FITIAVAN’ NY ZANAKA NY RAY AMAN-DRENY
L’AMOUR FILIAL
Chez nous à Madagascar, l’amour filial est un sentiment très fort. Vis-à-vis de ses propres parents, bien sûr. Mais aussi, parce que la force de ce lien générationnel remonte loin, cet amour filial prend une égale intensité vis-à-vis des grands-parents.
Où que l’on se trouve, surtout peut-être, à cause de la distance géographique, le cœur et l’esprit s’allient davantage pour une pensée convergente vers ceux qui nous ont quittés et qui reposent dans nos terres ancestrales.
Il y a peu, notre cousin Julien avait, de Genève, exprimé en mots forts ce sentiment pour rendre hommage à son grand-père maternel, Pierre Razafy-Andriamihaingo, et nous nous y sommes associées en pensée.
Pour notre part, tout à la fois en ce 5 mars – fête des grand-mères – et pour ce 16 juin 2023 à l’occasion du 108ème anniversaire de la naissance de notre grand-mère paternel, Suzanne Raharimihaja Razafy-Andriamihaingo, née Rabemananjara, pour lui manifester notre amour et rappeler ce qu’elle fut et ce qu’elle avait fait pour le bien de Madagascar et des Malgaches.
Elle nous avait quittés en pleine vacances estivales un 27 août 2000 dans cette Bretagne qu’elle adorait, à Saint-Brieuc (Côtes d’Armor). Elle repose en paix avec son mari, Pierre Razafy-Andriamihaingo, Papa’Be, dans le tombeau familial au sommet de la colline sacrée de Manankasina-Ambohipotsy à 7 kilomètres à vol d’oiseau d’Antananarivo au nord-est en territoire Andriandranando, notre Maison princière qui est l’une des plus vieilles ayant été à l’origine des dynasties royales et princières du royaume de Madagascar.

Colline sacrée de Ambohipotsy-Manakasina.
Moi, Anne, – « Rasoa », disait-elle – , sa petite-fille aînée, je l’appelais affectueusement « Mama’Be ». Elle était pour moi une femme moderne avant l’heure. Une belle âme. Elle avait un sourire d’enfant. Une femme élégante que mes yeux de petite fille regardaient avec admiration. Une femme d’honneur, de combat, de culture : un modèle ! Une femme, qui malgré les épreuves de la vie, gardait le sourire aux bouts des lèvres. Elle est et restera un exemple pour moi.
Pour moi aussi, Laurence, – « Raivo » – , elle était non pas « Mamie » ou « Mémé », mais bien « Mama’Be » ! Les souvenirs s’atténuent inexorablement avec le temps, mais je me souviendrai toujours de ses fines et douces mains, toujours impeccablement manucurées. De son sourire qui illuminait son visage, et de son incompréhension totale lorsqu’elle nous voyait, ma sœur et moi, nous pavaner le nombril à l’air parce que c’était la mode quand nous étions adolescentes ! Elle était une femme élégante, intelligente et charismatique ; j’ose dire: un modèle pour toutes les femmes de notre siècle.

1998 : à la campagne avec notre Mama’Be. Notre vision va dans la même direction !…
UNE COMBATTANTE ET UNE BATTANTE
Mama’Be est née dans une famille dont le père était un très important exploitant agricole, d’un esprit entrepreunarial que d’aucuns ne renieraient pas aujourd’hui, et son grand-père un chef « Menalamba » tué au combat (les « Menalamba » furent des résistants contre l’invasion coloniale française et favorables à la restauration de la royauté que Galliéni venait d’abolir (Voir l’article « Le site historique d’Ambohitsilaizina » sur ce même Blog ).
Sa mère, Christine Razanamalala, était issue de la haute aristocratie des Andriamasonavalona autrefois établis à Fianarantsoa. Raymond-William Rabemananjara, père-fondateur du MDRM (parti nationaliste malgache des années 1940) et ami intime du prince Albert Rakoto-Ratsimamanga, était son frère cadet.
Mama’Be fut pendant quinze ans, de 1946 à 1961, l’irremplaçable conservateur en chef des musées nationaux des Rova d’Antananarivo et d’Ambohimanga.
Elle y fit des travaux colossaux, non sans, dès sa prise de fonction en 1946, en pleine effervescence nationaliste et contre l’avis général de l’Administration française d’alors, lutter pour imposer sa décision d’ouvrir les portes du Rova à tous les Malgaches sans distinction, avant seuls les Français, les étrangers et quelques Malgaches jouissant de la pleine citoyenneté française ayant le droit de pénétrer aux deux Rova d’Antananarivo et d’Ambohimanga.

1946: MamaBe, venant de prendre ses fonctions de conservateur en chef du Rova d’Antananarivo, pose devant le palais Manjakamiadana avec PapaBe, son mari, et Laurence senior (Lolo), notre tante.
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Cet esprit de lutte et de justice, elle l’acquit dès être sortie de son adolescence.
C’est en 1929 qu’à 14 ans elle vient à Paris dans le sillage de son frère aîné, Jules, pour y poursuivre au Lycée Victor-Duruy d’excellentes études couronnées par le baccalauréat. Puis, elle est admise sur concours à la prestigieuse Ecole du Louvre d’où elle sort diplômée en Muséographie et Professeur certifié en Histoire de l’Art.
La vie fusionnelle de Mama’Be avec Pierre Razafy-Andriamihaingo, celui qui sera son inséparable compagnon de vie, commence en 1933 (elle avait alors 18 ans), leur mariage étant célébré à Paris en 1942 (Jacques Rabemananjara et D’Argenson Andriamorazafy furent leurs témoins) en pleine guerre mondiale.

Portrait de Mama’Be et de Papa’Be lors de leur mariage en 1942
Au printemps de 1940, celui qui deviendra son mari se bat sur le front de la Somme comme lieutenant d’artillerie lourde, et Mama’Be se vêt également de l’uniforme de femme-soldat attachée à l’intendance de l’armée.
Après la défaite de l’armée française, c’est dès octobre de la même année que Mama’Be et Pierre Razafy-Andriamihaingo s’engagent dans le premier réseau de Résistance français, le fameux réseau du « Musée de l’Homme » animée par germaine Tillion et où ils côtoient également Geneviève Anthonioz-De Gaulle et Edmonde Giscard-d’Estaing.
Ses faits militaires sur le sol français, uniques pour une femme malgache, lui valent plus tard, comme à son mari, la Croix du Combattant et la Croix du Combattant volontaire de la Résistance.
Tout en poursuivant ses activités clandestines de résistance, Mama’Be est, de 1942 à 1946, chargée de mission auprès de Charles Mauricheau-Beaupré, le conservateur en chef des musées de Versailles et des Trianons. En 1944, avec son mari, notre grand-père paternel Pierre Razafy-Andriamihaingo qui en fut le fondateur, l’architecte et le directeur, elle est au côté de Renée Pinson la secrétaire très dévouée du « Centre d’Entr’Aide des Prisonniers Rapatriés et Anciens Combattants Malgaches » établi à Paris, rue Quincampoix.
Toujours avec son mari, notre grand-père paternel, Mama’Be figure aussi en bonne place parmi les quinze autres fondateurs, majoritairement malgaches (dont Paul Randrianome, frère cadet de Pierre Razafy-Andriamihaingo, Victor Raharinosy, D’Argenson Andriamorazafy, ou Gilbert Ramiandrisoa) et français (dont Albert Desraux) de l’ « Union Malgache », un foyer d’entr’aide aux soldats et travailleurs d’Outre-Mer, dont le siège était à Paris, boulevard Saint-Germain.

1945 : devant le siège du « Centre d’Entr’Aide des Prisonniers Rapatriés et Anciens Combattants Malgaches », au milieu de ces derniers, Mama’Be au centre avec le chapeau et notre tante Laurence (senior) dans ses bras ; en haut à gauche, Papa’Be en costume et cravate ; à la droite de Mama’Be, Renée Pinson (tenue noire et écharpe blanche), marraine de notre tante Laurence (senior).
Toutes ces activités sociales, dont bénéficiaient les soldats et travailleurs malgaches mobilisés pour la guerre ou récemment démobilisés ou libérés des camps, Mama’Be et son mari Pierre Razafy-Andriamihaingo les assuraient, tout en continuant eux-mêmes à combattre durement avec tous les risques encourus, avec ce patriotisme, ce bénévolat, ce désintéressement et cette abnégation qui forcent le respect.
SES DOMAINES : L’HISTOIRE, LA CULTURE ET LE PATRIMOINE
Ces dures expériences combatives ne sont bien entendu pas sans grande influence quant à la ténacité exceptionnelle de cette femme, mais aussi quant à ses capacités et qualités au service des valeurs comme des impulsions nécessaires au redressement et au développement de son pays, là où elle a à remplir sa mission, en particulier pour le patrimoine historique malgache.
Des historiens français malgachisants comme Jean Valette, Simon Ayache, Raymond Delval ou Pierre Vérin se sont inspirés de ses travaux, et sa notoriété allait grandissante après la publication en 1956 dans « La Revue de l’Automobile de France » d’un article conséquent sur le Rova d’Antananarivo, suivi en 1958 (in « Revue de liaison et d’information de l’Office du Tourisme de Madagascar », N° 14 qui lui est entièrement consacré) du seul guide complet qui ait jamais été écrit sur le même Rova et dont elle fut également l’auteur.
Trop attachée à ses multiples travaux à la conservation et à la promotion des deux lieux historiques les plus importants de Madagascar, Mama’Be ne disposera finalement pas du temps nécessaire à la rédaction d’un ouvrage historique durant la longue période de sa vie active, et ce n’est qu’en 1989 qu’elle fait paraître chez L’Harmattan un ouvrage de référence, « Colline sacrée des souverains de Madagascar, le Rova d’Antananarivo », un livre abondamment documenté et illustré, qui constitue également une sorte de mémoire qu’elle nous laisse.
Mais revenons à ses autres activités.
Car, tout naturellement dans la suite, cette femme qui n’eut à aucun moment versé dans la tentation carriériste ni politique, sinon elle aurait, à juste raison, brigué d’autres « très hautes fonctions », s’est modestement maintenue dans ce qu’elle considérait comme sa triple vocation : mener une vie maritale et de mère exemplaires, et assumer avec sérieux ses tâches du moment au service de ses compatriotes.
La considération dont elle jouit comme active conservateur du musée des Rova d’Antananarivo et d’Ambohimanga joue beaucoup dans l’attrait et l’intérêt particuliers dont ces deux lieux historiques font l’objet aux yeux des personnalités étrangères, lieux qu’elle a su par ailleurs rendre très attractifs de par la mise au jour et la valorisation des reliques et l’embellissement ou la réhabilitation des bâtisses royales.
Elle y accueille notamment Charles de Gaulle et son épouse à deux reprises, en 1953 et en 1958 ; le Sultan Mohamed V du Maroc et son fils le prince Hassan, futur roi du Maroc ; l’Aga-Khan ; les ministres François Mitterrand (alors en charge de l’Outre-Mer, et qui est pressé de « voir la belle reine Ranavalo »…) et Gaston Deferre (père de la loi-cadre d’autonomie de 1956) ; l’académicien et romancier Georges Duhamel, tous étant impressionnés par la splendeur des lieux et la richesse de la civilisation malgache.

Mama’Be en haut de l’escalier menant à la Salle du Trône du Palais « Manjakamiadana » au côté du Général De Gaulle.
LA DIPLOMATE ATYPIQUE
En 1958, suivant naturellement notre grand-père paternel à Rome, lequel devait y occuper son poste de 2ème conseiller à l’Ambassade de France en Italie, à cette époque où la diplomatie malgache était intégrée dans celle de la France du fait de l’appartenance de Madagascar à la Communauté Française, Mama’Be conserve son titre de conservateur en chef des musées des Rova d’Antananarivo et d’Ambohimanga en s’adjoignant les compétences de sa belle-sœur, Jeanne Ramboatsimarofy (le mari de cette dernière étant le descendant direct du roi Andriamboatsimarofy, roi d’Antananarivo finalement battu en 1792 par le fameux Andrianampoinimerina qui sera le roi de tout l’Imerina, un royaume enfin uni et agrandi).
Et, c’est finalement en 1961 que Mama’Be, suivant ici encore notre Papa’Be, nommé Ambassadeur à Londres, dut abandonner définitivement la responsabilité de la conservation de ces deux musées nationaux au profit de la même Jeanne Ramboatsimarofy.
Non sans garder un lien étroit du fait de sa proximité avec sa belle-sœur, mais aussi parce que dans le fort sentiment qu’elle vit pour « ses » Rova, elle ne les oubliera jamais.

Mama’Be dans son bureau à l’Ambassade de Madagascar au Royaume-Uni.
Nommée Attachée Culturelle en 1961 à l’Ambassade de Madagascar au Royaume-Uni (sa modestie naturelle ne la fait pas « revendiquer » le titre de « conseiller Culturel » qui eût pu être plus conforme à ses qualités personnelles et à son statut !…), ainsi placée sous l’autorité de…son mari Ambassadeur, avec ce dernier Mama’Be obtient en 1962 avec succès le don, par la « London Missionary Society », du fameux tableau de Henry Room représentant les ambassadeurs malgaches reçus par la reine Adélaïde d’Angleterre en 1837.
Puis en avril 1964, notre grand-père et Mama’Be, de même que sa belle-sœur Jeanne Ramboatsimarofy, nouvelle conservateur en chef du Rova d’Antananarivo, font tenir dans la Salle du trône du Rova d’Antananarivo la cérémonie de remise solennelle de l’œuvre picturale historique.
A cette occasion, le Président de la République malgache, Philibert Tsiranana, pénètre pour la première fois au Rova, ce lieu que lui-même, originaire des côtes malgaches, ne voulut jamais honorer de sa présence.
En cette même année 1964, « The Diplomatist », la Revue officielle du monde diplomatique britannique, consacre à Mama’Be dans son numéro d’avril 1964 sa page de couverture, assortie à l’intérieur d’une note biographique de cette diplomate atypique que savent affectionner les Anglais (voir photos ci-dessous).


A ce titre, lors de la cérémonie de présentation de ses lettres de créance à la Reine Elizabeth II par Papa’Be, le protocole royal britannique avait permis à Mama’Be d’avoir son propre carrosse pour accéder au Buckingham Palace et d’être ensuite au coté de Papa’Be lors de la réception par la souveraine britannique, fait exceptionnel immédiatement saisi par la presse britannique.

Papa’Be, Mama’Be et nos tantes Laurence (senior) et Monique à leur résidence à Londres (devant une tapisserie moderne réalisée par des artisans malgaches sur une maquette conçue par Papa’Be).

1962 : Papa’Be et Mama’Be devant le tableau de Henry Room (représentant les ambassadeurs malgaches reçus par la reine Adélaïde en 1837) au siège de la London Missionary Society à Londres.
RETRAITE MOUVEMENTEE – RETOUR EMOUVANT EN TERRE ANCESTRALE
Sa retraite, elle la vécut avec notre grand-père à Paris, lequel avait dû subir auparavant les méthodes brutales dans lesquelles sait camper un Etat malgache irrespectueux des droits fondamentaux ; puis vint en 1972 son retour à Antananarivo dans l’espoir d’y vivre une vie paisible, jusqu’à ce qu’intervienne une scélérate nuit d’août 1985, où des sauvages attisés par l’ambiance générale de terreur favorisée par le régime socialiste d’alors viennent soudainement attaquer nos grands-parents dans leur propriété. Mama’Be, gisant au sol, a les côtes et le nez cassés, et c’est miracle que les bandits au nombre de quatre, armés de couteaux et de gourdins, qui avaient auparavant violemment assommé notre grand-père en plein dans son sommeil et en le ligotant sur son lit, n’aient pas achevé Mama’Be sur place.
Ce drame inouï et immonde s’était accompagné de tracasseries inappropriées de la part du consulat et de l’ambassade de France à Antananarivo en vue du rapatriement en France de Mama’Be et Papa’Be, de même que de la part du ministre français des Affaires étrangères de l’époque, personnellement saisi par notre père, lesquels sont restés singulièrement sourds aux sollicitations de la famille, de notre tante Laurence et de notre père, avocat au Barreau de Paris, pour venir au secours de citoyens méritants, également français, anciens militaires, notre grand-père comme officier de réserve de l’armée française et ancien diplomate français, d’anciens résistants, sans parler d’autres éminents services rendus à la France durant la guerre et durant toutes les années 1950 et 1960.
Les voici finalement de retour à Paris en octobre 1985 auprès de leurs enfants, mais brisés, et plein d’amertume vis-à-vis d’une France « socialiste » inattentive à leur égard ! En définitive – Dieu que les tracasseries ont la vie dure ! – , Mama’Be et notre grand-père obtiennent non sans mal avec l’aide efficace de nos parents, de nos tantes et oncle, ainsi que d’amis fidèles, ce que la France veut bien leur accorder parcimonieusement : leurs retraites d’anciens combattants et de combattants volontaires de la Résistance, auxquelles s’ajoutent leurs retraites acquises des durs labeurs civils…
Mais, sans plus…

A Versailles, Mama’Be (ici avec Papa’Be, notre grand-père paternel) retrouve le château où elle fut, de 1942 à 1946, chargée de mission auprès du conservateur en chef, Monsieur Mauricheaux-Beaupré.
Cependant, moins des sept ans plus tard, le 27 janvier 1992 Mama’Be et Papa’Be vivent un fort moment de grande joie : ils célèbrent avec toute la famille leurs noces d’or en la mairie du XVIème arrondissement de Paris, à cette occasion la Médaille de la Ville de Paris leur étant remise des mains de leur ami Pierre Taittinger, Maire du XVIème arrondissement.

1992 : Papa’Be et Mama’Be posant avec leur famille lors de la remise de leur Médaille pour leurs noces d’or (le Maire du XVIème arrondissement de Paris debout à gauche, et nous, derrière nos grands-parents ; en arrière-plan : notre grand-oncle Raymond william Rabemananjara, notre grande-tante Henriette Rabemananjara et, entre eux, notre souriante tante Monique, et à côté de celle-ci sa cousine Olga Rakotomalala).
Mais, un autre drame survient pour Mama’Be et sa famille, qu’elle vit en communion avec ses compatriotes malgaches, cette fois-ci au sujet de « son » Rova d’Antananarivo, qui brûle d’un incendie criminel tout début novembre 1995.
Devant l’immense émoi, elle s’élève et charge immédiatement son fils – notre père -, avocat au Barreau de Paris, d’alerter prestement toutes les instances de l’UNESCO à son siège à Paris où, fort opportunément se déroulait la 28ème session de sa Conférence générale.
Au résultat de ces démarches pressantes, d’une part, le directeur du Patrimoine mondial, Monsieur Bouchenaki, se mobilise à la demande expresse de notre père, les différentes délégations présentes étant instantanément informées du drame et sont invitées à agir ; d’autre part, une mission d’expertise, qui se trouvait en Afrique, est immédiatement redirigée sur Antananarivo pour y effectuer une première mission de constatation.
Puis, la délégation de Madagascar étant approchée mais demeurant inaudible, c’est à l’initiative de l’Italie, de la France, de la Lituanie, du Brésil, du Pakistan, de la Côte d’Ivoire et du Liban, que la Conférence générale de l’UNESCO a, dès sa séance plénière du 11 novembre 1995, adopté sous la forme d’une résolution le texte d’un « Appel en faveur d’une assistance à Madagascar », par lequel également le directeur général de l’UNESCO est chargé d’explorer « toutes les possibilités qu’offre le programme III de l’UNESCO…pour venir en aide au gouvernement malgache ».
Par la suite, Mama’Be prend sa plume pour écrire dans la « Revue de l’Océan Indien » du mois de janvier 1996 un vibrant appel sous le titre évocateur de « Notre destin en face », où elle dit notamment : «… la tragédie est complète encore puisque dans cette catastrophe, le spirituel n’est pas moins ravagé que le matériel ; les édifices et les reliques ne sont pas perdus, ils ont péri à jamais ; les criminels ou les mauvais esprits ne se sont pas contentés de détruire, ils ont voulu signifier que le Malgache devait perdre sa conscience acquise au cours des siècles, et rejeter le legs du passé comme un fardeau encombrant… ».
D’une façon générale, l’Etat malgache lui-même ne s’est jamais montré reconnaissant des éminents services des époux Razafy-Andriamihaingo, et pour ce qui concerne Mama’Be, il aura fallu attendre sa mort et les cérémonies de ses funérailles en septembre 2000 à Antananarivo pour que malgré tout, pour ses mérites signalés dans le domaine culturel, elle soit élevée à titre posthume dans le modeste grade d’Officier de l’Ordre national malgache !…
Cette tardive et dernière décoration malgache chichement « accordée » s’est ajoutée bien tardivement à ses décorations militaires françaises, accordées en temps voulu, celles-là, de Croix du Combattant et de Croix du Combattant Volontaire de la Résistance acquises depuis longtemps, tandis qu’à titre civil Mama’Be était aussi déjà titulaire depuis longtemps d’autres décorations françaises : Croix de Chevalier des Arts et Lettres, Croix du Mérite Artistique et Culturel et Croix de l’Ordre de la Courtoisie Française (nous nous souvenons qu’elle affectionnait spécialement cette dernière distinction acquise en reconnaissance de sa rectitude et de sa distinction naturelle, de sa hauteur d’âme).
Ces notes attristantes en référence aux drames et moments de grande tristesse au milieu d’une santé déclinante, vécus par Mama’Be et Papa’Be sur le soir de leur vie, ne doivent cependant pas occulter l’immense considération dont ils ont toujours jouit au sein de la société malgache, sans compter la grande affection de leur famille ; Mama’Be, quant à elle, n’avait jamais été tentée par la politique.
A Paris, avant le départ de son corps pour Madagascar, une forte délégation de l’Ambassade de Madagascar en France conduite par l’Ambassadeur avait tenu à lui rendre un hommage très respectueux en l’Eglise Sainte-Jeanne de Chantal; tandis qu’à Antananarivo ce fut le Cardinal Razafindratandra lui-même, de même que le Révérend Ralibera qui officiaient pour la messe en la cathédrale d’Andohalo où, il convient de le souligner, le premier ministre d’alors, Tantely Andrianarivo, avait tenu à y assister en personne, tant il est vrai aussi qu’il était présent en tant que neveu par alliance de Mama’Be, l’épouse du Premier ministre malgache, Nicole Rabemananjara, étant sa nièce.
L’affection de la famille entière, la sienne propre comme celle de notre grand-père, n’était pas moins intense en ces moments de deuil, notamment à l’initiative de son autre nièce, Mireille Rakotomalala, ancien ministre de la Culture sous le régime Zafy, le cercueil contenant le corps de Mama’Be fut ainsi recouvert d’un lamba rouge, signe de sa grande noblesse, qui l’accompagna jusqu’à sa mise en terre à Manankasina-Ambohipotsy.
Nous ressentons avec d’autant plus de profonde et vivace affection cet hommage filial à notre très chère grand-mère, que très peu de temps avant son 108ème anniversaire, en cette année 2023, de sa naissance le 16 juin 1915, six jours auparavant le 10 juin 2018 ce fut notre si bienaimée, notre amour de mère qui rejoignit Dieu en Son Royaume là-haut, dans ce firmament que notre mère guettait tant et tant de fois de son vivant !
Nous, ses petites-filles :
Anne Rasoa Razafy-Andriamihaingo et Laurence Raivo Razafy-Andriamihaingo
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