LES SITES SACRES DE AMBOHIBE-MANANKASINA-AMBOHIPOTSY (2ème Partie)

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Vue aérienne du site d’Ambohipotsy-Manankasina, avec son fossé fortif circulaire, ses vavahady (portes d’entrée gardées), ses tranchées défensives en dents de scie, ses vestiges de constructions anciennes et ses tombeaux actuels. Au nord-ouest: les rizières et le lac sacré d’Ambodiakondro; au nord-est: colline jumelle de Manankasina et un peu plus loin la colline de Ambohibe – jipiera – Reproduction interdite –


            SITES SACRES DE AMBOHIBE-MANANKASINA-AMBOHIPOTSY (2)

Sur les sites jumeaux de Ambohibe-Manankasina-Ambohipotsy au nord-est d’Antananarivo, l’Histoire a donc mis sa marque, la mémoire des temps a laissé des traces, tandis qu’ une charge émotionnelle et sentimentale de toute une communauté, voire  de toute une nation, emplie les lieux, de sorte que la conservation des preuves matérielles et des témoignages constitue un devoir.

Si tout cela s’applique pleinement au « Rova d’Antananarivo », objet d’une série d’articles sur ce même Blog (cf. www.labodiplo.wordpress.com, archives de novembre 2013), c’est également vrai des autres sites moins connus dont la conservation pose actuellement problèmes avec la misère galopante et l’urbanisme sauvage des environs de la capitale malgache.

Poursuivons donc la narration de l’historique de ces lieux d’où l’extraordinaire panorama qui s’offre sur Antananarivo à notre vue est inédit. L’air y est si vivifiant et le ciel si proche ! On comprend ainsi de suite l’attirance de la princesse Rafisaofana pour Ambohipotsy-Manankasina  (voir : 1ère partie sur ce même Blog, le 28/12/2013). Mais, au-delà de ces références, ce qui importe  ici comme  ailleurs, c’est la préservation obligatoire d’un patrimoine unique pour les générations successives, et ce dans l’esprit d’un développement durable.

                                                               La consolidation d’un ancrage

Depuis que Rafisaofana établit sa résidence à Ambohipotsy-Manankasina au milieu du XVIIème siècle, ce lieu ne cessa d’affirmer sa personnalité en tant que cité prospère et fief d’une branche nombreuse et vigoureuse issue du couple princier Andrianifantsy-Rafisaofana. De cette branche princière, alliée matrimonialement au roi Andriantsitakatandriana (1630-1650) du fait de la princesse Ravololontsimitovy, petite-fille du prince Andrianifantsy, descend directement le roi Andriantsimitoviaminandriandehibe, leur fils, qui devait régner à Antananarivo, tout comme son père, de 1650 à 1670.

Et Andriantsimitoviaminandriandehibe, qui porte donc en lui-même le sang Andriandranando (par le prince Andrianifantsy) du fait de sa mère, a engendré à son tour deux rois successifs en les personnes de ses deux fils : le roi Razakatsitakatandriana au règne singulièrement raccourci (1670-1675) qu’il eut avec sa seconde femme Ramahafoloarivo ; et le frère puîné de cet infortuné roi, le fameux Andriamasinavalona (1675-1710), qu’il eut avec sa femme principale Rafaravavy, un souverain au bilan très contrasté (pour voir l’évolution du royaume Merina du temps de ces rois, on se reportera utilement aux parties 1 et 2 de la série d’articles « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar » sur ce même Blog, archives de début octobre 2013).

Les histoires parallèles d’Ambohiposty-Antananarivo et d’Ambohiposty-Manankasina s’arrêtent cependant là.

Car, au XIXème siècle, la première nommée de ces collines sera le symbole tragique de l’exécution en 1837 de Rasalama, la première et sainte martyre de la chrétienté malgache, récemment canonisée, lieu également d’implantation en 1863 de la première église commémorative de cette tragédie majeure. Ambohiposty-Manankasina n’avait pas cette vocation, par contre elle se confirmera être un lieu stratégique à vocation militaire avant de devenir une nécropole.

Sur le plan matériel, les constatations encore sommaires auxquelles nous avons procédé en 2001 sur ce site d’Ambohipotsy-Manankasina sont pleines d’enseignements quant à l’intérêt historique qu’il présente et que révèle déjà les origines de sa création telle qu’elle a été évoquée plus haut (voir 1ère partie de ce même article). 

Par une vue aérienne, confortée par des prospections sur le terrain même, on peut nettement distinguer les contours du site tels qu’ils apparaissent sur le croquis que nous avons pu établir (voir en illustration).

Ce qui frappe tout d’abord, c’est la proximité et la solidarité des sites de Manankasina et d’Ambohipotsy dont les domaines sont contigus et qui, étant séparés seulement de quelques centaines de mètres, sont en fait, à ces titres, des sites frères, ce qui n’est pas pour étonner puisqu’ils font partie du patrimoine foncier du même prince Andrianifantsy, ce magré les velléités d’autonomie de son épouse Rafisaofana à Ambohipotsy. Ceci se matérialise aussi par cette large ouverture pratiquée au nord-ouest par un fossé fortif de passage sur les marais, les rizières, l’étang de Manankasina et le lac d’Ambodiakondro (ce dernier lieu d’un romantisme inégalé étant récemment et malencontreusement approprié et emmuré par un propriétaire privé…) en contrebas.

Cet ensemble avait constitué dès le XVIème siècle la terre nourricière des Andriandranando, appelée par ceux-ci « petsapetsa » (humus fertile ou humide), de même que par l’existence, hors les murs d’Ambohipotsy, de fondations et de vestiges de constructions anciennes en pisé (vraisemblablement du XVIIème siècle) d’un hameau donnant sur la vallée de Manankasina.

L’autre constatation évidente est que, en effet il faut distinguer le domaine lui-même dans son ensemble qui s’étend sur les versants, et le site à proprement parler, c’est-à-dire son cœur où, conformément à la tradition, se trouvent en l’occurrence : la demeure seigneuriale construite en bois, aujourd’hui disparue (murs de planches et toit fortement incliné) du Mpanjaka (seigneur) à l’emplacement actuel du tombeau de la famille Pierre Razafindramanana, le seul sur ce site d’Ambohipotsy qui soit gardé par un ficus (aviavy) symbole de souveraineté ; le Kianja (sorte de cour intérieure servant de place publique où le maître des lieux recevait et signifiait certaines décisions s’imposant à tous) situé au pied même dudit tombeau sur la façade nord ; les autres tombeaux ancestraux sur la façade nord-est et les vestiges de demeures de notables.

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« Ambohipotsy » – Acrylique – JiPieRA – Reproduction interdite – La colline sacrée d’Ambohipotsy à gauche, surmontée du tombeau de la famille Razafindramanana gardé par un ficus soumis aux vents, offre par son versant sud-ouest une vue directe et  inédite sur Antananarivo et son Rova, sous une douce brise matinale que rythme un voile de lamba.


                                   De la cité prospère à la nécropole en passant par une vocation militaire

Cette enceinte d’Ambohipotsy, qui devait ressembler à une petite cité à partir du milieu du XVIIème siècle, ce jusqu’à la fin du XVIIIème siècle/début du XIXème siècle, s’étendant sur 4 hectares environ, était protégée par un fossé fortif bien  dans la tradition de l’Imerina, profond d’environ 2 mètres et large d’environ 3 mètres, encerclant totalement le site et le protégeant des agressions extérieures. Ce fossé fortif circulaire devait servir également à parquer les nombreux bovins dont était pourvu le domaine d’Ambohipotsy-Manankasina.

Deux ou trois portes (vavahady) avaient été créées : l’une, relativement étroite et vraisemblablement en forme de corridor, constituait la porte principale située au sud-ouest où l’on peut encore constater la présence de blocs de pierres qui devaient être posés verticalement en vis-à-vis (à l’époque – XVIème siècle – on ignorait l’utilisation de grands disques de pierre apparus seulement à la fin du XVIIème siècle) ; la seconde, précédemment décrite, forme une large ouverture donnant nord-ouest sur la vallée de Manankasina ; une troisième porte devait exister coté nord-est, mais ses contours sont moins visibles.   

Mais, ainsi qu’on le voit sur le plan de situation des lieux, à l’intérieur même de la cité se trouvaient d’autres ouvrages, moins visibles sans doute à dessein pour surprendre l’adversaire, consistant en des tranchées très étroites en forme de dents de scie, profondes d’à peine 1m50 et comportant des postes de guet et des niches. Le même type d’ouvrages, à l’évidence militaires, se trouve à l’extérieur du fossé fortif circulaire, coté sud-ouest.

C’est très vraisemblablement par ces versants que les agresseurs Bezanozano et Fahavalo, dont nous faisions allusion plus haut, attaquaient principalement. Il s’agit donc là d’un dispositif de défense de première ligne (ouvrages extérieurs) qui protégeait le pré-carré constitué par la demeure du Mpanjaka et les autres demeures de notables, que peuvent attester la présence de pierres taillées de constructions anciennes, ainsi que par les tombeaux ancestraux.

Ce dispositif défensif est plus finement ouvragé et élaboré que le fossé fortif lui-même. A l’évidence, de par sa profondeur à hauteur d’homme et son architecture il devait servir aux premiers guerriers munis de fusils. Il faut rappeler que dès le XVIème siècle le prince Andriandranando fut le premier à introduire et à utiliser en Imerina le fusil dans des batailles mémorables (en particulier à Ambohipeno) et que ses fils (dont Andrianifantsy) et descendants, non seulement en usaient mais avaient pour privilège royal d’être les instructeurs militaire des troupes royales pour les armes à feu. Ainsi furent les cas de Razamampiandry, Andrianampela et de Ralalao, chargés par le roi Andrianampoinimerina de ramener à Ambohimanga, depuis Tamatave, le premier canon dénommé « Besafara »  introduit et utilisé en Imerina au XVIIIème siècle. 

Ces ouvrages militaires, sans doute uniques en Imerina, dateraient donc d’une époque antérieure au XVIIème siècle, et sans nul doute ont de nouveau servi à des époques plus récentes, en particulier lors de la guerre franco-malgache de 1895.

En effet, par référence aux récits mêmes du général Rajestera, un  officier titulaire de X honneurs (équivalant à général de brigade) de l’armée royale malgache ayant participé à la défense de la capitale malgache (cf. « Des soldats français chez Ranavalona III, relation des faits d’arme de la guerre de 1895 », Documents historiques malgaches, fascicule VII, de l’Académie malgache, 1928),  il est établi que certaines troupes royales s’y étaient installées avec des batteries de campagne pour tenter de repousser les envahisseurs français, ainsi qu’en attestent des niches dont chacune pouvait contenir une arme lourde et deux ou trois hommes, avant d’en être délogés par les éléments avancés du corps expéditionnaire français du général Metzinger.

Il résulte encore des informations apportées par cet officier général les faits suivants : ces éléments avancés français prirent position sur une ligne de crêtes comprenant Ambohibe (colline sacrée voisine au nord-est) et Ambohipotsy (lieu stratégique par excellence d’où il est aisé de pointer directement sur Antananarivo) pour bombarder le Rova d’Antananarivo (de fait, nous pouvons attester, pour les avoir constatés alors que nous résidions au Rova durant toute la décennie 1950, que des éclats d’obus étaient nettement visibles sur la façade nord et nord-est du palais « Manjakamiadana »), tandis que le gros des forces françaises commandées par le général Metzinger avançait notamment sans trop d’encombres par Soamanandrariny en contrebas de Manankasina-Ambohipotsy pour venir attaquer les deux pitons de l’Observatoire et d’Andrainarivo.

Mais, Ambohipotsy est devenue progressivement une nécropole, comme les autres cités royales et princières de l’Imerina.

Jadis fortement habitée par les descendants de Andrianifantsy et de Rafisaofana, et prospère comme en attestent les aménagements divers (aplanissements, arasements, terrassements, remblaiement) ainsi que  nous le relatons plus haut, Ambohipotsy est devenue au fil des ans la nécropole des seuls notables, la coutume princière  étant qu’à la place des habitations s’édifient les tombeaux au fur et à mesure que les habitants s’établirent dans les plaines environnantes à la faveur du retour à la paix civile et sociale à partir de la fin du XVIIIème siècle.

C’est ainsi également que, suivant un mouvement d’ensemble qui concernait tous les gens originaires des différents autres sites du territoire des Andriandranando comme ceux  des autres localités, ceux-ci se répartirent et se répandirent aux alentours pour peupler des bourgs importants comme Soamanandrariny, Ankerana, Ankadindramamy, Betsizaraina ou Mananjary, qui prirent progressivement un essor économique et social remarquable jusqu’à nos jours.

                                                                            Spécificités d’Ambohibe

A l’intérieur même des cités-sœurs que sont Manankasina et Ambohibe des caractéristiques semblables se trouvent réunies, avec cette différence que Ambohibe, contrairement aux deux autres sites, est toujours habité de nos jours, ce qui témoigne de sa grande vitalité historique, d’ailleurs attestée par les faits au XIXème siècle.

Car, avec l’abandon progressif des autres sites princiers d’Ambohimailala, résidence de l’aîné des fils de Andriandranando (le prince Andriantompoinandriana), de Manankasina et d’Ambohipotsy, certains notables Andriandranando issus des différentes branches claniques se sont regroupés à Ambohibe d’où sont originaires des dignitaires membres de la cour royale du Rova d’Antananarivo, notamment du temps du roi Radama II et de la reine Rasoherina.

De notoriété publique, le roi Radama II avait d’ailleurs pris pour favorite une native de Ambohibe, fort jolie et aimable que le roi aimait beaucoup…Certains autres notables Andriandranando membres de la cour royale étaient notamment originaires de Soamanandrariny, devenu dès le début du XIXème siècle la capitale des Andriandranando (Andriamihaingozaka fut l’un des derniers souverains de Soamanandrariny, et notre propre père, suivant une coutume ancestrale, reprit, en tant que fils aîné, le nom de Andriamihaingo à sa suite pour en perpétuer le nom, d’où le nom de Razafy-Andriamihaingo, « le fils du noble élégant »). 

De son vivant, le prince Andrianifantsy partagea sa résidence entre Manankasina et Ambohipotsy, mais il avait aussi ses droits sur Ambohibe, résidence principale du prince Andriankomahitsy son aîné, où il exerça de nombreuses activités. C’est pourquoi, selon les « Tanataran’Andriana », Andrianifantsy a sa sépulture à Ambohibe où il a donc établi sa dernière demeure au côté de son frère aîné.

Ce site d’Ambohibe, juché à 1459 mètres et paré de nombreux ficus, se trouve seulement à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de Mananakasina au nord-est. Ainsi, les sites d’Ambohibe, de Manankasina et d’Ambohipotsy forment-ils une même entité historique, et ils constituent aussi un ensemble géographique unique puisqu’ils se situent sur une même ligne de crêtes.

                      La préservation obligatoire d’un patrimoine unique pour un développement durable

Ainsi donc se résume l’histoire de cet ensemble de sites formés par Ambohibe-Mananakasina-Ambohipotsy, unis dans le passé comme pour le futur. On y ajoutera, bien sûr, Ambohimailala.

Ce qui nous donne l’occasion d’évoquer un autre lien indissociable de toutes ces collines dont le caractère sacré n’est plus à démontrer : l’orfèvrerie. Car, voilà un autre privilège qui caractérise les Andriandranando et dont la perpétuation de nos jours doit se confirmer, les trois frères issus du prince  Andriandranando héritant de ce dernier de la charge de la forge royale, un pendant par excellence de la tradition clanique du groupe pour l’art militaire, lequel était également gardien du talisman militaire « Rabehaza » depuis le règne de Andrianampoinimerina.

Or, de tradition l’art de la forge revenait à l’aîné Andrianampoinandriana pour ce qui concerne l’orfèvrerie à Ambohimailala, au second Andriankomahitsy lui revenait l’argenterie à Ambohibe, et au dernier Andrianifantsy était attribué la ferronnerie et le travail du fer à Ambohipotsy.

Incontestablement, pour la mémoire collective, cet ensemble mérite que des chantiers et des fouilles archéologiques soient ouverts, avec une sélection rigoureuse, afin de révéler et de confirmer au grand jour ses richesses au bénéfice d’une meilleure connaissance de notre passé.

Pour paraphraser une belle formule du Centre du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, reprise par l’ICCROM, l’organisation internationale en charge de la préservation des vestiges du passé à travers le monde, nous dirions et soulignerions que le patrimoine c’est un don du passé pour l’avenir !

En cela, c’est une « culture vivante » qui doit être préservée absolument car ce patrimoine renferme en lui ce que nous sommes en tant que dépositaires d’un héritage civilisationnel : au-delà de la richesse archéologique, ce sont des savoirs-faire et des techniques traditionnels (ferronnerie, orfèvrerie, marqueterie, tissage des lamba-landy et lambamena, etc…) dont certains continuent de façonner l’organisation sociale  et à influencer la production de certains biens, des références religieuses et spirituelles.

C’est pourquoi également, il importe qu’un périmètre de protection des sites soit imposé d’urgence dans les plans d’urbanisme car nul n’ignore que les appétits immobiliers et fonciers à caractère spéculatif  de certains les poussent à grignoter en amont des terrains (exemples frappants et criants à Ambohimailala, à Manankasina et à Ambohipotsy), menaçant ainsi de faire disparaître à très court terme les sites sacrés.

Les plans d’urbanisme sont faits pour être révisés là où les intérêts fondamentaux, comme ici, commandent qu’ils le soient. Les permis de construire peuvent être refusés quand des prescriptions et contraintes de divers ordres ne sont pas respectées. Des interdits doivent être prononcés toutes les fois où des sépultures sont menacées.

De plus, des spécialistes de disciplines historiques, archéologiques, sociologiques et des architectes chargés de la protection du patrimoine historique doivent pouvoir intervenir à tout moment pour alerter ou conseiller les pouvoirs publics. En tout état de cause, si les autorités compétentes n’assument pas leurs responsabilités, des recours juridiques existent pour atteindre les mêmes buts.

Tout ne doit pas être sacrifié sur l’autel de « nécessités » économico-sociales trop souvent montées en épingle.

Un site est avant tout un milieu de vie où s’imbriquent et se conjuguent  les composantes d’une civilisation. Il est donc absolument nécessaire de les concilier dans une planification intelligente et à laquelle puissent adhérer les uns et les autres. C’est tout le sens de la notion de « développement durable ».         

  Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

 

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et des illustrations


POST-SCRIPTUM

Chez les Malgaches, le caractère sacré autant que la vivacité des liens existant entre la vie et la mort, entre le monde d’ici bas la Terre et de là-haut le Ciel, sont indissociables (cf. notre article sur ce même blog intitulé « Art funéraire malgache, rite de vie et d’amour »).

Le rappeler aide à mesurer l’ignoble crime qui eut lieu début novembre 2006 à l’occasion de la fête de la Toussaint, et perpétré sur la sépulture de la famille Razafindramanana et à l’encontre de la mémoire de ceux qui y demeurent éternellement, là à Ambohipotsy. Mes propres parents y sont. 

Plainte avait naturellement été déposée auprès du Procureur de la République d’Antananarivo…sans suite donnée par ses services ! C’est plus que surprenant, mais porte malheureusement  la signature d’esprits obscurs en hauts-lieux qui entendent étouffer l’affaire…Chose « habituelle » en pareille affaire (car des profanations similaires se multiplient en d’autres lieux sacrés), et nous ne sommes ni dupes ni ignorants des « réalités » des moeurs politiques chez certains esprits malfaisants.

Car malheureusement, au-delà de ce cas et en ces temps de crise, l’abomination d’actes similaires, et plus graves encore puisqu’ils s’agit, ici d’incendies volontaires – comme celui du Rova d’Antananarivo en novembre 1995 – , là de vol et de trafic d’ossements, se poursuivent et se multiplient, dont sont victimes d’autres sépultures et la mémoire d’autres souverains, comme par exemple à Ambohimalaza ou ailleurs.

Et dans tous ces cas les machines policière et judiciaire sont singulièrement inefficaces…!

En tout cas,  à Ambohipotsy ou ailleurs, s’agissant de ces sites sacrés ainsi souillés, les mânes qui les habitent auront réservé – réservent ou réserveront – aux malfaisants criminels, c’est certain, les châtiments qu’ils méritaient, méritent et mériteront…

SITES SACRES DE AMBOHIBE-MANANKASINA-AMBOHIPOTSY

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« Tanindrazako » (jpra)

        SITES SACRES DE AMBOHIBE-MANANKASINA-AMBOHIPOTSY

 

Là où l’Histoire a mis sa marque, doit s’exercer la vigilance. Là où la mémoire des temps a laissé des traces, doivent être rappelés et conservés ses enseignements.

Là où s’est fixée une charge émotionnelle et sentimentale de toute une communauté, et a fortiori de toute une nation, il faut en conserver les preuves matérielles et les témoignages.

J’y ajoute en termes de charge émotionnelle et sentimentale que là, à Manankasina-Ambohipotsy, dans le tombeau réservé au clan des Razafindramanana, au sommet de la colline sacrée, reposent mes très chers et regrettés parents, ma mère, mon père, et depuis décembre 2021 mon grand-frère Gérard (ma grande-soeur Laurence, partie de Paris dans le Royaume Céleste le 16 novembre 2021 les rejoindra) , mais aussi depuis bien des années mes frères puînés, Hervé et Philippe, mes grands-parents, tantes et oncles paternels.

Si tout cela s’applique pleinement à la « Colline sacrée des souverains de Madagascar, le Rova d’Antananarivo », objet d’une série d’articles sur ce même Blog (cf. www.labodiplo.wordpress.com, archives d’octobre 2013), c’est également vrai des autres sites moins connus tels que ceux de l’ensemble  réunissant Ambohibe, Manankasina et Ambohipotsy dans les environs d’Antananarivo dans l’Avaradrano, car de ces derniers sont originaires les premiers souverains bâtisseurs de l’Imerina et, par la suite, de Madagascar.

                                                             Mythes, légendes et ancrages

Souvent la légende vient au secours de l’Histoire pour dénombrer et identifier les fameuses « douze collines » sacrées – qui seraient d’ailleurs au nombre de dix-huit, selon le professeur Pierre Vérin – , d’où étaient originaires les douze épouses du grand roi Andrianampoinimerina (cf. sur ce même site l’article intitulé « Les douze collines sacrées de l’Imerina » daté du 15/10/2017).

Ces collines s’érigent en des lieux quasiment mythiques en cette fin du XVIIIème siècle. Mais elles ne nous enseignent que très peu sur notre lointain passé, de cette époque antérieure à ce XVIIIème siècle fondateur de ce que sera plus tard Madagascar (cf. « réformateurs et modernisateurs de Madagascar », 2ème partie, archives d’octobre 2013, www.labodiplo.wordpress.com).

C’est que l’Histoire officielle conçue au XIXème siècle a fait de ces lieux des collines « mythiques » devant faire partie intégrante des mythes et légendes que souvent les peuples, comme à Athènes ou à Rome, se fabriquent et se donnent pour magnifier leur passé.

Pourtant, bien longtemps avant, à partir du XVème siècle, voire du XIVème, ce qui plus tard sera connu sous l’appellation générique « Imerina », a connu l’apogée successive de royaumes servis par des dynasties aujourd’hui quelque peu, mais volontairement, oubliées par ceux qui feignent de croire que l’histoire de Madagascar ne commence « réellement » qu’à partir de la fin du XVIIIème siècle avec l’avènement du roi Andrianampoinimerina.

Comme si, en France, pour mettre en valeur les Bourbon et les Orléanais on devait négliger les rois et reines qui ont fondé l’Histoire moderne de France à partir de l’Anjou (voir sur ce même blog l’article intitulé « les rois de France et leurs dynasties », daté du 4 août 2017), ou en Grande-Bretagne, on devait éclipser les Tudor ou les Stuart pour ne retenir que les Windsor. Or, bien sûr, ces dynasties anciennes sont venues œuvrer pour les générations suivantes et, sans doute, futures dans les siècles des siècles.

En Imerina, l’Histoire obéit au même phénomène dialectique.

Résumons-nous, sans toutefois remonter aux temps trop lointains des proto-malgaches.

Andrianamboniravina (fin du XIIIème siècle) est la première source dynastique royale communément connue, laquelle après les traditionnels rois mythiques et légendaires de la tradition des « Andriambaoka » (« souverains au milieu du peuple »), donne naissance aux deux branches issues de ses deux fils :

. d’une part, Andriampandrana, lignée aboutissant aux reines Rafohy et Rangita ;

. et d’autre part, Andriandranorana, lignée aboutissant au roi Andriamamilazabe et au prince Andriandranando.

A partir du XVème siècle, l’alliance matrimoniale de ces deux branches dynastiques va, par la suite, donner à l’Imerina ses souverains bâtisseurs, ce jusqu’au roi Andriantsimitiviaminandriana (début du XVIIIème siècle).

Ces souverains bâtisseurs sont : les reines Rafohy et Rangita (1520-1540) qui établirent leur capitale à Imerimanjaka avant que ne lui succède la cité d’Alasora avec le roi Andriamanelo (1540-1575), puis Ambohitrabiby avec le roi Ralambo (1575-1610), Antananarivo capitale des six rois successifs que sont Andrianjaka (1610-1630), Andriantsitakatrandriana (1630-1650), Andriantsimitoviaminandriandehibe (1650-1670), Razakatsitakatrandriana (1670-1675), Andriamasinavalona (1675-1710), Andrianjakanavalonamandimby (1710-1727) et, enfin, Ambohimanga capitale du roi Andriantsimitoviaminandriana (1710-1730).

Puis, à partir du milieu du XVIIIème siècle, une autre branche dynastique naît, issue du prince Andrianambonimerina et de la princesse Rangorinimerina (tante du roi Andriantsimitoviaminandriana) qui, de sous-branche en sous-branche, va donner à l’Imerina et à Madagascar unifié leurs souverains successifs, ce jusqu’à la dernière reine Ranavalona III (fin du XIXème siècle).

Mais Ranavalona III ne laissera aucune descendance directe, seuls les collatéraux viennent à sa suite.

La boucle est ainsi bouclée, et rappelle déjà combien étaient imbriqués les faits et gestes de ces souverains, tous issus d’une même grande famille, d’une seule racine commune portée, renforcée et perpétuée à la source par les Andrianteloray selon la volonté des premiers souverains bâtisseurs de l’Imerina à partir des XVIème et XVIIème siècles : celle des Andriana.

                                                                   Un passé et des lieux à revisiter

Ainsi unis par des liens de sang si étroits, ces souverains évoluaient dans un périmètre relativement restreint au départ mais riche, délimité et protégé par les monts Andringitra au nord, Angavo à l’est, Ambohijoky au sud, soit une largeur d’une cinquantaine de kilomètres d’est en ouest, et long d’environ quatre-vingt-dix kilomètres du nord au sud, le tout étant traversé par les fleuves Mamba au nord, Ikopa au centre, Sisaony et Andromba au sud.

Et, en dehors des capitales successives citées plus haut s’ajoutent d’autres lieux, chefs-lieux de dèmes importants de l’Avaradrano que sont par exemple Ambohidratrimo au nord-ouest, Ambohimalaza à l’est, Ambohimanambola au sud-est, Ambohimailala, Ambohibe, Manankasina et Ambohipotsy au nord-est.   

Ce sont ces trois derniers sites, en réalité jumeaux, qui attirent notre attention et dont voici l’historique.

Le site de Manankasina, institué par le roi Ralambo (1575-1610) et consacré par le roi Andriamasinavalona cent ans après (1675-1710) en érigeant comme lieu sacré l’étang de Manankasina (appelé aussi « lac d’Ambodiakondro »), se trouve sur le territoire ancestral des princes Andriandranando, et en particulier sur celui du prince Andrianifantsy, fils cadet de Andriandranando.

Le « Tantaran’Andriana » du R.V Callet et le « Tantaran’Andrianteloray » du Gouverneur principal Pierre Razafimbelo nous enseignent que Andrianifantsy avait pris pour épouse une Dame Ravolana, de la lignée des Andriantompokoindrindra.

Mais par la suite, à la faveur de la montée sur le trône du roi Andriantsitakatandriana en 1630, le prince Andrianifantsy, parvenu à un âge avancé et étant dans le plein respect de la coutume, décida de prendre une seconde épouse beaucoup plus jeune que lui en la personne de la princesse Rafisaofana, sœur du roi Andriantsitakatandriana, cela afin de s’assurer une nombreuse et vigoureuse progéniture, de même que pour assurer à la Maison des Andriandranando, grâce à sa lignée, sa position privilégiée dans la hiérarchie nobiliaire.

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« Ambohipotsy » – Acrylique – JPRA – Le site sacré d’Ambohipotsy à gauche, surmontée du tombeau de la famille Razafindramanana, voit sur son versant sud-ouest, le Rova d’Antananarivo par une vue directe et inédite sous un ciel léger balayé par une douce brise matinale que vient rythmer un voile de lamba.


Rafisaofana fut une princesse pleine de vie et de sentiments profonds. Mais, elle était également très exigeante. Il se trouvait également que le roi Andriantsitakatandriana avait lui-même pour épouse principale la princesse Ravolontsimitovy, propre fille du prince Andrianifantsy de son premier mariage et, donc belle-sœur de sa seconde femme Rafisaofana… ! Ainsi, familialement enserré et étant donné le caractère trempé de sa jeune seconde épouse, Andrianifantsy ne pouvait que céder à toutes les exigences de celle-ci.

De fait, elle exigea et obtint d’avoir sa propre résidence, distincte de celle où résidait déjà Ravolana à Manankasina ! Son époux Andrianifantsy lui offrit donc de s’établir sur cette colline voisine à l’extrême sud, aussitôt baptisée par elle et sans hésitation « Ambohipotsy », dont le sommet culmine à 1445 mètres d’altitude, c’est-à-dire aussi haute que la colline sacrée visible à l’œil nu où est installé, à environ sept kilomètres à vol d’oiseau au sud-ouest, le Rova d’Antananarivo.   

C’est à dessein que Rafisaofana choisit ce nom d’Ambohipotsy, étroitement lié à l’histoire même d’Antananarivo.

Pour ainsi dire, les sites d’Ambohipotsy-Antananarivo et d’Ambohipotsy-Manankasina ont, tout au moins à l’origine, des histoires parallèles. Dès le XVIème siècle Ambohpotsy-Antananarivo, qui se trouve également côté extrême sud, fut un  site d’habitation, en particulier pourvu de nombreux ficus (symbole de souveraineté) et de manda (murs de pierres sèches). Ce site était la résidence du prince Andrianentoarivo, frère aîné du roi Andriantsitakatandriana, donc également frère aîné, mais déjà assez âgé, de la princesse Rafisaofana, épouse du prince Andrianifantsy.

A cette époque, et avant que le site voisin de Manankasina ne reçoive le nom d’ « Ambohipotsy » (« la colline blanche »), les lieux étaient déjà habités, semble-t-il dès le XVème siècle ou tout début du XVIème siècle, comme l’atteste la présence de sépultures individuelles basses en sarcophage de dalles de pierres verticales (référence à la description Lebras, 1971) ou de tombeaux en forme de tumulus qui sont aujourd’hui encore visibles. 

L’affection réciproque qui liait Andrianentoarivo et Rafisaofana était telle que cette dernière alla donc jusqu’à baptiser sa nouvelle résidence du même nom que celle de son frère.C’était aussi pour la fratrie une manière de lier étroitement leur destin, la sœur n’hésitant pas à demander secours à son frère en cas de nécessité ou d’agression venant de peuplades voisines (essentiellement Bezanozano et les brigands Fahavalo) et le frère demandant à celle-ci de renforcer et de consolider, comme lui-même le fit chez lui, l’autonomie de sa résidence, notamment par des ouvrages de défense et par la culture (notamment de manioc) et l’élevage de bovins.

C’est ainsi que rapidement, Ambohipotys-Manankasina prit une importance telle que le nom d’Ambohipotsy s’imposa définitivement et se détacha de celui de Manankasina, bien qu’en termes de dème les deux collines, fiefs du prince Andrianifantsy, fassent partie d’un même ensemble territorial.

(A suivre: 2ème partie)

                                                                        Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

 


Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations ————————————————-

POST-SCRIPTUM

Je me dois ici, pour la mémoire des lieux, celles de mes parents et aïeux, qui demeurent à jamais à Ambohipotsy-Manankasina, de dénoncer, de condamner, avec la plus grande fermeté dans l’opprobre à l’encontre de ceux  qui l’ont commis, ce crime abominable de saccager en 2006 notre tombeau, ce pour des motifs dont je n’ignore pas l’origine politique.

Malgré une plainte en bonne et due forme, et pleinement motivée, auprès du procureur de la République, aucune poursuite n’avait jamais été diligentée, démontrant ainsi, au-delà de l’impéritie coupable, une volonté de nuire.

Ainsi va depuis trop d’années Madagascar sous le joug de certains dirigeants, d’aucuns n’ignorant  que jusqu’à présent les pratiques criminelles consistant en des vols d’ossements, en de multiples profanations de sépultures royales ou princières et autres saccages et insultes à la mémoire de défuntes personnalités, non seulement perdurent mais se multiplient sans qu’aucun acte policier ou judiciaire significatif  soit mené avec la volonté requise.

Ceci constitue incontestablement le signe symptomatique d’une déliquescence inquiétante des structures mentales chez ceux qui, à quelque fonction de responsabilité qu’ils exercent, prétendent diriger le pays, et d’un peuple à la dérive. 

Puissent-ils seulement en être conscients et s’en relever…pour ne pas en dire davantage sur eux ni leur souhaiter plus qu’ils ne méritent…

JPRA

OPTIMISER LA DEMOCRATIE (Dernière partie) – CONCLUSION GENERALE

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« Floraison démocratique » (jpra)

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        OPTIMISER LA DEMOCRATIE (8ème PARTIE) – CONCLUSION GENERALE

Nous sommes arrivés au terme de nos développements.

La question est, certes, très loin d’être épuisée, et paradoxalement c’est plutôt bon signe, la Démocratie étant une construction sans cesse à affiner, quelque fois à renouveler et donc, en toute hypothèse et en tout état de cause, à optimiser selon les époques, les lieux, l’instant et le cas d’espèce.

Ainsi, assurément d’autres expériences que celles retenues (le Japon, la Chine et l’espace francophone) auraient mérité qu’on s’y intéresse.

Mais, elles correspondent à notre propre connaissance, nécessairement limitée .

Or, il se trouve aussi, certainement simple coïncidence de notre part, que le Japon et la Chine combinent un triple enseignement faisant se conjuguer leurs traditions propres avec les acquis de la Common Law et ceux de la tradition légaliste romano-germanique, tandis que les pays faisant partie de l’espace francophone ne misent que sur cette dernière tradition.

                                         Et la Common law en tant que telle ?

Il y a là donc un paysage démocratique englobant des visions complémentaires.

Mais précisément, pour être complet et plus approfondi dans l’étude de la question de l’ « optimisation de la Démocratie », nous convenons bien volontiers qu’il aurait certainement fallu ajouter des expériences issues de la « pure » tradition anglo-saxonne de la Common Law.

Or, cette tradition se caractérise principalement par la jurisprudence – et dès fois même, par un simple « précédent » résultant de la décision isolée d’un juge –  conçue comme étant la source principale du Droit, dans l’ensemble la Loi et tout le processus la précédant n’étant que secondaire.

Ceci peut poser problèmes.

En particulier au niveau des juridictions internationales « sui generis » comme celles du domaine pénal (Cour pénale internationale, tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie, pour le Rwanda ou pour la Côte d’Ivoire).

En effet, ces juridictions sont généralement créées selon la tradition de la Common law hors de toute référence textuelle préexistante, et leurs règles statutaires et de fonctionnement donnent généralement un pouvoir immense à la présidence du tribunal, au parquet et au greffe, au résultat de quoi ce sont ces trois piliers qui régissent les règles procédurales, le parent pauvre étant la défense, dont le rôle n’est reconnu que partiellement.

Sur le plan des institutions internes aux pays, on aurait pourtant tort de considérer qu’un tel primat à la jurisprudence et au « précédent » induit ce que nous appellerions un « gouvernement des juges ».

Les deux domaines juridictionnel et gouvernemental ne s’interpénètrent que très rarement.

Car, la prééminence des juridictions n’aboutit pas à sa suprématie par rapport à la Loi ; tout simplement, la répartition attributive apparaît singulièrement plus claire et la Loi garde sa valeur normative en ne régissant pas tout jusqu’à générer une inflation législative qui confine quelque fois la loi aux frontières de la réglementation technique.

Par contre, l’expérience du Japon, qui combine au niveau institutionnel les acquis de la Common law à l’américaine et ceux à l’anglaise, montre que si certains textes de valeur pourtant légale (« guidelines » et autres directives), ne ressortissent pas de la compétence législative, c’est parce qu’ils sont constitutionnellement (acquis romano-germanique) du domaine règlementaire attribué à des « Agences » gouvernementales de type américain…

Toutes ces remarques – et d’autres qui ne sont pas évoquées ici – mériteraient donc qu’un débat s’ouvre.

                                 Quelles inspirations pour les expressions du Droit ?

Toutes ces expériences diversifiées montrent en tout cas à quel point le Droit et les institutions s’imbriquent étroitement avec les réalités socio-économiques et culturelles, mais elles démontrent aussi combien il convient de revaloriser le Droit, non seulement dans ses fonctions normatives et organisationnelles, mais également dans son rôle promotionnel des valeurs de civilisation d’un pays et de la communauté des nations.

Rappelons alors la question centrale : qu’est-ce qui, en tout état de cause, doit être à la base des inspirations et des expressions du Droit dans des pays aux traditions juridiques si différentes ?

Assurément, ce sont :

. les « immortels principes » de 1789 qui enfantèrent les « droits de l’Homme » ;

. la prééminence donnée au droit positif ;

. le développement des droits subjectifs ;

. la codification ;

. la hiérarchie des normes ;

. l’Etat, personnification de la Nation, qui se couple avec une certaine idée « socialisante » de la notion d’ordre public.

Toutes ces exigences sont à rapprocher de la notion plus libérale donnée par l’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui dispose : « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ».

Ce sont là le « noyau dur » d’une certaine conception du Droit de type normatif et organisationnel, dont les différents pays s’inspirent et à partir de laquelle ils peuvent développer des expressions nouvelles du Droit en fonction de leurs propres traditions spécifiques.

Mais force est de constater que dans le contexte actuel, et si l’on considère l’un des piliers de la « mondialisation », c’est-à-dire la « loi du marché », qui n’est que l’habillage d’un état de fait, qu’en d’autres termes et en d’autres lieux, ou dans certains domaines, le Droit a pu lui-même consacrer et consacre encore malheureusement, nous ne sommes pas dans le bon sens du progrès.

Ainsi donc, s’il est vrai qu’on s’alimente aux mêmes sources, l’expression même du Droit par contre peut être – et, de plus en plus, doit être – différente, voire créative, car malgré tout le Droit faisant partie des sciences humaines, il doit obéir à la fertilité de l’esprit.

Ce, même si beaucoup de pays ont connu un processus similaire : partis de traditions propres, ils s’inspirent par la suite d’une tradition juridique dominante (germanique, française, anglo-saxonne).

Ainsi, la notion même de Diversité, synonyme d’Art, dans l’expression du Droit, devient dès lors primordiale.

Elle conduit naturellement à un pluralisme salutaire, expression ici d’un système complexe dont il faut cependant toujours travailler la cohérence interne, sinon c’est la porte ouverte à la pagaille.

                                                                     Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Ce texte est un résumé d’une conférence que j’ai prononcée dans le cadre de la délégation de l’UNESCO lors du 1er Forum Social de Porto Alegre (Brésil), janvier 2001, séminaire sur « Démocratie et gouvernance mondiale, les défis du XXIème siècle ».

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Reproduction, même partielle, interdite.

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OPTIMISER LA DEMOCRATIE (7ème PARTIE) – LA FRANCOPHONIE (2)

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« Jacarandas du Lac d’Anosy » – Aquarelle exécutée en remerciement au Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophoniue et aux Représentants des pays membres à l’occasion de l’adoption, en novembre 2005, de la nouvelle Charte de la Francophonie à Antananarivo – (jpra) –

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      OPTIMISER LA DEMOCRATIE (7ème partie) – LA FRANCOPHONIE (2)

Nos développements s’opèrent essentiellement sous l’angle de l’introduction  des principes généraux du Droit dans l’ordonnancement juridique, avec leurs implications dans le système institutionnel et dans les différentes branches du Droit, mais également à travers la notion même de « hiérarchie des normes », ce qui se traduit notamment au niveau du degré actuel de l’état de droit (avec un petit « e » pour envisager  la notion sous l’angle de  la quotidienneté).  

On a observé dans notre livraison précédente que les pays francophones, regroupés au sein du mouvement de la Francophonie, développent autant d’espaces de vie que de thématiques attachées au développement et à la promotion du Droit et de la Démocratie.

En effet, à travers l’opérateur principal qu’est maintenant l’Organisation Internationale de la Francophonie, née à la suite de l’adoption à Antananarivo en novembre 2005 de la nouvelle Charte de la Francophonie, ces pays se sont lancés depuis le début des années 1990 dans une dynamique qui, bien que récente, est à bien des égards plein d’enseignements.

                                                      LA DYNAMIQUE FRANCOPHONE (2)  

Après la réaffirmation du respect des droits fondamentaux, de la nécessité du renforcement de l’Etat de droit, de la consolidation de la démocratie et de leur lien avec le développement économique et social, les ministres de la Justice des pays francophones réunis au Caire du 30 octobre au 1er novembre 1995 avaient solennellement pris un certain nombre d’engagements pour l’indépendance de la Magistrature ; pour une Justice efficace (notion nouvelle), garante de l’Etat de droit ; pour le respect des droits fondamentaux de l’Homme ; et pour une Justice facteur de développement.

La mise en œuvre de ces engagements a donné lieu à l’adoption d’un Plan d’action connu sous l’intitulé « Droit au service du développement et de la démocratie », avec une philosophie de gestion et de mise en œuvre de ce Plan d’action obéissant à neuf principes que nous rappelions dans notre précédente livraison (« La dynamique francophone (1), et par la suite un questionnaire avait été adressé aux Etats par l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie visant à obtenir de ceux-ci un état des lieux relativement à l’accès : à la Justice ; aux institutions et mécanismes contribuant à la consolidation de l’Etat de droit ; à la protection des droits de l’Homme en matière de Justice ; et à l’indépendance, aux droits et aux obligations des magistrats.

                                                               Un état des lieux contrasté

Les réponses des Etats ont permis de mettre en exergue différents thèmes majeurs, classés par rubriques, et à partir desquels il a été possible d’évaluer des résultats atteints pour chaque pays et par comparaison entre pays.

Ainsi, les rubriques suivantes ont été définies :

          s’agissant de l’accès à la Justice :

. fonctionnement du système judiciaire et coût de la Justice pour le justiciable ;

. accueil des justiciables, traitement des victimes et des témoins ;

. égalité devant la Justice ;

. règlement extra-judiciaire des litiges ;

. connaissance du Droit ;

. compréhension du Droit et des droits.

          s’agissant des institutions  et mécanismes contribuant à la consolidation de l’Etat de droit :

. primauté du Droit ;

. contrôle de constitutionnalité des lois ;

. contrôle de la légalité des actes de l’administration.

          s’agissant de l’indépendance, des droits et obligations des magistrats :

. recrutement et formation des magistrats ;

. information et documentation ;

. indépendance des magistrats ;

. droits, devoirs et responsabilité des magistrats.

D’une façon générale, les Etats sont parvenus à des résultats qui répondent, pour une grande part, aux initiatives qu’ils ont eux-mêmes prises à l’occasion des différents réunions et sommets précédents. D’autre part, ils préfigurent les décisions qui seront reprises par la suite dans le Plan d’action 1996-2000.

Dans la cadre de l’application de ce Plan et pour le bienium 1996-1997 l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie avait insisté auprès des Etats afin qu’ils accélèrent le rythme de leurs efforts dans les domaines suivants, et en y prenant elle-même part, en particulier par des missions expertales et des appuis techniques :

. modernisation de la Justice ;

. diffusion du Droit ;

. lien entre l’Etat de droit et l’économie ;

. promotion des droits de l’Homme ;

. appui aux processus électoraux ;

. prévention des conflits et appui à la Paix ;

. traitement des situations d’urgence ;

. coopération interparlementaire.

                                                       Des évolutions notables – Et la Défense ?

En ces matières, des évolutions notables ont été enregistrées, et d’une façon générale on peut en faire les remarques suivantes :

. le souci d’une indépendance renforcée de la magistrature a conduit les Etats à accomplir des progrès réels tant au niveau de l’affirmation du principe que de ses garanties ;

. sur la nécessité d’une Justice accessible et efficace, les Etats ont pris certaines dispositions mais qui, dans les Etats du Sud, demeurent fortement dépendantes de leur capacité financière ;

. les acquis de la République et de la Démocratie (primauté du Droit, reconnaissance des droits fondamentaux et leur protection par des institutions et des mécanismes juridictionnels appropriés, Etat de droit, adhésion aux valeurs démocratiques, souveraineté du peuple) étant assurés dans leurs principes, une des tâches prioritaires qui s’impose aux Etats est celle d’instituer des mécanismes spécifiques et efficients de protection de l’Etat de droit et des droits de l’Homme ;

. en ce qui concerne la nécessaire promotion de l’Etat de droit au quotidien (l’ « état de droit », avec un petit « e »), toute la problématique est d’intérioriser les valeurs proclamées et les mécanismes induits, de sorte qu’ils ne soient pas que des constructions purement juridiques ou intellectuelles et dénuées de sens pratiques ;

. l’acquisition d’une expertise juridique suffisante, en particulier en matière économique, du droit des affaires et du droit appliqué à la technologie avancée a été souligné, ceci afin de permettre aux pays du Sud notamment d’élaborer en toute indépendance leurs législations, ainsi que d’être en meilleure position de participer activement aux négociations internationales spécialisées et de négocier et de conclure des accords internationaux en la matière ;

. des efforts sont en cours afin d’adapter le droit économique en vue de favoriser la création d’un environnement juridique sécurisant pour la promotion des investissements dans le respect du principe de la liberté contractuelle.

Mais, à tout ceci manque une dimension essentielle : la Défense. Qu’en est-il ?

Car, une Justice indépendante et forte, accessible et efficace, a certainement besoin d’un Barreau fort, ce qui d’ailleurs fut souligné dans la Déclaration de Bamako de novembre 2000, laquelle fait suite à un Colloque international ayant réuni dans la capitale malienne les Etats francophones et des organisations internationales.

C’est certainement et assurément là un des axes d’action à privilégier pour le présent et pour l’avenir dans les pays en développement du mouvement francophone. Il s’agit aussi, ainsi que s’y sont engagés les Etats dans cette Déclaration de Bamako de :

. développer l’esprit de tolérance et promouvoir la culture démocratique dans toutes ses dimensions, afin de sensibiliser tous les responsables publics, l’ensemble des acteurs de la vie politique et tous les citoyens aux exigences éthiques de la Démocratie et des droits de l’Homme ;

. et de favoriser, à cet effet, l’émergence de nouveaux partenariats entre initiatives publiques et privées, mobilisant tous les acteurs engagés pour la Démocratie et les droits de l’Homme.

La dynamique francophone est maintenant dans sa phase de vitesse de croisière dans toutes les matières évoquées dans cet aperçu général.        

                                                                                          

                                                                               Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Avocat honoraire au Barreau de Paris, ancien Représentant personnel du Président de la République de Madagascar auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie et membre de son Conseil permanent, Expert international en Promotion de la Démocratie et de la Bonne gouvernance.

                                                                                                (Reproduction, même partielle, interdite)

 

 

NOEL 2013-AN NOUVEAU 2014

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Mankasitraka, Tsodrano ho any Krismasy sy ny Taona vaovao !

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                          NOEL 2013-NOUVELLE ANNEE 2014

 

Le Chrétien que nous sommes avons longtemps hésité avant finalement de consacrer à l’agréable rite traditionnel des vœux pour ce Noël  2013 qui se présente et pour ce Nouvel An 2014 qui se profile.

Car, au-delà de la joie de la célébration familiale de la Nativité et des réjouissances que procure la venue de l’Année Nouvelle, et malgré l’espoir formulé récemment (cf. sur cemême Blog les articles « Sursaut pour une ère nouvelle» du 18/11/2013, « Un nouveau chapitre de notre Histoire » du 13/12/2013, et « L’épilogue » du 17/12/2013), nous ne pouvons pas feindre d’ignorer la perspective de moments d’angoisses renouvelées auxquels nos compatriotes Malgaches sont à nouveau confrontés avec des lendemains d’élections de tous les dangers que nous supputions (cf. sur ce même Blog les articles « Madagascar, l’élection de tous les dangers » du 22/10/2013, « L’enjeu malgache » du 27/10/2013, « Madagascar, pour une nouvelle relationnelle internationale » du 2/11/2013).

Or :

–  chacun doit savoir que la sincérité de l’expression du vote populaire malgache a été broyée et trompée par une machine électorale déjà viciée et verrouillée à la base, vainement dénoncée par tous les démocrates du pays mais tolérée par diverses déclarations lénifiantes d’une communauté internationale seulement prompte à en terminer coûte que coûte avec ce qu’elle considère, avec une certaine condescendance,  comme étant une « crise malgache qui n’a que trop durée » ;

–  chacun doit savoir également combien sont inquiétantes les marques patentes des pratiques répressives renouvelées,  qui sont le fait récurrents des autorités en place, qui ont toujours visé tous ceux qui manifestent leur opposition et qui vont inévitablement reprendre de leur vigueur. Car, qui oserait prétendre – à moins d’un miracle bienvenu ! – que ceux qui ont pour culture de fausser la démocratie et fouler au pied les droits fondamentaux se reconvertiraient soudainement dans la religion contraire par la grâce d’élections réduites à un jeu de dupes ?  

–  enfin, à moins que ce peuple malgache ait été subitement atteint ce 20 décembre 2013 d’une grave propension à se saborder et qu’il soit devenu un adepte forcené du masochisme, il est humainement impossible qu’après avoir subi pendant près de cinq années les affres d’une dictature rampante qui lui a offert la misère et l’a relégué au rang de la population qui s’est le plus appauvrie sur cette planète (cf. récent propos du Représentant de la Banque Mondiale), il ait librement voté pour celui qui pourtant fut l’argentier de ce régime honni et qui fut ouvertement soutenu lors de la campagne électorale par l’initiateur du coup d’Etat de mars 2009.

Par conséquent, du haut de ses déclarations lénifiantes d’observateur international prompt à fermer les yeux sur les évidentes réalités de fraudes multiformes et massives dûment révélées, la communauté internationale ferait mieux de prendre plus au sérieux son rôle et d’assumer sa part de responsabilité. Car, c’est à son initiative et sous son égide que tout cela se produit à la suite de l’adoption au forceps d’une Feuille de Route dont d’ailleurs aucune des dispositions pertinentes n’a jamais été appliquée, et ce en dépit du déploiement d’une armée d’observateurs dont on se demande à quels exercices d’observation ils se sont adonnés.

« Frau omnia corrumpit », dit l’adage qui réclame restitution et réparation, et qui est aussi un principe juridique universel.

En effet, puisque les fraudes ont tout corrompu, il est du devoir de tous, à commencer par celui des autorités chargées du contrôle et du contentieux électoraux comme par celui de la communauté internationale, de tout mettre en œuvre, et de toute urgence, selon la part de responsabilité attributive de chacune, pour remettre réellement en selle l’ordre constitutionnel tant prôné, pour restituer à l’expression du choix populaire sa vraie valeur, et pour restituer leur place au Droit et à l’éthique, en attribuant à qui de droit sa victoire.  

Alors oui !, après cette forme de plaidoyer, et non sans amertume ni intrication, mais en nous armant délibérément d’optimisme, de confiance – et assurément, de respect – , et en pensant en tout cas à l’espérance des uns et des autres, nous adressons maintenant très volontiers à tous, et en particulier à nos amis démocrates de Madagascar et d’ailleurs, nos meilleurs vœux de Bonheur, de Prospérité, de Santé et de Succès,

ce avec Abondance !

                                                                Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

 

  

OPTIMISER LA DEMOCRATIE (6ème PARTIE) – LA FRANCOPHONIE (1)

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« Jacarandas du Lac d’Anosy » – Aquarelle exécutée en remerciement au Secrétaire Général de l’OIF et aux représentants des pays membres à la suite de l’adoption à Antananarivo en novembre 2005 de la nouvelle Charte de la Francophonie – (jpra)


 

 

              OPTIMISER LA DEMOCRATIE (6ème partie) – LA FRANCOPHONIE (1)

 

Dans nos précédentes  livraisons sur ce même Blog, nous évoquions « La voie démocratique du Japon » et  « La Chine et ses défis », en consacrant essentiellement nos développements sous l’angle de l’introduction  des principes généraux du Droit dans l’ordonnancement juridique, avec leurs implications dans le système institutionnel et dans les différentes branches du Droit, mais également à travers la notion même de « hiérarchie des normes », ce qui se traduit notamment au niveau du degré actuel de l’état de droit (avec un petit « e » pour envisager  la notion sous l’angle de  la quotidienneté).  

Poursuivons la discussion en analysant ce que l’espace juridique francophone offre en ces matières.

Or, on observe que les pays francophones, regroupés au sein du mouvement de la Francophonie, développent autant d’espaces de vie que de thématiques civilisationnelles dont celles attachées au développement et à la promotion du Droit et de la Démocratie.

En effet, à travers l’opérateur principal qu’est l’Organisation Internationale de la Francophonie, ils se sont lancés depuis le début des années 1990 dans une dynamique qui, bien que récente, est à bien des égards plein d’enseignements.

                                                    LA DYNAMIQUE FRANCOPHONE (1)

Dans cette grande famille de près d’une soixantaine de membres à l’heure actuelle, où se retrouvent des pays aux traditions très diverses et aux niveaux de développement non moins contrastés, chacun apporte et reçoit selon ses possibilités et dispositions, mais la dynamique recherchée se traduit avant tout par des prises de décision par consensus, par l’engagement subséquent de chaque Etat de mettre en œuvre ces décisions dans un mouvement d’ensemble, ainsi que par la mise en place d’un système d’entr’aide et de coopération.

                                                             Les actes fondateurs

Dans cet esprit, un processus a été engagé, s’articulant autour d’une série d’initiatives qui engagent les Etats dans un engrenage démocratique de plus en plus fort dont on rappellera les actes fondateurs: 

1.        Les deux conférences des ministres de la Justice tenues à Paris en 1980 et en 1989 ont dégagé des principes permanents : elles ont mis l’accent sur les problèmes d’accès à la Justice et sur la formation et l’information des magistrats. Et, dans son communiqué final, la deuxième conférence a souligné l’importance de la notion d’ « Etat de droit » dans l’organisation politique des Etats, imposant ainsi l’existence d’une Justice forte et indépendante.

2.        Les trois sommets des chefs d’Etat et de Gouvernement de Dakar (1989), du Palais de Chaillot à Paris (1991) et de Maurice (1993) ont pris un certain nombre de décisions fondamentales :  

          la Résolution n°6 du Sommet de Dakar sur les droits fondamentaux de l’Homme affirme que l’épanouissement et la dignité humaine, comme le respect des droits de la personne, sont une inspiration commune et sont devenus des objectifs fondamentaux pour l’ensemble de la communauté internationale ;

          à ce même Sommet de Dakar il a été décidé d’engager une coopération multilatérale francophone en matière juridique et judiciaire, dont la mise en œuvre était confiée à l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie, devenue depuis l’adoption de la nouvelle charte de la Francophonie (dite « Charte d’Antananarivo » en novembre 2005) l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF);

          au Sommet du Palais de Chaillot, les chefs d’Etat et de Gouvernement ont proclamé leur attachement à une plus grande participation des peuples à leur développement par le libre exercice des libertés fondamentales et l’avènement de l’Etat de droit, et ont pris l’engagement de faire avancer le processus démocratique et décidé de développer des programmes appropriés dans ce sens ;

          enfin, au Sommet de Maurice on relèvera en particulier la Résolution n° 3 sur l’Afrique, proclamant qu’il n’y a pas de démocratie sans développement économique ni de véritable développement durable sans démocratie.

Pour leur part, les actes du Colloque international tenu à Cotonou en septembre 1991 et organisé par l’Agence de la Francophonie soulignent que la proclamation de l’Etat de droit et l’instauration d’un régime légal ne suffisent pas à l’établissement réel de l’Etat de droit et que sa traduction dans les faits et dans la vie quotidienne dépend du bon fonctionnement des institutions politiques, administratives, judiciaires et universitaires ainsi que du développement de la vie associative et des médias (c’est ce que nous qualifierons par la notion d’ « état de droit », avec un petit « e », pour bien marquer les caractères factuels de quotidienneté, d’effectivité et de proximité de l’Etat de droit).   

                             Les applications : le Droit au service du Développement et de la Démocratie

C’est ainsi que réunis à Dakar les 22 et 23 juillet 1993, les ministres francophones chargés de l’Enfance ont adopté un « Plan d’action francophone pour l’Enfant », essentiellement consacré à la promotion et à la protection des droits de l’Enfant.   

Tous ces actes ont été pris au moyen de la réaffirmation de l’attachement de la communauté francophone :

. aux « principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature » adoptés par le 7ème Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Milan en 1985 ;

. à la « Convention internationale sur les droits de l’Enfant » adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 ;

. à la « Déclaration et au programme d’action », adoptés à Vienne le 25 juin 1993 par la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme ;

. à la « Déclaration de la Conférence mondiale sur la population et le développement » adoptée au Caire en 1994 ;

. à la « Déclaration et au programme d’action » adoptés au Sommet mondial pour le développement social tenue à Copenhague en 1995 ;

. aux « Conclusions » du 9ème Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants ;

. et à la « Déclaration » des Nations Unies d’octobre 1995 sur les droits de l’Homme.

Après la réaffirmation du respect des droits fondamentaux, de la nécessité du renforcement de l’Etat de droit, de la consolidation de la démocratie et de leur lien avec le développement économique et social, les ministres de la Justice réunis au Caire du 30 octobre au 1er novembre 1995 ont solennellement pris un certain nombre d’engagements résumés en quatre axes :

. pour l’indépendance de la Magistrature ;

. pour une Justice efficace (notion nouvelle), garante de l’Etat de droit ;

. pour le respect des droits fondamentaux de l’Homme ;

. pour une Justice facteur de développement.

La mise en œuvre de ces engagements a donné lieu à l’adoption d’un Plan d’action connu sous l’intitulé « Droit au service du développement et de la démocratie ».

La philosophie de gestion et de mise en œuvre de ce Plan d’action obéit aux neuf principes suivants :

. engagement des Etats par l’élaboration de plans nationaux ou régionaux et par la contractualisation des relations de coopération ;

. consolidation des actions en cours par leur rationalisation et le renforcement de la synergie entre elles ;

. renforcement du partenariat avec les organismes francophones et avec les autres organisations internationales gouvernementales ou professionnelles ;

. coordination de l’ensemble des actions de coopération, qu’elles soient multilatérales ou bilatérales ;

. promotion des mécanismes propres à générer de nouvelles formes de solidarité ;

. systémisation de la préparation de chaque projet selon une méthode fondée en particulier sur l’identification des besoins déterminés sur la base des réponses aux questionnaires adressés aux Etats par l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie (aujourd’hui Organisation Internationale de la Francophonie) ;

. l’examen des moyens humains, matériels et financiers nécessaires à la réalisation des projets conçus ;

. la définition des critères et des schémas de réalisation de chaque projet ;

. et l’obligation de procéder à l’évaluation et au suivi des résultats atteints, au terme de la mise en œuvre de chaque programme.

De fait, le questionnaire adressé en son temps aux Etats par l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie visait à obtenir de ceux-ci un état des lieux relativement :

. à l’accès à la Justice ;

. aux institutions et mécanismes contribuant à la consolidation de l’Etat de droit ;

. à la protection des droits de l’Homme en matière de Justice ;

. et à l’indépendance, aux droits et aux obligations des magistrats.

(A suivre)                                                                                                            

                                                                               Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Avocat honoraire au Barreau de Paris, ancien Représentant personnel du Président de la République de Madagascar auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie et membre de son Conseil permanent, Ancien Ambassadeur, Expert international en Promotion de la Démocratie et de la Bonne gouvernance.

                                                      –   Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations  –

 

 

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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OPTIMISER LA DEMOCRATIE (5ème PARTIE) – LA CHINE (2)

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« Xinghua 2 » (jpra)


                                          OPTIMISER LA DEMOCRATIE (5ème partie) – LA CHINE (2)

Dans notre livraison du 3 décembre 2013 sur ce même Blog, nous évoquions « La Chine et ses défis », consacrée essentiellement à l’introduction  des principes généraux du Droit dans l’ordonnancement juridique chinois, avec leurs implications mesurées dans le système institutionnel et dans les différentes branches du Droit.

La notion même de « hiérarchie des normes » étant ainsi incorporée, ce qui se traduit notamment au niveau du pouvoir exécutif (voir sur ce même Blog l’article « Le pouvoir exécutif en Chine », www.labodiplo.wordpress.com du 4 octobre 2013, archives d’octobre 2013) par une timide et théorique distribution des compétences, il est intéressant d’évaluer le degré actuel de l’état de droit (avec un petit « e » pour envisager  la notion sous l’angle de  la quotidienneté) dans la Chine d’aujourd’hui, sachant que mine de rien ce vaste pays vit, de façon douce et malgré maintes hésitations, une révolution à revers.  

Poursuivons la discussion avec le principe proclamé de  la soumission de tous les organes de l’Etat à la constitution de 1982, avec l’idée de multipartisme et la notion même de l’effectivité du Droit dans un système global qui ne parvient pas encore à se délester  du poids de l’idéologie.

                                                           LA CHINE ET SES DEFIS  (2)

                                                           Une révolution douce à revers ?

On sait que la constitution chinoise de 1982 rompt avec un passé récent et reconnaît solennellement la primauté du Droit et sa conséquence essentielle, c’est-à-dire la soumission de tous les organes de l’Etat, y compris donc les forces armées, à la règle de droit. Il faut admettre que c’est là un grand pas quand on considère qu’auparavant il était expressément dit que tous les organes de l’Etat devaient obéir aux directives du Prolétariat représenté par le seul Parti Communiste chinois.

Or, une disposition constitutionnelle nouvelle proclame aussi la fin du parti unique en ne reconnaissant plus le Parti Communiste chinois comme étant l’un des rouages essentiels de l’Etat et introduit ainsi implicitement – mais fort timidement – l’idée même du multipartisme en Chine.

Mais, pour autant, on le constate sans peine, ces proclamations de principe mettent du temps à trouver leurs traduction et application, bien que là aussi il faille reconnaître que des évolutions encourageantes ont pu se manifester au cours des dernières années. Des débats ouverts et d’une grande intensité se sont même produits publiquement au plus haut niveau de l’Etat.

A ce titre, on peut mentionner certaines velléités qu’avait déjà manifesté au milieu des années 1990 le président de l’Assemblée nationale populaire chinoise de l’époque, Monsieur Qiao Shi, depuis lors, il est vrai,  « remplacé », mais sans précipitation,  par l’ancien premier ministre Li-Peng, celui-là même qui avait mis fin assez brutalement aux manifestations estudiantines de la Place Tian-An-Men en 1989.

Monsieur Qiao Shi avait le « tort » de souhaiter que le pouvoir législatif chinois puisse, à l’instar des parlements des régimes démocratiques, contrôler le gouvernement, voire de le mettre en minorité par un vote de défiance  ou par le rejet d’une question de confiance. Avant d’entamer une visite officielle en France, ne disait-il pas le 3 avril 1997 dans une interview au journal « Le Figaro » qu’ « il faut institutionnaliser la démocratie en chine » et qu’en particulier il convenait de « définir exactement le statut de l’armée dans structures de l’Etat ? ».

Sur un autre plan et à la même époque, des débats ont eu lieu dans le milieu grandissant d’une nouvelle génération de juristes chinois sur la question de savoir qui de l’assemblée nationale populaire ou de la cour suprême devait se voir arroger la compétence de juger de la constitutionnalité des lois.

Or, la constitution chinoise de 1982, par son article 62, avait déjà  tranché la question en faveur de l’assemblée nationale populaire, ce qui n’a donc pas paru satisfaisant pour ces juristes, ce jusqu’à ce jour, car il y a là manifestement une confusion de compétences. 

                                                           Quid du multipartisme ?

Dans ce domaine, les avancées ne sont pas  moins évidentes car, si l’on permet théoriquement la formation de nouveaux partis, ils doivent préalablement être officiellement reconnus par les autorités gouvernementales, ce avant d’être obligatoirement regroupés au sein d’une instance fédérative des forces progressistes appelée « Conférence consultative du Peuple chinois », laquelle est en réalité dominée par certaines associations créées de toute pièce par ces mêmes autorités gouvernementales.

Ce schéma a-t-il inspiré les zélateurs du régime malgache de Transition en 2011 quand, pour « amadouer » une communauté internationale naïve ou complaisante, il s’était agi de donner les apparences du multipartisme et d’imposer un simulacre de « majorité » en vue de la signature de la Feuille de Route devant permettre la formation d’un soit disant  « gouvernement d’union nationale » et d’un non moins avatar de « parlement » à Madagascar en crise ?..

De plus, et puisque le Parti Communiste chinois détient le quasi monopole des investitures aux différentes élections, son rôle déterminant dans les rouages étatiques chinois demeure.

De fait, c’est toujours et encore le Parti Communiste chinois qui dirige la vie politique en Chine.

Pourtant, ici aussi des débats ont pu se développer  ces dernières années dans le milieu des juristes chinois pour réfléchir aux évolutions possibles qu’il conviendrait d’imposer à ce parti communiste afin qu’il se concentre sur le rôle essentiel auquel certains voudraient le cantonner : une force de proposition. Une ferme reprise en main des différentes institutions de l’Etat par le courant conservateur a mis fin à ces velléités dès 1998 et cette ligne n’a pas fondamentalement changée jusqu’à aujourd’hui.

Mais, comme souvent en Chine, beaucoup de réformes fondamentales connaissent ce cheminement apparemment incertain, de sorte qu’il n’est pas exclu qu’à une avenir proche elles se concrétisent. Les évènements de la Place Tian-An-Men de juin 1989 marquent un tournant très significatif d’une prise de conscience du peuple chinois autour de la question de la démocratisation.

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Peinture classique chinoise.


 

                                                              « Loi juste » et « Quan li »

Le peuple chinois  est désormais sensibilisé aux libertés et à la notion d’Etat de droit. Une notion nouvelle apparaît – ou plutôt , réapparaît – : celle de « loi juste », et la notion de « Quan li » (« Pouvoir et intérêt », notion traditionnelle chinoise apparu en 1911 durant la « 1ère République chinoise » de Sun Yat Sen pour désigner les droits subjectifs de type occidental) resurgissent avec une consonance moins péjorative qu’auparavant, ce qui est significatif d’une évolution des mentalités.

De plus, il faut souligner que depuis presque une trentaine d’années la Chine s’est mise à l’école du Droit en envoyant aux Etats-Unis et en Europe – spécialement en France, « Fa Guo », le « pays du Droit » – des contingents entiers de jeunes juristes très performants qui sont sensibilisés aux droits fondamentaux et aux nécessités démocratiques. Il est à remarquer à cet égard que rien qu’au Barreau de Paris il y a désormais une trentaine d’avocats chinois en exercice, en particulier dans de grandes structures !

Ce sont ceux-là, avec leurs aînés dont beaucoup ont suivis les mêmes formations qui, actuellement, mettent en œuvre le droit chinois en Chine et, détectant toutes insuffisances du système chinois, multiplient les missions d’information, de formation et recyclage à l’étranger.

Là donc résident les plus grands espoirs, mais déjà, ici encore les autorités chinoises sont parvenues à  modérer les velléités d’indépendance des corps d’avocats et de notaires, à l’origine dotés chacun d’un statut censé garantir leur indépendance : pour ce qui concerne les avocats, ceux-ci doivent renouveler chaque année leur licence de pratique professionnelle, et il suffirait aux autorités chinoises du ministère de la Justice de ne point la renouveler ou de la supprimer contre celui qui leur déplairait trop…

Ceci étant, est-on en marche vers un « pouvoir judiciaire » en Chine ?

La question mérite d’être posée au regard du fait que la Cour Suprême chinoise semble bénéficier d’une certaine autonomie. Certes, elle est comptable devant l’Assemblée nationale populaire du bon fonctionnement de la Justice, des juridictions à trois degrés. Mais c’est elle qui gère les magistrats dotés d’un statut propre et dont l’inamovibilité est proclamée, les instances juridictionnelles et administratives de conciliation ou de médiation.

Quant au Parquet, il faut le noter, il ne relève pas du ministère de la Justice mais du Parquet Populaire Suprême. D’une façon générale, la Chine étant soucieuse d’offrir aux yeux du monde un minimum de sécurité juridique et judiciaire, poursuit des réformes prudentes de son système juridictionnel qui, à défaut d’être satisfaisant, intègre peu à peu les notions et critères internationalement admis.

L’effectivité du Droit et spécialement des droits fondamentaux est donc en Chine à conquérir graduellement.

Elle l’est, on l’a vu, par une conjugaison de facteurs d’ordre interne, en particulier grâce aux actions des forces progressistes, et de facteurs externes qu’encourage le positionnement de la Chine sur la scène internationale.

En effet, depuis son ouverture qui a débutée en 1979, la Chine entend prendre une part active dans la résolution des grands problèmes internationaux et elle sait que cela a un prix en termes de prise de responsabilité, celui d’une plus grande libéralisation de son régime vers une forme de démocratie visible et crédible.

Bien que la question soit politiquement et stratégiquement explosive face aux défis majeurs auxquels la Chine a à faire face de façon permanente (voir 1ère partie de cet article en date du 3 décembre 2013 sur ce même Blog), le point de départ paraît être une plus large participation du peuple lui-même aux affaires publiques, notamment en lui permettant d’élire au suffrage direct ses représentants tant au niveau local que national.

Or actuellement, l’Assemblée nationale Populaire ne compte que trois mille députés élus au suffrage indirect par les assemblées populaires locales, alors qu’il faut rappeler que la population chinoise compte plus de un milliard cinq cents millions d’individus.   

                                                                               Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo*

* Avocat honoraire au Barreau de Paris, ancien conférencier et chargé de cours auprès de grandes écoles de commerce et d’universités françaises pour « Les systèmes institutionnels chinois et japonais », Expert international en Promotion de la Démocratie et de la Bonne gouvernance, diplôme  supérieur d’études chinoises de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris et du CPEI.

                                                               (Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations)

Article soutenu par : « FOCUS CHINE – YING & JP ASSOCIES »

 

LES FLEURS DU BIEN

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« Fleurs du Bien » (jpra)

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« Fleurs du Bien 2 » (jpra)


 

                                                     LES FLEURS DU BIEN

Après le recueillement et le silence de la Prière pour Nelson Mandela, voici venu l’Hommage public.

Il eut lieu le 10 décembre 2013.

Ce fut donc  l’hommage planétaire rendu à un véritable Humaniste et, nous le disions le jour du décès de Nelson Mandela, à l’Africain dans toute sa splendeur.

Car l’Afrique est Terre d’Humanité, terreau inventeur de Vie et d’Enthousiasme jusque dans le malheur.

C’est le Politique et le Combattant, rassemblés en un seul homme, qui se sont tôt mués ainsi parce que ces incarnations avaient quelque chose de plus grand qu’elles à défendre et à promouvoir :

. la survie, la liberté, la dignité des leurs !

Les XXème et XXIème siècles sont confondus en des personnes de référence telles que Gandhi et Kennedy qui sont assassinés sous les coups mortels de vengeurs écervelés, tandis que Churchill, Roosevelt et De Gaulle disparaissaient après avoir posé toutes les balises du relèvement général de leur nation respective.

Mais, toutes ont accédé au Panthéon de l’ardent combat pour l’Homme et du devoir sacré de la chose publique.

Et toutes ont placé au sommet de leurs priorités la Réconciliation et le Pardon autour des vraies valeurs humanistes universelles traduites dans le langage des leurs, mais sans oublier les fautes ni effacer les souvenirs.  

Mandela est de cette race là.

Celle des gens de Bien.

En ce 10 décembre 2013 en Afrique du Sud, Dieu le reconnut ainsi et le lui manifesta en lançant à la foule rassemblée en sa mémoire une pluie nourrie en guise de Bénédiction.

Le « Tsodrano », comme on dit à Madagascar !

Cette foule, innombrable et colorée, l’avait exprimé quant à elle à sa façon par d’aussi innombrables fleurs en autant d’offrandes, les « Fleurs du Bien », et par les chants qui s’élèvaient comme autant d’échos à travers terres et cieux, c’était le « Hasina », comme on dit à Madagascar ! 

Adieu Madiba, ce surnom qui t’est consacré pour toujours !

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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ADIEU « MADIBA » !

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« Moisson » (jpra)


Le 6 décembre 2013 disparaissait Nelson Mandela, une immense figure africaine.

Ce n’était pas seulement l’Afrique qui le perdait, mais le monde entier, car sa personne était devenue sacrée et son personnage une référence universelle.

Ainsi, les Nations Unies étaient bien inspirées de faire du 18 juillet Journée Nelson Mandela.

Le Grand Homme doit demeurer source d’inspiration pour et dans toute l’Afrique, y compris Madagascar !

Sa disparition en 2013 fut un moment de grande émotion.

Voici ce qui nous disions alors :

« MADIBA », Prix Nobel de la Paix, Héraut de la Paix et de la Réconciliation, Père de référence d’un Monde qui doute, l’Africain dans toute sa splendeur, n’est plus !

Paix à son âme de Combattant de la Liberté, d’Humaniste universel !

Tous, nous lui devons le plus profond des hommages !

Retenons la leçon de sa vie exemplaire: une noblesse d’âme qui seule permet le courage, le pardon et l’optimisme vrais.

La moisson de bienfaits n’en sera que bonne.

En la mémoire du grand Homme, personnellement je m’imposais le silence et le recueillement sur ce Blog, et jusqu’au mardi 10 décembre 2013, jour de ses obsèques nationales, mais avant cette date, dimanche 8 décembre 2013 fut jour de prière pour Lui en Afrique du Sud.

Et le monde entier était aussi dans le recueillement

Pour dire « Adieu Madiba » !

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

OPTIMISER LA DEMOCRATIE (4ème Partie) – LE JAPON (2)

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« Sakura 2 » – Fragment de vitrail – (jpra)


 

                       OPTIMISER LA DEMOCRATIE (4ème partie) – LE JAPON (2)

Dans notre livraison du 30 novembre 2013 sur ce même Blog, nous évoquions « la voie démocratique au Japon », consacrée essentiellement au rôle intemporel particulier que la constitution accorde au Tennô ainsi qu’au fonctionnement des deux pôles des pouvoirs temporels que sont le Gouvernement et la Diète. .

Poursuivons la discussion avec l’importance de la notion d’autonomie locale dans une île autrefois dominée par les clans régionaux durant les très longues périodes du Japon des grands Daimyos et des Tokugawa, avec les principes avancés de la démocratie qui se conjuguent pleinement avec les valeurs traditionnelles d’un peuple habituellement ouvert aux idéaux exogènes, et enfin avec un système juridictionnel qui, là aussi, allie favorablement modernité et tradition.

                                                      LA VOIE DEMOCRATIQUE AU JAPON  (2)

                                                      Une forme avancée de l’autonomie locale

Au Japon comme dans la plupart des démocraties, l’équilibre des pouvoirs est assuré grâce à une stricte séparation des prérogatives fonctionnelles et à une large distribution de celles-ci.

C’est ainsi qu’aux côtés d’un puissant Exécutif  et d’un Législatif omnipotent que nous avons vus précédemment, auxquels il faut ajouter un Pouvoir Judiciaire très respecté avec des prérogatives étendues qui lui assurent indépendance statutaire et autonomie fonctionnelle de nature à éviter toute interférence réciproque entre les trois pouvoirs, et que nous verrons plus tard, un rôle fondamental est accordé à ce que l’on pourrait appeler un « pouvoir local ».

Ce « pouvoir local » bénéficie d’un statut garantissant aux collectivités locales une très large autonomie (cf. article 92 de la constitution). L’institution même de localités pourvues d’une autonomie réelle date de l’ère Edo (1603-1868) qui correspond à la toute puissance des Tokugawa, tandis que l’existence de départements et de communes structurés selon le modèle occidental date de l’ère Meiji (1868-1912), ce qui confère au « pouvoir local » japonais d’aujourd’hui une forme traditionnelle et parfaitement intégrée.

Actuellement, les collectivités locales sont de deux ordres : les départements (au nombre de 43) et les communes (au nombre de 3245). La décentralisation, la déconcentration et la démocratisation de proximité prennent ici une forme très avancée puisque sont reconnues aux collectivités locales des compétences très étendues, tant en termes de domaines d’intervention (exemples : protection de l’environnement, urbanisme, éducation, santé, relations extérieures, etc…) qu’en termes de pouvoir de disposition.

Ici, il faut souligner que ces collectivités  locales bénéficient d’une délégation législative de la Chambre des Représentants, et d’un pouvoir de réglementation et d’ordonnance locales, certes à l’intérieur d’un pouvoir règlementaire reconnu par la constitution, mais tout ceci donne la mesure de l’étendue de ce « pouvoir local » japonais.

De plus, étant élus au suffrage universel local direct, tant le « Shuchô », chef de l’Exécutif local, qui est le Gouverneur au niveau du département, et le  Maire au niveau de la commune, que l’assemblée locale délibérative, disposent chacun d’une autonomie et de pouvoirs propres. Ainsi, le chef de l’Exécutif local, bien que n’étant pas responsable devant l’assemblée délibérative, est tenu d’exécuter ses décisions, et il est en même temps le délégué local de l’Etat central, et à ces titres peut édicter des règlements. De son côté, l’assemblée délibérative vote des ordonnances et le budget local.

On comprend ainsi que le pouvoir de l’assemblée délibérative prime sur celui du chef de l’Exécutif local, mais celui-ci en tant que délégué de l’Etat à la manière d’un préfet français, peut déférer une décision contestée devant le tribunal. Mais, la démocratisation est renforcée quasiment à l’extrême au niveau local en ce que l’assemblée délibérative peut nommer un adjoint au « Shuchô » !

Par contre, souvent des « comités » (de l’éducation, de la sécurité publique, ou du personnel, etc…) sont créés auprès du chef de l’Exécutif local pour un mandat de durée variable, dont les membres sont nommés par lui avec l’approbation de l’assemblée délibérative, ce qui paraît constituer un facteur d’équilibre non négligeable pour assurer un fonctionnement « harmonieux » des institutions locales…

Au-delà de toutes ces caractéristiques qui font de la démocratie japonaise une réalité complexe mais vivante, il faut relever ce qui, à nos yeux, constitue en la matière l’une des véritables spécificités de la démocratie japonaise : le mariage réussi entre les valeurs traditionnelles d’une grande civilisation et les principes modernes importés de l’Occident.

                                           Optimisation du mariage de la tradition et de la modernité

Après des hésitations bien compréhensibles dues à la mainmise américaine sur le Japon en 1945 au lendemain de son humiliante  capitulation, laquelle avait nécessité la création en 1954 d’une Commission officielle dite de « Révision et d’Investigation constitutionnelles » dont finalement les conclusions sont restées lettres-mortes, les Japonais se reconnaissent finalement et pleinement dans cette constitution de 1946 qui comporte des principes très avancés.

Ce sont en particulier ceux qui :

. détaillent, au titre des « droits et devoirs du Peuple » toutes les « générations » de droits fondamentaux avec soin et précision, ce en un Chapitre III et sur pas moins de trente articles successifs ;

. ne se limitent pas à proclamer le désir de paix, mais qui élèvent en principes de gouvernement le pacifisme et l’interdiction de faire la guerre même au titre de la légitime défense (article 9 de la constitution), ce qui est contraire à l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui reconnaît le droit de belligérance  pour se défendre contre une agression armée contre soi et contre autrui. Mais, on sait aussi que depuis 1950, par la vertu du Traité de San-Francisco de la même année, la guerre froide le justifiant, sous la pression des Etats-Unis, ceux-là mêmes qui avaient imposé au Japon l’article 9 dans sa constitution, le Japon a consenti à se réarmer, ce contrairement audit article 9, en devenant aujourd’hui l’une des armées les plus puissantes et les mieux équipées au monde, l’armée japonaise s’apprêtant à une possible confrontation armée avec la Chine à propos des îles Shenkaku;

. disposent que « le premier ministre et les autres ministres d’Etat doivent être des civils » (article 66), ce qui constitue une garantie contre toute éventualité d’un retour au pouvoir d’une junte militaire comme par le passé ;

. prônent la laïcité, ce qui, dans un pays où le Shintoïsme est traditionnellement vécu comme une religion nationale mais qui avait servi à un moment donné les visées militaristes des années 1930-1945, constitue un engagement solennel et définitif pour la tolérance, la liberté de conscience et le rejet de toute idéologie ou culte d’Etat.

                                            Syncrétisme des valeurs sociétales – une Justice respectée

Le système juridictionnel japonais donne un éclairage sur la permanence des valeurs sociales japonaises façonnées ici, plus que dans les autres pouvoirs parce qu’il s’est formé au cours des siècles, par un  syncrétisme marqué : la tradition libératrice bouddhiste voisine avec les préceptes confucéens et la spiritualité shintoïste et s’en est résultée une conception spécifique  du contrat (« Keiyaku ») et de la Justice qui se base essentiellement sur la recherche de l’harmonie et de la cohésion sociale.

Ni cette fameuse cohésion sociale japonaise, ni la formation de ces grandes familles d’entreprises japonaises (les « Keiretsu ») n’ont rien à voir avec la notion de contrat de type occidental mais,  bien plus,  avec cette recherche de l’harmonie et, surtout, avec le respect du « Giri ninjo », sorte d’éventail de normes comportementales qui s’appliquent en tous lieux et en toutes occasions, et qui forment autant de coutumes « codifiées »… mais non écrites.

Il n’est dès lors pas surprenant que parmi les sources du droit japonais, et malgré la multiplication des règles du droit positif (les règles constitutionnelles, légales et règlementaires écrites), la coutume figure en bonne place. A cet égard, il ressort de l’article 92 du code civil japonais que s’il existe une coutume contraire à une disposition légale qui n’est pas d’ordre public, c’est cette coutume qui prévaudra (ceci est généralement le cas en matière commerciale).

Le juge japonais est bien entendu lié par ces règles.

Bien plus, comme on  l’a souligné par ailleurs (cf . article « Le Jôri et le Giri japonais » sur ce même Blog, www.labodiplo.wordpress.com, du 3 octobre 2013, archives d’octobre 2013), il est possible au juge, quand aucune règle de droit, aucune coutume ou aucune jurisprudence ne peut s’appliquer, d’avoir recours à la notion de « Jôri » (ou « Jyori »), c’est à dire en fait à sa seule conscience d’homme imprégné de l’enseignement de la sagesse façonnée par la tradition libératrice bouddhiste, des préceptes confucéens et de la spiritualité shintoïste évoqués plus haut.

La boucle est ainsi bouclée.

Les Japonais y trouvent certainement leur compte, et dans ce sens la démocratie aussi car elle est pleinement intégrée, mais pour les Etrangers il est souvent difficile de s’y retrouver en cas de contentieux, étant donné  cependant que le Japonais sachant instinctivement et par culture l’éviter, ce contrairement à un Américain par exemple, une situation aussi embarrassante devient du coup…assez peu plausible.

Ceci étant, et malgré cette spécificité extraordinaire en termes juridiques, ordinairement la Justice japonaise est très bien perçue de par sa modernité et sa grande cohérence fonctionnelle.

Tout d’abord, le système se caractérise par son unicité : quelle que soit la nature du litige, il n’y a qu’un seul ordre juridictionnel, au sommet duquel se trouve la Cour Suprême, détentrice avec l’ensemble des cours et tribunaux du Pouvoir Judiciaire.

Compte tenu des prérogatives vues plus haut, ici il ne s’agit pas seulement de l’ « autorité judiciaire » connue en France.

Hormis sa fonction juridictionnelle de cour de cassation, la Cour Suprême assure aussi l’autonomie financière de ce Pouvoir Judiciaire puisqu’elle détermine le budget des cours et tribunaux, édicte les règles de procédure en application de la loi, et qu’elle assure au quotidien l’indépendance de la magistrature et la gestion de la carrière des magistrats du siège (« Saibankan »).

D’autre part, le contrôle du peuple sur « sa » Justice est assuré de façon claire. En effet, une fois nommés les juges de la Cour Suprême doivent par la suite être confirmés dans leurs fonctions par un vote populaire à l’occasion des élections législatives prochaines en date et, dix ans plus tard, doivent au surplus, comme tous les autres juges des cours et tribunaux, être reconfirmés dans leurs fonctions par les mêmes électeurs. On y voit là un  emprunt au système américain.

De plus, le peuple lui-même participe à l’œuvre de justice puisqu’il existe au sein des tribunaux du premier degré (tribunaux de district, tribunaux « sommaires », et tribunaux des affaires familiales) des instances de conciliation où des représentants des justiciables siègent aux côtés des juges professionnels.

Le Parquet (« Kansatsukan ») est certes administré par le ministère de la Justice, mais ici aussi le peuple a son mot à dire puisque auprès du Procureur établi près le tribunal de district est placé un « Comité de surveillance du classement sans suite », lequel peut demander l’ouverture d’une enquête dans le cas d’un classement sans suite d’une plainte.

Ce qu’il faut souligner encore, c’est l’existence depuis l’entrée en vigueur de la constitution de 1946 d’une procédure de contrôle de la constitutionnalité des lois ouverte à tout justiciable sans condition d’accès (une telle possibilité n’existe en France que très récemment avec l’adoption en 2012 de la « question préjudicielle de constitutionnalité »), et d’une procédure de contrôle de la légalité des règlements et des actes administratifs, à laquelle s’ajoute  une procédure de mise en cause de la responsabilité de l’Etat (comme en France) impliquant une obligation de réparation des préjudices causés (en France, aucune procédure d’exécution forcée ne peut être menée contre  l’Etat condamné).

Cette fois-ci comme en France, la protection des droits de la personne acquiert selon les termes de tous ces dispositifs un caractère satisfactoire puisque, ainsi que le stipule l’article 40 de la constitution, dans le cas où une personne est « acquittée après avoir été arrêtée ou détenue, elle peut se pourvoir en réparation contre l’Etat, certes « dans les conditions prévues par la loi ».     

                                                                               Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Avocat honoraire au Barreau de Paris, ancien conférencier et chargé de cours auprès de grandes écoles de commerce et d’universités françaises pour « Les systèmes institutionnels chinois et japonais », ancien  expert international en Promotion de la Démocratie et de la Bonne gouvernance, diplôme  supérieur d’études chinoises de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris et du CPEI.

                                                                                           (Reproduction, même partielle, interdite)