le vert symbolisant les régions côtières. Est-ce la royauté qui se rappelle ainsi à la République ? Pour l’heure, Philibert Tsiranana, le leader du « Parti Social Démocrate » (PSD), est le Président de la naissante 1ère République malgache.

Madagascar affirme à l’extérieur sa personnalité propre à travers les actions de ses premiers diplomates des temps modernes, avant qu’à partir de l’acquisition de sa pleine souveraineté internationale le 26 juin 1960, ce selon les standards internationaux des Nations Unies, elle ne puisse exercer pleinement et dans l’indépendance son action diplomatique grâce à l’immense travail promotionnel des trois seuls « super-ambassadeurs » (Rakotomalala, Rakoto-Ratsimamanga, Razafy-Andriamihaingo) qu’elle se donne, postés respectivement aux Etats-Unis, en France et au Royaume-Uni mais accrédités chacun auprès d’une dizaine d’autres pays et organisations internationales.

C’est le temps de la 1ère République malgache, période faste pendant laquelle se construit une nation moderne pleine de vitalité et fière de ses réalisations, au cours de laquelle également à l’extérieur nous avons pu mesurer le capital d’estime et de considération dont pouvait jouir une nation respectée, sollicitée même, parce qu’elle a su conjuguer par la valorisation de sa diversité intérieure sa personnalité et sa spécificité perçues de l’extérieur.

Mais, voilà que déjà en amorçant la fin des années 1960 la politique pratiquée à travers des prismes réducteurs, partisans et orientée vers des horizons incertains recommence à reprendre ses droits. Le paradoxe du tout puissant « Etat-PSD », qui s’enferme dans son splendide isolement, est que ses dirigeants se cloîtrent dans leur tour d’ivoire, tous convaincus d’y rester pour l’éternité, mais c’est le scorpion qui travaille insidieusement à sa destruction.

En effet, pour être certain de pouvoir marcher solidement sur ses deux jambes, le président Tsiranana s’appuie, d’une part, sur le courant « dur et pur » d’André Resampa, puissant ministre de l’Intérieur qu’il élève au rang de ministre d’Etat, et, d’autre part, sur Jacques Rabemananjara, le libéral ministre de l’Economie nationale,  qu’il élève également au même rang de ministre d’Etat. Or, les deux protagonistes, qui se contentent de s’observer en attendant le moment propice de surprendre l’autre, commencent à se constituer leur clientèle respective et c’est toute la société malgache, apparemment stable et cohérente, qui est travaillée par des mouvements de fond qui forment le lit de la « politicaillerie ».

L’économie certes continue d’enregistrer des succès indéniables, mais peine à trouver ses assises et à s’engager sur une voie qui la mettrait à l’abri des cours bien trop fluctuants des marchés internationaux. Les chemins de crête trouvent donc vite leur limite. Pour réduire la capacité de nuisance d’une aile gauche de l’échiquier politique qui n’avait pas perdu de sa superbe, Tsiranana croyait avoir trouvé la parade  en intégrant dès 1963 dans le dispositif du pouvoir exécutif le vieux leader Joseph Ravoahangy-Andrianavalona qui représente également l’héritage de cette oligarchie aristo-roturière des anciens temps sur lequel les nationalistes misent beaucoup. Il est ministre d’Etat, un de plus, délégué à la présidence de la République. Il se mêle de tout et avec lui s’introduisent au sommet de l’Etat les vieilles querelles politiques et catégorielles d’antan de l’oligarchie aristo-roturière qui font le délice des politiciens de tous acabits.

Le président malgache aurait dû méditer cette formule de Vauvenargues : « La haine des faibles n’est pas si dangereuse que leur amitié »…Le retour de l’oligarchie est une réalité qui n’apparaît pas encore ostensiblement et pourtant elle réinvestit toutes les sphères d’influence et de pouvoir, notamment par un doux mélange des genres entre les affaires d’Etat et le monde des affaires. Le jeu des alliances entre une bourgeoisie traditionnelle merina et celle, montante, originaire des régions côtières, finit par accaparer tous les leviers du pouvoir politique et économique.  Les luttes intestines, nourries par les querelles de clans rivaux au sein de cette même oligarchie secouent périodiquement ce microcosme.

Le summum est atteint avec l’affaire des « grands Moulins de Dakar » de décembre 1967 dont les avatars rappellent singulièrement ceux de la « charte Lambert » en 1856, à laquelle s’ajoute une autre grande affaire politico-financière qui agite Madagascar à la fin de l’année 1968 avec la publication d’un brûlot intitulé « Dix années de République » qui révèle des scandales financiers impliquant des hauts dirigeants en vue.

A travers les fils, cousins, neveux et leurs équivalents au féminin, souvent alliés entre eux par le mariage autour de familles bien connues des différentes strates de l’oligarchie traditionnelle et de celle montante, on retrouve tout ce beau monde à tous les postes-clés, et ainsi assiste-on à une réelle continuité générationnelle que vient renforcer à travers le temps le recours systématique au népotisme.

FIN BRUTALE D’UN ENVOL QUI FUT PROMETTEUR

Peu à peu donc la faillite morale de l’Etat, la déliquescence sociale et le désenchantement de la jeunesse qui a su l’exprimer admirablement en mai 1972, préparent la pseudo révolution de 1975. Car, en dépit de l’intermède de mai 1972 au 5 février 1975 potentiellement positif initié par le général Ramanantsoa , efficacement secondé à la tête de l’Etat par le colonel Rabetafika,  et malgré les tentatives de type bonapartiste d’un colonel Ratsimandrava animé des meilleures intentions au bénéfice du peuple, nous voici dès le 11 février 1975 à nouveau à la fin tragique d’un cycle qui se conclue par l’assassinat – jusqu’à ce jour non encore élucidé – de ce valeureux colonel, pour entrer dans un autre.

Au sein d’un directoire militaire rapidement mis en place se profile les folles ambitions d’un capitaine de frégate, Didier Ratsiraka, ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement du général Ramanantsoa, qui avait obtenu en 1973 avec l’approbation unanime des Malgaches la révision des accords de coopération avec la France.

Chacun pensait alors que le cheminement vers la malgachisation intelligente et authentique qu’on a cru pouvoir poindre à partir de 1958, allait pouvoir cette fois-ci reprendre le dessus.  Peine perdue, car la dure réalité est que Madagascar retrouve sur son chemin ses vieux démons, le retour à l’esprit oligarchique qui venait d’appeler à la rescousse la tradition insurrectionnelle pour pouvoir assurer, sur fond d’une prétendue rupture avec le passé, un nouveau règne ploutocratique qui engendre de nouvelles ténèbres, de la nature de celles que les Malgaches avaient connu pendant le règne implacable de la reine Ranavalona 1ère il y a près de cent cinquante ans.

Les années de plomb commencent par l’adoption du « Boky mena » (« le livre rouge »), la nouvelle bible nationale et socialiste fondée sur la « charte nationale de la révolution malagasy » entièrement rédigée par un Didier Ratsiraka triomphant aidé par ses fidèles compagnons issus des rangs nationalistes recrutés au sein des partis « PSD », « Monima » de Monja Jaona et de l’ « AKFM », qui regroupent essentiellement la bourgeoisie des hauts plateaux !

Tout ce monde s’amasse dans le Conseil Suprême de la Révolution, gardienne de l’orthodoxie idéologique dont les références empruntent aux expériences révolutionnaires chinoise et nord-coréenne, tandis que l’institution d’un Conseil Militaire de Développement accorde à l’armée une mission capitale en matière économique.

Ce dispositif institutionnel confirmé par voie référendaire le 21 décembre 1975 est complété par la création et la mise en marche en 1977 d’un parti unique, « l’Avant-garde de la Révolution Socialiste Malagasy » (AREMA), le fer de lance, à l’instar des partis communistes des pays de l’Est, de la « révolution » malgache.

Enfin, pour récupérer le plus grand nombre parmi les carriéristes, les nouveaux oligarques, les nationalistes reconvertis et les opportunistes de tous poils, le pouvoir crée pour les regrouper le « Front National de Défense de la Révolution Malgache ». Hors de ce régime, hors de ces partis politiques, point de salut !

Les rigueurs des temps plongent dans la misère des couches entières de la population, laquelle est chosifiée.

Le Malgache est cassé.

Le fameux lien de bonne relation sociétale, le « fihavanana », est dévoyé. L’exacerbation du nationalisme avec ses relents racistes font des ravages avec, en particulier, le massacre des Comoriens à Majunga en décembre 1976 et la désignation de la communauté indo-pakistanaise comme bouc émissaire des maux endémiques qui pèsent sur l’économie malgache, tandis que les « vazaha » (« Etrangers »), essentiellement des Français, quittent la Grande Ile ou se terrent.

LE GLACIS « SOCIALISTE » ET SES AVATARS

Un glacis s’est formé pour une longue hibernation des forces vives de la nation malgache, qui va durer jusqu’en 1991. C’est une « malgachisation à outrance » qui sévit, c’est-à-dire tout le contraire de cette recherche de la « malgachité » faite d’esprit d’ouverture et d’authenticité souhaitable.

La malgachisation stérile du régime de Ratsiraka se traduit par le musellement des forces libératrices du savoir et de la culture, tandis que c’est à pas forcé que le Malgache est invité à se forger une nouvelle personnalité selon les préceptes contenus dans le « Boky mena » (le « Livre rouge ») de la Révolution ratsirakienne, ce avec le ventre quasiment vide et dans la précarité de vie puisque les étals ne sont que très irrégulièrement approvisionnés et que les produits de première nécessité se font rares.

Que reste-il à ce bon peuple malgache si ce n’est d’horribles oripeaux ?

Le malheur pour lui est, au surplus, que le monde, et surtout que la France ferment pudiquement leurs yeux et il se trouve même que beaucoup trop parmi les hauts dirigeants français sous la présidence de François Mitterrand et dans d’autres pays à travers ce monde, sans aucun doute par méconnaissance des réalités malgaches, veulent bien accorder du crédit aux gesticulations et aux simagrées d’un Didier Ratsiraka si fier de ses prétendues réalisations !

Et dire que le pape Jean-Paul II avait accepté de fouler de ses saints pieds en 1989 un sol malgache souillé par tant d’avanies à la conscience malgache, le président malgache, lui le Catholique formé par les Jésuites, osant même lancer en forme de défi à la présence du saint père à Madagascar que « le Malgache ne s’agenouille pas ! » .

Mais, il est vrai, et ceci est à sa décharge, que si Jean-Paul II est venu, c’était surtout pour célébrer la future Sainte Victoire Rasoamanarivo, celle qui du temps des persécutions à l’encontre des Catholiques malgaches du temps de son propre oncle Rainilaiarivony dans les années 1870-1885, a su résister à l’enfer et montrer par son courage le chemin de la lumière.

N’était-ce la persistance des déprédations et des dépravations qui ruinent le pays et ses ressources de toutes natures, et qui altèrent jusqu’à un abaissement sans égal la simple moralité, les recettes éculées de pratiques politiques du plus bas niveau sont resservies par de médiocres politiciens qui, pour tenter de se donner de l’envergure, retrouvent les accents incantatoires chers aux rhéteurs qui ne savent pas en réalité ce qu’agir pour le bien-être du peuple veut dire.

Ainsi vogue uniquement dans le creux des vagues le navire malgache quand explose en juin 1991 une nouvelle révolte populaire sanglante, qui chasse un Ratsiraka haï, met en place un nouveau régime transitoire avec un Guy Razanamasy méritant auquel succède un inconnu, le professeur de médecine Albert Zafy.

Avec ce dernier vient la IIIème République, et après une gestion sans relief des difficultés insurmontables du pays, Zafy finit en 1996, chose unique dans les annales, par être empêché juridiquement et institutionnellement à cause de ses incompétences et inconséquences.

Or, quelques mois auparavant, le 5 novembre 1995, un drame national, sans doute un de trop, survient sous sa présidence sans que par sa haute autorité quoi que ce soit ait été fait pour le prévenir ou pour en trouver les causes et les vrais coupables : l’incendie criminel du Rova d’Antananarivo. C’est certain, les âmes damnées des irréductibles ennemis de la royauté ont voulu anéantir à jamais un héritage que dans leur stupidité ils ne savent même pas qu’il est en vérité inaliénable dans le cœur du peuple.

Dès lors, ployant sous le fardeau des problèmes ce pauvre peuple malgache croit ne voir d’autre alternative que de se contraindre à rappeler l’ancien dictateur Ratsiraka, lequel pour faire amende honorable et tenter de rassurer les principaux partenaires internationaux de Madagascar, met tant d’eau dans son vin qu’il ne convainc pas et finit par être battu à la régulière à l’élection présidentielle suivante – en dépit des affirmations contraires des partisans et appuis étrangers de Ratsiraka, au nombre desquels figure de façon notoire la France – .

A Madagascar même, toutes les chancelleries étrangères, parmi les plus importantes que sont celles des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Japon, de la Suisse, du Canada, etc…, le constatent en décembre 2001, à l’exception notoire de celle de la France qui manifeste sa méfiance envers un homme « trop » nouveau , nullement francophone ni francophile, avec lequel elle ne se sent donc d’aucune affinité, Marc Ravalomanana.

Mais, avec le changement de majorité en France en mai 2002, l’évidence des urnes s’impose enfin au nouveau gouvernement français et toutes affaires cessantes le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, fait le voyage à Madagascar en juillet 2002 pour rectifier le tir.

Durant cette période cruciale nous nous honorons d’avoir été chargé par le Président Ravalomanana en personne des tractations auprès des sphères dirigeantes de la France pour contribuer à un tel aboutissement heureux.

Au résultat de cette évolution, Madagascar peut alors à nouveau respirer, car son peuple est convaincu de tenir en Ravalomanana, cet homme atypique, mais doté de cette personnalité d’incontestable leader à qui, lui semble-t-il, les dieux lui paraissent avoir accordé leur bénédiction, celui qui serait capable de relever la nation de façon déterminante.

Madagascar et les Malgaches s’ouvrent donc à un nouvel espoir…

Est-il réel, est-il durable ? C’est ce que nous analyserons dans la 11ème partie de cette série d’articles.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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*Résumé du manuscrit de Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècle ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations.

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REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR (9ème partie)

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« Mélancolie », aquarelle. (jpra)


En ce mois de mai 1883, Rainilaiarivony, soixante deux ans, l’« homme fort » du moment, pour emprunter une expression journalistique d’aujourd’hui largement galvaudée, entame son troisième « règne » à travers sa nouvelle épouse, la jeune et belle princesse Razafindrahety, faite Ranavalona III.

Il se sent sans aucun doute très encouragé dans ce choix qu’il estime de bon présage, car à vingt et un ans à peine la princesse Razafindrahety est devenue, il y a deux mois, une très jeune veuve, son infortuné mari, le prince Ratrimoarivony ayant trépassé.

Il a besoin de cet attelage juvénile pour consolider son pouvoir personnel, tenir le pays et affronter, dans un jeu triangulaire Madagascar-France-Angleterre, une situation militaro-diplomatique dramatique, duquel il faut sortir vainqueur ou, tout au moins, qu’il faut maîtriser.

Or, les canons et le dispositif militaire français sont solidement installés à Majunga et à Nosy-Be à l’ouest, à Tamatave, à l’Ile Sainte-Marie et dans la Baie d’Antongil à l’est, et au Cap d’Ambre et dans la Baie de Diego-Suarez à l’extrême nord.

C’est bien un vaste territoire compris dans un triangle au-dessus du 16ème parallèle, ayant jadis fait l’objet de l’ultimatum de l’amiral Pierre, que la France soustrait au contrôle du gouvernement malgache.

C’est cette même diplomatie de la canonnière qui peu de temps auparavant avait été pratiquée en Chine et qui permet aussi à la France en cette même année 1883 de s’adjuger l’Annam.

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Nonobstant, dans la capitale malgache on s’affaire, ce 13 juillet 1883, pour la montée sur le trône de la gracieuse Ranavalona III, petite-nièce de la défunte Ranavalona II.

Et peu importe à Rainilaiarivony que son union avec elle ait fait l’objet d’une farouche opposition de l’intéressée et de protestations renouvelées de la noblesse !

A nouveau, il ne désespère pas, dans son obsession dynastique, d’avoir avec « sa » désormais jeune reine une progéniture, préférablement mâle, qu’il n’a pu avoir avec Ranavalona II…

La guerre larvée fait qu’à nouveau, profitant d’un relatif effacement anglais, la France s’impose d’une façon pesante à Madagascar.

C’est que l’Angleterre est maintenant pleinement occupée dans la partie australe du continent africain à combattre les Etats Boers et à se positionner solidement pour l’exploitation des mines d’or et de diamant dont d’énormes gisements viennent d’être découverts.

D’ailleurs, cette Angleterre là a, à ce moment là, d’autant moins intérêt à gêner l’expansion française en Afrique – en l’occurrence à Madagascar – que la France s’est adjugée le contrôle du canal de Suez magistralement rendu praticable aux navires anglais par Ferdinand de Lesseps et que, dans un souci d’équilibre et de partage équitable de l’Afrique les principales puissances coloniales s’acheminent vers un accord en bonne et due forme.

Tout ceci s’alimente en France d’une envolée colonialiste qui donne satisfaction à un nationalisme exacerbé par la perte en 1870 de l’Alsace-Lorraine.

Mais, pour ne pas engager immédiatement et trop brutalement les hostilités avec Madagascar et, au contraire, donner sa chance à des initiatives tendant à affaiblir en interne le pouvoir absolu du Premier ministre malgache Rainilaiarivony, la France mise sur la jeune reine Ranavalona III et lui multiplie les marques d’attention. Le Président de la République française, Sadi Carnot, lui envoie un magnifique manteau de cérémonie brodé pour son prochain couronnement prévu pour le 22 novembre 1883, au surplus jour de son vingt-deuxième anniversaire.

Cependant, Rainilaiarivony, qui n’est pas dupe, entend faire son affaire personnelle des rapports France-Madagascar, résiste à la tentative de diktat français notifié par l’amiral Miot et le consul Baudais, et pense pouvoir profiter d’un apparent répit relationnel pour ouvrir de nouvelles négociations.

Miot et Patrimonio sont maintenant à la manoeuvre côté français, tandis que côté malgache Rainilaiarivony, soucieux d’impressionner les Français, s’adjoint les services du général anglais Digby Willoughby, par ailleurs nommé par lui commandant en chef des armées malgaches, et le renfort de son propre fils, Rainizanamanga.

Les négociations sont âpres et durent plus d’un an avant d’aboutir à la signature d’un traité le 17 décembre 1885 qui, trois fois hélas !, traduit en termes très négatifs pour les Malgaches les effets de cette « realpolitik » qui constitue le mode opératoire de l’impérialisme colonial : sans que le terme de « protectorat » soit utilisé, dans les faits à Madagascar la France est désormais placée dans la position d’une puissance tutélaire.

En effet, la France établit progressivement une sorte de « protection » sur Madagascar et, en particulier, obtient la cession de la Baie de Diego-Suarez dont la rade est faite base stratégique de première valeur pour le contrôle de l’Océan indien, et le paiement d’une substantielle indemnité de dix millions de francs en dédommagement de la confiscation par les autorités malgaches de biens nationaux français (à ne pas confondre avec le million de francs déjà réglé en contrepartie de la « spoliation » de l’héritage Laborde d’antan).

                                                                                    **

Madagascar n’a plus la maîtrise de sa politique étrangère ni d’une partie de ses compétences intérieures, et la forte imbrication des intérêts patrimoniaux, culturels, économiques et commerciaux fait que Madagascar est totalement insérée et enserrée dans le dispositif colonial français.

Avec la nation malgache, la reine Ranavalona III est plongée dans une immense peine, sa douleur étant intensifiée par la perte de sa propre mère trois jours après.

Le 14 mai 1886 arrive à Madagascar Le Myre de Vilers, le premier Résident général français à Madagascar, pour mettre en œuvre toutes ces dispositions.

Cette imbrication d’intérêts est telle que le Comptoir National d’Escompte de Paris va jusqu’à prêter au gouvernement malgache le montant de l’indemnité prévue par le traité de 1885…Et, en prime, la reine Ranavalona III est élevée à la dignité de grand’croix de la Légion d’Honneur !

La France ne craint plus rien à Madagascar.

La concurrence anglaise a été réduite et est même devenue inexistante puisque par l’effet d’une convention coloniale du 5 août 1890 entre la France et l’Angleterre, cette dernière reconnaît sans équivoque le protectorat français sur Madagascar en échange de la reconnaissance par la France et par l’Allemagne du protectorat britannique sur Zanzibar.

Cette nouvelle posture française se traduit, le 14 juillet 1892, par l’inauguration par la reine Ranavalona III elle-même de la nouvelle Résidence du Représentant français à Madagascar, une belle et imposante bâtisse sise à Ambohitsorohitra construite par l’architecte Anthony Jully.

Devant tant d’abandons de souveraineté plus graves encore que ceux consentis en son temps par le roi Radama II, Rainilaiarivony, piqué au vif dans son orgueil personnel, mise sur la duplicité que ses aïeux et lui-même savaient pratiquer, et son attitude sournoise, accentuée par son vieillissement, l’incite à laisser se détériorer la situation politique, économique et sociale de son pays.

La France sent donc le moment venu de passer à la vitesse supérieure, c’est-à-dire imposer à Madagascar un régime de protectorat pur et dur qui ne cache plus son nom mais qui s’exercerait dans toute sa rigueur. Un nouveau projet de traité est présenté au Premier ministre malgache.

Devant la réponse négative, logique et déterminée de Rainilaiarivony, le 27 octobre 1894 Le Myre de Vilers quitte la capitale malgache, cependant que les préparatifs guerriers français sont en cours.

Le 11 décembre 1894 la France notifie au gouvernement malgache l’état de guerre et dès le lendemain les navires français stationnés au large de Tamatave lance un ultimatum au gouverneur malgache, le fameux général Rainandriamampandry.

Celui-ci ne répond pas à l’ultimatum et se retranche sur les terres intérieures. L’attaque frontale ne viendra pas de ce côté-là du littoral malgache. Elle vient à l’ouest avec l’occupation de Majunga par les troupes françaises le 15 janvier 1895.

Ramasombazaha, le gouverneur de la région, se retranche lui aussi sur l’intérieur des terres, en choisissant Marovoay, située à l’embouchure du fleuve Bestiboka, comme place forte.

De son côté, le Premier ministre Rainilaiarivony donne à la population entière le signal de la mobilisation générale pour une « guerre sainte » le 7 février 1895 et le drapeau rouge est hissé au sommet du palais royal « Manjakamiadana ».

Au total, l’armée royale aligne près de cinquante mille hommes, tandis que la force expéditionnaire française, équipée pour la mobilité sur le terrain et composée de troupes aguerries, compte quinze mille hommes.

Les opérations militaires les plus significatives commencent avec la chute de la place de Marovoay au mois de mai 1895, immédiatement suivie d’une progression rapide des troupes françaises sur leur route vers Antananarivo. Ce qui fait réagir la reine Ranavalona III en larmes : «c’en est fait, mon royaume est déchiré ! ».

En effet, les troupes françaises remontent inexorablement le cours du fleuve Betsiboka. Les contre-attaques malgaches, en particulier à Maevatanana, à seulement quelques deux cents kilomètres de la capitale royale, ne réussissent pas à arrêter la progression française.

C’est alors que le général Andriantavy, considéré comme l’un des généraux les plus intrépides, est dépêché sur le front. Puis, un autre général de la même trempe, Rainianjalahy, y accourre.

Malgré des faits d’armes méritoires côté malgache, rien n’y fait. Rainilaiarivony hésite alors à jouer son va-tout : faut-il ou non dépêcher sur le front le seul qui est jugé capable de repousser les Français, le généralissime Ramahatra ? Il s’abstient finalement de faire ce choix qu’il juge  risqué.

Ses raisons sont conformes à la psychologie du personnage : si le général réussit, lui le premier ministre ne pourrait alors que s’effacer derrière l’auréole de gloire qui ornerait inévitablement la tête de ce prince-général trop proche du trône pour ne pas le revendiquer.

La route pour une conquête sans coup férir de la capitale royale s’ouvre donc plus largement pour la France. Le général Duchesne, commandant en chef des forces françaises, peut prendre ses dispositions pour l’attaque finale. Ses adjoints, les généraux Voyron et Metzinger entrent bientôt dans Sabotsy-Nahamena, une bourgade faisant partie des fières terres des « aînés » de l’Imerina, puis à Soamanandrariny et par la suite installent les canons de tous calibres sur les collines environnantes d’Antananarivo, tandis que les troupes à pied atteignent les faubourgs de la capitale royale.

Dans le début d’après-midi du 30 septembre 1895 des obus frappent de plein fouet les abords du palais royal « Manjakamiadana» où se trouvent la reine, son Premier ministre et une foule de réfugiés que la reine avait mise sous sa protection.

Pour sauver des vies, la rage au cœur et la mort dans l’âme celle-ci ne peut que donner l’ordre de la reddition sans condition. Il est 15h30 ce 30 septembre 1895, le pavillon royal est amené tandis que le drapeau blanc le remplace.

                                                                          ***

Le 1er octobre 1895, le général Duchesne présente à la reine le traité imposant à Madagascar le protectorat tant recherché par la France.

Alors que le Président de la République française fait remettre à Ranavalona III un magnifique collier de diamant d’une valeur inestimable le 17 janvier 1896, le 6 février de la même année la reine démet son premier ministre Rainilaiarivony, lequel est remplacé par l’ancien ministre Rainitsimbazafy, un francophile notoire. Rainilaiarivony est aussitôt exilé à Alger.

Tandis que des ligues nationalistes, les «Menalamba » (« ceux à l’étoffe rouge », allusion à la royauté), mènent la résistance et que les forces expéditionnaires sont transformées en forces de l’ordre, en France même les tenants de l’annexion pure et simple de Madagascar se démènent dans un climat particulièrement favorable à la cause coloniale présentée comme nécessaire au prestige de la France.

Le Président de la République française, Félix Faure, approuve alors l’initiative gouvernementale de faire adopter par le parlement une loi proclamant « colonie française l’île de Madagascar avec les îles qui en dépendent ». Une administration spéciale, dite de « Madagascar et dépendances » est ainsi mise en place localement.

C’est ainsi que la France envoie à Madagascar le général Galliéni en qualité de Résident général, qui arrive le 16 septembre 1896.

Entre-temps, l’ « exilé d’Alger », celui qui ambitionnait de supplanter la dynastie royale par la sienne propre, l’ancien premier ministre Rainilaiarivony, meurt le 17 juillet 1896.

Le cas de Madagascar, qui n’a pas su tenir tête à l’adversité apparaît comme le « parfait » contre-exemple éthiopien, cette valeureuse Ethiopie qui, sous la vaillante conduite du Négus Ménélik II, avait forcé l’Italie coloniale à renoncer deux ans plus tôt au protectorat ainsi qu’à ses visées sur la région du Tigré, pour aboutir à la défaite d’Adoua en 1896 et à la chute de Crispi, chef du gouvernement italien.

Galliéni ne parvient nullement, pas plus que ses prédécesseurs, à juguler les révoltes qui se répandent dans tout le pays.

Mais, il veut frapper un grand coup pour impressionner l’adversaire : la tentative de sursaut national menée conjointement par le prince Ratsimamanga, oncle de la reine Ranavalona III, et par le chef roturier, le général Rainandriamampandry, ayant échouée, Galliéni les fait fusiller le 15 octobre 1896 dans une mise en scène « spectaculaire » à laquelle le public, tétanisé, est convié sur la place d’Andohalo, lieu privilégié de la royauté. Devant tant de brutalités répressives, la population est sous le choc.

D’autant qu’à Madagascar Galliéni y mène des méthodes expérimentales de répression pour la « pacification », en contradiction totale avec la prétendue « mission civilisatrice » alléguée pour la colonisation.

Mais, Galliéni veut enfoncer le clou et obtient de se faire nommer Gouverneur général de Madagascar.

Puis, de cette façon cavalière qui campe un homme qui veut se montrer sans égards pour la souveraine d’un pays soumis, il dépose la reine Ranavalona III, qui n’en sera informée que le 27 février 1897 nuitamment à 20h en sa résidence « Tsarahafatra » au Rova d’Antananarivo, de la bouche du ministre Rasanjy et de celle du commandant français, Gérard, l’Envoyé de Galliéni.

La même date, Galliéni abolit la Royauté malgache et les structures nobiliaires.

Dès le lendemain 28 février 1897 à 1h du matin, sur ordre de Galliéni la reine est contrainte de quitter sa résidence, arrachée à ses racines comme une mauvaise plante. Elle part en exil à La Réunion, l’île Bourbon, vigie française de l’Océan indien. Seule une petite escorte composée de la princesse Rasendranoro accompagnée de la fille de celle-ci, de l’officier du palais royal Ramanankirahina, du sous-lieutenant Durand et du garde Razafindrazaka lui est permise…

Décidément, Galliéni est bien le « général masika » (« le général méchant »), qualificatif dont la reine Ranavalona III l’affuble.

En effet, le républicain réfractaire à l’idée qu’une reine puisse avoir un lien affectueux avec son peuple qu’est Galliéni, lequel soupçonne également Ranavalona d’être la réelle instigatrice des révoltes populaires qui traversent le pays, la fait déporter de La Réunion à Alger.

Depuis lors, Ranavalona III traîne son amertume, son indicible tristesse. On la voit esquisser un sourire plein de mélancolie quand elle fut autorisée à venir à Paris visiter l’Exposition Universelle qui marque l’entrée dans le XXème siècle, et où elle rencontre avec un plaisir ému un groupe de musiciens malgaches.

Le « général masika » avait impressionné le gouvernement français par ses méthodes à Madagascar.

Le voilà auréolé à l’occasion de la première guerre mondiale en qualité de gouverneur de la place de Paris, jusqu’à être au côté du maréchal Joffre, l’artisan de la première bataille de la Marne.

Pour Ranavalona III, le destin ne parvient pas à lui réserver une fin plus digne pour ses mérites.

C’est dans la solitude, le chagrin et la grande tristesse, et en emportant définitivement tous ses souvenirs douloureux, que Dieu la rappelle à Lui le 23 mai 1917 dans sa cinquante sixième année.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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  • Résumé du manuscrit de Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays. Repreoduction, même partielle, interdite.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR (8ème partie)

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Palais de Justice, construit en 1870 par l’architecte anglais Pool sur instruction de la Reine Ranavalona II. Photo tirée de l’ouvrage « Colline sacrée des souverains de Madagascar » de Suzanne Razafy-Andriamihaingo, L’Harmattan, 1989. Reproduction interdite .


                LA CONSOLIDATION DU POUVOIR PERSONNEL DE RAINILAIARIVON

Auteur d’un coup de force contre son propre frère, Maire du Palais, Premier ministre, chef des armées, « premier flic » du pays, époux de la souveraine régnante, captateur de richesses et de patrimoines, accaparant ainsi tous les pouvoirs politiques, économiques et bientôt religieux, Rainilaiarivony est désormais convaincu de posséder la bonne étoile, lui qui à sa naissance était pourtant destiné, selon la coutume ancestrale appliquée à un bébé né sous de mauvais auspices, à être sacrifié aux trots désordonnés et meurtriers de zébus lâchés dans les champs.

Il tient donc sa revanche sur le destin.

Quant à elle, la France ne veut oublier ni ses rancoeurs  à l’égard  d’un pays qui ne veut pas plier face à ses revendications territoriales, ni ce qu’elle considère comme étant son statut de puissance dominante de l’océan indien occidental.

Seulement, d’un point de vue géopolitique, considéré en rétrospective et dans la perspective du moment, la vocation qui est donnée à une grande île placée à l’appendice d’un grand continent, tout de même la quatrième plus grande île du monde bien avant la Grande-Bretagne ou le Japon,  ces autres îles majeures également à l’appendice de deux autres grands continents qui ont su, elles, revendiquer  et faire valoir leur rôle spécifique et premier, n’est-elle pas d’en faire autant ?

Il est vrai que la trajectoire évolutive de l’histoire malgache depuis le XVIème siècle, pour exceptionnelle qu’elle soit dans cette partie du monde, n’a pas eu, on l’a vu et on le verra davantage encore, ni la constance ni la profondeur voulues.

C’est donc la récurrence des incertitudes qui domine en ces temps d’un XIXème siècle ouvert à tous les dangers.

Dès la nouvelle de la grave maladie de la reine Rasoherina (« la Chrysalide »), une quinzaine d’officiers supérieurs du palais royal tenta pourtant d’affaiblir Rainilaiarivony, accusé d’absolutisme, la manœuvre consistant à porter sur le trône, soit le prince Rasata, petit-neveu de Ranavalona 1ère, soit Ravaozokiny, cousine de Radama 1er.

Mais en vain.

A quarante trois ans, Rainilaiarivony s’est déjà choisi une nouvelle épouse morganatique.

C’est la princesse Ramoma, fille de la princesse Rafarasoa, sœur cadette de la mère de Rasoherina. Un bon choix, Ramoma, à trente neuf ans, étant une bonne chrétienne, douce et obéissante, discrète et débonnaire, bref l’idéal pour un Rainilaiarivony dévoré par l’envie de l’exercice exclusif et solitaire du pouvoir.

Dès le 2 avril 1868, lendemain du décès de Rasoherina, Ramoma est proclamée Reine sous le nom de Ranavalona II.

Le ressentiment de Rainilaiarivony est tel envers la France qu’il n’hésite plus à se tourner exclusivement vers l’Angleterre à qui il demande tout et de laquelle il obtient tout. 

BRAS DE FER AVEC LA FRANCE

Tant pour accentuer ce choix que pour satisfaire sa nouvelle reine, le Premier ministre malgache embrasse la religion protestante anglicane et lors du couronnement de Ranavalona II c’est la Bible qui sert de valeur de référence et de soumission. Idoles et fétiches sont désormais bannis et détruits.

Et, c’est le 21 février 1869 que la reine et le Premier ministre se font baptiser des mains d’un pasteur malgache, le révérend Andriambelo, au palais « Manampisoa » et se marient religieusement devant Dieu.

Immédiatement ils provoquent une vague exceptionnelle de conversions de la quasi-totalité des dignitaires, fonctionnaires et gens de la bonne société à la religion protestante !

Dans la foulée, la reine pose le 29 juillet 1869 la première pierre du Temple royal situé au sud du Rova d’Antananarivo, à la suite de quoi d’autres temples sont érigés un peu partout en Imerina sur les lieux de supplice des Chrétiens jadis pourchassés par les zélateurs de Ranavalona 1ère.

C’est ainsi que Ranavalona II assiste avec sa Cour à l’inauguration du temple commémoratif de la première martyre Rasalama à Ambohipotsy.

A l’opposé, les adeptes de la religion catholique, identifiée comme étant la religion de la France et des Français, commencent à craindre à nouveau les brimades. Fort heureusement, celles-ci sont contenues car au Rova et au sein même de la famille de Rainilaiarivony veille au respect de ses coreligionnaires et de la foi catholique la reine Ranavalona II elle-même et, surtout, l’intransigeante et courageuse Victoire Rasoamanarivo, propre nièce du premier ministre Rainilaiarivony.

Quant à ce dernier, son ambition « carriériste » lui impose deux prix forts à payer : tant qu’il était en dehors de la foi chrétienne il pouvait garder les avantages de la polygamie ; mais désormais protestant, il se doit de répudier sa femme Rasoanalina qu’il aimait pourtant fort et qui lui a donné dix-neuf enfants !

D’autre part, Rainilaiarivony perd un ami intime, Jean Laborde, le seul Français qui pourtant s’est profondément intégré à la malgachitude, si bien qu’on l’appelle affectueusement du nom de « Ramose » (diminutif de « Monsieur »), mais qui se sent maintenant vieilli, désabusé par la tournure des évènements à Madagascar et qui n’a plus le cœur à l’ouvrage pour conseiller ses amis malgaches.

Ces reniements successifs ne sont pas étrangers aux fréquentes sautes d’humeur et aux excès colériques de Rainilaiarivony, et les lourds soucis de gouvernement autant que la fréquence des disputes conjugales voient s’amonceler les nuages au-dessus de sa tête.

Contrairement à la coutume que la reine elle-même et son mari se devaient de respecter à la lettre, voilà que Rainilaiarivony s’imagine pouvoir s’en affranchir  – après tout, avant lui le dénommé Andriamihaja ne s’en était pas privé -…un enfant devant ainsi naître de ses œuvres d’avec Ranavalona II en décembre 1871. Mais, l’enfant ne verra pas le jour, la reine ayant fait une fausse couche.

Le projet dynastique de Rainilaiarivony ne s’accomplit donc pas.

Il cherche une autre voie à travers ses fils. Mais aucun de ceux-ci ne réussit à épouser une noble bien placée dans l’ordre dynastique royal… La partie n’est que remise. La reine et le Premier ministre s’affranchissent d’une autre règle qui interdit toute construction en dure (pierre ou brique) dans l’enceinte de la ville d’Antananarivo.

Dès 1869 et durant les années suivantes des architectes et artisans des îles britanniques envoyés par la « London Missionary Society » se mettent au service de l’Etat malgache soucieux de perpétuer dans la pierre sa marque. Voici en particulier l’architecte anglais (plus exactement, écossais) James Cameron qui commence le revêtement en pierre de taille du grand palais « Manjakamiadana » autrefois construit joliment en bois par le Français Jean Laborde en 1839 pour la reine Ranavalona 1ère.

En dépit des apparences, la reine ne veut cependant pas rompre avec la France, et d’ailleurs Rainilaiarivony semble-t-il non plus puisque paradoxalement c’est encore en France qu’il envoie ses enfants entreprendre des études.

Quand, le 6 août 1874 la reine déclare que tous les habitants d’Antananarivo pourront désormais recevoir, autant que possible des soins médicaux gratuits,, c’est un appel d’air qui permet notamment à des médecins français d’exercer leur art.

En outre, dans un notable souci d’équilibre Rainilaiarivony décide en juillet 1876 de confier à trois officiers européens, les Anglais Lovet et Ombeline  et le Français Noyal, la mission de réorganiser et de former une armée malgache qu’il veut nouvelle et fonctionnant selon le modèle européen.

 Mais, la détérioration des rapports franco-malgaches prend subitement une réelle mauvaise tournure avec le décès, le 27 décembre 1878, de Jean Laborde.

Avec lui c’est un pan entier de l’histoire malgache et de l’histoire des relations franco-malgaches qui disparaît. Tandis que ni la reine ni Rainilaiarivony ne rendent aucun hommage public particulier au grand homme, ce malgré leur chagrin personnel, Clément, le fils de Jean Laborde disparaît lui aussi et c’est le neveu de Jean Laborde, Campan, qui en devient l’héritier.

Or, Campan, en réclamant le bénéfice de l’héritage de son oncle revendique tous les biens mobiliers, fonciers  et immobiliers de Jean Laborde à Madagascar.

Rainilaiarivony et son gouvernement lui opposent un refus net arguant de ce que juridiquement et de politique constante un Etranger ne peut être propriétaire de biens fonciers ou immobiliers à Madagascar, tout au plus Jean Laborde ne bénéficiant que de simples facilités ou de concessions intuitu personae par nature révocables et qui, en tout état de cause, avaient cessé à son décès.

Mais, la France et son gouvernement prennent fait et cause pour Campan, ce qui donne à l’affaire des proportions insoupçonnées et devient  très vite une affaire d’Etat.  Le lourd contentieux trouve d’autant moins de solution qu’entre-temps les troupes royales malgaches occupent la côte de Sambirano qui, en vertu du traité d’amitié signé par Radama II jadis, était sous protectorat français.

Ce qui amène le gouvernement français à refuser une issue négociée à l’affaire de la succession de Laborde à la suite d’une offre d’indemnisation par Rainilaiarivony.

MANOEUVRES DIPLOMATIQUES

C’est alors que dans sa grande sagesse intervient très opportunément Ranavalona II, qui décide l’envoi en France, en Europe (Angleterre, Allemagne, Italie) et en Amérique (Etats-Unis) d’une ambassade, la troisième du genre depuis celle envoyée par Radama 1er.

Cela fait gagner du temps à Rainilaiarivony dans son bras de fer avec la France pour trouver d’autres solutions et, pourquoi pas, obtenir des autres nations un appui ou, tout au moins, une forme de « compréhension » de la position malgache. 

L’envoi de l’ambassade, conduite par le ministre malgache des Affaires étrangères en personne, Ravoninahitriniarivo,  lequel est secondé par Ramaniraka, haut personnage de la Cour, fait l’objet d’une notification diplomatique du Premier ministre malgache aux puissances occidentales le 20 juillet 1882.

Les négociations avec la France reprennent donc , mais Ravoninahitriniarivo, trop sûr de lui, maladroit, voire triomphaliste, pense avoir enregistré une concession française de taille : l’acceptation du principe de baux emphytéotiques de 99 ans en lieu et place de droits de propriété pour les Etrangers.

Le ministre malgache des Affaires étrangères veut pousser plus loin ce qu’il considère comme une victoire acquise en proposant que les baux n’aient qu’une durée de 25 ans, c’est-à-dire en fait, ce qui correspondrait, au moment de conclure les négociations, à constater la terminaison desdits baux dont aurait bénéficié Jean Laborde.

Une ficelle aussi grosse n’ayant évidemment pas pris en défaut la grande expérience des négociateurs français, en réaction la France refusa net et rompit définitivement les négociations.

Quant aux autres puissances visitées, aucune n’a accepté de soutenir ni même de « comprendre » la cause malgache.  La seule avancée diplomatique est cependant enregistrée avec l’Allemagne, avec laquelle un traité d’amitié et de commerce est signé le 27 mai 1883, mais sans qu’elle ait d’incidence favorable sur le contentieux franco-malgache.

LES HOSTILITES

Devant le blocage des négociations, la France décide en mars 1883 d’armer quelques navires de guerre avec un millier de soldats à bord, le tout étant commandé par l’amiral Pierre, pour laver ce qu’elle considère comme le double affront de l’occupation de Sambirano et de la spoliation des droits des héritiers Laborde.

Le 25 mai 1883, le port de Majunga est bombardé et occupé. 

Une vague montante et grossissante de réactions passionnelles anti-françaises et anti-catholiques se manifeste alors violemment à Madagascar.

La reine, poussée par Rainilaiarivony, ordonne le 30 mai à tous les Français de quitter Antananarivo sous peine  d’être livrés à la vindicte populaire.

De son côté, le 1er juin l’amiral Pierre lance au gouvernement malgache un ultimatum en plusieurs points : « cédez à la France les territoires du nord placés anciennement sous son protectorat (au-delà du 16ème parallèle, c’est-à-dire en fait un vaste territoire compris dans un triangle Majunga à l’ouest – Cap Masoala à l’est – Cap d’Ambre  à l’extrême nord) ; proclamez le droit de propriété aux Français ; payez une indemnité de un million de francs en réparation des torts causés aux Français et aux héritiers Laborde ».

Les autorités malgaches rejettent l’ultimatum et dès le 11 juin 1883 c’est le port de Tamatave qui tombe à son tour.  La situation militaire est ainsi figée, les relations franco-malgaches sont au plus mal, et c’est au milieu de cette situation que décède le 13 juillet 1883 la reine Ranavalona II.

Le bilan est lourd. : l’isolement sur le plan extérieur aggravé par une guerre larvée avec la France ; une succession à assurer pour le trône ; des réformes ajournées. Cependant, avant d’avoir à gérer cette situation de guerre, Rainilaiarivony a mené une œuvre législative considérable tendant à transformer  les lois pour tenir compte des changements de mœurs et des valeurs chrétiennes.

C’est ainsi que dès 1868 fut promulgué le « code des 101 articles » et, en 1881, le « Code des 305 articles » dont le Premier ministre fut, chose remarquable, le principal rédacteur.

Car, l’homme a une capacité de travail hors pair et une volonté de fer.

Pour l’essentiel, ces textes instituent des règles et des normes qui allient tradition et modernité dans la vie civile (exemples : possibilité de divorce, institution de la responsabilité familiale) et dans le système pénal (instruction des affaires par les tribunaux avec une procédure pénale assurant les droits de la défense).

Ensuite, avec l’institution des « Sakaizambohitra », sorte de milice ou de fonctionnariat locaux, une police de proximité et un système d’enregistrement de l’état-civil et d’authentification de certains actes sont mis en place, mais c’est vrai, l’autre objectif non-avoué étant de limiter l’influence des seigneurs locaux , le Premier ministre Rainilaiarivony n’en démordant pas d’amoindrir autant que possible le rôle et le poids des nobles.

La donne extérieure aura donc été l’un des plus grands points faibles d’un Rainilaiarivoiny et d’une ambition malgache peu préparés aux enjeux réels auxquels doit faire face une nation en émergence.

Il avait voulu jouer l’Angleterre et les autres puissances contre la France dans un élan irréfléchi, mais à ce jeu-là, réservé à des dirigeants d’une autre trempe dotés d’une réelle vision géopolitique et d’une autre dimension, il a tout perdu, son obstination passionnelle encouragée par un entourage aux ordres achevant  de plonger toute une nation dans sa propre chute, tout espoir de rémission étant perdu pour un long temps.

C’est cette descente vertigineuse à partir de 1883 que nous analysons dans la 9ème partie de « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar » qui suit, avec ce que nous qualifions de « 3ème règne de Rainilaiarivony ».

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

·          Résumé du manuscrit de Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays. Reproduction, même partielle, interdite.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR (7ème partie)

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1867: La Reine Rasoherina en voyage à Andevoranto, accompagnée d’une nombreuse suite, dont Jean Laborde, consul de France. Gouache – Jipiera – Reproduction interdite –


Après la dramatique fin du règne de Radama II (cf. la 6ème partie de notre série d’articles), désormais le cours forcé de l’Histoire passe, à Madagascar, par la réduction du souverain à un rôle purement symbolique, il est otage et simple figurant, la légitimité royale perd ainsi ses droits.

C’est un contraste saisissant par rapport au Japon où les abus et les erreurs du Shogun, notamment face aux incursions étrangères, font réagir vigoureusement le Tennô (l’Empereur) soutenu par les seigneurs locaux et par la population.

Mais par une coïncidence tout aussi saisissante, au Japon, comme à Madagascar du temps de Radama 1er et de Radama II, ce sont les clans du sud qui sont les « modernistes » et défenseurs de la légitimité impériale là-bas et royale ici, tandis que ceux du nord sont les « traditionalistes » venant en appui aux accapareurs du pouvoir que sont les shoguns là-bas et les roturiers ici.

Alors donc qu’à Madagascar la légitimité royale perd ses droits avec l’annulation de la renaissance avec Radama II, le Japon commence à se débarrasser du pouvoir oligarchique pesant des Tokugawa à partir de 1863, la légitimité royale (impériale en l’occurrence au Japon) reprenant ses droits et incarnant la renaissance du pays, lequel s’ouvrira bientôt à l’ « Ere Meiji ».

Devant la fin brutale de son règne, Radama II n’a bien entendu pu désigner à temps son successeur.

C’est donc le Premier ministre Raharo, auteur de la scène finale du drame, qui le choisit… « naturellement », demeurant ainsi dans la tradition des « faiseurs de reines », en la personne d’une femme réputée soumise et docile, Rabodo, la veuve de Radama II !

Elle sera reine sous le nom de Rasoherina.

En même temps, Raharo confirme ainsi l’installation d’une véritable dynastie fonctionnelle disputée par les clans dominants Andafiavaratra du nord (les Tsimiamboholahy et les Tsimahafotsy).

LA CAPTATION DU POUVOIR DYNASTIQUE

Car, Raharo, fils de Rainiharo, celui-là même qui avait été « premier des ministres » de la reine Ranavalona 1ère et amant officiel de celle-ci, devient lui aussi amant officiel de la nouvelle souveraine qui prend comme nom de règne Rasoherina !

C’est donc ni plus ni moins une captation de pouvoir…dynastique.

Dans l’immédiat, ce sont les affaires internationales qui préoccupent au plus haut point.

Le 14 mai 1863, trois jours seulement après l’assassinat du roi Radama II et au lendemain du transport nocturne de son corps dans son tombeau à Ilafy, Laborde et Packenham sont convoqués au palais royal pour s’y voir exposer par Raharo la volonté du nouveau règne de conserver de bonnes relations avec la France et l’Angleterre.

La reine Rasoherina elle-même adresse à l’empereur Napoléon III une aimable lettre où elle annonce son prochain couronnement le 30 août 1863 (laissant ainsi supposer que la période de deuil à la suite du décès de Radama II est singulièrement raccourcie).

Mais, dans la forme tout ceci n’est qu’hypocrisie et leurre.

Car, dès le 13 septembre 1863 le même Raharo dénonce purement et simplement le traité d’amitié et de commerce passé très récemment entre la France et Madagascar sous Radama II et contresigné par son gouvernement.

Cet acte unilatéral et soudain est doublé d’un traitement inégal et se veut exemplaire d’un nationalisme malgache naissant qui vise essentiellement la France. En effet, quant à lui le traité anglo-malgache, signé de même sous Radama II à la même époque, reste en vigueur même si côté malgache on fait comprendre son souhait de le renégocier.

Le gouvernement malgache décide alors en novembre 1863 de l’envoi en Europe d’une ambassade composée notamment de Rainifiringa et de Rasatranabo.

Compte tenu de la dénonciation unilatérale malgache du traité franco-malgache, l’empereur Napoléon III refuse de recevoir l’ambassade, par contre celle-ci est dignement reçue à Londres.

Perfide Albion !

Elle profite de la brusque détérioration des relations franco-malgaches pour prendre son avantage à Madagascar et dans l’océan indien occidental. Avec l’Angleterre un nouveau traité est négocié et ne tardera pas à être signé par le gouvernement malgache et ratifié par la reine Rasoherina le 27 juin 1865.

Mais, ces péripéties cachent mal un réel malaise au sein du gouvernement malgache dû à l’autoritarisme de Raharo et à l’orientation anti-française de sa politique extérieure.

C’est son frère puîné Rainilaiarivony, commandant en chef des armées, ami intime de Laborde et francophile déclaré, qui conduit la contestation. Son influence auprès de la reine est telle qu’il la convainc de convoquer Raharo, son mari !, afin qu’il s’explique.

Raharo, dont l’orgueil est heurté et étant sous l’emprise de l’alcool, commet des incartades verbales à l’endroit de Rasoherina, lui rappelant en particulier en termes grossiers qu’elle lui doit son accession au trône.

Ce crime de lèse majesté est immédiatement relevé.

Rainilaiarivony, dont l’appétit de pouvoir est encore plus grand que ce qu’on pouvait soupçonner, n’en demande pas tant pour écarter son frère aîné et décider avec la reine de son bannissement.

L’INSTALLATION AU POUVOIR DE RAINILAIARIVONY.

L’ambition de Rainilaiarivony est en fait sans limite.

Cette révolte de palais l’amène droit à la primature, c’est à dire à l’accaparement de la totalité du pouvoir.

Puis, il saute un pas décisif dans sa volonté, non seulement de gouverner à sa guise, mais aussi de régner !

C’est ainsi  qu’il ne se contente pas, comme l’était son frère Raharo, d’être l’amant officiel de la reine régnante, mais bien son époux très officiel ! Epoux morganatique, certes, mais époux proclamé et consacré de la reine Rasoherina, Rainilaiarivony devenant ainsi prince virtuel !

Virtuellement « seulement », et c’est pourquoi Rainilaiarivony et ses descendants ne peuvent pas se targuer d’être dans la même condition nobiliaire et parfois impériale d’un Shogun japonais, car le nouveau Premier ministre, de condition roturière, n’a pas osé pousser l’audace jusqu’à exiger son anoblissement, ce qui eût été contraire à son projet secret qui est de créer sa propre dynastie et supplanter ainsi purement et simplement la royauté le moment venu plutôt que de chercher à s’intégrer dans la hiérarchie nobiliaire existante.

La seule limite toutefois est l’interdit qui, selon la coutume nobiliaire, s’impose à lui de procréer avec la reine (même si, avant lui, le roturier Andriamihaja avait par amour irrésistible « exceptionnellement » enfreint la règle avec la reine Ranavalona 1ère…).

Nonobstant ces péripéties d’ordre intérieur et en dépit de la francophilie du Premier ministre Rainilaiarivony, l’Angleterre poursuit tranquillement sa percée à Madagascar avec une nette expansion de la religion protestante anglicane.

Et le Rova d’Antananarivo bénéficie de l’embellie relationnelle anglaise.

Le génie technique anglais investit la cité royale en développant un  style architectural sublimant les traits malgaches :

. le pavillon « Mahatsara » (« qui fait du bien ») est construit en 1864, puis début 1865 l’architecte Cameron est chargé, avec son confrère Pool, de concevoir et de construire le palais « Tranosoa » (« la maison bénie »);

. le palais « Manampisoa » (« surcroît de bonheur ») ;

. et, enfin, la porte principale et monumentale d’entrée du Rova.

Une unité architecturale nouvelle enrichie ainsi ce site royal qui prend des allures encore plus imposantes et éclatantes.

LA REACTION FRANCAISE

La France est furieuse de cette mise à l’écart et se sent humiliée.

Or, sous l’impulsion du comte de Morny, homme d’affaires influent et non moins demi-frère de Napoléon III, cette France-là accroît ses performances économiques mais se voit privée des riches ressources en provenance de Madagascar, lesquelles lui étaient promises en vertu de la « charte Lambert » et du traité de commerce franco-malgache, tous deux unilatéralement annulés par le gouvernement malgache.

Prenant lui-même les choses en main, l’empereur Napoléon III adresse donc à la reine Rasoherina une lettre exigeant le paiement d’une indemnité de un million deux cents mille francs en raison du tort causé à la « Compagnie de Madagascar » (créée conformément aux stipulations de la « charte Lambert » et du traité de commerce franco-malgache).

La somme sera payée par Madagascar, la reine elle-même et Rainilaiarivony y contribuant personnellement.

Cela a suffi pour créer une brusque flambée nationaliste malgache anti-française dans laquelle Rainilaiarivony se laisse emporter. S’en est suivie fin décembre 1865, comme une conséquence logique, la destruction par le feu, en présence de hauts dignitaires, de la « charte Lambert » comme on brûlerait une effigie haïe. Son équivalent anglais, la « charte Cadwell », qui, elle, reste en vigueur est du coup quelque peu mise en veilleuse afin de ménager quelque peu la France…

C’est dans cette ambiance électrique qu’un Envoyé français, le comte de Louvières, est reçu par le gouvernement malgache en juillet 1866 et à qui on laisse entrevoir la conclusion d’un nouveau traité de commerce franco-malgache.

Le nouveau traité, très expurgé par rapport au précédent traité, ne sera finalement signé que deux ans après grâce à un autre Envoyé français plus souple que le précédent, Garnier.

Entre-temps et dans la foulée anglaise, Madagascar réussit une percée diplomatique en concluant avec les Etats-Unis en décembre 1866 un traité conçu sur le modèle du traité avec l’Angleterre. Ce qui ne fait qu’alourdir le ressentiment français à l’égard de Madagascar.

Car, ce sont ces mêmes Etats-Unis, grande puissance mondiale en devenir, qui en février 1866, invoquant la « doctrine Monroe », ont infligé à l’empereur Napoléon III une défaite mémorable et particulièrement déshonorante en exigeant et en obtenant, sans coup férir mais sous peine d’une intervention militaire massive, le retrait total des troupes françaises engagées au Mexique, entraînant ainsi la fin sans gloire de l’éphémère empereur Maximilien, le protégé de l’empereur français.

Ainsi n’aura-t-il fallu que deux ans pour ruiner l’acquis français à Madagascar.

Pourtant, au début du règne de Rasoherina en mai 1863, si l’on fait abstraction de l’attitude de Raharo, alors chef du gouvernement, et compte tenu de la francophilie de Rainilaiarivony, dont le poids était déjà grand, les augures étaient bons pour une amitié sincère et pleine de promesses avec la France.

La reine ne chérissait-elle pas en particulier deux miniatures représentant Napoléon III et elle-même, faisant partie des présents envoyés par l’empereur français et l’impératrice Eugénie pour le couronnement de la reine ? Ces souvenirs voisinent avec une médaille de Louis XVI offerte par le consul Jean Laborde.

LE « REGNE » SANS PARTAGE DE RAINILAIARIVONY

Les tournants pris par Rainilaiarivony sont en fait confus.

Car, ce n’est pas pour autant que son autorité soit assurée.

Tout d’abord, contrairement à ce qu’il avait espéré, « sa » reine, Rasoherina, n’est pas si docile que cela. Certes pas avec les excès caractériels d’une Ranavalona 1ère.

Mais, elle  a son caractère bien trempé et n’est pas dépourvue de sens politique. Mieux encore, elle sait résister aux assauts sentimentaux d’un Rainilaiarivony entreprenant.

Elle veut marquer sa différence, notamment en effectuant des déplacements fréquents en ses terres ancestrales ou en province en emmenant avec elle la Cour et de hauts dignitaires, délaissant ostensiblement son mari de Premier ministre à ses tâches à Antananarivo.

La voici, en particulier, en voyage pour Andevoranto le 20 juin 1867 avec une forte escorte de douze mille officiers et soldats et d’une nombreuse population d’une soixantaine de milliers de personnes, pour lequel elle se fait accompagner de Jean Laborde et ne sera de retour dans la capitale royale qu’au mois de décembre !

Or, Rainilaiarivony est saisi par une suspicion permanente et est préoccupé par de nombreux complots, certes tous avortés mais avec un paroxysme début 1868.

Les comploteurs sont arrêtés, et parmi eux le vieux, l’éternel concurrent et toujours dangereux Rainijohary, le chef du clan Tsimahafotsy avec lequel une alliance sacrée s’était pourtant scellée pour éliminer Radama II.

Les certitudes et les ambitions de Rainilaiarivony devenu buté, jadis homme ouvert, moderne et francophile de coeur, ne tiennent désormais que par sa poigne de fer et grâce à un puissant réseau d’espions et d’obligés.

C’est cet homme qui règne sans partage sur Madagascar et qui régente tout, ce dans les moindres détails. C’est ce même homme qui, tout au long d’une trentaine d’année de braise qui aboutit à la colonisation de Madagascar, va conduire la Grande Ile vers son déclin puis dans son abîme.

Face à cette dictature naissante en 1863, qu’aurait pu alors faire la reine Rasoherina, elle qui malgré sa forte personnalité n’a fait finalement que subir :

. d’abord en obéissant à la terrible reine Ranavaolona 1ère qui l’a jadis forcée à épouser Radama II ;

. ensuite en obéissant aux ordres des « faiseurs de reines » que sont les clans Tsimiamboholahy et Tsimihafotsy qui l’ont forcée à monter sur le trône ;

. enfin, comme épouse du Premier ministre Rainilaiarivony, lequel l’instrumentalise à mort, et c’est le cas de le dire.

Car, Rasoherina meurt le 1er avril 1868 par défaut de soins appropriés à la suite d’une maladie qui l’affaiblit considérablement, pendant laquelle Rainilaiarivony n’hésite pas à la malmener, et à interrompre son repos pour la trimbaler – c’est le terme approprié – entre sa résidence privée d’Amboditsiry et le Rova juste pour démontrer combien il domine « sa » reine…

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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* résumé du manuscrit de Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays. Reproduction, même partielle, interdite.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et des illustrations

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REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR (6ème partie)

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Grand Salon de réception des Ambassadeurs au palais « Tranovola » du Rova d’Antananarivo, où furent reçues en 1862 d’importantes délégations anglaise et française (tiré de mon article: « Le Napoléon malgache, Radama 1er », Revue « Napoléon » n° 8 nouvelle série, ed. « Le Livre Chez Vous »). Reproduction interdite.


L’avènement du roi Radama II prend date le 18 août 1861 suivant le décès de sa mère et ouvrant une longue période de deuil de un an.

A nouveau, Madagascar et les Malgaches sont plongés dans l’angoisse des lendemains, espérant se libérer définitivement de la chape de plomb de la période ranavalonienne.

En hauts lieux, on pense que le jeune prince Rakoto est ce personnage un peu falot mais qu’on peut manipuler à sa guise, certes idéaliste mais qui risque pourtant de vendre son pays à la France en croyant naïvement que le « protectorat » qu’il lui propose se limite à une protection morale devant seulement éviter au peuple malgache la furie des persécutions.

L’équation ainsi proposée ressemble un peu à la situation prévalant en France où, à la faveur de la Révolution de 1848, les grands ténors de la politique comme Thiers ou Lamennais, qui ne voulaient voir dans la personne du prince Louis-Napoléon Bonaparte qu’un pitoyable homme politique, ne se faisaient aucun souci pour le soutenir à la première élection présidentielle au suffrage universel, en se convainquant que si le prince devait l’emporter il serait de toute façon leur obligé.

Seulement, non content de remporter cette élection avec un formidable score de 70% des suffrages exprimés qui l’a installé au palais de l’Elysée, Louis-Napoléon, qui s’est donné des ailes d’aigle pour lancer trois ans plus tard l’ « Opération Rubicon », se fait plébisciter pour rétablir l’Empire et devenir l’Empereur Napoléon III !

A Madagascar, le prince Rakoto, en devenant le Roi Radama II, veut rééditer la montée en puissance et les élans progressistes de son défunt beau-père putatif, Radama 1er, ce avec l’assentiment du peuple malgache.

L’ILLUSOIRE RENAISSANCE

Mais, la référence à la situation française et aux élans progressistes de Radama 1er s’arrête là, car devant les maladresses et les erreurs du roi malgache les capacités destructrices de l’oligarchie demeurée en place droit dans ses bottes reprendront vite le dessus.

La « renaissance » tant espérée est vite violée sans même qu’elle puisse poser ses jalons.

Dès le départ, c’est l’ambivalence qui pèse sur les circonstances du règne de ce monarque atypique. Le révérend Ellis, qui par ailleurs connaît beaucoup d’autres monarques de différents pays, le relève : « Je n’ai jamais dit que Radama était un chef capable… ; mais jamais un chef plus humain n’a porté une couronne ». Radama II est naturellement bon, porté à soulager la souffrance des hommes, à pourchasser l’injustice imposée par la tyrannie des grands du royaume, ouvert aux idéaux humanistes.

Ellis et Laborde, ses deux précepteurs anglais et français dont le roi écoute attentivement les enseignements avisés et attentionnés, sont aussi ses deux conseillers politiquement intéressés, l’un au profit de l’Angleterre, et l’autre à celui de la France !

Si bien qu’à cause de ces contradictions le roi Radama II, non seulement n’eut jamais l’idée de se convertir à l’anglicanisme ou au catholicisme, comme cela eût pu être dans la logique de la grande proximité quasi filiale existant entre le roi et les deux hommes, mais il oscillera constamment entre l’Angleterre et la France pour ses choix relationnels avec l’extérieur, les Etats-Unis, nouveaux venus, ne parvenant pas à tempérer quelque peu ce dilemme.

Radama II peut se targuer de parler suffisamment bien l’anglais et le français, sa prestance naturelle, relevée par la voyageuse autrichienne Ida Pfeiffer, ajoutant à l’attrait particulier que le nouveau souverain malgache suscite à l’étranger.

En tout cela, les jumeaux Raombana ( proche conseiller) et Rahaniraka (Secrétaire d’Etat chargé des Affaires étrangères), eux-mêmes de lignée princière prestigieuse, deux jeunes lettrés formés en Angleterre grâce au grand roi Radama 1er, ont leur grande part. Pour compléter le portrait de ce roi atypique, citons encore un prêtre français, le père de la Vaissière : « C’est une idée fixe chez Radama II de convier à la civilisation de son pays, non point la France et l’Angleterre seules, mais tous les peuples de l’Europe et même du monde entier. Ce prince n’excluait pas plus les Chinois et le Turcs, s’ils se présentaient, que l’Espagnol ou le Russe. Il est profondément convaincu que jamais les populations malgaches n’arriveront à un véritable progrès sans le concours et l’expérience, les lumières et les ressources des nations civilisées ».

Ere nouvelle

« Ere nouvelle », acrylique – Jipiera – Reproduction interdite –

Cependant, cette fascination sans borne de l’Etranger n’est malheureusement pas contrebalancée par un sens critique ni par une faculté de discernement qui auraient pu modérer et relativiser l’émerveillement démesuré du roi pour la moindre réalisation technique venue de l’extérieur.

La perspective de l’accession au trône de Radama II donne lieu à des marques exceptionnelles de considération et de sympathie de la part de l’Empereur Napoléon III et de la Reine Victoria d’Angleterre. La presse étrangère elle-même se fait positivement l’écho de l’avènement du nouveau roi malgache, comme c’est le cas du « Sémaphore de Marseille », du « Journal du havre » ou du « Mémorial Bordelais ».

Du 20 août au début novembre 1861, Radama II prend une série de décisions capitales par lesquelles il imprime sa marque :

. rétablissement de la liberté de commerce extérieur avec suppression des droits de douane à l’import et à l’export ;

. amnistie en faveur des condamnés chrétiens, comportant le retour à la pratique de leur religion et la liberté de culte ;

. reprise des relations diplomatiques avec la France et l’Angleterre, donnant l’occasion à Laborde, Lambert et aux pères Jouen et Weber de revenir à Antananarivo ;

. suppression du tanguin comme poison d’épreuve judiciaire ;

. signature par l’apposition du sceau royal de la léonine « charte Lambert ».

Tour à tour, le colonel Middleton, Envoyé du Premier ministre britannique, et le baron Brossard de Corbigny, Envoyé de l’Empereur Napoléon III, présentent au roi les messages de félicitations de leur mandant. Par la suite, la très catholique impératrice Eugénie de France octroie tout son appui matériel et financier à la propagation de l’enseignement du Christ à Madagascar.

Ne voulant pas être en reste, la reine Victoria du Royaume-Uni envoie au roi malgache de beaux présents, une très belle Bible, une amphore en argent massif et son portrait en pied.

MADAGASCAR TIENT-ELLE SON « ROI HENRI IV »…?

Radama II aime son peuple ! Incontestablement. Ce qui contraste de façon si frappante avec la farouche sévérité de sa mère la défunte reine Ranavalona 1ère.

Les Malgaches tiennent en lui leur Henri IV.

Le « vahoaka » (le peuple) est en effet pour lui non pas cette masse corvéable et taillable à volonté mais bien une communauté d’hommes et de femmes dont il désire profondément le bien-être et la prospérité.

Le nouveau roi proclame à qui veut l’entendre : le bonheur du peuple passe par son accession aux bienfaits de la civilisation et par l’émergence d’une économie servie par des moyens en équipements divers, toutes ces réalisations auxquelles le peuple doit être étroitement associé.

Dans ce tournant libéral que la France elle-même a décidé de prendre à partir de 1860, notamment avec le traité de commerce qu’elle venait de conclure avec l’Angleterre, Napoléon III s’interdit de prendre quelque initiative que ce soit qui puisse mécontenter le pays aux falaises blanches.

A priori donc, la France ne chercherait point à dépasser l’Angleterre à Madagascar. Ce d’autant moins que la « charte Lambert » constitue déjà la pomme de discorde que vont exploiter les Anglais d’une part, et les anglophiles et les xénophobes du gouvernement malgache d’autre part.

Par son Secrétaire au Foreign office, l’Angleterre ne tarde pas à protester contre les velléités « protectionnistes » françaises et cette forme d’avertissement est efficacement relayée par le Secrétaire des relations avec les Etrangers de la puissante « London Missionary Society » qui n’est autre que le révérend Ellis omniprésent au côté de Radama II, ainsi que par les frères jumeaux Raombana et, surtout, Rahaniraka.

Ainsi apparaît au grand jour la rivalité franco-britannique ! Radama II ne sait pas la gérer ni y mettre fin. Mais, c’est l’empereur Napoléon III lui-même, soucieux de ne pas envenimer ses relations avec l’Angleterre, qui « sauve » Radama II en renonçant finalement à accorder à Madagascar la forme de « protectorat » souhaitée par le roi malgache.

Mais juridiquement, la « charte Lambert » n’est pas formellement annulée pour autant, ce qui rend aussi compliqué que préjudiciable la suite des évènements…

Le 31 juillet 1862 le souverain malgache reçoit au palais « Tranovola », affecté aux réceptions des ambassadeurs étrangers, l’amiral Dupré, commandant de la station navale française des côtes d’Afrique orientale et Envoyé de Napoléon III, avec lequel les jalons d’un futur traité d’amitié et de commerce sont posés. Il n’est pas certain que ce traité doive se substituer à la « charte Lambert ».

L’Angleterre suit donc tout cela de très près. Et, dès le 11 août de la même année, c’est le général Johnstone, venant de Londres et animé des mêmes intentions, auquel se joint l’évêque anglican Ryan, qui est reçu par le roi malgache. Il est vrai qu’officiellement ces deux délégations viennent d’abord pour assister au prochain couronnement du Roi Radama II prévu pour le 23 septembre 1862, la période de deuil de un an ouverte à la suite du décès de la reine Ranavalona 1ère ayant pris fin.

La compétition diplomatique franco-britannique bat son plein un mois à peine avant le couronnement du roi, et puisque la France venait de placer Jean Laborde dans la position officielle de Consul de France à Madagascar tout en demeurant conseiller occulte de Radama II, l’Angleterre exige et obtient que Pakenham soit le Consul anglais établi à Antananarivo, lequel s’y installe dès le 16 août 1862.

L’Angleterre pousse ce qu’elle considère comme son avantage tactique, car prenant la France de vitesse le 23 août 1862 elle réussit à faire signer par la partie malgache la « charte Cadwell » (qui reprend peu ou prou les mêmes dispositions que la « charte Lambert ») !

Finalement, après moult consultations, l’anglophile Rahaniraka levant ses réserves vis-à-vis de la France, le traité d’amitié et de commerce franco-malgache est signé le 20 septembre 1862, alors que le traité anglo-malgache attendra le 5 décembre 1862 pour l’être à son tour.

Mais la grande et triple « innovation » apportée par le traité franco-malgache porte en elle-même les germes des futurs conflits à répétition entre la France et Madagascar puisque sont notamment prévus :

. le droit des Français d’acheter des terres et de n’être jugés que par leur consul ;

. la nomination de Lambert en qualité d’ « Ambassadeur de Madagascar en Europe » ;

. le respect « des droits particuliers de la France sur ses anciens établissements et sur ses protectorats Sakalava et Antakara » (cette dernière disposition étant contenue dans un document secret attenant au traité).

Les abandons de souveraineté ainsi consentis anéantissent gravement d’un seul trait de plume les acquis souverains durement imposés par le roi Radama 1er et renforcés par la reine Ranavalona 1ère !

C’est dans ces conditions diplomatiques assez frustrantes qu’interviennent le 23 septembre 1862 les cérémonies du couronnement du Roi Radama II, avec une cérémonie religieuse et privée conduite par le père Jouen au palais « Manjakamiadana », le couronnement public et solennel proprement dit sur la place de Mahamasina, le champs de mars  royal, et enfin un splendide banquet de cent couverts au rez-de-chaussée de « Manjakamiadana ».

Les délégations étrangères sont ravies et émerveillées devant tant de faste. Les notables malgaches, surtout ceux de l’oligarchie dominante, font grise mine. C’est que les orientations prises par Radama II viennent menacer directement leur sensibilité nationale et, surtout, leurs acquis patrimoniaux en termes fonciers, commerciaux, agricoles, financiers, etc …!

De plus, un nouveau venu, les Etats-Unis, frappe à la porte.

Ce pays qui achève son unité était déjà en position « enviable » du temps de Ranavalona 1ère avec la présence d’un agent, nommé Marx, à Majunga. Il se livrait au commerce juteux des esclaves pour le compte des Etats du sud des Etats-Unis et a par la suite diversifié ses activités dans l’agriculture, lui permettant de servir également d’agent commercial pour le compte du gouvernement fédéral américain.

Ceci permet maintenant aux Etats-Unis de jeter un pont diplomatique avec Madagascar en proposant et obtenant la nomination d’un Agent consulaire à Tamatave en la personne de Jules Xaver.

L’influence grandissante des Etats-Unis dans l’esprit du roi Radama II va encore plus loin puisque ce roi aux vues larges va aller, en 1863, jusqu’à désigner et nommer Marx dans son gouvernement en qualité de Ministre des Affaires étrangères, plus spécialement chargé des affaires avec le monde anglo-saxon ! (Voir sur Ce sujet l’article « Un Américain, éphémère ministre du Roi Radama II » paru sur ce même blog en date du 12 février 2017).

L’oligarchie en place, déjà quelque peu désorientée par les choix civilisateurs du roi, est cette fois-ci déboussolée…Il y a de quoi !

Car, au-delà de cette surprise américaine, sur le plan sociétal elle se pose des questions fondamentales : comment une société féodale encore structurée sur le mode ancestral peut-elle absorber les réformes radicales imposées par le nouveau roi ? Par exemple, avec la suppression de la corvée et des expéditions militaires, ainsi que la réduction soudaine des effectifs de l’armée, certes ayant pour vertu de libérer la masse de la population, les esprits sont autant déstabilisés que désorientés.

L’ENGRENAGE FATAL 

Radama II est loin d’être dupe de ces oppositions, mais par excès de confiance ne s’arme point en constituant et en misant sur un gouvernement fort comme l’avait imposé Radama 1er en son temps.

Néanmoins, pour échapper à l’emprise de l’oligarchie il pense trouver la parade en s’entourant d’une phalange, des compagnons dévoués et capables de prouesses et d’intrépidité : les « Menamaso » (« Les yeux rouges » ou « Les yeux sacrés » – le rouge étant la couleur royale par excellence).

Ils sont nobles, jeunes, instruits, patriotes et originaires pour la plupart de la région sud de l’Imerina, à la source des premières dynasties royale et princière de l’Imerina (or, l’oligarchie dominante vient de la région « aînée » du nord de l’Imerina… !).

Le révérend Ellis, dont la haute conscience ne saurait être mise en doute, confirme chez la plupart de ces «Menamaso » ces dispositions altruistes avançant que ceux-ci n’ont qu’un leitmotiv : servir !, et un credo : défendre l’idéal de liberté et promouvoir le progrès !

De fait, au nom de leur roi ils n’hésitent pas à parcourir le pays de long en large pour prodiguer des soins, sauver de pauvres gens, les soustraire à l’arbitraire, construire des ouvrages d’art (notamment des ponts…), allant même jusqu’à faire fonctionner la première locomotive à vapeur jamais construite à Madagascar grâce à leur seul génie.

Certes, quelques uns d’entre eux sont superficiels, ne recherchant que les plaisirs, arrogants jusqu’à provoquer inutilement certains grands du royaume. Leur liberté d’action, que le roi se refuse à contrôler, occasionne quelques fois de graves incidents et le roi se refuse également à les sanctionner. Dès lors, on comprend que de plus en plus de grands du royaume ne voient en ces « Menamaso » que des zélateurs impénitents, des espèces dangereuses à éliminer.

Les rivalités claniques des « faiseurs de reines » sont à nouveau tues. On décide de remettre en oeuvre toutes les capacités destructrices…Et elles sont non seulement intactes mais demeurées pleinement opérationnelles !

Oubliées donc les querelles intestines au sein des clans roturiers Tsimiamboholahy et Tsimahafotsy. Place à nouveau à l’union sacrée ! Raharo et Rainilaiarivony se réconcilient vite avec Rainijohary en vue d’éliminer physiquement les « Menamaso »…et bien plus…

Rien que cela !…Pour l’intérêt du pays, bien sûr…! Car, on ne se prive pas de formules grandiloquentes…

On commence par mener une campagne intense de dénonciation, notamment contre les débordements de ces « fêtards » et de ces « alcooliques »,…comme si on n’était pas soi-même nantis des mêmes défauts…

Et, comme du temps pas si lointain où, à partir de 1827 on en voulait viscéralement à la personne même du feu roi Radama 1er, on organise avec un art consommé une vaste conspiration avec l’aide des devins, Sikidy et autres Sampy, lesquels font complaisamment référence à la « colère des ancêtres ».

C’est ainsi que comme par hasard apparaît dès mars 1863 dans le sud du pays un phénomène étrange présenté comme étant une insidieuse épidémie, le « ramanenjana », une maladie nerveuse qui se manifeste par un raidissement des membres et des esprits, très impressionnante et qui, paraît-il, étant très contagieuse, gagnera tout le pays.

Il ne suffit plus aux grands du royaume qu’à répandre la conviction qu’il s’agit là de la manifestation de cette « colère des ancêtres » face au mécontentement du peuple suscité par les nombreuses fautes commises au nom du roi par les « Menamaso » !

On fait même courir le bruit que les possédés par le « ramanenjana »sont l’escorte de la reine Ranavalona 1ère revenue pour réprimander son fils le roi actuel !

Et, au prétexte de prévenir des troubles, le Premier ministre Raharo fait venir aux abords du Rova d’Antananarivo les troupes. En réalité, il est décidé à engager l’épreuve de force avec le roi.

En réaction, les « Menamaso » croient pouvoir trouver la parade en armant le peuple à partir des villages pour leur autodéfense.

C’est dans ces circonstances explosives et afin de donner un  cadre légal à cette initiative que le 7 mai 1863 Radama II décide de proposer la promulgation d’une loi autorisant le duel, non seulement entre individus mais aussi entre des groupes d’individus…Raharo et les grands du royaume s’y opposent fermement ; tout aussi fermement, et pensant sans doute que son autorité sur « son » Premier ministre reste intacte, Radama II entend outrepasser ce refus.

L’épreuve de force est engagée.

Les évènements se précipitent alors de façon dramatique.

Dès le 9 mai 1863, deux jours après la décision de proposer la loi sur le duel, Raharo donne l’ordre de massacrer les « Menamaso ».

Dans son désarroi, Radama II quitte précipitamment le palais royal « Manjakamiadana » pour se réfugier avec sa famille, bientôt rejoint par un groupe important de « Menamsao », dans la « maison de pierre » d’Ambohimitsibina, lieu habituel de réunion de ses partisans situé non loin du Rova d’Antananarivo dans sa partie sud.

Mais, bientôt ils sont encerclés.

Le roi fait alors dire à Raharo qu’il veut bien livrer ses compagnons à la condition sine qua non que leur vie soit sauve, condition acceptée par les oligarques.

Le roi, chevaleresque, est rassuré et quitte son lieu de refuge pour rejoindre sa garçonnière préférée, le « trano kambana » (« maison jumelle ») construite sur le modèle du « tranovola » de Radama 1er.

Mais, sa naïveté est affligeante.

Car, les oligarques ne sont pas à une perfidie près : une fois les quelques rescapés « Menamaso » livrés, ceux-ci sont aussitôt tous mis à mort sommairement, assassinés purement et simplement.

Désormais, il ne reste plus qu’à supprimer le roi lui-même. Les oligarques ne sont pas à un sacrilège près.

Le 11 mai 1863 à la tombée de la nuit les hommes de main de Raharo, lequel bien plus tard revendiquera ostensiblement l’assassinat, mettent à mort le pauvre Radama II qui se trouve seul dans sa garçonnière.

On fait s’allier l’hypocrisie, la cruauté et le cynisme pour donner à l’acte immonde une apparence propre et « respectueuse » des coutumes : puisque le sang royal ne saurait couler, on étrangle la royale victime à l’aide d’une étoffe de fortune, puis son corps est précipitamment placé dans un cercueil également de fortune, et on enfonce à travers le couvercle du cercueil à l’endroit supposé de la tête royale un long clou afin d’être certain d’achever le roi !

Et on termine l’horrible besogne par une déclaration en forme de mensonge éhonté, un modèle du genre : dès le lendemain 12 mai 1863 en effet le Premier ministre Raharo annonce publiquement et laconiquement « le suicide du roi Radama II par suite de l’arrestation des Menamaso » !…

Et ce même 12 mai 1863 le successeur de Radama II est désigné : sans surprise, il s’agit…d’une femme, Rabodo, l’épouse principale rendue veuve de Radama II, qui prend le nom de règne de Rasoherina !

L’oligarchie a encore gagné, et cette fois-ci elle se jure de ne plus accepter de roi mais d’accaparer et de confisquer pour l’éternité le pouvoir et, pourquoi pas, plus tard la royauté elle-même.

Les derniers détenteurs authentiques du « Hasina », cette dignité et cette primauté royales tirées de la tradition de l’ « Andriambahoaka apovoan’ny tany » (« le souverain au milieu du peuple »), sorte de souverain universel placé là au milieu de son peuple pour son Bien en vertu d’une mission céleste, qu’incarnaient les « rois-guerriers » auxquels on peut ranger à sa façon Radama II, disparaissent ainsi avec ce roi atypique malgache.

Madagascar, contrairement au Japon à la suite de la « Restauration Meiji », ne retrouvera plus l’essence même de la dignité royale mais se laissera guidée par les fluctuations des contingences politiques.

La singulière brièveté même du règne de Radama II révèle la puissance de la réaction oligarchique ainsi que le désordre mental qui l’anime dans le sens d’une farouche fermeture.

Cette oligarchie se convainc plus que jamais de mettre historiquement au pas le souverain, un peu comme le concevaient les puissantes lignées shogunales du Japon à partir du XIIIème siècle à l’égard des Tennô (empereurs), avec cette différence de taille que là-bas ces lignées étaient elles-mêmes d’origine noble, ce que ne sont pas nos oligarques malgaches qui sont, eux, d’origine roturière pleinement revendiquée, et pour asseoir solidement leur emprise clanique ceux-ci vont donc sans coup férir mettre en oeuvre et en pratique la formule singulière suivante :

. « Le roi est mort, vive les reines soumises » !…

Et faudrait-il ajouter: « A  bas les nobles, à nous, roturiers, la gouvernance et le pouvoir ! »…

Cependant, au tournant de cette modernité confusément recherchée par le Roi Radama II, mais ainsi assassinée, certains esprits éclairés tentent tout de même de faire évoluer une société, laquelle est déjà très sclérosée, verrouillée et policée.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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* Résumé du manuscrit de Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays. Reproduction, même partielle, interdite.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et des illustrations

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REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR (5ème partie)

Ambassade (2)

« 1837: retour d’Europe de l’ambassade malgache  » (jpra) – Il s’agit ici d’une pure représentation fictive, car en 1837 le palais « Manjakamiadana (à droite), construit en 1839, n’existe alors que dans l’imagination de la reine Ranavalona 1ère – Reproduction interdite –


 

Le tout début des années 1830 est marqué par trois faits qui ponctuent une actualité bien chargée d’un régime qui s’apprête à sortir d’une période transitoire pour « enfin » durer :

. Tout d’abord Andriamihaja, l’amant préféré, père biologique du prince Rakotosehenondradama (autrement dit Rakotondradama ou, plus simplement, le prince Rakoto), meurt empoisonné à la suite d’une « dispute » avec l’autre amant qui monte, Rainijohary.

. Très affectée par cette disparition, Ranavalona n’en poursuit pas moins la consolidation de son pouvoir avec la fondation en 1831 d’une ville en plein pays Betsileo, Fianarantsoa (« la ville au bon enseignement »), pour signifier à tous de quelles floraisons nouvelles elle est capable.

. Puis, à l’automne 1832 survient la « découverte » d’un personnage hors pair, Jean Laborde, un Français qui va bouleverser le quotidien d’une reine à la recherche de l’homme lige, l’architecte de toutes ses ambitions.

Or, poussée par ses soutiens les plus radicaux, Ranavalona a décidé d’engager une répression systématique contre les chrétiens, les « religions étrangères » étant taxées d’être le cheval de Troie du colonialisme.

C’est d’abord sur les Catholiques qu’elle s’abat.

C’est ainsi que le premier préfet apostolique (donc Envoyé du Pape) de Madagascar, monseigneur de Solages, subit toutes les brimades l’empêchant de monter jusqu’à Antananarivo, à la suite desquelles il meurt.

Son successeur, monseigneur Dalmond, plus prudent ne réussit pas mieux mais parvient à se réfugier à l’Ile Sainte-Marie.

Ranavalona veut aussi se préparer à la confrontation armée contre les Français et les Anglais. Laborde lui en fournit les moyens par la création dès fin 1832 d’une véritable industrie de l’armement à Ilafy puis à Mantasoa, non loin de la capitale royale.

Son dispositif armé étant fin prêt, la reine prend début 1835 une série de mesures radicales contre les Etrangers qui aboutit en juin 1835 à l’expulsion de tous les missionnaires anglais.

Cependant, en tant qu’éducateur de Raharo, futur Premier ministre de Ranavalona, le révérend Ellis parvient à se maintenir.

Les actes imprécatoires se multiplient alors, la doctrine d’Etat fondée sur une déification païenne de la personne de la Reine commande l’instauration d’un nouvel ordre social qui s’inspire des enseignements des devins, des idoles et autres Sampy.

Le champ étant libre, pendant treize ans les massacres, la destruction mentale, l’avilissement moral et l’assouvissement sanguinaire se succèdent avec comme point d’orgue le 14 août 1837 l’exécution en public avec force mise en scène de Rasalama, devenue depuis lors, pour l’Histoire, le symbole du martyr, de l’exutoire des bas instincts au milieu des cris d’orfraie et des sentences fulminatoires.

C’est pourtant au milieu de ce climat surréaliste qu’en septembre 1836 la même Ranavalona décide d’envoyer en Angleterre, auprès du roi Guillaume IV, et en France, auprès du roi Louis-Philippe, une Ambassade dirigée par le colonel Andriantsitohaina, un autre ancien fidèle du défunt roi Radama 1er  , celui-là même qui au nom de la reine avait engagé les pourparlers à la suite de l’échec de l’ « expédition Gourbeyre » en 1829.

Elle espère ainsi « calmer » le courroux des deux super- puissances du moment et obtenir d’elles pas moins qu’un traité de paix reconnaissant la pleine souveraineté de Ranavalona comme « Reine de Madagascar ».

Cependant, la mission diplomatique, envoyée à grands frais mais mal préparée, dépourvue de pouvoirs suffisants, composée d’éléments peu élevés dans la hiérarchie gouvernementale malgache, certes reçue et traitée correctement par les hautes autorités anglaises et françaises, revient bredouille en 1837 après un voyage ponctué par de terribles tempêtes, et sans être parvenu à faire évoluer d’un iota la position en flèche de l’Angleterre et de la France (les péripéties de cette mission diplomatique sont exposées et évaluées dans mon ouvrage « la geste éphémère de Ranavalona 1ère, l’expédition diplomatique malgache en Europe, 1836-1837 », L’Harmattan, 1997).

Parallèlement, Ranavalona poursuit la « pacification » des territoires entrés en rébellion contre son autorité. En effet, par leur révolte des populations entières, en particulier les Tanala, les Bara, les Masikoro et les Sakalava, menacent l’intégrité du pays.

A tous points de vue, Madagascar et les Malgaches sont donc pris dans l’étau et vivent la tourmente.

C’est pourtant le moment choisi par la reine pour se faire construire un « lapa », un palais digne de sa grandeur et auquel elle entend attribuer le nom de « Manjakamiadana » (« au règne paisible »), manière obsessionnelle pour elle de se raccrocher à l’héritage du Grand Roi Andrianampoinimerina, ce dernier ayant été le premier à se faire construire un palais du même nom dans les mêmes lieux au Rova d’Antananarivo il y a une quarantaine d’années.

C’est donc en 1839 que ce palais tout en bois (selon la tradition royale) d’une dimension inédite s’élève au côté de « Tranovola », le palais du défunt Radama 1er.

Qui d’autre que Jean Laborde en est l’architecte ? Assurément, avec ces deux palais majestueux et si représentatifs de l’architecture malgache, Ranavalona tient son Versailles et les Malgaches sont appelés à s’émerveiller de ce don de leur génie !

Or, Antananarivo se vide de tous les Etrangers qui réussirent encore à s’y faire indispensables du fait de leur art dans le commerce et la médecine. La fermeture de Madagascar est une réalité quotidienne.

A nouveau en 1845 Français et Anglais se liguent pour « punir » la souveraine malgache et forment dans une improvisation très surprenante une force expéditionnaire.

Le commandant Kelly et l’amiral Romain-Desfossés joignent leurs forces navales pour s’attaquer à Tamatave et à son fort. On assiste au même scénario que seize ans auparavant avec l’ « expédition Gourbeyre »: soumis aux coups concentrés de l’artillerie malgache, des navires sont gravement endommagés et une vingtaine de soldats étrangers périssent sur la plage.

Ranavalona a maintenant cinquante-trois ans et souhaite préparer son fils Rakoto à son rôle futur de souverain. Ici encore, Laborde est l’homme de la situation. Etant déjà parrain du prince, il en est aussi le précepteur et une grande affection réciproque lie le prince et le Français.

Au soir de sa vie, rendue prisonnière de ses propres emportements d’alors, la reine est-elle finalement fatiguée, lassée, peinée devant les excès sanguinaires, les offenses à l’humanité et la volonté d’avilissement commis et menés en son nom par ses pesants soutiens, jusqu’à souhaiter dans le secret de son cœur de mère leur cessation ? Les faits tendent à nous en convaincre.

De plus, quand le puissant Rainiharo meurt le 10 février 1852 et que son fils aîné Raharo reprend le flambeau, avec en embuscade le frère puîné Rainilaiarivony devenu chef des armées, une respiration nouvelle intervient avec la réouverture en 1853 des ports malgaches au commerce extérieur.

La reine n’est cependant qu’à demi rassurée car l’intransigeant Rainijohary, le destructeur de son amant Andriamihaja, non seulement se maintient dans son rôle d’intransigeant ministre du culte et de l’ordre public, mais renforce ses appuis.

Or, le prince Rakoto du haut de ses vingt-cinq ans et de son éducation humaniste prodiguée par Laborde et le révérend Ellis, se prend en main en cultivant son indépendance d’esprit.

Meurtri par la tournure outrageusement païenne et violente du régime au nom duquel sa mère est contrainte de régner, Rakoto prend sa plus belle plume et crânement écrit le 14 janvier 1854 à l’Empereur Napoléon III pour lui demander aide afin de mettre fin à la barbarie. Ranavalona le sachant assurément, laisse faire.

Et au milieu de cette situation complexe intervient un autre Français, Lambert, un homme d’affaires bien introduit à la cour de Napoléon III. Il emmène avec lui à Madagascar trois prêtres français cachés sous des noms d’emprunt, et par l’intermédiation de Jean Laborde et du prince Rakoto, tout ce beau monde est même reçu en grande pompe, chose ahurissante en ces temps, par Ranavalona 1ère elle-même et par son Premier ministre Raharo.

C’est dans cette ambiance quelque peu euphorique que Lambert parvient à faire signer par le prince Rakoto une charte (plus tard connu sous le nom de « charte Lambert ») aux termes duquel notamment le prince Rakoto demande à l’empereur Napoléon III le protectorat français et accorde à l’homme d’affaires français des droits exorbitants pour mettre en valeur les richesses malgaches !

Cette initiative plus que surprenante n’a toutefois pas eu d’écho auprès du souverain français, peu désireux de mécontenter les Anglais du fait d’une mainmise française à Madagascar.

Rainijohary, le véritable « doctrinaire » du règne de Ranavalona 1ère, sent le moment venu de réagir fermement. Il ne se limite pas à dénoncer la « charte Lambert » comme il se doit. Il proteste auprès de la reine contre les actes irresponsables du prince Rakoto et rétablit la répression à l’encontre de ce pauvre peuple malgache ainsi rendu injustement responsable d’une situation explosive.

Il est vrai qu’en juillet 1855 le prince Rakoto avait poussé l’audace jusqu’à assister en la demeure de Laborde à la première messe catholique jamais célébrée à Madagascar, ce clandestinement par le père Finaz caché sous le nom d’emprunt de « Monsieur Hervier ».

Il est non moins vrai qu’emportés par leur conviction salvatrice de pouvoir imposer l’accession au trône du prince Rakoto à la faveur de l’affaiblissement de la reine Ranavalona, Laborde et Raharo (et son  frère puîné Rainilairaivony n’est pas loin…) sont en train de mettre au point un plan devant permettre cette prise de pouvoir.

Pour couronner le tout, le prince Rakoto se permet de récidiver en envoyant au Pape Pie IX une lettre par laquelle il manifeste au saint-père ses meilleures dispositions en tant que « protecteur » des Chrétiens de Madagascar. Rainijohary ne tarde pas à découvrir tous ces agissements.

Sa réaction ne peut qu’être vive, mais elle est singulièrement sélective.

En effet, il feint d’ignorer les agissements du puissant Premier ministre Raharo (qui a la haute main sur les armées, son frère puîné Rainilaiarivony en étant le commandant en chef) pour ne pas avoir à l’affronter.

Par contre, ses foudres s’abattent sur Laborde et ses amis : le 1er juillet 1857 Ranavalona 1ère est contrainte de prendre un  décret royal intimant l’ordre à Laborde, Lambert et aux prêtres français présents, de quitter sans délai Madagascar.

Rainijohary peut triompher, mais la rage au cœur il ne peut pas toucher à la personne royale du prince Rakoto, car ayant auparavant finalement retiré son soutien dynastique au prince Ramboasalama jugé incapable et cupide, il ne peut plus se renier.

Quant à Ranavalona 1ère , elle est méconnaissable.

Gagnée par la pire des superstitions, mais emplie d’affection débordante pour son fils Rakoto, elle sombre dans la déprime.

Quant au prince Rakoto, instruit par ses propres épreuves et ses échecs récents, mais rassuré quant à son avenir, il s’arme de patience et fait montre d’une stature nouvelle de futur Roi.

Le poids de la vieillesse et de la maladie assaille Ranavalona 1ère qui meurt le 18 août 1861 après trente trois ans d’un règne implacable, presque du double de celui de Radama 1er.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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* Résumé du manuscrit de Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays. Reproduction, même partielle, interdite.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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REFORMATEURS ET MODERNISATEURS DE MADAGASCAR (4ème partie)

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« Automne », acrylique – Jipiera – Reproduction interdite


                                      LA REVOLUTION A REBOURS DE L’HISTOIRE

Une cassure aussi profonde que celle subie par Madagascar en 1828 est le produit d’une volonté délibérée et préméditée nourrie par la haine, aidée par un terrible choc psychologique, et qui se sert largement de la menace coloniale comme prétexte facile, à laquelle s’ajoute une fallacieuse nécessité de retour aux us et coutumes de l’époque antique malgache.

Les « anti-réformateurs » et les « anti-modernisateurs » de Madagascar sont à l’œuvre.

C’est déjà l’automne d’une nation.

Tout cela se trouve tout d’abord concentré dans le drame personnel vécu par la princesse Ramavo, la vieille épouse du roi Radama 1er devenue veuve.

Et, très rapidement, saisissant la balle au bond et faisant preuve d’une audace rare, la vieille garde des anciens conseillers de Andrianampoinimerina et les jeunes officiers roturiers que le défunt roi Radama avait pourtant choyés retournent radicalement la situation à leur avantage exclusif avec un art consommé du cynisme.

Leur dessein: s’accaparer de tous les leviers du pouvoir pour régner à la place des souverains et ne plus se contenter du rôle supplétif de soutien de la royauté.

Une véritable cassure historique s’opère ainsi et ce, pour imprimer un cours nouveau – mais qui s’avèrera suicidaire –  à l’Histoire de Madagascar.

                                     LES ACTES D’UNE TRAGEDIE HISTORIQUE

Sans entrer dans les détails, revivons les principales scènes d’une véritable tragédie grecque en sept actes:

1 –  Ramavo, la douce, obéissante et discrète épouse d’un Radama 1er conquérant, y compris auprès des femmes, est humiliée, car peu aimée par son mari de roi, qui ne cherchait point à lui faire un enfant, et quasiment répudiée à l’occasion des nouvelles épousailles du roi avec la jeune et belle princesse Rasalimo, sachant que la polygamie figurait parmi les coutumes ancestrales malgaches de l’époque. Le soudain et irrépressible appétit de pouvoir de Ramavo y prend-il sa source ? Le fait est que Radama 1er avait prévu que sa fille Raketaka issue de ses œuvres d’avec la princesse Rasalimo devait régner après lui et épouser son neveu le prince Rakotobe, quitte à ce que ce dernier prenne la régence au cas où Radama 1er devait disparaître avant que Raketaka ne soit en âge de régner effectivement.

2 –  Pour Ramavo, une telle perspective était intolérable, à cela s’ajoutant sa profonde aversion, soutenue par certains vieux nobles, de voir une « Sakalava » (Rasalimo) régner à travers sa fille (pourtant, Rasalimo est une princesse d’origine merina, son père le roi Ramitraho étant fils d’une princesse merina de la caste des Andriandranando qui avait fécondé les premiers souverains de l’ « âge d’or » de l’Imerina  !…). C’est ainsi que Ramavo se met prestement en quête d’impliquer son oncle, le vieux Andriamamba, afin que celui-ci l’aide à l’installer sur le trône. Ce dernier fait à son tour appel à deux jeunes officiers roturiers de l’ancien entourage de Radama 1er, Andriamihaja et Andrianisa (alias Rainijohary). Restait à convaincre un autre vieux noble, Ravalontsalama, pour former l’équipe initiale des comploteurs. A tous ceux-là, qui furent de proches soutiens de Radama 1er tant que celui-ci tenait ferme le pouvoir, Ramavo leur promet honneurs, privilèges et fortune immenses en échange, en leur faisant bien comprendre également qu’ils détiendraient la réalité du pouvoir tandis qu’elle, Ramavo, règnerait sous le nom évocateur de Ranavalona (« celle qui est préservée » ou « protégée »).

3 –  Vendredi 6 août 1828 au matin, c’est la date choisie, considérée comme faste, quatre jours après la mort de Radama 1er, pour mettre à exécution le plan de conquête du trône. Mais au dernier moment, Ramavo est soudainement prise de panique folle et veut renoncer. Ses soutiens forcent alors le destin en faisant occuper le Rova d’Antananarivo par trois cents soldats placés sous les ordres directs de Ravalontsalama, Andriamihaja et Andrianisa. Le Premier ministre de Radama 1er, Ralala, est opportunément absent d’Antananarivo, tout comme le sont les fidèles parmi les fidèles de Radama 1er : les cousins Ramanetaka et Ramanananolona sont respectivement en poste dans le pays Sakalava et chez les Antanosy, tandis que le beau-frère Ratefinanahary est à Tamatave et le grand général Rafaralahindriantina est à Foulpointe. C’est ainsi que Ramavo, soumise à cette lourde pression et ne pouvant plus reculer, devient l’obligée de ses propres soutiens. Elle a quarante ans.

4 –  Elle est désormais Ranavalona 1ère, Ranavalomanjaka (Sa Majesté la Reine Ranavalona). Son intronisation solennelle, le 12 juin 1829, n’attend pas l’accomplissement du deuil royal qui selon la coutume devait durer un an et, sans doute ironie voulue, comme pour forcer le sort du destin, elle qui se savait sans droit particulier pour succéder légitimement à Radama 1er, se fait surnommer Rabodonandrianampoinimerina, c’est-à-dire « la fille affectionnée de Andrianampoinimerina » ! Et, tant qu’elle n’a présentement pas d’enfant, elle choisit comme héritier du trône le prince Ramboasalama (simple homonymie avec le nom princier du roi Andrianampoinimerina avant que celui-ci n’accède au trône en 1787), fils de sa sœur aînée. Mais la nouvelle reine sera trahie par ses propres turpitudes puisque, dès le 23 septembre 1829, naîtra de ses élans sincèrement amoureux avec le roturier Andriamihaja un fils du nom de Rakotosehenondradama, c’est dire « l’enfant souhaité par Radama »,… toujours cette volonté de légitimation postérieure comme pour se faire pardonner. Bien plus tard, cet enfant sera finalement sacré Roi sous le nom de Radama II après la mort de Ranavalona 1ère en 1861.

5 –  Ce même vendredi 6 août 1828 au coucher du soleil, afin de prévenir toute réaction légitimiste, d’horribles cortèges de tueurs commandités parcourent la capitale Antananarivo, battent les campagnes et traversent les provinces pour abattre la propre mère de Radama 1er, les princes Ratefinanahary, Ratafika, Rafaralahindiantina, Ramananolona et Rakotobe, les autres généraux fidèles à Radama 1er ainsi que le Premier ministre Ralala connaissant le même sort très peu de temps après. Seuls les princes Ramanetaka et Razaka réussissent à s’échapper, le premier pour s’établir définitivement à Moheli où il créera une dynastie royale locale, et l’autre caché sous un autre nom en pays Betsimisaraka.

6 –  Maintenant que son pouvoir est installé, Ranavalona 1ère s’empresse de l’asseoir par la publication d’un code de quarante-huit articles, destiné à effacer l’œuvre de codification de Radama 1er et à constituer le droit coutumier de son règne. Les jeux de reclassements et de recompositions battent également leur plein. Le vieux noble Andriamamba, qui avait naïvement caressé l’espoir d’épouser la nouvelle reine doit se taire, car les jeunes et ambitieux officiers roturiers qu’il avait entraînés dans son sillage, qui se souviennent bien comment leurs aïeux s’étaient rendus indispensables au roi Andrianampoinimerina, entendent maintenant imposer ce qu’ils considèrent comme étant leurs « droits historiques » de « faiseurs de rois », en l’occurrence « de reines ». Dans cet exercice, Andrianisa (alias Rainijohary) se présente comme le chef des roturiers Tsimahafotsy d’Ambohimanga, tandis que Rainharo roule, lui, pour les Tsimiamboholahy d’Ilafy (plus précisément de la sous-branche des Andafiavaratra), pour mener les jeux.

7 –  Quant à Ranavalona 1ère qui, il est vrai, ne voulait plus s’embarrasser d’un époux, et comme de coutume bien suivie à l’époque un roturier ne peut épouser une noble (surtout pas la reine !), un compromis bien confortable est vite trouvé : la reine est autorisée à avoir tous les amants souhaités, ce qui fait parfaitement l’affaire des jeunes roturiers ambitieux, lesquels n’eurent aucun mal à s’entendre quant au partage des avantages, cette fois-ci charnels ! Un système tournant se met naturellement en place, permettant d’abord successivement au « premier des ministres » Ramahay et au jeune Andriamihaja de partager la couche de la reine, avant que ne les en évincent Andrianisa (alias Rainijohary) et Rainiharo qui, alternativement, occuperont dans le lit de la reine le premier rôle en même temps que de tenir la barre gouvernementale…Plus tard même, le Français Jean Laborde, parvenu à Madagascar dans des conditions extraordinaires en 1832, honorera la reine Ranavalona 1ère assidûment, lui qui ne tardera pas à être auprès d’elle l’homme providentiel de toutes les prouesses techniques, y compris militaires…

                                           L’INSTALLATION D’UN REGIME DE TERREUR

C’est fait: le nouveau régime est installé !

Dès le 28 novembre 1828, sonne le glas relationnel avec l’extérieur, Ranavalona commençant par abroger tous les traités liant Madagascar à l’Angleterre.

Au-delà de la symbolique d’une fermeture systématique voulue, c’est le signal de la reprise du commerce des esclaves, Madagascar en devenant l’un des plus importants pourvoyeurs d’esclaves se procure des revenus financiers considérables qui remplissent le trésor royal et les coffres des grands du royaume.

Manjakamiadana (1840)

Le Rova d’Antananarivo au XIXème siècle – Reproduction interdite – 

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Il est vrai aussi que les visées coloniales des puissances dominantes, l’Angleterre et la France, qui furent réduites à composer du temps de Radama 1er, reprennent du poil de la bête, attisées par la cascade de mesures xénophobes adoptées par le nouveau régime malgache.

Dès le début de l’été 1829, la France du roi Charles X, de concert avec l’Angleterre, décide d’envoyer à Madagascar un corps expéditionnaire sous le commandement du contre-amiral Gourbeyre, pour « libérer » Tamatave, ses nombreux traitants étrangers et sa région du joug des nouvelles autorités malgaches.

La bravoure et la combativité des soldats malgaches, en particulier des artilleurs postés dans le fort du port, corps nouvellement constitué sous le règne de Radama 1er,  surprennent les Français.

Des navires français sont gravement atteints et les quelques fantassins parvenus à toucher terre sont massacrés sur la plage.

Cette demie victoire malgache et ce demi échec français conduit à un cessez-le-feu en novembre 1829, lequel fait ouvrir des pourparlers, gelant une situation diplomatico-militaire qui trouve d’autant moins de solution qu’à la suite de la « Révolution de Juillet » 1830 à Paris le roi Charles X fuit en Angleterre et que la bourgeoisie qui domine la vie politique française préfère d’abord s’occuper des affaires intérieures.

A Madagascar donc, en cette période de transition de quelque cinq années (1828-1834), qui « assure » le passage d’un régime d’ouverture patriotique (règne de Radama 1er) à celui d’une exacerbation des réflexes xénophobes qui exploite la peur au service du figement, tant la noblesse des armes et des valeurs que la quête du progrès, qui réunissaient nobles, roturiers et populations dans une réelle fraternité patriotique sous le règne de Radama 1er, sont réduites à néant.

S’y substitue le culte du profit, du lucre et des intérêts patrimoniaux d’où naît une nouvelle oligarchie aristo-roturière qui se complaît dans une « ploutocratie autoritaire » envahissante et durable.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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* Résumé du manuscrit de Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, « Madagascar, la marche des siècles, du XVIème au XXIème siècles ». Inédit. Tous droits réservés pour tous pays.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations.

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