QUELLES ORIENTATIONS GOUVERNEMENTALES D’URGENCE ?

 

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« Sérénité » (jpra)


 

Nous sommes en 2016. Nous reprenons ici intégralement nos développements de 2014, il y a … deux ans.

Car, malheureusement depuis lors aucune évolution n’est, hélas, hélas !, intervenue dans ce pays, Madagascar, toujours en proie à ses propres démons.

           QUELLES ORIENTATIONS GOUVERNEMENTALES D’URGENCE ?

Madagascar est classée, selon un rapport récent du Fonds Monétaire International (FMI), parmi les cinq pays les plus pauvres du monde. Et, allant de pair avec ce cycle vertigineux de la pauvreté, tout allant de travers et pour le pire, une famine « silencieuse », car elle s’incruste insidieusement dans toute une région et bientôt sur tout le pays, étend ses racines, telle qu’elle est pudiquement relevée par les agents des Nations Unies.

Car à l’évidence, l’économie et la société malagasy sont si déstructurées et si atones qu’il est vain et illusoire de parler de « relance économique » ou de « paix sociale » qui en l’état actuel ne pourraient se baser sur aucun support réel ni moteur.

Pour qu’il en soit autrement, il faudra envisager d’urgence une planification véritable de type DIRECTIF et non simplement incitatif comme actuellement, couplée avec une volonté politique de mobilisation populaire clairement affirmée, assumée et encouragée par des mesures visibles et incluant toutes les forces vives du pays.

Cette planification volontariste intégrera obligatoirement dans un mouvement d’ensemble les quatre pôles économique, social, culturel et environnemental, et ce avec la définition d’objectifs chiffrés, d’articulations systémiques et de programmation législative et règlementaire à court, moyen et long termes.

Car, l’objectif majeur des mois à venir est de faire en sorte que les différents secteurs se restructurent et reprennent vie dans un esprit d’INTEGRATION ECONOMIQUE.

Car une économie comme celle de Madagascar ne peut pas retrouver ses bases ni ses rails si elle n’obéit qu’aux lois du marché et de la concurrence dans le sens libéral de ces termes.

Soyons clair : le tout libéral n’est certainement pas ce qui convient au développement de Madagascar. L’Etat ne doit pas seulement être régulateur ni simplement « facilitateur » ; il doit assumer son rôle, celui bien sûr d’un acteur plein et entier, mais bien au-delà, c’est à dire fixer, désigner le cap et définir les orientations et, à l’intérieur de ces orientations, paver les voies pour atteindre des objectifs.

Ces exigences doivent se retrouver dans un processus systémique et dialectique. Et, ce sera ainsi que les forces vives de la nation, parmi lesquels les acteurs économiques et autres, vont pouvoir s’engager résolument.

C’est une évidence première de bonne gouvernance économique.

                                                       QUELLES PRIORITES ?

En premier lieu, il convient prioritairement d’assurer le relèvement des bases mêmes de la  société, sur deux ensembles de piliers :

1. la sécurité alimentaire (banque alimentaire + régénération des marchés locaux (« Tsena ») + encouragement aux petits exploitants agricoles et à la pêche artisanale) en étroite coopération avec la FAO, le FIDA et le PAM ainsi qu’avec les organisations caritatives nationales et internationales, et la sécurité sanitaire (réseau de dispensaires + campagnes de vaccination + formation du personnel médical) en étroite coopération avec l’OMS et les organisations caritatives nationales et internationales;

2. le remaillage du tissu économique, déchiré par tant de démantèlements d’industries phares passées aux mains de prédateurs, essentiellement étrangers, par la recomposition des structures sociales de base qui ont volé en éclats, et par l’encouragement à la créativité entrepreunariale et innovatrice. Parallèlement, il serait tout aussi urgent que les régions et les collectivités locales redécouvrent chacune, au moyen d’un Plan Intégré de Développement Régional et Local, leur vocation spécifique au sein de la planification nationale, ce notamment en termes de pôles de développement économique et du système de clustering, par ailleurs la diversité des régions malagasy constituant à cet égard une richesse inégalée qu’il convient de valoriser.

A de telles conditions, le relèvement général et la reconstruction de notre Nation, qui s’accompagneront d’une intégration progressive et incitative du secteur dit « informel » regroupant actuellement une masse misérable (auquel on accorderait par exemple un statut transitoire spécifique de trois à cinq ans basé sur la facilité à l’accès aux micro-financements  + « guichet unique » spécial  + exonérations fiscales et sociales) dans l’économie globale, ne pourront que prendre un sens réel et non plus incantatoire.

Elles feront également que ces deux causes nationales du moment soient l’affaire de tous, ce dans le rassemblement des énergies et la liberté d’expression des convictions de chacun.

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« Rosasy ». Maquette de vitrail  – JPRA –

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                                                  L’ ART DE LA BONNE GOUVERNANCE

C’est pourquoi aussi, il est absolument prioritaire que par des signaux et des engagements sans équivoque, les gouvernements – actuel et ceux à venir, quels qu’ils soient – instaurent dès l’abord un climat de Concorde Nationale fondée non pas sur des calculs politiciens mais sur un engagement d’ordre éminemment moral.

Certes, elle est de la responsabilité politique de tous, responsables politiques comme responsables de la société civile et simples citoyens.

Mais, qui dit « concorde nationale » dit d’abord « Paix et harmonisation sociales », c’est-à-dire qu’elle nécessite un engagement collectif qui se traduirait par un « Pacte social » dans un « Esprit de Participation active » des forces vives de la nation, résultant d’un accord généralisé acquis au bout d’un processus de négociations avec tous les partenaires sociaux, ayant pour objectif de doter Madagascar d’un dispositif social qui ne laisse personne au bord du chemin.

Dans ce contexte global où l’horizon se dégagera clairement, tout naturellement – et en pariant sur leur intelligence – les adeptes de la politique politicienne et de ses délices manœuvriers trouveront à recycler leur énergie positivement et à l’employer dans le plein exercice de la conscience publique, ce pour la « Res publica », à laquelle est appelé tout un  chacun.

Tout ceci implique rationalité et rigueur dans la pratique institutionnelle.

Car, autant les rouages de l’Etat demandent un mode de fonctionnement clair et méthodique conformément à la norme juridique, autant la chaîne de commandement et la transmission des informations ne doivent pas s’embarrasser d’approximations.

A ces égards, et sans revenir sur des débats institutionnels frustrants et contre-productifs qu’on a eu l’occasion d’aborder par ailleurs, il faut considérer qu’une réelle hypothèque institutionnelle pèse sur le mandat présidentiel de cinq ans, qui se confond malencontreusement avec celui de la législature, ce qui rend le Président tributaire d’aléas politiciens qu’on constate quotidiennement, et dont il convient absolument qu’il s’en détache suffisamment.

D’autre part, son mandat étant singulièrement court par rapport aux nécessités du redressement et de la reconstruction qui demandent un horizon à long terme, le Président de la République a certainement intérêt à séquencer l’action qu’il entend mener pour mettre en oeuvre ce que nous considérons comme un programme indispensable de gouvernance selon les objectifs définis plus haut.

De plus, une telle clarification est plus qu’utile eu égard à la visibilité et à la crédibilité nécessaires à l’appréciation positive que souhaitent les bailleurs de fonds et nos partenaires de coopération multidimensionnelle.

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« Fleurs épanouies » – JPRA –

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                                                      ETAPE DECISIVE A FRANCHIR

Une étape décisive est donc à franchir, que dicte actuellement l’état de Madagascar qui se trouve objectivement dans la situation d’un pays en état de nécessité économique, sociale, sanitaire et environnementale qui, au surplus, a besoin d’un  recadrage institutionnel et de regagner la confiance des bailleurs de fonds.

Elle sera suivie, à terme, d’une seconde qui se traduirait par une « normalisation » des rapports avec le Parlement et non pas uniquement dans un dialogue exclusif avec l’Assemblée nationale. Le Sénat, représentatif des collectivités locales et des territoires, se doit également d’assumer un rôle constructif.

Par exemple, plutôt que de s’égosiller dans des débats sans fin ni signification pourquoi l’un ou l’autre de ces chambres représentatives ne prendrait pas l’initiative de lois à caractère économique dans l’esprit de ce que nous préconisons précédemment, ou de proposer des amendements dans le même sens sur des textes proposés par le gouvernement ? C’est aussi ça l’exemplarité des débats parlementaires…

Tout ceci, en considération des deux ensembles de paramètres suivants :

I .    Pour assurer l’adoption des mesures d’urgence, et sans nullement court-circuiter le fonctionnement normal des différentes prérogatives institutionnelles, le Président de la République doit pouvoir disposer des moyens politiques nécessaires à la formation immédiate d’un Gouvernement clairement désigné comme, soit de « Salut Public », soit de « Redressement national, mais se caractérisant par un resserrement autour de grands ministères de mission et non de simple gestion des départements.

Ceci est d’autant plus nécessaire qu’on enregistre une cacophonie institutionnelle, et qu’il n’est actuellement pas possible d’attendre quoi que ce soit de la part de l’Assemblée nationale dont le tumulte inquiète d’autant plus que personne ne sait, exactement et clairement, quelle est l’articulation entre ses prérogatives et celles du Président de la République quant au choix du Premier ministre et aux modalités du contrôle parlementaire sur la politique gouvernementale.

L’extrême cafouillage sur ces plans comme sur d’autres est source réelle de paralysie institutionnelle si l’on ne procède pas à la nécessaire clarification institutionnelle à laquelle nous avions consacré nos développements antérieurs sur ce même Blog. Même dans le contexte politique actuel, l’hypothèse d’une majorité constituée, claire et stable au sein de l’Assemblée nationale ne pourrait se profiler, même à moyen terme, car dans le climat actuel, on le constate avec tristesse, les surenchères et les marchandages vont leur train au gré des circonstances et finissent toujours par occulter les questions essentielles et les engagements sincères sur le long terme.

Ce « Gouvernement de Salut Public » ou de « Redressement national », serait composé seulement d’une dizaine de ministres, choisis sur le seul critère de leurs compétences, en charge de départements concentrés (Economie et Finances ; Affaires étrangères et Coopération ; Intérieur et Collectivités locales ; Justice et Libertés publiques ; Affaires sociales et Jeunesse ; Culture et Patrimoine ; Environnement et Développement durable ; Education, Sciences et Technologie ; Transports Aménagement du Territoire; Agriculture et Pêche).

Au besoin, moyennant préalablement un exposé des motifs strictement ajusté, un tel Gouvernement pourrait agir provisoirement et/ou partiellement par ordonnances sur délégation expresse de l’Assemblée nationale, avec pour mission principale d’urgence de mettre sur pied les structures décrites plus haut, le Premier ministre ayant auparavant demandé la confiance de l’Assemblée sur la présentation de sa politique générale qui ne se résumerait pas à une pétition de principes. Et, devant la gravité de la situation autant que pour honorer l’Assemblée, après son vote de confiance le Président de la République lui adressera solennellement un message, lequel rejaillira également sur toute la nation.

II.    Une fois ces réformes structurelles seront mises en place, l’Assemblée nationale pourra retrouver la plénitude de ses prérogatives, et il sera temps pour le Président de la République de former un gouvernement « normal » sur la base de la majorité qui se dégagera bien plus clairement qu’actuellement.

Tout ceci doit profiter du fait que désormais le Parlement existe dans sa pleine composition, c’est-à-dire que l’Assemblée nationale et le Sénat sont enfin opérationnels. Le Président de la République et son Gouvernement peuvent ainsi s’appuyer alternativement ou selon des séquences à déterminer, sur la représentation nationale(Assemblée nationale) ou sur la représentation territoriale (Sénat). De la sorte, aux noms de l’équilibre et de la stabilité des institutions, ainsi que d’une visibilité politique travaillée par la sérénité retrouvée des débats, la pratique institutionnelle se conformera mieux au principe démocratique de la représentativité, et le Gouvernement serait ainsi autant le reflet réel du choix du peuple que celui des orientations du Président de la République.

Mais, davantage encore, et devant l’extrême fractionnement des appartenances dites « politiques » des uns et des autres au sein du Parlement, ce schéma est susceptible d’éviter toute paralysie provoquée par les marchandages et les surenchères autant que par la fragilité de la cohésion nationale, une cohésion pourtant absolument indispensable.

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Au bout de ce processus de recadrage institutionnel, la vie politique normale est appelée à prendre le relais d’une période charnière et probatoire à tous égards qui, certes, n’aura que trop durée, mais qui n’aura strictement rien à voir avec une quelconque réminiscence des atermoiements vécus lors de la « Transition » de 2009 à 2013, que d’aucuns semblent faire revivre mais qu’il convient pourtant de vite jeter dans les oublis de l’Histoire.

Nous sommes convaincus qu’il s’agit du bon tempo à adopter, indispensable pour imprimer le bon rythme à la démocratie, surtout qu’elle doit actuellement renaître de ses cendres.

Ni précipitation, ni lenteur, ni crispation, ni relâchement.

Parions ainsi que la pratique du « mora mora » malagasy, qui n’est point de l’indolence mais l’équivalent du « take it easy » anglo-saxon, du « rien ne sert de courir, mais de partir à temps » français et du « just in time » japonais, prendra ainsi son vrai sens originel.

                                                            Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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GORIN-no-SHO (Ecrits sur les cinq roues)

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« La pie-grièche sur une branche desséchée » de Miyamoto Musashi, en illustration de son ouvrage « Gorin-no-Sho », traduction intégrale par M. et M. Shibata, edition G.P. Maisonneuve et Larose, Paris, 1977.


 

                                        GORIN-no-SHO

Nous disions dans notre série d’articles sur le « Bushido » (cf. sur ce même Blog, « Bushido », en date du 11, 12 et 13 janvier 2014) que si la spiritualité japonaise se compose du quadripode Confuciasnime-Shintoïsme-Bouddhisme-Bushido, les références spirituelles et stratégico-tactiques du Samuraï sont composées du « Bushido » et du « Gorin-no-Sho », ce dernier étant perçu comme étant « la fleur du Bushido ».

Mais, ces dernières références sont aussi celles sur lesquelles les hommes d’affaires japonais se basent pour affûter leur capacité de gestion et leur esprit de conquête de marchés.

Miyamoto Musashi, né en 1584 d’un père lui-même grand Samuraï, célibataire endurci réfractaire au bain, est le plus célèbre des sabreurs japonais. Il était contemporain de d’Artagnan. Il est l’auteur du « Gorin-no-Sho », « Les Ecrits sur les cinq roues », référence évidente au symbole de la prédication bouddhique composée des cinq éléments : terre, eau, feu, vent et vide, qui forment les têtes de chapitre de son oeuvre.

Parvenu au soir de sa riche vie à l’âge de soixante ans, et deux ans avant sa mort survenue le 19 mai 1645, c’est donc une sorte de testament que Musashi écrivit au sommet de la montagne Kimpo (près de la ville de Kumamoto), au milieu de mandariniers tout en s’adonnant à la calligraphie, à la peinture, à la poésie et à la cérémonie du thé.

                                                 LA SUBSTANCE : DU RYTHME

Musashi, créateur de la fameuse « Ecole de Niten », considère avant tout que dans les arts, surtout les arts martiaux, comme dans la vie tout est « rythme » … 

« Le plus mauvais étant de rester figé. La position figée correspond à une main morte. Ne jamais rester figé correspond à une main vivante ».

Mais « rythme » ne se confond pas avec « rapidité ». C’est en voulant sabrer rapidement que l’on modifie sa trajectoire et que naissent les difficultés de maniement.

« Lorsqu’on est devenu expert dans toutes les voies, on ne semble pas rapide aux regards des autres…L’action d’un expert semble lente, mais il ne s’écarte jamais du rythme ».

Il faut connaître les rythmes de chaque adversaire et il faut se mettre au rythme inattendu de l’ennemi. Mais, parmi les rythmes utilisés…il y a le « rythme unique :…attaquez votre adversaire avant qu’il n’ait décidé dans sa tête de tirer son sabre, de le dégager ou bien de vous frapper… »

Entrons maintenant dans le corps de l’ouvrage à travers ses différents chapitres, en en rappelant les enseignements essentiels.

                                                                        TERRE

On y trouve les grandes lignes de la tactique de Musashi, qui les explique à la manière d’un charpentier qui donne forme, affûte et fait vivre sa matière.

L’objectif est d’être sur la voie de la tactique.

La tactique se définit comme « les moyens d’avoir l’avantage ». C’est donc une forme d’art. Et selon le dicton : « une tactique non mûrie est l’origine de grandes blessures ». Il s’agit donc, comme le charpentier, d’être habile pour devenir un maître-charpentier pour donner l’élan et savoir où commence l’impossible pour parvenir à maîtriser les éléments.

« Il faut connaître tout, de l’ensemble jusqu’aux détails et évoluer du moins profond au plus profond. Comme l’on trace un chemin bien droit sur la terre… »

                                                                    EAU

Comme l’eau, qui peut se réduire à une goutte ou atteindre la taille d’un océan, notre esprit doit prendre la forme des récipients qui la contiennent. Les principes qui permettent de vaincre un seul homme sont applicables pour venir à bout de 1000 ou 10000 ennemis.

Le principe de la tactique consiste à tout connaître, de l’unité au dix-millième.

« Conservez un esprit droit, sans trop de tension ni aucun  relâchement, évitez qu’il soit unilatéral, maintenez-le au juste milieu, faites-le agir tranquillement de façon que cette agitation ne s’arrête même un seul instant ».

La position doit permettre de voir largement et vastement. Entre voir et regarder, voir est plus important.

                                                                    FEU

Il est question de combats, d’action immédiate. Et il faut s’y exercer chaque jour et s’y accoutumer quotidiennement.

Quant aux méthodes de combat, celles qui sont utilisées dans les combats singuliers peuvent être appliquées à des milliers de combattants.

Il faut bien considérer la situation tantôt dans son ensemble tantôt dans son détail.

Il y a trois façons de prendre l’initiative : « initiative provocation », c’est-à-dire prendre l’initiative d’attaquer le premier ; « initiative d’attente », lorsque l’adversaire attaque ; « initiative mutuelle » lorsque l’adversaire attaque en même temps qu’il est attaqué.

                                                                    VENT

En japonais, vent = aspect, allure, caractéristiques. Ainsi y a-t-il « vent » de telle ou telle famille, de telle ou telle école.

Il faut donc bien connaître les autres « vents » afin de bien nous connaître nous-mêmes et de connaître les failles des autres. C’est cela être sur le bon chemin.

                                                                     VIDE

Où commence-t-il, et où finit-il ?

« La Voie de la tactique est une voie libre . Lorsque l’on possède complètement une théorie alors il faut s’en détacher…Et tout naturellement on acquiert un rythme selon l’instant. Tout naturellement on frappe et tout naturellement on fait face ».

Tout cela est la voie du « Vide ».

                                                                            *

Tous ces enseignements sont décrits en détail et de façon ésotérique, qu’il est donc difficile de juste évoquer ici sans pratiquer soi-même.

Or, souvent pour gagner, il faut savoir devenir son propre adversaire, c’est-à-dire se mettre complètement à la place de votre adversaire…

Et, souvent aussi l’adversaire ne se montre pas.

Il faut alors savoir « faire bouger l’ombre », c’est-à-dire prendre toutes dispositions pour parvenir à discerner les intentions adverses…un des objectifs étant de « faire perdre à l’adversaire son équilibre mental ».

L’effet de surprise est, bien entendu, l’une des clés de la « Voie de la tactique ».

A cet égard, « si votre adversaire imagine la montagne, vous appliquez la technique de la mer, et si votre adversaire pense à la mer, vous appliquez la technique de la montagne… ».

Mais, tout ceci doit être pratiqué en ayant « la finesse du rat et la lourdeur du bovin », c’est-à-dire savoir distinguer les idées petites des grandes considérations.

« Gorin-no-Sho » est bien un ouvrage de haute référence, certes destiné aux pratiquants d’arts martiaux, mais qu’il nous soit permis de dire, aux seuls pratiquants décidés d’accéder, au-delà de la technique et de l’art, à la spiritualité et à la philosophie, seuls niveaux que visait Miyamoto Musashi. 

                                                                   Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

 * Cet article résume le contenu de l’ouvrage de Miyamoto Musashi cité ci-dessus et dans le corps du présent texte.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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LE SAINT-SIEGE ET MADAGASCAR

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Le Pape Jean XXIII avec Pierre Razafy-Andriamihaingo, premier ambassadeur de Madagascar près le Saint-Siège, lors des cérémonies d’ouverture du Concile Oecuménique Vatican II à la Basilique Saint-Pierre de Rome le 11 octobre 1962. Reproduction interdite.


                               LE SAINT-SIEGE ET MADAGASCAR

 

Il n’est pas fréquent que les relations du Saint-Siège, une personnalité internationale unique en son genre, on le sait (cf. sur ce même Blog l’article « La diplomatie avant-gardiste du Saint-Siège » en date du 27 sept. 2013), avec un autre Etat, soient évoquées.

Et pourtant, ces relations bilatérales sont, au-delà des aspects religieux, plein d’enseignements en termes diplomatiques.

C’est ainsi par exemple que, pour ne prendre que les cas respectifs des Etats-Unis et du Royaume-Uni, les vicissitudes de l’Histoire ont fait que ce n’est qu’à des périodes très récentes que l’un et l’autre de ces Etats ont décidé de nouer avec le Saint-Siège des relations diplomatiques normales au niveau des ambassadeurs.

Mais, bien que les raisons de cette désaffection passée sont fort intéressantes à connaître, là n’est pas notre propos aujourd’hui.

Il est d’évoquer les liens que le Saint-Siège et Madagascar ont su développer mutuellement, et de voir à travers ces relations toute la substance d’une relationnelle pouvant exister entre la toute puissance de l’Eglise catholique et un pays en développement à majorité protestante comme Madagascar, pays nouvellement indépendant le 26 juin 1960.

                        DES DEBUTS CHAOTIQUES – EVOLUTIONS PROMETTEUSES

On ne peut pas ne pas évoquer l’épisode malheureux que Madagascar avait traversé au XIXème siècle durant le règne de Ranavalona 1ère, avec son cortège de persécutions anti-chrétiennes et de martyrs, la fin tragique du premier représentant officiel du souverain pontife à Madagascar, suivi des ouvertures désespérées d’un prince Rakoto, notamment de ses appels au secours adressés au pape Pie IX le 3 décembre 1856, puis étant devenu le roi Radama II, du rétablissement à Madagascar de la liberté de conscience et de culte, ce qui lui permettait d’adresser au même pape Pie IX en novembre 1861 une lettre dans laquelle il se proclame protecteur des Chrétiens dans son pays (cf. sur ce même Blog « réformateurs et modernisateurs de Madagascar », 4ème, 5ème et 6ème parties, 10, 12 et 13 octobre 2013, voir : archives d’Octobre 2013) .

Toutefois, en entrant dans la période moderne du XXème siècle, Madagascar amorce une phase relationnelle d’une autre dimension avec sa pleine insertion dans le monde chrétien.

Les années 1950 verront un développement sans précédent de la foi chrétienne à Madagascar, tant du côté catholique, protestant qu’anglican, pour ne considérer que ces trois religions majeures aujourd’hui concernant plus de 80% de la population malgache.

Mais, s’agissant des rapports officiels d’Etat à Etat, tout commence à l’occasion de la célébration du retour de Madagascar à la souveraineté internationale en juin 1960, avec l’envoi à Madagascar par le Pape jean XXIII de son Représentant spécial.

1er ambassadeur près Vatican

Mon père, Pierre Razafy-Andriamihaingo (à l’extrême-droite sur la photo), est aux côtés du Président de la République malgache (au centre) et de son Ministre des Relations extérieures (au centre-droit) pour recevoir des mains de l’Envoyé spécial du Pape Jean XXIII le message de félicitations que ce dernier adresse au chef d’Etat malgache (juin 1960).


Et, surtout, c’est à l’occasion du 80ème anniversaire du Pape Jean XXIII prévue pour le 4 novembre 1961, qui marque aussi le 3ème anniversaire du couronnement de Sa Sainteté, que Madagascar se hisse au plus haut niveau de représentation diplomatique. En effet, tous les Etats du monde sont invités à se faire représenter, chacun, par une mission diplomatique spéciale. Ce pape est déjà auréolé grâce à ses talents au service de la Paix, notamment à l’occasion de la grave crise de Berlin d’août 1961, raison pour laquelle sans aucun doute Krouchtchev avait tenu à envoyer à Jean XXIII un  message personnel d’une chaleur signalée à l’occasion de ce double anniversaire.

La France, la Fille aînée de l’Eglise, se fait représenter par une mission importante conduite par Edmond Michelet, ministre d’Etat, héraut de la pensée catholique militante dans la vie politique et culturelle française, et comprenant deux ambassadeurs dont celui accrédité près le Saint-Siège.

Mais, c’est l’Italie – qui s’en étonnerait ? – qui envoie la mission la plus importante avec à sa tête le président du Conseil lui-même, Amintore Fanfani, qui est secondé par son ministre des Affaires étrangères et quatre autres membres de son gouvernement, tandis que l’Espagne « la très catholique » n’est pas en reste avec comme chef de mission son ministre des Affaires étrangères, la Belgique faisant de même. Quant au Brésil, sa représentation est à la fois du plus haut niveau avec son Premier ministre, et la plus nombreuse.

Au total, soixante-neuf délégations étrangères sont présentes. Les Etats-Unis, qui à cette époque-là n’entretenaient aucune relation diplomatique avec le Saint-Siège, n’envoient qu’un ambassadeur. Le Royaume-Uni, quant à lui, fait moins encore en abaissant sa représentation au niveau d’un simple ministre plénipotentiaire, sans doute pour perpétuer le schisme historique qui continue de séparer l’Eglise catholique de l’Eglise anglicane.

La Chine, représentée par la délégation de Taïwan, tient à envoyer une mission importante avec son ministre des Affaires étrangères. La Turquie, pays musulman où avait été nonce apostolique Angelo Roncalli avant de devenir pape, tient elle aussi à envoyer une imposante mission avec deux ambassadeurs, dont l’un ancien ministre.

Quant à Madagascar, le très Catholique président Tsiranana décide que son pays sera représenté par une mission spéciale conduite par l’ambassadeur Pierre Razafy-Andriamihaingo, celui que le pape Jean XXIII connaît déjà pour avoir été en 1959 le chef de la délégation malgache lors de la réception par le pape des délégations venues tenir à Rome le Premier Congrès Mondial des Frères des Ecoles Chrétiennes.

Auparavant, en juillet 1960 le même ambassadeur était chargé d’accueillir à l’aéroport d’Antananarivo l’Envoyé spécial du pape Jean XXIII venu présenter au Président de la République malgache les félicitations du souverain pontife pour l’accession de Madagascar à l’Indépendance. Et, le 15 septembre 1960 le souverain pontife avait reçu en audience privée Pierre Razafy-Andriamihaingo en son palais d’été de Castelgondolfo.

Relatant les cérémonies du 4 novembre 1961, le quotidien « Le Monde » ne manque ainsi pas de relever la présence exceptionnelle à la Cité du Vatican de missions spéciales venues d’Irak, de la Corée et de Madagascar…

Les liens forts et personnalisés étant ainsi noués depuis deux ans, à l’occasion du double anniversaire de Jean XXIII en ce 4 novembre 1961 l’ambassadeur malgache, reçu en audience par le souverain pontife lui offre au nom du Président malgache un précieux ouvrage, « Le prince Rakoto et ses premières relations avec les Missions catholiques – 1854-1857 », écrit par le Révérend Père Adrien Boudou. 

Ces débuts prometteurs dans les relations de Madagascar avec le Saint-Siège, du côté de ce dernier Monseigneur Félix Pirozzi étant le nonce apostolique à Madagascar, posent les bases de rapports futurs du meilleur augure. Or, c’est dans un contexte mondial d’une grande intensité évènementielle que ces rapports se développent, plaçant ainsi ce pays dans une trajectoire ascendante.

                                                      L’OUVERTURE DU CONCILE VATCAN II

Dans son discours à l’Evangile, prononcé lors de la cérémonie religieuse du 4 novembre 1961 qui a lieu dans la Chapelle Papale de la Basilique Saint-Pierre, JeanXXIII annonce la promulgation le 11 novembre de la même année d’une Encyclique destinée à commémorer Saint Léon Le Grand, ce pape qui pourchassa toutes les hérésies et qui décida le redoutable Attila de se retirer avec ses hordes des portes de Rome.

Mais plus encore, dans son appel à la concorde, pour la justice, la vérité et la liberté, Jean XXIII fait déjà allusion à l’esprit qu’il souhaite voir s’instaurer en vue du Concile Œcuménique Vatican II. C’est en fait dès son accession au trône de Saint-Pierre que Jean XXIII avait pensé réunir un nouveau Concile afin que l’Eglise, en ces temps de guerre froide, affirme son universalité en s’ouvrant au monde, et qu’elle soit plus présente face aux malheurs et prenne part au cours des évènements.

L’Eglise de Saint-Pierre vit la sclérose et la Curie semble hermétique à l’internationalisation de l’Eglise catholique, ce malgré le premier Concile du Vatican de 1870 qui le prônait. Comment, alors, envisager son universalité, ainsi que le souhaite ardemment Jean XXIII, considérant qu’en effet sur deux mille six cent quatre vingt treize évêques dans le monde en 1962, deux cent cinquante proviennent de l’Afrique (dont Madagascar), deux cent cinquante six de l’Asie et six cent un d’Amérique latine ?

Jean XXIII tient bon, il est le pontife de l’ « Aggiornamento », c’est-à-dire de la Rénovation de l’Eglise du XXème et du XXIème siècles. En cet automne 1962, c’est une autre très grave crise nucléaire, celle de Cuba, qui sévit. Dans son Encyclique « Paix sur la Terre », le souverain pontife, usant de sa rondeur joviale, de son habileté politique et de son engagement sans faille au service du salut des hommes, ne se limite pas aux affaires de l’Eglise – c’est une « première » en la matière – mais s’implique pleinement dans celles du monde en crise.

A nouveau, c’est l’ambassadeur Pierre Razafy-Andriamihaingo qui, étant à la tête de la délégation malgache, participe au nom de Madagascar à l’ouverture solennelle du Second Concile Œcuménique du Vatican à la Basilique Saint-Pierre le 11 octobre 1962. La délégation de Madagascar compte vingt et un membres, dont Monseigneur Jérôme Rakotomalala, deux autres évêques malgaches et dix-huit autres d’origine étrangère.  

Voici Jean XXIII qui fait son entrée avec son cortège composé de la Curie et de dignitaires laïcs de la Cour pontificale. Revêtu des ornements sacrés et du « Manto » papal et tenant sa lourde tiare brodée d’or, malgré la maladie qui le ronge, il est majestueux de souveraineté et de bonté sur son Trône « Sedia Gestatoria » porté, et c’est ainsi qu’il apparaît aux yeux de tous comme le pape de l’espérance vivante. La foule innombrable, impressionnée et recueillie, est visiblement portée par la Grâce divine et n’ose que manifester timidement sa joie intérieure au passage du Pape.

Le voici maintenant qui se dirige vers l’Autel placé à l’entrée du Baldaquin dans la Basilique. Bouleversant le protocole, il descend de la « Sedia gestatoria » et humblement se dirige vers l’Autel se présenter à Dieu et prier.

Maintenant assis sur son trône sous le Baldaquin, Jean XXIII prononce son discours inaugural d’une voix forte. Sans fard, il dénonce l’immobilisme et pointe le but : la Rénovation, l’ « Aggiornamento » de l’Eglise pour les temps à venir.

Le cap est fixé, chacun sait désormais de quoi il retourne et tant l’habileté que l’inspiration des membres de la Commission des Réformes qui va se constituer fera le reste !

Les cérémonies d’ouverture du Concile étant terminées, Jean XXIII, le fils de paysan que le pouvoir romain n’a pas changé, circule dans les rangs des délégations étrangères et aperçoit le chef de la délégation malgache qu’il reconnaît. C’est avec une touchante simplicité pleine d’affection que le pape l’invite à l’accompagner un moment pour saluer les autres délégations… 

Le soir venu, la foule immense qui envahit la Piazza San Pietro pour fêter l’évènement universel qu’est ce Concile Vatican II, se rafraîchit sous les fontaines et jouit de la luminosité féerique des façades et de la lueur étincelante des torches allumées à l’invitation des autorités vaticanes.

Devant leur ampleur et leur profondeur, les travaux du Concile Vatican II ne seront, quant à eux, clos que trois ans plus tard, en 1965, par le Pape Paul VI.

                                           UNE TOILE RELATIONNELLE PERMANENTE ?

Entre-temps, la mort de Jean XXIII avait saisi le monde entier d’une immense tristesse qui ne sera que partiellement consolée par l’élévation de Paul VI sur le trône de Saint-Pierre.

Le Rite solennel de son couronnement a lieu le 30 juin 1963, et c’est à nouveau l’ambassadeur Pierre Razafy-Andriamihaingo qui y représente Madagascar.

Paul VI, un homme plus discret et, paraît-il, plus « intellectuel » que son illustre prédécesseur, est très conscient de sa lourde tâche, surtout compte tenu des remous soulevés par les travaux du Concile Vatican II qui se poursuivent dans un climat très difficile, les groupes d’avant-garde ne voulant rien céder à ceux qui ne veulent rien changer aux rites traditionnels, et réciproquement.

Pour sa part, Madagascar traverse depuis la fin du régime Tsiranana, en gros depuis 1969, le tourbillon des réalités internationales selon les aléas divers de sa propre vie politique et institutionnelle mouvementée. Au sortir d’une transition qui allait malheureusement rater le coach d’un renouveau en 1972 avec une respiration nouvelle suggérée par une jeunesse inspirée, celui qui a récupéré le pouvoir en 1975, l’amiral « rouge » Didier Ratsiraka, lui le Catholique formé par les Jésuites, engage son pays dans une aventure pour laquelle la nouvelle « bible », le « Boky mena » (« livre rouge »), aboutit par l’embrigadement des consciences à faire vêtir les Malgaches d’horribles oripeaux.

Tout le monde ferme les yeux devant le drame vécu par un peuple désorienté et un pays souillé par les avanies.

Pourtant, c’est au milieu de cette situation de désolation et ayant entendu en écho l’ « amiral rouge » clamer en forme de provocation : « le Malgache ne s’agenouille pas !», que le pape Jean-Paul II avait accepté de fouler le sol malgache de ses saints pieds en 1989. Un immense évènement que Ratsiraka tente de récupérer à son profit.

Mais, le souverain pontife ne tombe point dans ce piège, car il insiste bien que sa venue est pour célébrer la future Sainte Victoire Rasoamanarivo, celle qui du temps des persécutions à l’encontre des Catholiques malgaches sous le régime de son propre oncle le Premier ministre Rainilaiarivony dans les années 1870-1885, avait su résister à l’enfer et montrer par son courage et sa foi inébranlable le chemin de la Lumière.

Vient alors une autre étape cruciale de la vie politique malgache avec l’arrivée au pouvoir de Marc Ravalomanana le Protestant engagé. Mais celui-ci comprend le haut intérêt pour Madagascar d’améliorer ses relations avec le Saint-Siège. Il est en cela bien inspiré par le cardinal Armand Razafindratandra dont la haute figure de proue dépasse le cercle des catholiques malgaches pour déborder sur le terrain politique, le haut prélat bénéficiant en outre de l’écoute de Jean-Paul II.

C’est dans ce contexte qu’en septembre 2002 je suis nommé ambassadeur de Madagascar près le Saint-Siège, l’honneur qui m’échoit étant d’autant plus ressenti qu’en réponse à mon discours lors de la présentation de mes Lettres de créance au souverain pontife trois mois après en décembre 2002, où je fais état du « Fahamarinana » (vérité, véracité) et du « Fahamasinana » (sacré, adoubement populaire) pour ce qui concerne les principes de bonne gouvernance qui guide le nouveau régime, Jean-Paul II , non sans qu’il ait rappelé, pour s’en féliciter, que mon propre père fut le premier ambassadeur de Madagascar auprès du souverain pontife, tient à approuver ces principes de bonne gouvernance et à encourager le gouvernement malgache dans leur application.

L’émotion m’envahit !

Le cérémonial qui régit la présentation des lettres de créance au souverain pontife est impressionnant du début jusqu’à la fin, et ce moment est d’autant plus émouvant que Jean-Paul II, un gaillard adepte des efforts physiques et qui avait fait le tour du monde, est maintenant au bout de ses forces étant miné par la maladie. Il ne peut qu’à peine articuler ses mots.

présentation Lettres à Jean-Paul II (2)

Je suis au premier rang, à la tête de ma délégation (en haut à droite sur la photo), au Palais Apostolique, lors de la cérémonie de présentation de mes lettres de créance à sa Sainteté le Pape Jean-Paul II. Décembre 2002. Reproduction interdite .


Cependant, devant l’excellence des relations de Madagascar avec le Saint-Siège, Marc Ravalomanana sera, avec son épouse, reçu en 2003 en audience privée par le pape Jean-Paul II au Palais Apostolique de Rome où naturellement, avec le cardinal Razafindratandra, je les accompagne.

Le processus de béatification de Victoire Rasoamanarivo, qui est en bonne voie, est accéléré et elle est ainsi promise au rang privilégié de Bienheureuse.

Cet état des choses se poursuit avec le successeur de Jean-Paul II, le nouveau pape Benoît XVI, un autre « intellectuel » qui succède à un autre homme charismatique, héritant d’une situation doctrinale certes maîtrisée mais suscitant beaucoup d’interrogations en ce qui concerne les réponses attendues de l’Eglise sur des sujets sociétaux.

Quant au rang relationnel de Madagascar avec le Saint-Siège, il est maintenu, et le 11 mai 2008 le pape Benoît XVI m’accorde une audience personnelle pour me permettre de lui faire mes adieux en qualité d’ambassadeur accrédité auprès de lui (cliquer sur le lien ci-dessous pour voir la photo : le pape, dans sa chaleureuse simplicité, m’accompagne jusqu’au seuil de la porte de son bureau).

SEM et SS Benoit XVI0001

C’est là où, en concrétisation du bon niveau de ces relations et dans la chaleur de notre entretien, le souverain pontife m’annonce son grand désir d’effectuer à Madagascar une visite dans le courant du printemps 2009, toujours dans le cadre du processus de béatification de notre sainte nationale, et me demande d’y travailler.

Ce que j’enregistre avec joie et honneur, et j’annonce l’excellente nouvelle de ce projet au président Ravalomanana afin qu’on s’y prépare. Mais, voici qu’en mars 2009 survient à Madagascar le sanglant coup d’Etat.

La visite du pape à Madagascar y est ipso facto annulée.

                                                     RETOUR AUX SOURCES ?

Par la suite et dans la foulée, la position officielle ambiguë de l’Eglise vis-à-vis du changement de pouvoir issu du coup d’Etat à Madagascar avait laissé un goût de perplexité, pour ne pas dire d’incompréhension.

En effet François, le nouveau Pape, sans doute par naïveté, et en tout cas en méconnaissance de la gravité des faits qui avaient laissé libre court à des actes anti-démocratiques, ceux-là même que de façon constante le Saint-Siège fustige à travers le monde, se laissa influencer par un certain Père Pedro dont l’activisme au plan politique interne malgache avait choqué (lequel d’ailleurs, par haine pour Ravalomanana, avait été pour beaucoup dans la propulsion du jeune catholique Andry Rajoelina, auteur du coup d’Etat de mars 2009). De fait, à peine entré en exercice, c’est prestement et incompréhensiblement que le pape François reçoit Andry Rajoelina au Saint-Siège !

Ce qui, étant empli de tristesse dans ma catholicité et étant sur le fond pourtant admiratif de ce pape ouvert à la modernité, m’avait fait réagir tout aussitôt en me rendant auprès du cardinal qui présidait le Conseil Justice et Paix du Saint-Siège, et plus tard auprès du Nonce Apostolique en France, pour leur dire combien à mes yeux l’initiative du Pape était, pour le moins, largement inopportune…

S’y ajoutait à l’époque, comme pour assombrir le tableau, la mort de l’unique cardinal malgache de l’époque, Armand Razafindratandra, qui laisse aujourd’hui encore un grand vide.

Cet état des choses a fort heureusement évolué sur le fond.

Les sentiments premiers se sont apaisés, les eaux se sont renouvelées et les vents prometteurs ont soufflé leur doux parfum d’espoir avec quatre évènements marquants:

. en janvier 2017, le Secrétaire d’Etat du Saint-Siège – qui équivaut au « Premier ministre » du Vatican pour nous référer à notre nomenclature « civile » – effectuait une visite apostolique à Madagascar dans le cadre du « cinquantenaire » des relations diplomatiques Saint-Siège/Madagascar (voir à ce sujet notre « post-scriptum ci-dessous);

. le 2 mai 2017, le pape François prenait un décret pour béatifier Lucien Botovasoa, Madagascar comptant ainsi au sein de l’Eglise catholique trois saints ;

. le 29 mai 2018, le même pape François nommait en la personne de Monseigneur Désiré Tsarahazana le nouveau Cardinal malgache, succédant ainsi au sein de la Curie romaine au très regretté Armand Razafindratandra; 

. vint ensuite un autre moment fort avec l’élection fin décembre 2018 de Andry Rajoelina suivie début janvier 2019 de son installation solennelle à la magistrature suprême de Madagascar, lavant ainsi, sur le principe et en apparence la période passée, les valeurs paraissant ainsi, semble-t-il, reprendre le dessus.

De sorte qu’au bout de ce processus, assurément la toile relationnelle entre le Saint-Siège et Madagascar pouvait reprendre, ce qui est désormais le cas, afin que sur des bases qu’on souhaite renouvelées un retour aux meilleures sources relationnelles s’opère. 

Ainsi, est-il officiellement annoncé par le Saint-Siège lui-même le 27 mars 2019, et instantanément repris par la partie malgache, la visite officielle du pape François à Madagascar pour le 6 septembre 2019 pour quatre jours, à l’issue desquels il ira par la suite à l’Île Maurice et au Mozambique.

La boucle semble ainsi bouclée pour que la très Catholique Madagascar retrouve dans la félicité ses racines relationnelles avec le Saint-Siège.  

 

                                                                     Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Ambassadeur de Madagascar près le Saint-Siège de 2002 à 2008, Grand’Croix de l’Ordre de Saint-Grégoire le Grand, il fut conférencier en 2008 à l’Université Pontificale de la Grégorienne de Rome dans le cadre de la formation des diplomates africains accrédités près le Saint-Siège. 

  Image

Décembre 2002: à l’entrée, dans le Palais Apostolique, lors de la présentation au Pape Jean-Paul II de mes lettres de créance, je suis escorté par les gentilhommes de la cour papale. Reproduction interdite.


voeux à benoit XVI

Mes voeux pour le Nouvel An 2006 au Pape Benoît XVI. Reproduction interdite.


POST-SCRIPTUM (29 décembre 2016)

Il est annoncé pour janvier 2017 la visite à Madagascar du Secrétaire d’Etat du Saint-Siège pour célébrer le « cinquantenaire » des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Madagascar.

Voilà donc ce qui marque de façon heureuse une normalisation de ce que fut, ainsi que rappelé dans le corps de notre article plus haut, le haut niveau relationnel de ces relations, normalisation relationnelle qui d’ailleurs va de pair avec une progressive normalisation du régime politique et institutionnel à Madagascar même après 2013.

Cependant, qu’on ne s’y trompe pas quant aux racines mêmes de ces relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Madagascar, qui on l’a vu n’ont pas débuté en janvier 1967, mais bien plus avant.

Janvier 1967 marque certes le début de rapports étatiques permanents et normaux au niveau des échanges réciproques d’ambassadeurs, sachant d’ailleurs qu’alors que le Saint-Siège avait établi depuis lors une Nonciature à Madagascar avec un Nonce résident, dans la réciproque Madagascar , bien qu’elle avait auprès du Saint-Siège un ambassadeur accrédité depuis 1961 à la tête de missions itinérantes – notre propre père, ainsi que le Pape Jean-Paul II nous le rappelait lors dans son discours en réponse au nôtre lors de la présentation de nos Lettres de créance – , celui-ci n’y était donc pas résident en permanence (à l’époque, l’ambassadeur près la Cour de Saint James avait également juridiction sur le Saint-Siège, et depuis que l’Ambassade de Madagascar au Royaume-Uni fut fermé début des années 1970, l’ambassadeur en France en héritait).

De sorte que les relations diplomatiques de Madagascar avec le Saint-Siège, dans le sens plein du terme, sont non pas cinquantenaire mais bien près de soixantenaire…!

Et c’est ici où il convient sans doute de préciser la nature des rapports diplomatiques avec le Saint-Siège.

Entre le Saint-Siège et la Cité du Vatican, il y a en matière internationale une sorte de rôle bicéphale :

. au Saint-Siège la souveraineté internationale et la haute direction des relations diplomatiques à travers le Souverain pontife, son Secrétaire d’Etat et son Secrétaire aux relations avec les Etats ;

. à la Cité du Vatican par contre la charge de la territorialisation juridique de l’Etat, de la protection de son indépendance et de son intégrité.

Dès lors, on comprend que les relations diplomatiques avec le Saint-Siège ne se résument pas à l’aspect territorial – qui les rendrait bien restreintes…-, mais principalement avec la souveraineté fonctionnelle et universelle du Saint-Siège dédiée à la spiritualité catholique et à l’Evangile.

Si bien que les relations diplomatiques avec le Saint-Siège au-delà des missions permanentes réciproques (dans le cas de Madagascar, sans résidence permanente à Rome comme on l’a vu), pouvaient prendre la forme de missions spéciales itinérantes sans ambassade permanente territorialisée...

JPRA

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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6ème INVITE DE LABODIPLO – LA RECONSTRUCTION DE MADAGASCAR

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« Fruit-passion » (jpra)

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                                     LA RECONSTRUCTION DE MADAGASCAR 

                                                        Le 6ème invité

                                                                               Propos introductifs

Nous continuons à  nourrir la rubrique « Parole aux invités de LaboDiplo », toujours dans l’esprit d’une « polarisation »  souhaitable de Madagascar, les invités étant d’origine étrangère, lesquels se proposent de nous dire, à nous Malgaches et à la face du monde, comment ils voient notre retour indispensable sur la scène internationale. 

Nous leur avons  ainsi proposé le thème : « La reconstruction de Madagascar ».

Dans cette nouvelle quête au développement de Madagascar, la Grande Ile doit naturellement retrouver avec ses partenaires de toujours des rapports de confiance réciproque et ceux-ci sont encouragés à conserver dans l’espace malgache une place de choix et un rôle moteur. Parallèlement, Madagascar a  à assurer chez elle le renouveau de la Démocratie et à  mettre en œuvre une planification devant garantir une bonne articulation des politiques sectorielles et une harmonisation des niveaux de développement dans les régions. Pour cela également, dans un monde en constant bouleversement Madagascar se doit d’être plus attentive que jamais à son environnement géostratégique et géopolitique, son positionnement géographique et les leçons de son histoire lui commandant d’être au diapason des questions internationales.                                                                                        

                                                                             Panel des intervenants

Je remercie vivement mes invités qui ont bien voulu marquer par leurs écrits le vif intérêt qu’ils portent au redressement nécessaire de Madagascar, pays qu’ils aiment et dont ils reconnaissent les énormes potentiels. Ils nous livrent respectivement leur vision personnelle, et il est certain que compte tenu des hautes responsabilités qui furent ou qui demeurent les leurs, nous ne pouvons qu’être d’autant plus attentifs à leur contribution expertale.

Précédemment :

Pour commencer, j’avais donné la parole le 20 novembre 2013 à l’Amiral Laurent Mérer, ancien Commandant de la Zone maritime de l’Océan indien et ancien Préfet maritime de l’Atlantique. Il nous a livré ses pertinentes réflexions sur un thème d’une actualité certaine et d’un intérêt permanent : « Madagascar, l’environnement stratégique ». Puis, c’est le docteur Didier Coulomb,  le Directeur de l’Institut International du Froid (IIF), une organisation internationale intergouvernementale d’une importance croissante, qui intervenait pour  la nécessaire  maîtrise, pour Madagascar, de la chaîne du froid, dispositif stratégique  indispensable pour assurer la sécurité alimentaire et sanitaire, mais aussi la diversification et la promotion des produits agricoles et halieutiques,  notamment à travers les techniques de conservation et de distribution. Le 24 novembre, ce fut au tour du  colonel (er) Hughes Lelouvier Aumont de Bazouge d’intervenir, un grand spécialiste de l’Afrique et de Madagascar, et, devrait-on ajouter, un grand amoureux de Madagascar. Il a abordé les « perspectives du développement de Madagascar » sous un angle inédit et plein d’enseignements. Puis, le 26 novembre nous avons donné la parole à Monsieur René-Paul Victoria, ex Député-Maire de Saint-Denis de La Réunion et ex Président du Groupe d’Amitié France-Madagascar de l’Assemblée nationale française, un fin  observateur des réalités malgaches et qui continue à œuvrer à l’optimisation des rapports franco-malgaches. Son texte, initialement conçu pour un colloque à la Maison du Barreau de Paris en  février 2013, n’en garde pas moins son actualité. Il y évoque dans un esprit positif  la vocation de « géant » de Madagascar, l’idée n’étant pas sans  rappeler l’expression de Alain Peyrefitte qui, à son époque dans les années 1970, évoquait l’inéluctable  « Réveil de la Chine » comme d’une échéance proche…Le 28 novembre 2013 nous avions ensuite donné la parole à un Suédois, le Professeur Per-Sigrud Agrell, spécialiste de Géopolitique, Professeur aux universités de Stockholm et de Londres, Directeur de recherche à l’Ecole des Mines de Paris et associé à la Société suédoise « Secana » liée au Ministère suédois de la Défense. Il est particulièrement intéressant de voir comment un natif d’un pays aussi éloigné de Madagascar, la Suède, pays-modèle en matière de démocratie, perçoit notre problématique de reconstruction. Il  évoque la nécessité pour Madagascar de faire le bon choix en matière systémique, la bonne articulation des rouages  étatiques à tous les niveaux étant fondamental pour une application  efficace des politiques et pour une transmission effective des directives, de même que pour une remontée indispensable des informations en provenance  du terrain. Autrement dit : pour assurer une bonne connexion, soignons l’ information et la communication.

–  A présent :

J’ai aujourd’hui le plaisir d’accueillir Madame Annie Favrie, une distinguée économiste-urbaniste, chargée de cours à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, qui, forte de sa longue expérience d’expert-consultant missionnée notamment par le CDE de l’Union Européenne et par la Banque Mondiale en Afrique et ailleurs, a mis en place des clusters pour la filière textile à Madagascar de 2004 à 2011. Sa grande connaissance du secteur et de son environnement social et économique fait certainement des lignes qu’elle développe ci-dessous un texte de référence.

Merci Madame ! A vous la parole !

 

  

                    Ouvrir une fenêtre sur le Monde

Aujourd’hui tout semble n’être qu’affaire de mondialisation, mais c’est surtout la mondialisation des affaires…

Pour que demain, dans un monde plus social et plus solidaire, si nous réussissions la mondialisation des citoyens, il  faut certainement l’« entreprendre autrement  ».

L’ouverture des marchés a pu être perçue comme un risque concurrentiel immédiat pour les entreprises et les salariés occidentaux, mais c’est surtout une chance fabuleuse pour les citoyens de tous les pays.

La vitesse des échanges, l’amélioration du niveau et des conditions de vie ne peut être que profitable au développement de la démocratie.

Paradoxalement, alors que les grands groupes industriels se fragilisent de plus en plus, englués dans leurs stratégies monétaro-financières, les petites et moyennes entreprises, qui ont compris la chance de l’ouverture pour elles, tirent de mieux en mieux leur épingle du jeu.

La réaction pertinente à la mondialisation des échanges est l’organisation des territoires de proximité qui, dans des stratégies de réseaux, de partenariats, d’alliances apportent des réponses leur  permettant de faire vivre leurs différences et leurs spécificités.

Les entreprises se regroupent en grappes ou « clusters », capables d’être plus réactifs, plus créatifs, plus qualitatifs et plus appropriés aux « marchés de niche » répondant à la différenciation de la demande, premier élément qui crée des conditions nouvelles pour valoriser les ressources d’un territoire.

Ces groupements se développent aussi entre les acteurs  en charge par exemple de l’insertion par l’économie et de la lutte contre les exclusions, de véritables « clusters » sociaux où les actions et les impacts sont démultipliés par l’effet réseau.

De même assistons-nous au développement de l’épargne de proximité, du crédit solidaire….

Ces nouvelles pratiques, ces concepts innovants, ces méthodes adaptables, transposables profitent  aussi  de cette fenêtre ouverte sur le Monde, par la rapidité des moyens de communication qui en accélèrent la diffusion.

Alors comment la Grande Île peut elle s’inscrire dans ce schéma, comment Madagascar peut tirer profit de cette nouvelle donne en valorisant ses savoir-faire et compétences  spécifiques ?

La dextérité de la main d’œuvre, la réactivité des entreprises encore à taille humaine, les bas coûts de production, l’introduction effective des normes sociales et environnementales doivent permettre à Madagascar de profiter de cette ouverture.

L’industrie malgache est surtout concentrée sur les filières halieutique et textile. L’agro alimentaire est encore insuffisamment organisé et l’extraction minière  dépendante des capitaux étrangers.

Mais deux grandes richesses de Madagascar encore trop inexploitées pourraient également redonner le souffle nécessaire à ce pays en sortie de crise où 92% de la population vit sous le seuil de pauvreté : l’Artisanat et le Tourisme, sous la forme d’un tourisme durable et responsable.

Ces 2 filières, qui plus est, irriguent l’ensemble des territoires malgaches. Elles peuvent donc faciliter un développement  global tout en s’appuyant  sur un savoir faire ancestral et de qualité pour l’Artisanat et sur des richesses inestimables et reconnues mondialement en matière de biodiversité de la faune et de la flore pour un tourisme responsable.

Pour rentrer dans une véritable dynamique de développement  pour l’ensemble de la population, 3 outils doivent être traités de façon prioritaire :

Ø      Le clustering, ou mise en réseaux ou en grappes par territoire et par filière, ce concept a fait ses preuves quelque soit les cultures, depuis la fin du 19è siècle. A Madagascar même, où les brodeuses de Salonhy Iarivo, et les entrepreneurs de Textîle Mada Group, sous l’impulsion de l’Union Européenne, ont démontré la pertinence et l’impact d’un tel outil ;

Ø      La formation professionnelle initiale et continue, quasi inexistante, dans les filières évoquées mais aussi dans les secteurs tertiaires, numériques et de formations de formateurs ;

Ø      La communication, outil indispensable pour marquer sa place, sa spécificité, son originalité, afin que Madagascar ouvre aussi cette fenêtre sur le Monde que la rapidité des moyens de communication actuels lui offre.

A la croisée des chemins, après 5 ans de coupure politico-économique, Madagascar peut se réapproprier ses richesses, ses compétences, ses savoir-faire en partageant mieux et plus vite les champs d’expérimentation, en capitalisant et en disséminant les exemples, en créant des espaces de convergence, des lieux de rencontres, des outils de diffusion  alimentés et animés par l’ensemble des acteurs de Territoires Socialement Responsables.

Annie FAVRIE

Expert -Consultant

             

                                                                                                  (Reproduction, même partielle, interdite)

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                                                                                  INFORMATION

A nos prochains rendez-vous sont prévus de venir des spécialistes et amis provenant d’Italie, toujours de France, et sans doute aussi des Etats-Unis, du Japon et d’autres contrées de la communauté des nations.

Je les remercie à l’avance.

                                                                                                                        JPRA

 

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REMOBILISATION !

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« Tiges » (jpra)

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                                                   REMOBILISATION !

Il n’y a ni vainqueurs ni vaincus dans cette compétition présidentielle aussi frustrante, à laquelle d’ailleurs s’est volontairement tenue à l’écart une masse imposante d’une population exsangue qui continue d’endurer de graves souffrances et blessures. Il n’y a pas non plus lieu à réjouissances au sein d’une communauté internationale qui devrait regarder de plus près à ses propres errements.

La population malgache, au nom de laquelle chacun se plaît à parler, n’a en fait jamais cru au caractère démocratique de ces élections conduites par un pouvoir anti-démocratique, dont le décompte des votes au final a trop vite été bâclé par une CENIT inféodée et dont les résultats ont été prestement évacués par une Cour Electorale Spéciale aux ordres. Tout comme elle a entendu adresser aux professionnels de tous bords de la politique politicienne, un message pour dire en particulier que face à ses dramatiques problématiques de survie, l’heure est certes encore, hélas !, aux combats électoraux mais pour que le temps qui court ne les fasse pas apparaître comme des combats d’arrière-garde, doivent se coupler, sans aucun doute prioritairement, avec les combats de fond.

Par contre, sans qu’ils y soient préparés car étant eux-mêmes surpris par leur courte « victoire », désormais une lourde responsabilité échoit devant le peuple et devant l’Histoire à tous ceux qui, loin de leurs fanfaronnades indécentes de partisans déclarés d’un illusoire changement, et étant tentés de n’écouter que les chants de leurs sirènes partisanes, risqueraient ainsi d’aggraver davantage encore le sort d’un peuple déjà meurtri et d’un pays ô combien ravagé dont les trésors ont été si lourdement saccagés par eux.

Or, cette majorité silencieuse et celle de ceux dont le champion a été trop rapidement déclaré battu, ont autant droit que ceux qui se sont formellement exprimé autrement, à revendiquer les prérogatives et les bénéfices de l’exercice de la souveraineté populaire, laquelle est indivisible. Il faut ainsi rappeler clairement, qu’en République tout citoyen doit être traité de façon égale quelle que soit sa condition, et sa personne comme ses biens, de même que sa liberté d’expression doivent non seulement être respectées mais protégées, les prescriptions de l’habeas corpus le dictent.

Pour ceux qui, à quelque moment de cette vie politique malencontreusement dévoyée, se destinent tout de même à tenir la barre gouvernementale, la Démocratie qui les interpelle en permanence est à ces prix premiers et élémentaires. Autrement dit, la cohésion, la fraternité et le respect des droits doivent trouver leur traduction concrète dans la quotidienneté et l’immédiateté, les prescriptions de l’Etat de droit – si ce n’est de l’état de droit, avec un petit « e » – le dictent ici aussi avec une pareille force.

Ce n’est que dans ces conditions qu’il conviendrait de larguer les amarres du navire « Madagascar », et ce pour une destination qui doit être connue d’avance; et un cap intermédiaire doit en conséquence être défini et être en vue, car l’horizon doit se présenter avec le doux souffle de l’alizé sans que, une fois de plus et de trop, la rudesse des éléments prélude aux bourrasques des lendemains.

C’est dire aussi que le gouvernail, dont pour l’instant on ne connaît point la nature ni la matière ni la composition, risque ainsi de lâcher si ces conditions ni celles induites ne sont pas réunies.

Or, que ce soit dans l’exercice du pouvoir ou dans la force de proposition de tout acteur politique agissant sur la place publique, le service de l’intérêt général doit être le leitmotiv commun tout comme chacun a le devoir d’entretenir l’espoir pour autrui.

D’un côté, l’abattement est donc interdit ; de l’autre, aucun triomphalisme n’est de mise. Par contre, pour tous, doit venir le moment de se ressaisir et de se mobiliser à nouveau, chacun selon ses capacités et ses convictions, pour faire face aux défis de la Démocratie et du Développement, ces deux exigences fondamentales étant indissociablement liées.

Ce n’est que dans l’apaisement et la confiance réciproque que cela deviendra possible.

C’est à dire, non pas au moyen d’une « réconciliation » factice qui n’a pas lieu d’être puisque point de guerre civile ni de tueries généralisées il y eut heureusement, ce malgré des adversités politiques ardues, mais dans le cadre d’une politique de concorde nationale afin de donner tout son sens à la notion de rassemblement. Un rassemblement des forces vives, qui devient alors une cause nationale, transcendant les clivages partisans mais respectant l’expression des divergences, de sorte que chacun puisse avoir le sentiment vrai de participer à une œuvre commune de reconstruction nationale pleinement vécue et partagée.

Dans ce sens, parler actuellement d’alternance politique dans une situation politique et sociale hyper fractionnée et dans un contexte institutionnel anormal, où les structures sociologiques et les mécanismes démocratiques ont été déréglés ou ignorés, est singulièrement contre productif et trompeur. C’est pourquoi, tant une nouvelle culture politique  qu’une clarification institutionnelle sont indispensables pour lever toutes les ambiguïtés référentielles, juridiques et institutionnelles actuelles, où l’on a une fâcheuse tendance à galvauder les valeurs, à instrumentaliser le droit et à se contenter d’un certain conformisme « bien-pensant » et d’une certaine légalité formelle, sans se soucier de la primauté due à la substance des choses, à la norme juridique, et à la hiérarchie des valeurs.

Dans ce même registre, on sait que la morale de façade, trop souvent placée sous le couvert de la foi, est un exercice auquel tout un chacun excelle sans même pratiquer une once d’éthique personnelle ou collective dans la quotidienneté de ses actes. Il est sûrement temps d’opérer ici également sa mue avec la sincérité voulue.

Si donc recomposition de l’échiquier politique malgache il devrait y avoir à très court terme, ce devrait être au moins autour de ces critères qu’elle aura à s’opérer, sinon les récurrences rétroactives dont l’histoire de Madagascar abonde, ne manqueront pas de jouer leur éternelle partition pour une cadence à rebours du progrès.  

                                                                          Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

HARO SUR L’IMBROGLIO JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL MALGACHE

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« Futurer » (jpra)

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                       HARO SUR L’IMBROGLIO JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL MALGACHE

Au-delà des péripéties électorales qui paralysent actuellement Madagascar et qui placent les Malgaches dans la position d’une nation en sursis à perpétuité, c’est l’ensemble même du système de gouvernance du pays qui est rendu inextricable et, pour ainsi dire, totalement  inopérant.

En effet, le démantèlement des rouages institutionnels comme des mécanismes administratifs, aggravé par le dévoiement des principes juridiques et par l’instrumentalisation à outrance des corps constitués, auxquels s’ajoutent les bricolages textuels et les approximations sémantiques, achèvent de ruiner un édifice que des dizaines et des dizaines d’années d’efforts constructifs avaient permis d’entrevoir.

                                                                                          *

Le sort même de l’expression du vote populaire qui vient d’avoir lieu le 20 décembre 2013 est suspendu aux seules décisions d’une Cour Electorale Spéciale, dont le caractère même de juridiction d’exception et la recomposition hâtive  fondée sur des circonstances politiques, posent d’énormes problèmes que d’aucuns feignent d’ignorer. Or, au-delà même de la « crédibilité » tant du processus électoral que de la sincérité des résultats des scrutins présidentiel et législatif, c’est tout simplement la question de l’instrumentalisation du vote populaire qui est posée.  Car, qui oserait en vérité affirmer que ce vote n’a pas été, dès la base  et dès le départ, mûrement  balisé,  orienté et contrôlé ? Qui prétendrait que c’est en toute quiétude, étant libre de leur destinée et en toute conscience, que les Malgaches souhaitent reconduire aux affaires ceux par le fait de qui ils sont devenus la nation qui s’est le plus appauvrie ces dernières années ?

A supposer même que par une haute inspiration à laquelle assurément elle s’attachera, la Cour Electorale Spéciale satisfait en tous points le Droit et l’expression de  la souveraineté populaire, il n’en demeure pas moins que la question fondamentale du cadre institutionnel de l’exercice du pouvoir pose un grave problème actuellement insoluble.

                                                                                        **

Ainsi, même si la clarification électorale souhaitée intervient, à la condition expresse qu’elle soit conforme aux normes juridiques et démocratiques, elle n’aura pas résolu pour autant la question lancinante de la paralysie des rouages institutionnels de la Grande Ile.

Car, ce n’est certainement pas de la « constitution de la IVème République » portée par un pouvoir qui fut illégitime au moment de son « adoption » au forceps, aujourd’hui claironnée par tout un chacun, singulièrement oublieux des conditions à la fois illégales et illégitimes de ce texte, que peut venir la solution. Ni des quelques décrets et autres ordonnances hâtivement imposés et supposés suppléer aux lacunes béantes, ni non plus des tours de passe-passe hérités de pratiques politiques d’un autre âge.

Il en est notamment ainsi du rôle et de l’étendue des prérogatives respectifs du Président de la République et du chef du gouvernement dans un système institutionnel qui n’a pas de sexe : présidentiel ? parlementaire ? mi-présidentiel mi-parlementaire ? Il en est également ainsi de la désignation du chef du gouvernement dont on ne sait pas d’où et/ou de qui il procède : du libre choix du Président de la République ? Issu du Parlement ?  Choisi obligatoirement au sein de la majorité parlementaire, et si non, par quel type de majorité si tant est qu’une majorité puisse se dégager au sein d’une assemblée de 151 membres annoncés comme disparates ?

Autant de questions, auxquelles d’autres peuvent aisément s’ajouter, tant l’imbroglio institutionnel et politique est total.

Face à cette situation où il y a urgence extrême à mettre un terme à un tel imbroglio, deux seules solutions sont envisageables, l’une dictée par la logique juridique et démocratique, l’autre inspirée par le pragmatisme politique :

1.   la logique juridique et démocratique autant que les nécessités d’une bonne gouvernance résultant d’une bonne pratique institutionnelle veulent que, puisque désormais normalisation politique et institutionnelle il doit y avoir après la période de Transition issue du coup d’Etat de 2009, la constitution de la IIIème République reprenne vigueur  pleinement. En effet, puisque dans l’ordonnancement institutionnel un coup d’Etat (comme celui de 2009) ne saurait avoir un effet novatoire, et la « constitution de la IVème République » ayant été adoptée au bout d’un processus irrégulier initié et porté en 2010 par un pouvoir illégitime (n’ayant même pas bénéficié de la légitimité conventionnelle de la « Feuille de Route » qui n’avait été signée qu’en septembre 2011), rien ne devait anéantir la remise en vigueur de la constitution de la IIIème République dès que les éléments de son rétablissement pouvaient être réunis. Or, c’est désormais le cas.  Cette solution du rétablissement de la constitution de la IIIème République a aussi l’avantage de l’immédiateté, d’une pratique déjà éprouvée et maîtrisée, d’une réelle visibilité institutionnelle, et donne son sens exact à l’exigence unanimement exprimée d’un « retour à l’ordre constitutionnel » ;

2.   le pragmatisme politique serait d’envisager sans délai une remise à plat institutionnelle par la mise en place, par voie d’ordonnance, d’une haute commission constitutionnelle, présidée par un  éminent professeur de droit désigné par la Cour Suprême et composée de deux autres membres choisis par  le Président de la République nouvellement élu et par le Président de la nouvelle assemblée nationale . Dans un délai qui ne saurait excéder quinze jours, elle aurait pour mission unique de remettre de l’ordre dans les textes fondamentaux régissant les institutions de la République, sur la base de quoi sera proposée ultérieurement au vote populaire par voie référendaire la nouvelle loi fondamentale du pays.         

                                                                                           ***

Ne faisons pas nous-mêmes, acteurs politiques, citoyens comme partenaires internationaux de Madagascar, comme l’autruche qui enfonce la tête dans le sable pour ne pas avoir à affronter la réalité. Le chamboulement juridique et institutionnel étant actuellement cette réalité criante, il faut l’éradiquer en traitant le mal au fond et dans sa cause première, et non à travers ses simples symptômes, dont on connaît par ailleurs les fauteurs.

Le futur doit ainsi se conjuguer : « futurer » est, plus que jamais, le maître mot. Pour cela, il faut un assainissement institutionnel.

Puisque Droit et Démocratie doivent primer sur tout le reste, c’est donc en leur nom que sans discussion aucune il convient de trancher, en urgence absolue, en faveur de la première solution, c’est-à-dire  le rétablissement immédiat et franc de la constitution de la IIIème République, ce avec toutes les mesures courageuses qui s’imposent.

                                                                      Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

BUSHIDO (dernière partie)

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Dessin de Roberta Faulhaber-Razafy-Andriamihaingo, d’après une estampe de Daidoji Yuzan (1639-1730) – Reproduction interdite – 


                               BUSHIDO (dernière partie)

 

D’aucuns continuent de voir dans le « Bushido », le « Code d’honneur » des Samurais japonais, une sorte de bible de l’esprit conquérant des capitaines d’industrie du pays du Soleil Levant d’aujourd’hui.

Or, ne s’agissant là que d’une perception par trop superficielle et utilitaire d’une haute référence morale, nous souhaitons, dans cette approche succincte mais, espérons-nous, suffisamment précise, dire ce que le « Bushido » renferme en réalité.

Dans la première partie (voir par ailleurs sur ce même Blog, l’article daté du 11/1/2014), nous sommes remontés aux origines historiques et à l’étymologie des termes avant d’entrer en matière par l’évocation des deux premiers principes du « Bushido » avec la Rectitude et le Courage. Les quatre principes suivants (3 à 6 inclus) sont évoqués dans la 2ème partie (datée du 12/1/2014) de notre série d’articles. 

Rappelons ici à nouveau, puisqu’en effet notre époque est trop oublieuse de la noblesse des armes, qu’il s’agisse de certaines forces armées ou de l’ordre dans certains pays ou, surtout et par extension, des adeptes des arts martiaux dans la pratique de leur art et dans leur vie quotidienne, l’intégration des valeurs essentielles de la Chevalerie, notamment, à travers les préceptes tels qu’ils sont explicités dans le « Bushido », constitue un devoir.

Mais, nous le disions également, les principes du « Bushido » peuvent parfaitement, moyennant des interprétations adéquates et hors de toute considération idéologique, s’appliquer en matière de Bonne Gouvernance, là où il s’agit d’appliquer des principes forts de type éthique, et là où les critères comportementaux doivent prendre tout leur sens.

En outre, nous soulignions qu’une véritable tradition est constitutive et non constituée. Le « Bushido » est de cette veine constitutive.

Au « Dojo » (lieu de pratique de la voie), à l’entraînement, à l’œuvre, dans l’exercice de sa mission ou dans sa vie quotidienne, et si l’on se réfère au « Bushido », la gent militaire ou le pratiquant d’arts martiaux doit avoir chevillé au corps et ancré à l’esprit que le grade qu’il a acquis a une triple valeur : « Shin » (valeur morale, esprit, caractère), « Ghi » (valeur technique), et « Tai » (valeur corporelle).

Cette triple valeur peut exister, pour chaque pratiquant, en proportion variable selon  l’âge, la santé, le sexe. La valeur « Shin » domine et commande les autres. Un pratiquant sans valeur « Shin » et qui possèderait seulement les deux autres serait un être dangereux et nuisible pour tous, et finalement pour lui-même. « « Ghi » gouverne « Tai » et oriente ou compense la valeur physique. Une « ceinture noire » suppose donc un développement suffisant « Shin-Ghi-Tai ».

Enfin, rappelons que nos propos se réfèrent au remarquable ouvrage de l’éminent Inazo Nitobe, Professeur à l’Université impériale de Tokyo, « Le Bushido, l’âme du Japon », Payot, Paris), et reprennent les développements d’un fascicule que j’avais spécialement rédigé à l’attention de nos élèves d’Aïkido des clubs « Sanbu » de la Cité Internationale universitaire de Paris et « Langues O’ Arts Martiaux » de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris, que je salue d’ailleurs chaleureusement ici tant nous avons partagés de riches propos, moments et expériences durant plusieurs années dans des cadres interculturels uniques.

Le « Bushido » réunit donc douze principes essentiels. Nous avons résumé dans les deux précédentes parties de notre article les six premiers : la Rectitude ; le Courage ; la Bonté et l’Humanité ; la Politesse ; la Véracité, la Sincérité et la Loyauté ; le Désintéressement ou le Détachement.

Nous poursuivons maintenant avec les principes 7 à 12 inclus.           

                                                                    7. L’HONNEUR

Ayant par avance donné sa vie, le Samurai, comme le Chevalier, n’existe que par sa valeur, la noblesse de son esprit, la dignité de son état. Le terme Honneur exprime cette existence spirituelle. Cette vie supérieure est « la partie immortelle de soi, le reste étant matériel ».

Toute atteinte à l’intégrité de cet état donne un sentiment de honte (Ren-chi-shin), surtout si elle est due à un écart de conduite du Chevalier lui-même. Dans ce cas, l’honneur de l’homme est en jeu et sa vie intérieure est en danger. Le sens du déshonneur est ainsi le stimulant suprême pour corriger la conduite.

Au Japon, les enfants sont élevés avec un sentiment aigu de l’honneur, leurs parents manifestent eux-mêmes un attachement plus grand à l’honneur qu’à la vie…Quelle peut être l’existence d’un homme qui a perdu l’estime de soi ?

Cette estime indispensable, basée sur la valeur que la noblesse d’âme confère, est le sentiment de l’honneur. Un samurai, dans sa jeunesse, refuse de laisser entamer sa réputation par une compromission légère parce que, disait-il : «le déshonneur est pareil à une cicatrice sur un arbre que le temps, au lieu d’effacer, agrandit tous les jours ».

Meng-Ze, un philosophe chinois, avait enseigné : «  la crainte de la honte est la terre où poussent toutes les vertus, les bonnes manières et les bonnes mœurs ».

Mais, l’histoire nous enseigne que ce sens de l’honneur, quand il est mal compris, donne lieu chez les samurai et chevaliers, à des exagérations morbides. Ceux qui n’avaient sacrifié par avance que leur corps, mais cultivaient inconsciemment un égoïste amour d’eux-mêmes et un orgueil arrogant, croyaient pour un « oui » ou un « non » devoir laver dans le sang les pseudo atteintes à leur honneur.

Heureusement, chez les samurai, s’offenser d’une provocation légère était ridiculisé comme un manque de « contrôle de soi ». Un dicton populaire ne dit-il pas : « supporter ce qu’on croit ne pas pouvoir supporter, voilà qui est réellement supporter ! ».

Le grand Yeyasu Tokugawa, que nous pourrions surnommer le Richelieu nippon, qui fit d’une main d’acier « l’Empire solide comme un diamant », disait entre autres : « la vie d’un homme est une route longue avec un lourd fardeau sur les épaules. Pas de hâte…pas de reproches à autrui, mais sois attentif à tes propres erreurs…

La patience est ce qui berce la longueur des jours ».

Certains disciples du « Bushido » pouvaient atteindre un haut degré de douceur pacifique. Tel Ogawa : « Quand les autres disent toutes sortes de mal de toi, ne rends pas le mal pour le mal, mais réflechis que tu n’as pas été non plus toujours  fidèle dans l’accomplissement de tes devoirs ».

Et Kumazawa de dire : « Quand d’autres te blâment, ne les blâme pas. Quand d’autres sont en colère contre toi, ne le sois pas contre eux. La joie ne vient que lorsque la passion et le désir sont partis ».

Mais l’honneur est attaché à la manière d’être, à la fidélité, à la parole, à un ami, à un maître, un idéal, ou à la vérité. C’est pourquoi le devoir de fidélité est un des piliers du « Bushido ».

                                                            8. LE DEVOIR DE FIDELITE

Le sentiment de fidélité a, dans le « Bushido », une importance capitale. 

Au Moyen-Age, la fidélité et la loyauté étaient les sentiments qui liaient le vassal au suzerain. Le sentiment d’allégeance liait le vassal au suzerain jusqu’au sacrifice de sa vie.

De nos jours ce lien a évolué, mais, il n’a pas pour autant disparu. Aujourd’hui, il convient de faire preuve de fidélité et de loyauté, par exemple à l’égard de sa patrie, y compris, pour la défendre, l’éventuel sacrifice de la vie. Celui qui se dérobe à ce devoir est considéré comme un lâche ou un traître.

En Chine, Kong-Ze (Confucius) faisait de la fidélité et de la loyauté à l’égard des parents le premier des devoirs humains. Dans l’Inde, ces devoirs occupent une grande place. Au japon également.

Mais dans l’Inde, la première place revient au maître spirituel ; au Japon, elle revient à l’Empereur qui incarne pour les Japonais le Yamato, l’âme même du pays.

Tel sera capable de vivre, mais aussi de mourir pour son Roi, son Empereur, ses parents, tel autre pour sa religion, sa patrie, sa philosophie, son parti, etc…bien entendu, cette énumération n’induisant en rien une appréciation quelconque de notre part sur de tels engagements, mais pour souligner que toutes ces fidélités et loyautés ont un dénominateur commun : la consécration de sa vie à quelque chose de plus grand que soi et que les possessions humaines ou matérielles. 

Celui qui ne vit que pour soi ou ses possessions humaines ou matérielles est un vivant de qualité médiocre, qui ne sauvera finalement aucune de ses possessions, ni même sa vie, puisque tôt ou tard il mourra.

L’adepte du « Bushido » offre sa vie entière à l’idéal qui lui semble le plus vrai. Ainsi, c’est sous la forme de cet idéal, l’amour de la vérité qui l’anime. Le sens du devoir en résulte.

Le « Bushido » tranche dans ce sens, et ses adeptes connaissent de cruels dilemmes, où il faut choisir entre plusieurs devoirs, celui qui est le plus élevé. Sanyo raconte de façon émouvante la lutte éprouvante qui déchire Shigemori lors de la rébellion de son père contre son suzerain : « Si je suis loyal, mon père est perdu ; si j’obéis à mon père, je manque à mon devoir envers mon souverain ».

Il priait de toute son âme pour que le ciel ait la clémence de lui envoyer la mort…

Mais le « Bushido », s’il enseigne la fidélité et la loyauté à un maître ou à un suzerain digne de cette consécration, ne demande pas de sacrifier sa conscience à qui n’en est pas digne.

En pareil cas, le devoir du Samurai est d’employer tous les moyens possibles pour persuader le maître ou le suzerain de ses erreurs. Nous ajouterons : voire de lui désobéir et, même, de le quitter si ces erreurs sont graves.

                                                                 9. LA MODESTIE

 Comme toutes les autres bases du « Bushido », la modestie a ses véritables racines dans la Sincérité et la Vérité.

Un grand sage de l’Inde, Shri Ramakrishna, a dit : « Nul orgueil qui exalte la gloire de l’âme n’est de l’orgueil. Nulle humilité qui abaisse la gloire de l’âme n’est de l’humilité ».

Lorsque les organes du corps sont en bon état et  fonctionnent normalement, ils ne sont pas ressentis. Celui dont la vue est bonne ne songe pas à proclamer : « j’ai des yeux ! ». Celui dont le coeur bat sainement ne s’étonne pas et ne s’écrie pas : « j’ai un cœur ! ».

Un homme naturellement fort ne pense pas à sa force, ni un homme intelligent à son intelligence. Nul ne songe à claironner : « je suis un homme », car il l’est.

La modestie consiste donc à être conscient de soi-même, de savoir apprécier, respecter et aimer la valeur chez les autres.

                                                                  10. LE RESPECT

Sans modestie aucun respect n’est possible, sans respect aucune confiance ne peut naître. Sans confiance aucun enseignement ne peut être donné ni reçu.

« L’eau ne peut couler du réservoir que si le récipient est mis dessous. S’il est placé dessus, il ne s’emplit pas ».

L’enseignement qui entraîne et exige une profonde transformation physique, psychique, morale et spirituelle est de l’ordre de la « connaissance ». Celui qui enseigne et préside à cette transformation a le titre de « Maître ».

Celui qui reçoit cet enseignement, accepte les disciplines, et accomplit sa transformation reçoit le nom de « Disciple ».

 En Orient le Maître est placé au-dessus des parents. En Inde on dit : « la mère vaut dix pères, mais le Maître vaut dix mères ».

Les arts martiaux traditionnels sont avant tout des Ecoles de Vie. La formation est assurée par l’esprit du « Bushido ».

Le maître en arts martiaux est avant tout le disciple de son ou de ses maîtres. Il a subit une formation technique, physique et psychique qu’il peut transmettre à son tour. S’il a été bien formé, il est suffisamment modeste pour connaître les limites de sa connaissance.

Mais, ce qu’il connaît, il peut le transmettre. Si donc il enseigne, il doit sans fausse modestie prendre la responsabilité de la transformation de son disciple. Il doit l’assumer courageusement et se conduire de telle façon qu’il puisse lui servir d’exemple, non seulement de technique, mais aussi de caractère, de maîtrise et des autres aspects du « Bushido ».

Cette prise de responsabilité implique du courage, mais aussi « la tendresse du guerrier » pour le disciple. C’est le respect du maître pour le futur maître qui dort en son disciple. Ainsi maîtres et disciples se forment mutuellement et se respectent réciproquement.

Cette attitude de respect doit s’étendre au Dojo où l’enseignement est donné et la Voie supérieure recherchée. Elle doit englober aussi les partenaires dans la même recherche.

Pour respecter les autres, il faut pouvoir résister à ses propres passions : d’irritation, de colère, de désir, de peur, etc…

Résister à ses entraînements passionnels c’est le véritable respect de soi. Faire régner le Moi supérieur sur sa condition humaine, c’est faire preuve d’humanité vraie. La force d’âme, combinée au respect d’autrui et à la politesse, qui ne veut pas affliger ou gêner les autres, aboutit à une attitude stoïque.

Dans le « Bushido » cela est connu comme le contrôle de soi.

                                                          11. LE CONTRÔLE DE SOI

Pour un samurai laisser apparaître ses émotions sur le visage ou dans ses gestes est un manque de virilité. « il ne montre aucun signe de joie ou de colère » est la phrase usitée pour décrire un haut caractère.

Un tel homme doit contrôler et dominer ses affections les plus naturelles.

Pour un observateur non  averti, un tel comportement peut sembler de la dureté de cœur. Pourtant le samurai est aussi accessible aux émotions et à la sensibilité que quiconque.

Le calme, le comportement, l’égalité de l’esprit et du cœur ne doivent être troublés et dominés par aucune passion. Les plus grands drames sont vécus dans le silence. Nul ne voudrait attrister son hôte, son prochain, avec ses propres peines.

Un jeune Samurai écrivait dans son journal : « sens-tu le tréfonds de ton âme remué par de tendres pensées ? C’est le moment où la semence germe. Ne la dérange pas en parlant, mais laisse l’œuvre s’accomplir tranquillement dans le calme et le secret ».

Chez le Samurai, la répression des sentiments et des passions ainsi fermement exigée et maintenue doit avoir pour effet l’accumulation d’une grande quantité d’énergie.

Cette puissante énergie trouve son expression dans l’action, mais aussi dans la sensibilité esthétique et la poésie.

Quand cette sensibilité, ce sens de la beauté et l’expression artistique sont soigneusement entretenus, ils confinent à la bonté et compensent heureusement ce que la dureté de la maîtrise de soi semble avoir d’impitoyable.

De cette conjonction peut naître l’émouvante et forte tendresse du guerrier, Bushi-no-Naske. La perfection de la maîtrise réside dans l’équilibre entre la contention des passions égoïstes et la libération des nobles élans de la nature humaine, purgée de ses étroitesses.

Cette puissante structure intérieure est l’aboutissement naturel de la culture selon le « Bushido ». la compréhension entre ceux qui subissent les mêmes épreuves, les mêmes souffrances, les mêmes joies et les mêmes espoirs fait naître l’amitié.

                                                             12. L’AMITIE, LA BIENVEILLANCE

L’amitié est peut-être le plus pur des sentiments de l’homme.

Vierge de passions, elle est sans doute une des formes les plus altruistes de l’amour. Fondée sur la compréhension, l’estime et la confiance mutuelles, elle permet les échanges humains les plus élevés.

L’amitié est un échange noble entre égaux.

Lorsque ce sentiment s’exerce à l’égard d’un plus faible ou plus ignorant, il change de nom et devient la Bienveillance.

Amitié et Bienveillance sont les dispositions d’âme naturelles de l’homme fort, du samurai, du Chevalier.

Leur absence est signe de faiblesse.

                                                                  CONCLUSION

Les Lettres et les arts militaires sont les deux Voies que doit suivre le Samurai.

Au titre des Lettres, assurément le « Bushido » fait partie intégrante de cette spiritualité japonaise qui fascine à bien des égards et qui comprend donc : le Shintoïsme, le Confucianisme, le Bouddhisme, et le Bushido.

En tout cas, si l’on revient à l’image du capitaine d’industrie japonais héritier de la tradition des samurai, sachant qu’un Samurai se devait donc d’avoir une haute spiritualité, c’est idéalement ce quadripode spirituel et culturel qui doit former le socle de sa formation.

Entre cette spiritualité et cette culture, d’une part, et la pratique, d’autre part, il devrait ainsi y avoir moins que l’épaisseur d’une feuille.

Mais, la culture japonaise garde jalousement un autre trésor référentiel aujourd’hui encore servant de guide aux adeptes des arts martiaux traditionnels ainsi qu’à ces capitaines d’industrie toujours friands de méthodes stratégiques et tactiques.

C’est le fameux « Gorin-no-Sho », les « Ecrits sur les cinq roues » de Miyamoto Musashi, le plus grand des sabreurs japonais, contemporain de d’Artagnan.

Il s’agit d’un recueil sur les arts de combat, ces principes communément appelés en Chine et au Japon comme étant « la Voie de la tactique », que tout honnête adepte d’un art martial traditionnel et les avisés capitaines d’industrie japonais connaissent.

Nous nous proposons d’évoquer ces Ecrits dans un prochain article.               

                                                           Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Diplômé supérieur d’études chinoises de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris,  professeur d’Aïkido et ancien responsable fédéral de l’Aïkido en France (Union Nationale d’Aïkido – UNA), président de sa Commission juridique. 

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« Bushido 3 » (jpra) – Reproduction interdite – 

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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BUSHIDO (2ème partie)

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Dessin de Roberta Faulhaber-Razafy-Andriamihaingo d’après une estampe de Ichi Eesai (époque Edo) – Archives personnelles de Jipiera – Reproduction interdite –

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                            BUSHIDO (2)

 

D’aucuns continuent de voir dans le « Bushido », le « Code d’honneur » des Samurais japonais, une sorte de bible de l’esprit conquérant des capitaines d’industrie du pays du Soleil Levant d’aujourd’hui.

Or, ne s’agissant là que d’une perception par trop superficielle et utilitaire d’une haute référence morale, nous souhaitons, dans cette approche succincte mais, espérons-nous, suffisamment précise, dire ce que le « Bushido » renferme en réalité.

Dans la première partie (voir par ailleurs sur ce même Blog, l’article daté du 11/1/2014), nous sommes remontés aux origines historiques et à l’étymologie des termes avant d’entrer en matière par l’évocation des deux premiers principes du « Bushido » avec la Rectitude et le Courage.

Rappelons ici à nouveau, puisqu’en effet notre époque est trop oublieuse de la noblesse des armes, qu’il s’agisse de certaines forces armées ou de l’ordre dans certains pays ou, surtout et par extension, des adeptes des arts martiaux dans la pratique de leur art et dans leur vie quotidienne, l’intégration des valeurs essentielles de la Chevalerie, notamment, à travers les préceptes tels qu’ils sont explicités dans le « Bushido », devrait constituer un devoir.

Mais, nous le disions également, les principes du « Bushido » peuvent parfaitement, moyennant des interprétations adéquates et hors de toute considération idéologique, s’appliquer en matière de Bonne Gouvernance, là où il s’agit d’appliquer des principes forts de type éthique, et là où les critères comportementaux doivent prendre tout leur sens.

En outre, nous soulignions qu’une véritable tradition est constitutive et non constituée. Le « Bushido » est de cette veine constitutive.

Au « Dojo » (lieu de pratique de la voie), à l’entraînement, à l’œuvre, dans l’exercice de sa mission ou dans sa vie quotidienne, et si l’on se réfère au « Bushido », la gent militaire ou le pratiquant d’arts martiaux doit avoir chevillé au corps et ancré à l’esprit que le grade qu’il a acquis a une triple valeur : « Shin » (valeur morale, esprit, caractère), « Ghi » (valeur technique), et « Tai » (valeur corporelle). Cette triple valeur peut exister, pour chaque pratiquant, en proportion variable selon  l’âge, la santé, le sexe.

La valeur « Shin » domine et commande les autres. Un pratiquant sans valeur « Shin » et qui possèderait seulement les deux autres serait un être dangereux et nuisible pour tous, et finalement pour lui-même. « « Ghi » gouverne « Tai » et oriente ou compense la valeur physique. Une « ceinture noire » suppose donc un développement suffisant « Shin-Ghi-Tai ».

Enfin, rappelons que nos propos se réfèrent au remarquable ouvrage de l’éminent Inazo Nitobe, Professeur à l’Université impériale de Tokyo, « Le Bushido, l’âme du Japon », Payot, Paris), et reprennent les développements d’un fascicule que nous avons spécialement rédigé à l’attention de nos élèves d’Aïkido des clubs « SANBU » de la Cité Internationale universitaire de Paris et « LOAM » – « Langues O’ Arts Martiaux » – de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris.

Le « Bushido » réunit donc douze principes essentiels. Nous avons résumé dans la première partie de notre article les deux premiers : la Rectitude et le Courage.

Nous poursuivons maintenant avec les principes 3 à 6 inclus.

   3. LA BONTE, L’HUMANITE

Bushi no Nasake : la tendresse d’un guerrier, ces mots éveillent tout de suite un sentiment noble.

Cette tendresse est la bonté qui est un sentiment de pitié virile, conscient, équilibré par une raison ferme. Comme dirait l’adage populaire : « les plus braves sont les plus tendres, et ceux qui aiment sont ceux qui osent… ».

La pitié, lorsqu’elle n’est qu’un réflexe, peut être à la base de sentiments apparemment humains. Cependant, elle n’est souvent que la traduction d’impulsions, d’angoisse, de faiblesse, de peur ou d’une obsession de culpabilité.

Mais, lorsqu’elle naît chez un homme qui possède la rectitude, le courage, le sens de l’honneur, et dont la valeur est réelle, alors elle est pure. Son humanité est vraie. Seul celui qui est fort, désintéressé, maître de soi, peut avoir une pitié et une bonté authentiques.

« Le pardon est la parure du guerrier », disait le Mahatma Gandhi.

La force, pour un homme désintéressé, n’a de sens que pour protéger la faiblesse. La faiblesse physique ou morale ou celle de l’adversaire vaincu, ont droit à la protection du fort. C’est la vérité de la force et son honneur.

Une authentique maxime du « Bushido » dit : «  il n’est pas convenable pour le chasseur de tuer l’oiseau qui se réfugie dans son sein ». Parallèlement à la culture des arts martiaux et des vertus viriles, le « Bushido » cultive le sens de la beauté dans la musique, les arts, la poésie et dans une exquise sensibilité esthétique.

La sensibilité et la forte tendresse du Chevalier lui donne la possibilité de compatir aux souffrances d’autrui. Le respect des autres, le souci de les honorer et de ne pas leur causer de troubles et de peines inutiles, le conduisent à développer en lui la courtoisie et la politesse.

                                                                 4. LA POLITESSE

Si la politesse n’est que conventionnelle, elle n’a qu’une valeur limitée, extérieure et superficielle.

Mais pour le Samurai, le Chevalier, elle est d’abord l’expression de sentiments profonds, d’égards pour les autres, de modestie pour soi. Elle traduit la tendresse humaine du Samurai, son désintéressement, son respect pour la valeur ou pour la faiblesse d’autrui. Dans sa forme la plus élevée et la plus consciente, la politesse confine à l’amour.

La codification des gestes et du cérémonial de la politesse constitue l’étiquette qui encadre la vie. Cette étiquette, enseignée dès l’enfance, permet de discipliner les passions, et rendre possibles et agréables les rapports sociaux.

Dans les dojos (lieux de pratique de la voie) où cette étiquette est indispensable, elle a la même utilité. Mais, en plus, elle peut faire éclore en chacun les sentiments qui correspondent aux gestes et au cérémonial.

De même qu’une attitude grossière, le laisser-aller, les positions négligées ou désinvoltes favorisent les sentiments bas et vulgaires, de même, une attitude noble, correcte, respectueuse, favorise l’épanouissement de sentiments nobles et élevés.

Un novice peut trouver fastidieux les gestes et les formes des cérémonials et des étiquettes. Mais, rapidement, il découvrira que les manières prescrites sont celles qui épargnent le plus la dépense d’énergie.

Une des écoles japonaises les plus célèbres pour l’étiquette, l’ »Ogasawara », a popularisé la maxime suivante : « le but de toute étiquette est de cultiver votre esprit de telle manière que, lorsque vous êtes tranquillement assis, l’idée ne puisse même pas venir au plus grossier des hommes d’oser vous attaquer ».

La bienséance, la courtoisie, résultent de mobiles de bonté et de modestie et de sympathie pour la sensibilité des autres.

La politesse traditionnelle japonaise donne la primauté à la bienséance. ..C’est une question de discernement. Mais, le fait que le dilemme puisse se présenter entre la vérité et la bienséance, démontre l’importance de la politesse qui est une forme de la bonté.

Pour le Samurai cependant, comme pour le Chevalier, la véracité et la sincérité sont les fondements de la vie.

                                                         5. VERACIE, SINCERITE, LOYAUTE

 Le Lettré Masamme a dit : « la bienséance poussée à l’extrême devient un mensonge ».

Et un autre poète a déclaré : « sois fidèle à toi-même ; si dans ton cœur tu ne t’écartes pas de la vérité, tu n’auras pas besoin de prier les dieux pour être efficacement protégé ».

Kong-Ze (Confucius) va plus loin : « la sincérité est la fin et le commencement de toute chose ; sans sincérité rien n’existerait ». L’idéogramme chinois qui signifie sincérité est une combinaison de « Parole » et de « perfection ».

Le « Bushido » tient le mensonge ou l’équivoque pour une égale lâcheté. Bushi no Ishigon : « parole de Samurai », comme en allemand, Ritter-wort : « parole de Chevalier », sont une garantie suffisante. Une promesse ainsi faite est tenue, sans preuve nécessaire de cet engagement. Il n’y a pas de différence entre Vérité et Réalité. Cependant il peut exister des préséances entre le Vrai et le Réel. C’est alors que doit intervenir le discernement.

Dissimuler ses propres tourments ou souffrances physiques et morales traduit le souci de ne pas troubler ou peiner les autres. Mais, c’est le discernement qui détermine les limites et l’opportunité de cette attitude. Il suffit d’être en accord de vérité en soi-même, mais avec une sincérité totale.

La loyauté est l’expression de la rectitude, de la justice et de la sincérité, dans les rapports d’intérêts avec les autres hommes et la société.

La passion du « Bushido » pour la franchise, la loyauté, a sa source dans le courage, mais aussi dans le besoin de limpidité, de pureté, d’harmonie et de cohérence. Tout ce qui entache cet état est déshonorant.

Un critère fondamental de la vérité et de la sincérité d’un homme est son désintéressement, ou détachement de l’intérêt personnel. L’action et la vie chevaleresque sont d’abord désintéressées.

                                                 6. LE DESINTERESSEMENT OU DETACHEMENT

Si une action ou une attitude ont pour objet notre profit personnel, elles sont entachées d’égoïsme et de sentiment possessif.

Elles ne peuvent donc être conformes à la vérité et à la réalité qui comprennent mais dépassent notre personne.

L’intérêt personnel, l’amour excessif de notre corps ou de nos possessions faussent notre vision du réel.

La pratique de la véracité, de la sincérité, de la rectitude, du courage, de la politesse, de la bonté, de l’amitié, de la gratitude, de la loyauté vident notre nature de l’attachement au corps et aux possessions.

Alors, la dévotion à la vérité nous habite et prend toute la place. Les calculs, seulement personnels, ne peuvent plus prendre naissance. Le samurai, le Chevalier, sont les serviteurs de ce qui soutient et développe l’humain dans l’humanité.

C’est pourquoi leur action est gratuite pour la Vérité et pour le Beauté.

L’emblème du Samurai est la « Sakura », fleur de cerisier japonais, qui s’ouvre pour la seule beauté, et ne produit pas de fruits. Quand elle a délivré son message de beauté, elle tombe et meurt. Elle est le symbole du désintéressement total.

Les maîtres en Orient, que ce soient des maîtres d’arts martiaux, d’autres arts traditionnels, ou des maîtres de sagesse, enseignent gratuitement, parfois ils logent et nourrissent leurs disciples.

Ces derniers, à leur tour, servent leur maître dans toute leur vie domestique, attendent patiemment son enseignement et lui obéissent totalement en toutes choses.

Le maître choisit ses disciples, accepte ou non les candidats. Ce que le maître ne peut se payer, « n’a pas de prix », la valeur en est inestimable. « Mes parents m’ont donné un  corps et une éducation, mon maître a fait de moi un homme ».

Seule une gratitude infinie peut équilibrer un don illimité. Souvent, plus tard, le disciple met aux pieds de son maître le meilleur de ce qu’il possède et parfois de véritables fortunes. Le maître utilise ces dons pour loger, nourrir, enseigner de nouveaux disciples, non pour s’enrichir.

Le sens de l’honneur est fils de cette générosité totale, il est un des principes essentiels du « Bushido ».        

(A suivre)

                                                           Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Diplômé supérieur d’études chinoises de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris,  professeur d’Aïkido et ancien responsable fédéral de l’Aïkido en France (Union Nationale d’Aïkido – UNA), président de sa Commission juridique.   

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« Bushido 2 » (jpra) – Archives personnelles de Jipiera ou Jpra – Reproduction interdite –

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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BUSHIDO

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Dessins de Roberta Faulhaber-Razafy-Andriamihaingo d’après des estampes japonaises de Iku Yoshi – Reproduction interdite –


                                         BUSHIDO

 

D’aucuns continuent de voir dans le « Bushido », le « Code d’honneur » des Samurais japonais, une sorte de bible de l’esprit conquérant des capitaines d’industrie du pays du Soleil Levant d’aujourd’hui.

                                                                Références étymologiques

Or, il ne s’agit là que d’une perception par trop superficielle et utilitaire d’une haute référence morale dont tout un chacun peut en tirer de la graine.

Qu’en est-il alors, et surtout, que renferme-t-elle puisqu’en effet à ses origines elle concernait la haute classe des « Bushi » (la noblesse des armes) et, par extension, les adeptes des arts martiaux japonais dans la pratique de leur art et dans leur vie quotidienne ?

D’ailleurs, combien de ceux-ci, par trop préoccupés d’efficacité, de « prouesses techniques » ou de culte immodéré du soi, comprennent, appliquent et vivent réellement le « Bushido » ou se sentent concernés par ses principes exigeants ?…

Mais, nous verrons aussi au fil des développements de notre propos que les principes du « Bushido » peuvent parfaitement, moyennant des interprétations adéquates et hors de toute considération idéologique, s’appliquer en matière de Bonne Gouvernance, là où il s’agit d’appliquer des principes forts de type éthique, et là où les critères comportementaux doivent prendre tout leur sens.

Etymologiquement, « Bushido » est formé des idéogrammes « Bu » (militaire), « Shi » (Lettré) et « Do » (Voie). Littéralement, « Bushido » veut donc dire : « La Voie du Militaire Lettré », que la traduction communément répandue donne : « La Voie du guerrier », ce qui à notre humble avis est par trop réducteur pour exprimer la noblesse d’âme attendue du Guerrier.

Nous préférons donc traduire « Bushido » par « La Chevalerie japonaise ».

Telle est la nature fondamentale du « Bushido ». Formellement, le « Bushido » se présente par ailleurs comme un véritable Code du guerrier. Par extension, nous pouvons considérer aujourd’hui le « Bushido » comme le Code d’Honneur et de Morale traditionnelle dans la pratique des arts martiaux, ceux-ci excluant catégoriquement toutes les pratiques déviées s’apparentant à des combats de rue.

                                             Références historiques sur la classe militaire japonaise

Les « Bushi » (« La gent militaire ») constituaient dans la société féodale japonaise la classe supérieure des « Buke » (« La maison militaire »).

En fait, ils regroupaient tous les gens en armes, en dehors des hommes de troupe recrutés parmi les classes inférieures, au service du « Shogun » (cumulativement Chef du gouvernement central, Maire du Palais impérial et Général en chef des armées) ou stationnés en province sous les ordres des « Daimyo » (grands seigneurs locaux délégataires des pouvoirs du Shogun).

L’histoire du Japon a été fortement déterminée par ces hommes animés par une croyance profonde en un Japon d’origine divine (par haute référence à la Déesse Amaterasu).

C’est l’histoire d’une vaste période marquée par l’ascension puis par la chute du pouvoir militaire, représenté par le « Shogun ».

Dans ce système féodal, les « Daimyos » véritables titulaires de fiefs, extrêmement jaloux de leur indépendance respective mais craignant les foudres du « Shogun », avaient pour souci principal d’étendre leur territoire.

Dans ce contexte institutionnel, les « Samurais » (« Celui qui sert ») bénéficiaient d’une position privilégiée puisqu’ils étaient les instruments, les acteurs et les protagonistes de ce pouvoir militaire.

Le « Samurai », d’extraction noble, avait le privilège de porter les deux sabres long et court (« Dai-Sho ») en permanence. Sa position sociale dépendait de celle de son maître dans la hiérarchie centrale ou provinciale des « Buke » (« Maison militaire »), de la taille et de la richesse de son clan d’origine, ainsi que de ses fonctions à l’intérieur de ce clan.  

Quand on parle de « Bushi » c’est donc d’abord et surtout aux « Samurais » qu’on pense. Leur histoire se confond aussi avec l’expérience martiale japonaise qui, nous le savons, est exceptionnellement riche, à telle enseigne qu’elle était – et continue d’être – l’objet d’admiration du monde entier. 

                                                                Corpus martial

Une véritable tradition est constitutive et non constituée. Le « Bushido » est de cette veine constitutive.

Pour ceux qui sont engagés dans l’étude et la pratique des arts martiaux japonais modernes, lesquels en principe ont intégré les valeurs essentielles de « La Chevalerie japonaise » (« Bushido »), il apparaît nécessaire d’approcher – mieux encore, connaître et comprendre – les préceptes qui étaient autrefois ceux inculqués aux « Samurais », ce même si chacun est bien conscient que notre pratique et notre expérience martiales sont des plus limitées.

Avant d’entrer en matière, il est important de savoir ce que représente un grade dans les arts martiaux japonais. Il a une triple valeur : « Shin » (valeur morale, esprit, caractère), « Ghi » (valeur technique), et « Tai » (valeur corporelle).

Cette triple valeur peut exister , pour chaque pratiquant, en proportion variable selon  l’âge, la santé, le sexe. La valeur « Shin » domine et commande les autres.

Un pratiquant sans valeur « Shin » et qui possèderait seulement les deux autres serait un être dangereux et nuisible pour tous, et finalement pour lui-même. « « Ghi » gouverne « Tai » et oriente ou compense la valeur physique. Une « ceinture noire » suppose donc un développement suffisant « Shin-Ghi-Tai ».

Les propos de cet article se réfèrent au remarquable ouvrage de l’éminent Inazo Nitobe, Professeur à l’Université impériale de Tokyo, « Le Bushido, l’âme du Japon », Payot, Paris), et reprennent les développements d’un fascicule que j’avais spécialement rédigé à l’attention de nos élèves d’Aïkido des clubs « Sanbu » de la Cité Internationale universitaire de Paris et « Langues O’ Arts Martiaux » de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris.

Le « Bushido » réunit douze principes essentiels, que nous résumons maintenant.

                 1.      LA RECTITUDE

Esprit de raison droite et de justice.

Un « Bushi » célèbre la définit ainsi : « la rectitude est le pouvoir de prendre, sans faiblir, une décision dictée par la raison. Mourir quand il est bien de mourir, frapper quand il est bien de frapper ».

Un autre « Bushi » dit : « la rectitude est l’ossature qui donne la fermeté et qui vous tient droit. Comme, sans os, la tête ne peut rester au sommet de l’épine dorsale, ni les mains se mouvoir, ni les pieds porter le corps, ainsi sans la rectitude, ni le talent ni le savoir ne peuvent faire d’une carcasse humaine un Samurai. Si l’on a la rectitude, les talents sont secondaires ».

Mais, la rectitude pourrait dégénérer si elle n’était soutenue par l’audace et l’endurance du courage.

                    2.      LE COURAGE

Esprit d’audace et d’endurance.

Kong-Ze (Confucius) définissait ainsi le courage : « sachant ce qui est juste, ne pas le faire démontre l’absence de courage. Donc, le courage est de faire ce qui est juste ».

Courir toutes sortes d’aventures désordonnées, s’exposer sans raisons justes, n’est pas de la bravoure. Un prince samurai disait : « c’est le propre du vrai courage de vivre quand il faut vivre, et de mourir seulement quand il faut mourir ».

Platon, quant à lui, définit ainsi le courage : « la connaissance des choses qu’un homme doit craindre et de celles qu’il ne doit pas craindre ».

Valeur, intrépidité, courage, sont des expressions de la noblesse d’âme.

Un homme vraiment brave garde toujours sa sérénité et sa lucidité. Rien ne trouble son égalité d’âme. Dans les catastrophes, les dangers, les souffrances, la mort, il garde la maîtrise de soi.

L’impassibilité, c’est le courage au repos. C’est une manifestation immobile de la valeur dont les actes audacieux sont l’expression dynamique. Maîtrise et impassibilité ne sont ni contrainte ni raideur, mais détente et paix, issues de l’absence de peur. L’absence de peur résulte du don total de soi, sans réserves, à une vérité plus grande que soi. Cette paix intérieure donne l’aisance devant le danger, même s’il est extrême.

C’est ainsi que les Samurais, férus d’élégance morale, improvisaient souvent des poèmes sur le champ de bataille, en l’honneur de leurs ennemis dont ils appréciaient la bravoure ou l’habilité. Un Samurai disait : « l’homme de valeur et d’honneur estime comme ennemis en temps de guerre ceux qui sont dignes d’être des amis en temps de paix ».

A ce degré de valeur, l’attitude normale vis-à-vis des autres est une haute humanité qui engendre la bonté.

(A suivre)

                                                           Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Diplômé supérieur d’études chinoises de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris,  professeur d’Aïkido et ancien responsable fédéral de l’Aïkido en France (Union Nationale d’Aïkido – UNA), président de sa commission juridique.    

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« Bushido » (jpra) – Reproduction interdite –

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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L’ACADEMIE PONTIFICALE ECCLESIASTIQUE

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« Ciel » (jpra)


 

                                     L’ACADEMIE PONTIFICALE ECCLESIASTIQUE

 

Dans notre livraison du 27 septembre 2013 sur ce même Blog (voir : « La diplomatie avant-gardiste du Saint-Siège »), nous soulignions les spécificités de l’action internationale d’une entité internationale d’un genre unique qu’est le Saint-Siège, historiquement issu des anciens et puissants Etats pontificaux mais juridiquement nanti d’un statut international spécial né des Accords de Latran de 1929, et territorialement assis dans les limites de la Cité du Vatican à Rome, un territoire neutre et inviolable.

Cet Etat désormais sans armée, qui n’a ni intérêts ni visée partisane à défendre, mais « seulement » une compétence étatique intemporelle pleinement reconnue pour la valorisation de valeurs universelles fondées sur l’Evangile et le Message du Christ, développe ainsi une diplomatie également hors du commun, puisque, comme nous le rappelions, elle est au service exclusif de l’Annonce, de l’Homme, du Développement, des libertés et de la Paix.

                                       La « diplomatie d’influence » par excellence

Ceci a donc toujours nécessité un dispositif diplomatique aussi spécifique que vaste et puissant, et aux temps présents où ailleurs et dans d’autres contrées les grandes puissances découvrent volontiers les vertus de la « diplomatie d’influence » ou du « soft approach », celles-ci a toujours formé le cœur même de l’action diplomatique du Saint-Siège.

Mais, sur des leviers qui lui sont spécifiques…

Car, ainsi que nous l’exposions dans nos précédents développements (Ibid.: « La diplomatie avant-gardiste du Saint-Siège », 27/9/2013), le souffle de l’action diplomatique du Saint-Siège s’exprime par sa puissance morale, elle-même fondée sur la transcendance de l’Homme et sur la centralité de la personne humaine, ce qui permet au Saint-Siège d’agir sur le plan bilatéral comme sur le plan multilatéral sur des thématiques précises et d’une actualité permanente:

. la défense et la promotion de la Justice, des Libertés et de la Paix ;

. le Développement conçu comme nouveau nom de la Paix, et les quatre défis de la Paix définis par le pape Jean-Paul II (« défi de la vie », « défi du pain », « défi de la Paix », « défi de la Liberté ») ;

. les actions pacificatrices et le dialogue entre civilisations, cultures et religions ;

. l’instauration d’un nouvel ordre international d’avant-garde ouvert à la Justice, à la Liberté et à la Solidarité.  

Ce sont non pas la conceptualisation ni l’expression doctrinale de tout cela qui échoient à l’Académie Pontificale Ecclésiastique, actes réservés exclusivement au souverain pontife en exercice, mais leur mise en œuvre.

Par ailleurs, hors de son dispositif diplomatique étatique officiel, le Saint-Siège peut être amené à agir à travers certains canaux plus discrets mais non moins efficaces, surtout quand il s’agit d’actions de médiation ou d’arbitrage.

C’est notamment le cas, pour des négociations de Paix, notamment en Afrique, de l’organisation laïque Sant’Egidio, un des principaux bras armés du Saint-Siège en matière diplomatique et dont le siège est à Rome.

Je peux témoigner – notamment dans le cadre de la recherche de solutions de dialogue pour la résolution de la crie malgache provoquée par le coup d’Etat de mars 2009 – de l’efficacité des actions, aussi discrètes qu’orientées avec adéquation de Sant’Egidio. On peut citer encore l’Ordre de Malte pour les actions humanitaires, ainsi que la puissante organisation Caritas qui a ses ramifications à travers le monde…

Accessoirement mais non de façon marginale, ceci permet aussi à l’Etat italien de s’associer officieusement à certaines actions diplomatiques « feutrées » du Saint-Siège quand le gouvernement italien y trouve intérêt.

Sant’Egidio a été en particulier le maître d’œuvre de processus de paix réussis au Mozambique et dans d’autres contrées africaines en proie à la guerre civile. Et son directeur des relations internationales est également membre de la Fondation Chirac dont on connaît les actions en faveur de la médiation en Afrique…Et plus tard en 2013, il fut nommé ministre des Affaires étrangères du Gouvernement italien. 

Il faut encore préciser que la sorte de « neutralité active » du Saint-Siège se traduit souvent sur le plan multilatéral au niveau de sa représentativité par son statut volontaire d’observateur et non de membre à part entière au sein de certaines organisations internationales, ce qui lui permet d’assurer avec davantage d’efficacité son propre engagement par rapport aux axes de son action diplomatique et afin de se démarquer des clivages partisans.

Ce qui, bien entendu, n’empêche pas le Saint-Siège, bien au contraire, d’avoir des positions en flèche au sein des Nations Unies, de la Fao (nous pouvons en témoigner), de l’Unesco ou lors de grandes conférences internationales, pour ne prendre que ces exemples, sur des questions aussi cruciales que les droits de l’Homme, les droits de la Femme, l’abolition de la peine de mort, la sécurité alimentaire (nous pouvons en témoigner également) ou la diversité culturelle.      

RomaPalazzoQuirinale

Le Palais du Quirinal, actuelle résidence officielle du Président de la République italienne, fut auparavant celle des souverains pontifes.


                                                       L’ « énarchie » vaticane

Rares sont les grands serviteurs modernes de l’Eglise Apostolique qui ne soient pas sortis de l’Académie Pontificale Apostolique (cinq papes et la plupart des secrétaires d’Etat – les « premiers ministre » du Saint-Siège – en sont issus), et si la plupart des diplomates du Saint-Siège et des nonces en sortent, cette voie royale n’exclue cependant  pas que certains ne l’aient pas empruntée, le Pape, comme tout chef d’Etat qu’il est aussi, disposant de toute latitude pour choisir ses nonces.

Cette institution, située Piazza della Minerva dans la Rome centrale des prestigieux palais d’autrefois, est l’héritière de l’Académie des nobles Ecclesisatiques fondée en 1701 par le Pape Clément XI.

Réformée à plusieurs reprises, elle est placée depuis 1937 sous la tutelle du cardinal Secrétaire d’Etat du Saint-Siège et est directement dirigée par le souverain pontife lui-même à travers un archevêque choisi et nommé par lui.

Ce qui structurellement place cette Académie sous un  statut bien différent de celui de l’Ecole Nationale d’Administration française – la fameuse « Ena » – qui, elle, jouit dans le système français d’une réelle autonomie académique et d’orientation de recherche.

C’est donc par pure expression imagée que nous utilisons le terme « l’énarchie vaticane » à propos de l’Académie Pontificale Apostolique…

En 2001, lors de la célébration du tricentenaire de l’Académie Pontificale Apostolique le pape Jean-Paul II avait cadré ainsi le rôle des futurs diplomates du Saint-Siège :

.         « Notre Eglise est une Eglise ancrée dans l’Histoire. Le Christ la fonda sur les Apôtres, pêcheurs d’hommes (cf.Mt 4, 19) afin qu’elle répète, à travers les siècles, ses actions et ses paroles salvifiques. Des scènes comme celles décrites dans le chapitre 21 de l’Evangile de Jean se sont répétées tant de fois à travers les âges. Dans combien de cas les résultats de l’action apostolique, notamment dans celle qui s’est développée dans les assemblées civiles nationales ou internationales, dans lesquelles vous serez envoyés un jour, sont apparus minces et presque vains. Des phénomènes comme le sécularisme, le consumérisme déchristianisant, et même la persécution religieuse rendent très difficile et, parfois presque impossible, l’annonce du Christ qui est « le Chemin, la Vérité, la Vie » (Jt. 14,6). Cette Académie fait elle aussi partie de l’ « incarnation » de l’Eglise, qui s’exprime à travers sa présence dans le monde et dans ses institutions civiles, nationales ou internationales. Ce que vous apprenez ici vise à porter la Parole de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre ».

.          « C’est pourquoi il s’agit d’une Parole qui doit d’abord pénétrer votre compréhension, votre volonté, votre vie. Si l’Evangile n’a pas ancré ses racines dans votre vie personnelle et communautaire, votre activité pourrait se réduire à une noble profession, dans laquelle, avec plus ou moins de succès, vous affrontez des questions concernant l’Eglise ou sa présence dans des milieux humains déterminés. Si, au contraire l’Evangile est présent et fortement enracinée dans votre existence, il tendra à conférer un contenu bien précis à votre action dans l’ensemble complexe des rapports internationaux. Dans un monde en proie à des intérêts matériels souvent opposés, vous devez être les hommes de l’esprit à la recherche de la concorde, les hérauts du dialogue, les constructeurs les plus convaincus et fermes de la Paix. Vous ne serez pas les promoteurs – ni ne pourrez jamais l’être – d’aucune « raison d’Etat ». L’Eglise, bien que présente dans le concert des nations, ne poursuit qu’un seul intérêt : se faire l’écho de la Parole de Dieu dans le monde pour défendre et protéger les hommes ».

Ce à quoi le pape Benoît XVI avait ajouté en 2007 à l’occasion de la désignation par ses soins du nouveau président de l’Académie Pontificale Apostolique :

.           « Il est demandé au témoin de l’Evangile de rester fidèle en toute circonstanceà la mission qui lui est confiée…plus vous resterez fidèles à vos engagements sacerdotaux, plus vous serez capables de servir les hommes, plus fécond sera votre dialogue avec eux, plus accessible apparaîtra la Paix que vous proposez en cas de tensions ou de conflits, plus réconfortant sera le soutien que vous offrirez aux personnes éprouvées et sans défense, au nom du Christ et de son Eglise. Tous pourront constater le caractère atypique de la diplomatie pontificale ».           

Ne peuvent ainsi être admis à cette Académie que les prêtres ou les titulaires d’une licence en droit canonique ou en théologie âgés de moins de trente ans et maîtrisant au moins deux langues étrangères.

Les impétrants sont choisis ou approuvés par l’évêque d’un clergé diocésain.

On l’a compris, les diplomates du Saint-Siège ne sont pas de simples diplomates.

Parallèlement, ils exercent un véritable ministère pastoral auprès des Catholiques de leur pays d’accréditation.     

                                                                Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo *

* Ancien Ambassadeur de Madagascar près le Saint-Siège de 2002 à 2008 sous les pontificats des papes Jean-Paul II et Benoît XVI, il fut aussi conférencier en 2008 à l’Université de la Grégorienne de Rome pour la formation des diplomates africains nouvellement accrédités près le Saint-Siège.

palais apostolique 2004

2006. Ma visite officielle, en compagnie de mon épouse, au Pape Benoît XVI au Palais Apostolique. Nous sommes conduits par un gentilhomme de la Cour papale.


 

Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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