GIORGIO NAPOLITANO: L’AME DE L’ITALIE DEMOCRATIQUE

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« Litchi » (jpra)


Le 13 janvier 2015, Giorgio Napolitano, le Président de la République italienne, démissionna.

Ce fut un coup de tonnerre en Italie.

Car, c’est une grande figure de la vie politique italienne qui s’en alla, dignement et sans fracas ; mais c’est aussi sans doute l’un des derniers chefs d’Etat d’une très grande envergure qui disparaissait de la scène politique, et ce pour une retraite certes amplement méritée mais qui laissa un vide considérable dans un paysage politique, public et moral en ces temps mal en point en Italie et ailleurs.

L’hommage que j’avais tenu à lui rendre le 28 août 2014 dans l’article ci-dessous, ma modeste personne l’ayant connu et si profondément apprécié, connait ainsi une actualité renouvelée.

Cette actualité rebondit l’année dernière avec les élections législatives du dimanche 4 mars 2018 qui, confirmant les grandes craintes de la classe démocratique avaient (re)conduit aux affaires gouvernementales de l’Italie une extrême-droite aux relents fascisants. Car, crise migratoire et grandes difficultés économiques aidant, une large majorité d’Italiens n’ont pas hésité à se jeter dans les bras d’une droite dure dont une frange importante prend ses références du côté de l’expérience mussolinienne et d’une certaine nostalgie de grandeur italienne.

Dès lors, l’évocation, ici, du parcours exemplaire d’un grand démocrate à la figure emblématique, qui avait assuré à l’Italie une réelle stabilité sociale et politique, prend tout son sens.

Et fort heureusement, le successeur de Giorgio Napolitano à la tête de l’Etat italien en qualité de Président de la République, Sergio Mattarella, ancien juge à la Cour constitutionnelle, entré en fonction dès le 3 février 2015, a su – et sait – maintenir ferme la barre démocratique face aux agissements et orientations quelque peu inquiétants d’un gouvernement ouvertement provocateur.

                       GIORGIO NAPOLITANO : L’AME DE L’ITALIE DEMOCRATIQUE

En Europe et dans le monde, trop rares maintenant sont ces hommes et ces femmes de cette « race » des grands démocrates issus de cette génération de la seconde guerre mondiale et de l’après, encore en fonction au plus haut niveau de leur Etat respectif et qui continuent de se nourrir de leurs expériences de lutte pour le triomphe de la Démocratie et des valeurs de bonne gouvernance.

De par leur culture vécue, de façon innée ils savent où ils vont, ils savent où il faut aller et où il ne faut pas. De par également leur connaissance vécue et des gémonies locales, ils savent où se trouvent les penchants néfastes comme ceux bénéfiques de leurs compatriotes, et donc comment les orienter afin qu’ils ne tombent pas dans leur propre piège.

                                                                Un parcours exemplaire

Giorgio Napolitano, Président de la République Italienne depuis le 10 mai 2006 jusqu’au 15 janvier 2015, né à Naples le 29 juin 1925, est de ceux-là.

L’homme est unanimement respecté, et si la Démocratie italienne tient toujours malgré les soubresauts politiciens d’un pays, l’Italie, sociologiquement et économiquement divisé entre un Nord richissime et un Sud constamment à la recherche de lui-même, souvent fort agité par des courants politiques et claniques solidement implantés, c’est assurément parce qu’il a toujours su tenir ferme la barre.

En ces temps de pénurie idéologique et référentielle où les recettes du marketing politique tiennent malheureusement lieu de seule bouée, le Malgache que je suis se plaît à souligner l’exemplarité de cet homme d’Etat, que j’ai un peu connu, issu d’un Sud italien plein de vie, de richesse intrinsèque et de potentiels inexplorés, mais quelque peu oublié dans ses spécificités propres comme le sont, certes à des degrés et dans des contextes différents, beaucoup de ces pays encore dans une recherche besogneuse de leur (ré) émergence.

Tout naturellement, ce Président italien qui, auparavant n’a eu de cesse de lutter pour le développement de son Sud italien natal, tant comme actif animateur du « Movimento per la Rinascita del Mezzogiono » (Mouvement pour la Renaissance de l’Italie du Sud) que comme député (de 1953 à 1996) de la circonscription de Naples, cela l’a sans doute rapproché des problématiques des pays en développement comme Madagascar.

Car, à l’occasion de la remise entre ces mains de mes Lettres de créances comme ambassadeur en 2008 et à celles d’entretiens ultérieurs que j’avais pu avoir avec le Président Giorgio Napolitano, j’avais toujours été frappé par l’intérêt tout particulier qu’il portait à la nouvelle expérience démocratique, de redressement moral et de développement matériel de Madagascar, ainsi qu’aux encouragements qu’il prodiguait à l’attention de son collègue, le Président de la République de Madagascar, ce qui donnait lieu à de véritables échanges entre nous, qui dépassaient l’aspect purement formel et protocolaire.

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Lors de la présentation de mes lettres de créances au Président Napolitano au Palais du Quirinal (sept. 2008).


L’expérience, faite des dures épreuves de la vie, fait l’Homme.

Cette vérité première s’était appliquée à un De Gaulle dont l’inégalable action publique et la dimension référentielle, de racines chrétiennes et catholiques, sont immenses.

J’ose dire que celles du communiste Giorgio Napolitano, qui ne sont certes pas encore terminées et sans doute pas du même niveau, mais se projetant en définitive pour les mêmes valeurs, sont en tout cas de la même veine démocratique et anti-fasciste.

Cette dimension est, on ne peut plus d’actualité à l’heure où la montée de l’extrémisme droitier concerne l’Europe tout entière.

L’adhésion originelle de Giorgio Napolitano au Parti communiste en 1945 n’avait bien entendu pas été étrangère à la lutte de nombreux Italiens contre le fascisme mussolinien dont, toutefois, les réminiscences sont aujourd’hui encore vivantes, notamment avec la Ligue du Nord et un groupe grandissant de nostalgiques mussoliniens qui ne craignent plus de célébrer avec force démonstrations le souvenir d’un Duce adulé par ceux-là mêmes qui, pour donner plus de « légitimité » à leur actions, n’hésitent pas à s’approprier la grandeur de l’Antique Rome.

A Rome, je continue de regretter vivement que rien n’ait jamais été fait pour au moins masquer cette imposante colonne dédiée au Duce et à la « gloire mussolinienne », à l’entrée du Stadio Olympico, à un endroit privilégié à la vue de tous, là même où en 1960 se déroulait la plupart des épreuves des jeux olympiques et où continuent de déambuler et de circuler piétons et véhicules.

                                   La vigie de la légitimité démocratique italienne

La légitimité démocratique italienne, est parfaitement incarnée par cet homme, Giorgio Napolitano, maintes fois honoré par les meilleures institutions académiques à travers le monde, notamment par La Sorbonne qui l’a fait Docteur honoris causa.

Sur le front politique et politicien aussi compliqué de la vie publique italienne, marquée par un parlementarisme souvent porté récemment à son paroxysme à cause des frasques d’un Silvio Berlusconi si habile à manipuler les rouages, étant aidé par une popularité non négligeable, Napolitano est toujours parvenu par sa sagesse et sa connaissance innée des forces contradictoires d’un pays aux multiples facettes, à juguler les crises et à trouver les hommes du moment, même si ces moments furent singulièrement courts.

La période berlusconienne étant révolue en novembre 2011 à la suite d’évènements assez pittoresques où Napolitano lui-même avait su échapper à une malicieuse procédure d’impeachment, le voici pleinement inspiré dans les choix successifs de deux personnalités de haute volée choisies dans les meilleurs cercles de la haute technocratie italienne, les Mario Monti et Enrico Letta, avant que ne s’impose en février 2014 un jeune représentant de l’élite politique italienne, ancien maire de Florence, Matteo Renzi.

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« Tiges » (jpra)


On le sait, le parlementarisme à l’italienne est un héritage démocratique issu d’un processus pour lequel le Parti communiste italien, qui n’a rien à voir avec le stalinisme d’après-guerre et qui a toujours su garder ses distances par rapport aux communismes soviétique, chinois, vietnamien ou d’Europe centrale et orientale, a pris sa part importante.

Le Gouvernement, dirigé par un Président du Conseil puissant et à bien des égards omnipotent, surtout du temps de Berlusconi, ne doit pas moins tenir étroitement compte des avis et postures qui sont ceux du Président de la République, qui reste le garant intransigeant de l’unité nationale, de la cohésion sociale et de la permanence des valeurs républicaines, dont l’autorité est pleinement respectée.

Sans bien sûr rien dévoiler ici des tenants et aboutissants des rapports ayant existé entre le Président Napolitano et le Président du Conseil Berlusconi, je peux témoigner, du moins s’agissant de Madagascar, d’une parfaite convergence de vues entre ces deux personnalités de filiation régionale, sociale et politique pourtant si différentes, l’un étant du Sud, juriste et économiste, communiste et pétri de sagesse, l’autre étant du Nord, hommes d’affaires, amateur de femmes, proche de la Ligue du Nord.

Mes rapports personnels entretenus avec eux ont toujours étaient empreints, de leur part, d’une bienveillance remarquable vis-à-vis de leurs homologues malgaches et des soucis de ces derniers pour le bien-être des Malgaches.

Et, j’y ajoute ma propre expérience de leurs disponibilités permanentes, empreintes de cette simplicité avenante, chacun à sa façon, s’agissant de personnalités à l’antipode l’une de l’autre, simplicité qui met tout de suite un modeste personnage comme moi dans un confort psychologique très appréciée.

Ce n’est ainsi évidemment pas un hasard si pendant cette période d’avant coup d’Etat à Madagascar, les relations italo-malgaches avaient été marqués par une embellie remarquable, ponctuées par des investissements italiens à Madagascar, la promotion du tourisme et de produits Malgaches en Italie (notamment : café, fruits, objets artisanaux), moi-même ayant mes entrées facilitées au Palais du Quirinal (résidence du Président de la République italienne), au Palais Chigi (résidence du Président du Conseil italien), à la Farnesina, siège du Ministère italien des affaires étrangères où de vrais amis sont en poste, ou auprès des autorités régionales et municipales d’un pays où la réalité de la décentralisation est concrétisée par un pouvoir local avancé, avec lequel j’avais pu initier des accords de coopération économique.

Ainsi, le capitaine du navire Italie qu’est Giorgio Napolitano, la boussole de la trajectoire actuellement apaisée de ce pays pétri de créativité, sont le gage même de la prospérité certainement retrouvée, et en tout cas promise, de ce pays si attachant et figurant toujours parmi les piliers relationnels de Madagascar.

Aujourd’hui, l’Italie retrouve-t-elle de l’intérêt pour Madagascar ?

La question peut être posée.

Mais, pour mémoire, l’intérêt de l’Italie pour Madagascar a ses racines depuis 1960 où mon propre père avait initié les relations italo-malgaches avec des résultats remarquables dans tous les domaines, diplomatique, économique et culturel (voir sur ce même blog l’article intitulé « Centenaire d’une haute figure de la diplomatie malgache »). Pour ma part et plus récemment, je me souviens en particulier du redéploiement africain initié par le gouvernement Berlusconi en 2008, dans lequel Madagascar tenait une place de choix.

Ce redéploiement africain est repris aujourd’hui par un dynamique Matteo Renzi qui avait récemment entamé au Congo, au Mozambique et en Angola une tournée africaine remarquée.

Mais, il est certain que, s’agissant de Madagascar, cet intérêt italien est actuellement et malheureusement freiné par une sorte de « vide » relationnel côté malgache, dû à l’absence forcée de l’ambassadeur malgache à Rome, du fait du pouvoir putschiste malgache issu du coup d’Etat de 2009.

Avec cet hommage à un homme d’Etat exceptionnel, c’est aussi l’hommage pleinement ressenti que je fais bien volontiers pour un pays, l’Italie, et pour la « ville éternelle », Rome, qui furent les premières terres privilégiées européennes où j’avais posé mes pieds en 1959, alors bien trop jeune pour d’emblée apprécier à leur juste mesure leur immense et incomparable richesse.

L’Italie d’aujourd’hui, comme celle d’hier, demeure une terre de créativité sans comparaison, et je ne parle pas uniquement des arts et des métiers d’arts, qu’elle cultive et promeut si bien, comme en France et au Japon d’ailleurs, mais aussi des industries où l’inventivité m’a frappé (notamment en matière d’énergies renouvelables et propres), et n’oublions pas, bien sûr, cette profusion d’idées qui, sur le plan politique, donne naissance à toutes les nuances idéologiques, parfois portées avec maladresse, mais dont tendent à s’en inspirer bien des intellectuels et des acteurs publics en Europe.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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reproduction, même partielle, interdite des textes et des illustrations


POST SCRIPTUM

Ici, je voudrais exprimer mon admiration devant la tenue, l’extrême amabilité et le prestige que dégage la Garde Républicaine italienne, spécialement celle assignée exclusivement à la garde du Palais du Quirinal.

Et ceci acquiert une dimension visiblement imposante, car aucun de ses membres ne mesure moins de 2 mètres ! Quant à leur formation, les éclaircissements qui m’en sont donnés forcent en effet cette admiration pour cette unité d’élite qui, je dois l’avouer, est sans doute sans équivalent au monde.

C’est donc toujours un grand plaisir renouvelé que de franchir, à l’occasion de la présentation de mes lettres de créance et des cérémonies officielles solennelles, l’accès principal du Palais du Quirinal et d’arpenter ses salons et allées de jardin ainsi placés sous une garde aussi prestigieuse, attentive et prévenante.

Le Palais du Quirinal lui-même offre à la vue et à la sensation tout son caractère chaleureux, cette ancienne résidence des souverains pontifes se muant avantageusement à la suite des accords de Latran en 1929 aux valeurs républicaines.

JPRA

 

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Façade principale du Palais du Quirinal à Rome, qui domine en contre-bas le vieux quartier historique central de Rome (Fontaine de Trévi, Palais Chigi, le Parlement, etc…).

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Un Garde Républicain du Palais du Quirinal devant l’accès aux jardins où se déroule notamment la traditionnelle garden party à l’occasion de la Fête nationale italienne.

LIBERATION DE PARIS: LA GRACE DE LA LIBERTE

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« Les doux fruits malgaches » (jpra) – Reproduction interdite – 
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                                 LIBERATION DE PARIS : LA GRACE DE LA LIBERTE

Comme chaque année, sous la conduite de son Président en exercice, la Fondation Charles-de-Gaulle organise une messe solennelle de fondation célébrée à Notre-Dame de Paris, qui constitue le point d’orgue des cérémonies du Souvenir à l’occasion, chaque année, de la date anniversaire de la Libération de Paris intervenue fin août 1944 (voir ci-dessous la narration des opérations militaires).

Mais, en ces temps de travaux colossaux de réhabilitation de notre célèbre cathédrale, depuis l’année 2020 cette célébration se fait dans une autre église majeure de la capitale française. En l’occurrence la Messe Solennelle de Fondation est organisée conjointement avec la Fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque et avec l’association des Anciens de la 2eDB, et est célébrée en cette année 2022 en l’Eglise Saint-Germain l’Auxerrois ce dimanche 28 août.

Comme les années précédentes, j’y assisterai en qualité de Membre de la Fondation Charles-de-Gaulle, et en souvenir de mes parents Résistants ayant activement participé aux combats de la Libération de Paris.

LA MEMOIRE VIVANTE

Il faut garder à l’image et à l’esprit ce qui s’était produit il y a soixante-dix huit ans, cette immense liesse populaire générale, le carillon de la joie à l’appui, dont les échos s’étendaient au loin aux quatre points cardinaux, la stature imposante du Général de Gaulle sous la voûte de la Cathédrale de la capitale française, devenue par excellence lieu de grâce de la Liberté retrouvée ! …

Mais, que de sacrifices consentis, que d’abnégations voulues, que d’actions d’éclat entreprises, que de courage manifesté et que de peines subies mais soudainement soulagées s’étaient alors exprimés et focalisés !

Le combat commun a trouvé là, non pas son épilogue, car la guerre, mondiale, multiforme et féroce, devait se poursuivre jusqu’à la victoire finale, mais bien le mérite admirable d’une détermination par la vertu et la foi.

C’est notamment tout l’insigne honneur de ces valeureux combattants des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) et des Parisiens eux-mêmes, grâce auxquels l’intervention de la 2ème Division Blindée du Général Leclerc de Hauteclocque fut prestement décidée aux lendemains du débarquement allié en Normandie, et menée avec le succès que l’on connaît, et ceci malgré les fortes réticences des Américains dont l’objectif principal après le débarquement allié en Normandie était d’atteindre au plus vite l’Allemagne.

Mes parents, eux-mêmes Parisiens, Résistants membres du Réseau du « Musée de l’Homme » avec Germain Tillion et membres des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur), étaient sur les différents fronts parisiens, mon père, Pierre Razafy-Andriamihaingo, officier d’artillerie lourde, le revolver en main et notre mère à la logistique.

Ils participèrent bien sûr aussi à la liesse générale, en l’occurrence en brandissant sur leurs épaules leur fille Laurence, née six mois auparavant le 2 février 1944…! Elle souriait déjà à l’avenir !

C’est aussi en mémoire et en hommage émus à mes parents et à ma soeur aînée, tous disparus, que ces quelques lignes sont écrites ici.

LA RELATION DES FAITS

Voici la relation des faits ayant entouré ces moments de braises, tels que nous les avons recueillis du témoignage direct de notre père, Pierre Razafy-Andriamihaingo (cf. extraits de notre ouvrage « Construire le progrès malgache », 2006, inédit) :

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« Voninahitra – Honneur » (jpra) – Reproduction interdite –
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« …A Alger, le Comité Français de Libération Nationale se transforme, le 2 juin 1944, en Gouvernement Provisoire de la République Française, c’est-à-dire l’assurance que demain la mouvance gaulliste sera à pied d’œuvre à Paris même, capitale d’une France régénérée ! Le 6 juin, les Alliés ont commencé à débarquer en Normandie, acte capital de reconquête et de victoire finale ! Dans beaucoup de localités, et à Vichy même, les Forces Françaises de l’Intérieur et les mouvements de Résistance bousculent et anéantissent l’ennemi ! Le 14 juin à Courseulles, le Général de Gaulle débarque en France ! Peu après, c’est le Général de Lattre qui débarque en Provence !

« Et puis, l’engrenage victorieux est décidément « infernal » ! On annonce l’arrivée de la 2ème Division Blindée du Général Leclerc de Hauteclocque, venue libérer Paris de ses oppresseurs en faisant fi des réticences américaines ! Dans cette perspective, le 19 août 1944 on se soulève, c’est l’insurrection générale à Paris et la Préfecture de Police est occupée. Les combats s’engagent avec les quelques éléments allemands mais aussi le dernier carré des partisans de Pétain. Des barricades sont dressées. Andriamihaingo fait le coup de feu avec ses camarades des Forces Françaises de l’Intérieur, les FFI. Suzanne participe pour évacuer et soigner des blessés. On protège du mieux possible la petite Laurence – Lolo – , née le 2 février 1944, qui reste cloîtrée dans le noir dans sa chambre de la rue Valence, volets fermés…

« Le 22 août, voici que pénètrent dans Paris les 16.000 hommes du Général Leclerc et leurs blindés par la Porte d’Orléans. Quelle magistrale offensive ! Le 25 août, le jeune et sémillant Général Chaban-Delmas, issu de la Résistance, reçoit la capitulation du Général allemand Von Choltitz. Le Général de Gaulle peut faire son entrée triomphale dans la capitale baignée par l’immense foule en délire, descend les Champs-Elysées, va vers l’Hôtel de Ville, prêtant à peine attention à des coups de feu tirés à partir de certains toits ou à un avion allemand qui survole Paris pour mitrailler la foule.

« Il fait beau. Le ciel est bleu. La température est douce.

« Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! », clame le chef de la France Libre d’une voix grave et forte qui sort de tout son être. A nouveau l’immense clameur qui monte jusqu’au ciel ! On pleure, on jubile, on embrasse les soldats victorieux, on danse, on boit, on rit, on s’aime.

« Après l’euphorie, retour aux autres préoccupations, notamment sociales.

« Poussé par ce vent renaissant, Andriamihaingo, qui est aussi Délégué malgache du Centre de l’Entraide des Prisonniers de Guerre du Comité Amiral Lacaze, porte son effort sur la création d’un « Foyer de Madagascar », encore appelé « Foyer malgache » dont il avait jeté les bases en juin 1944.

« Il en développe les idées directrices : grouper les Malgaches de Paris, spécialement les anciens prisonniers des camps situés dans le nord de la France, pour mieux les aider matériellement et moralement. Améliorer leurs conditions de vie, leur assurer un suivi de santé, développer l’entraide sociale, organiser des stages de formation professionnelle, aider les anciens prisonniers au retour au pays aussitôt la guerre terminée, etc…

« Structurellement, le nouveau Foyer est un organisme dépendant du Commissariat Général aux Prisonniers de Guerre Rapatriés avec un Conseil de direction, dont Andriamihaingo en est le directeur…Le siège est fixé à Paris 2ème arrondissement, 60 rue Quincampoix…Parmi les établissements coopérant aux activités du Foyer figure le Centre de Perfectionnement Professionnel de l’Artisanat rural dont le directeur, dans une lettre du 8 septembre 1944, se félicite de la « moralité exemplaire » et de « la qualité » des stagiaires malgaches, « que pourraient leur envier certains de nos compatriotes français »…

« Mais, une arrivée massive des prisonniers malgaches, cette fois-ci libérés des « Stalags » allemands situés sur le territoire allemand, est annoncée. Ils vont venir par milliers. Mais, déjà les premiers arrivants sont là le 15 avril 1945…C’est alors que Andriamihaingo et ses amis malgaches tels les docteurs Rakotomalala et Ranarison-Bonard, d’Argenson Andriamorazafy, Victor Raharinosy, Gilbert Ramiandrisoa, Charles Ralinoro, Charles Razafimandranto, Paul Randrianome (son frère puîné), Paul Rakoto ou Felix Rajoelson, décident dans un bel élan solidaire de renforcer les capacités du « Foyer malgache », d’abord en créant l’ « Union Malgache pour l’Entraide et l’Action Sociale », et ensuite en l’intégrant structurellement au « Centre de l’Entraide pour les Soldats et Travailleurs d’Outre-Mer dans la Métropole » présidé par l’Amiral Lacaze. La première vague d’anciens prisonniers malgaches – une centaine – est accueillie dans les locaux du Foyer Intercolonial des Etudiants, au 184 boulevard Saint-Germain à Paris 6ème. Les discours chaleureux et de réconfort prononcés par le docteur Rakotomalala et Andriamihaingo réchauffent les coeurs. D’autres anciens prisonniers suivront et seront accueillis, soignés et rendus aptes à retrouver une vie normale…

« Soucieux d’assurer à ces anciens combattants une pension décente, sans parler de l’hommage que la nation française se doit de leur rendre, Andriamihaingo veut en parler « au plus haut niveau » et un tel vif souhait étant parvenu jusqu’au Général de Gaulle, ce dernier étant dûment informé de ses antécédents militaires et le sachant combattant malgache le plus haut gradé, le convoque début septembre 1945 au siège du Ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique…Le Général est grave mais avenant…Il charge Andriamihaingo d’une mission difficile consistant à contribuer à mettre en œuvre un retour digne des prisonniers malgaches dans leur pays d’origine et y assurer leur avenir…Une note de service du 25 septembre 1945 vient concrétiser cette mission qui consiste toutefois à simplement « recueillir auprès des Militaires malgaches toutes informations utiles en vue de préparer le retour et l’avenir de ces Militaires dans leur pays d’origine… ». Andriamihaingo s’en acquitte dans le très court délai qui lui est imparti, faisant valoir certaines exigences dont il développera le caractère majeur dans un discours mémorable qu’il prononcera le 17 décembre 1945 devant la Commission d’Outre-Mer de l’Organisation Civile et Militaire (OCM) dont il est membre, l’une des principales organisations de la Résistance française, récemment muée en un groupe politique de réflexion et de proposition, notamment afin que la nouvelle constitution de la IVème République Française intègre dans ses dispositions les nécessaires émancipation et autodétermination des peuples de l’Outre-Mer. Très vite, les propositions que Andriamihaingo avait défendues, et qui avaient ému l’assistance, ont été adoptées comme étant la doctrine officielle de l’OCM en ces matières… »

« …Le 8 mai 1945 l’Allemagne, l’orgueilleux et criminel Reich, capitule sans conditions ! Dans son allocution radiodiffusée du même jour, le Général de Gaulle peut dire : « …c’est la victoire des nations unies et c’est la victoire de la France !…Honneur aux nations unies qui ont mêlé leur sang à notre sang, leurs peines à nos peines, leur espérance à notre espérance et qui, aujourd’hui, triomphent avec nous ! »

lieutenant PRA 3 Lieutenant Pierre Razafy-Andriamihaingo, en 1939, à sa sortie de l’Ecole d’Application d’Artillerie de Fontainebleau – Archives familiales – Jpra – Reproduction interdite –
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Tels sont ces faits, qui mettent également en relief la part que des Malgaches, épris d’un fort sentiment patriotique pour leur propre pays gagné par le sentiment d’une liberté recouvrée, ont consenti autour de la libération de Paris.

Les termes de l’allocution prononcée par le Général de Gaulle, rappelés plus haut, résument avec tant d’éloquence l’union sacrée des nations éprises de valeur pour mettre à bas l’ignominie.

Pour ne pas déborder de la thématique consacrée à la libération de Paris, nous n’irons pas plus loin dans l’évocation de ces témoignages de notre père pour la suite des évènements.

La messe solennelle célébrant la Libération de Paris l’est traditionnellement à l’intention du Général de Gaulle, du Général Leclerc, des officiers et soldats, de tous les résistants, déportés et victimes de la guerre 1939-45,

Et, tout particulièrement, pour la Paix.

Ici et là.

Partout dans le monde.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* reproduction, même partielle, interdite tant du texte que des illustrations

LE DEBARQUEMENT EN PROVENCE: OPERATION DRAGOON

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« Bâton d’honneur » (jpra)


         LE DEBARQUEMENT EN PROVENCE DE 1944 : OPERATION « DRAGOON »

Ce qui est communément convenu d’appeler « le débarquement en Provence », officiellement baptisé « Dragoon », s’était déroulé sur trois phases principales, visant la libération du Sud de la France, celle par le Nord étant auparavant opérée avec le débarquement en Normandie (opération « Overlord »), celui-ci ayant pour but principal la destruction du gros de l’élite de l’armée allemande avant l’avancée au cœur même de l’Allemagne.

Côté français, c’est dès le 18 avril 1944 que le Général de Gaulle confie au Général de Lattre de Tassigny le commandement en chef des forces françaises devant participer très activement à cette reconquête, lesquelles feront la jonction avec la fameuse 2ème Division blindée du Général Leclecq de Hautecloque et la VIème Armée américaine.

Les annales ne le soulignant pas suffisamment, on rappellera que dans l’accomplissement de l’ensemble de ces opérations militaires de la plus haute importance la contribution des éléments africains et malgaches fut déterminante, ce jusqu’à la victoire finale.

Voici en quoi consistait l’ « Opération Dragoon » :

. Ière PHASE :

les 15 et 16 août, parachutage de plus de 5000 hommes (Américains, canadiens, Français) dans la Haute Provence, suivi de 4000 hommes arrivés par planeurs.

Parallèlement, débarquement sur la côte provençale de forces spéciales américaines et françaises.

La progression rapide de ces éléments a notamment permis l’entrée en lice des divisions de la 1ère armée française.

. IIème PHASE :

du 17 au 28 août, les quatre premières divisions françaises venues d’Afrique occupent les terrains reconquis et partent rapidement à la reconquête et à la libération de Marseille et Toulon, ainsi que de toute la côte méditerranéenne.

Dans ces opérations, la contribution des Africains, parmi lesquels des Malgaches, incorporés dans la 1ère Division Motorisée d’Infanterie et dans la 9ème Division d’Infanterie Coloniale, et celle des Forces Françaises de l’Intérieur, ont été déterminantes.

Par la suite, le regroupement de tous ces éléments, suivi du débarquement d’autres éléments français, formera dès mi-septembre 1944 la fameuse 1ère Armée française (dite « d’Afrique » ou « Rhin et Danube ») qui va envahir l’Allemagne par son flanc Sud-est.

. IIIème PHASE :

du 29 août au 12 septembre, la poursuite de la reconquête du territoire français se traduit par la libération de Montpellier, Toulouse, Bordeaux et Perpignan.

Ici encore, l’apport des soldats africains et malgaches fut très apprécié.

Ces places fortes étant définitivement sécurisées, les forces françaises peuvent se rediriger résolument vers l’Est de la France, ce qui se concrétisera par la prise de Grenoble, Lyon, Autun et Dijon.

Par la suite, la jonction des forces de l’opération « Dragoon » avec la fameuse 2ème Division Blindée du Général Leclerq de Hautecloque et avec la VIème Armée américaine fait passer cet ensemble invincible sous les ordres directs du généralissime Eisenhower, commandant en chef des armées alliées en vue de la victoire finale.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

* Cf. « Héros méconnus, Mémorial des combattants d’Afrique noire et de Madagascar », de Maurice Rives et Robert Dietrich, éditions Association française Frères d’Armes », juillet 1993, ouvrage couronné par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.

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Reproduction même partielle, interdite du texte et des illustrations.

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RAMANANOLONA: LA FIDELITE ET LA LOYAUTE D’UN PRINCE

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« Lames et l’âme de sabres » (jpra)
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                                 RAMANANOLONA : LA FIDELITE ET LA LOYAUTE D’UN PRINCE

Ramananolona, fils né en 1790 de Rabodomanana, sœur de Rambolamasoandro (cette dernière ayant été la mère du roi Radama 1er), était cousin germain du grand roi Radama 1er, les deux cousins ayant, à peu de jours près, sensiblement le même âge.

A l’époque, la polygamie permettait aux princes d’avoir plusieurs épouses. Ce fut le cas de Ramananolona qui eut deux épouses, dont la principale du nom de Ranoro, qui donna naissance à Ralahiarivony, lequel avec son épouse Ratavy donna à son tour naissance à Alphonse Rakotobe, ce dernier étant le père de Victorien Rakotomaniraka, le propre père de Anselme Rakotomaniraka (dit Sese), notre cousin germain, la mère de celui-ci, Germaine Rasoamihanta, étant la sœur aînée de notre père.

Je dis cela, car les indications figurant dans cette note biographique proviennent en très grande partie des études historiques de Anselme Rakotomaniraka, arrière-arrière-petit-fils du prince Ramananolona, l’essentiel de ces écrits étant consacré à son aïeul.

Je me plais à le souligner car voilà un authentique historien, un érudit rare, dont la (trop) grande modestie et la discrétion n’avaient d’égales que la distinction de la personne et la profondeur de ses écrits, puisés aux meilleures sources, familiales bien sûr, mais également provenant de témoins directs (élément primordial) et d’historiens tant malgaches que français et anglais de grande notoriété, et qui ont pour noms : Raombana, Rainandriamampandry, Rainitovo, Rabefaniraka, Rabenjamina, Leguevel de Lacombe, Christian Mantaux, R.P. Malzac, R.P. Callet, Jean Carol, Simon Ayache, Raoul Postel, André Coppalle, André Sherer, Chapus et Mondain, David Jones, James Hastie, Robert Lyall.

C’est donc aussi, à travers l’évocation du prince Ramananolona, un hommage affectueux que je rends bien volontiers à ce cousin avec qui je correspondais beaucoup pour en savoir davantage sur cette histoire de Madagascar qui fascine.

Je saisis également l’occasion pour rendre un hommage ému à ma très regrettée tante et marraine, Jeanne Ramboatsimarofy, qui était porteuse des souvenirs inédits de l’aïeul de son époux, le roi Andriamboatsimarofy qui avait régné à Antananarivo, finalement conquise par son grand adversaire le roi Andrianampoinimerina, père de Radama 1er.

Elle fut également le successeur de ma propre mère à la tête des musées nationaux des Rova d’Antananarivo et d’Ambohimanga à partir de 1961.

Que je n’oublie pas non plus mon autre cousin, plus particulièrement connaisseur de notre histoire clanique, Marius Razafindrakoto, dont le père, un leader nationaliste majeur des années 1940-50 à Madagascar, fut avec mon propre père les fondateurs en 1951 des « Terak’Andriandranando » de la Maison princière du même nom.

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Ramananolona avait comme frère aîné Ramanetaka, autre personnage historique de premier plan durant le règne du roi Radama 1er.

Les deux frères furent des camarades de jeux du jeune Ilaihidama (nom d’enfant du roi Radama 1er), c’est dire qu’une fois devenu roi, ce fils aimé et estimé de Andrianampoinimerina pour ses capacités guerrières et ses bonnes dispositions successorales, l’atout de cœur et d’esprit du « roi soleil » malgache, les choisit sans aucune hésitation pour être ses conseillers avisés, ses généraux intrépides et ses hommes de totale confiance, ce au même titre que les princes Ratefinanahary( beau-frère du roi) ou Rafaralahy Andriantiana.

Ces princes là formaient un quarteron formidable auprès du roi, fidèles parmi les plus fidèles, auxquels il faut aussi ajouter deux autres personnages influents : Ralala, qui jouait le rôle de premier ministre, et le prince Andriamahazonoro, autrefois souverain de sa région Antaimoro, déjà proche conseiller du roi Andrianampoinimerina, qui décida d’apporter volontairement sa contribution au royaume merina frère, étant donné par ailleurs sa proximité parentale avec les princes merina, puisque époux de la princesse Rafaravavy, elle-même petite-fille du prince Andrianifantsy, fils cadet du prince Andriandranando (notre grand-ancêtre).

Grâce à leur extrême proximité familiale et à la complicité qu’occasionnaient les jeux pratiqués ensemble durant leur enfance, Radama 1er connaissait donc parfaitement le caractère trempé de ses cousins Ramanetaka et Ramananolona, pour ce dernier ce trait de sa personnalité campant un personnage parfois sans concession, contrairement à son frère aîné plus « politique », mais toujours droit, ce durant toute sa carrière.

C’est la chose militaire, domaine dont, à la manière de Napoléon 1er , le roi Radama 1er fera l’une de ses œuvres majeures, qui donne à Ramananolona l’occasion d’exercer et d’affûter ses qualités décisionnelles et de loyauté absolue envers un souverain plein d’allant, envers son pays et ses compatriotes. Radama, en effet, voulut faire de « son » armée l’instrument privilégié de son règne et des réalisations marquantes de son ambitieux projet de faire de Madagascar un royaume inégalé et, surtout, respecté, et des Malgaches un peuple éclairé.

Car jusque là, même du temps glorieux de son père, le grand roi Andrianampoinimerina, l’armée se définissait comme une masse armée assez hétéroclite, certes disciplinée du temps de ce roi, dans laquelle chacun devait apporter son armement et ses provisions, mais côtés logistique et équipements, point d’organisation digne d’une armée moderne de l’époque.

Dès 1817, étant instruit par l’échec de sa précédente campagne contre le roi Ramitraho du Menabe, durant laquelle les insuffisances de son corps expéditionnaire furent mises à nu, Radama voulut changer radicalement tout cela, pour faire de son armée l’égale des armées européennes en termes de discipline, de formation et d’efficacité opérationnelle (cf. sur ce même Blog : « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar, 3ème partie » daté du 8/10/2013 + « Ordres royaux de Madagascar » daté du 15/5/2014).

Ainsi, des conseillers militaires, que le gouverneur anglais de l’Ile Maurice voulut bien mettre à sa disposition, ce en considération de développements stratégiques visant à isoler la France, se mirent ainsi à l’œuvre pour satisfaire l’ambition du roi malgache. C’étaient le capitaine Lesage, les sergents Brady et Craden, et surtout James Hastie, très officiel envoyé spécial du gouverneur anglais auprès du roi malgache.

De politique délibérée, et afin cependant de s’assurer un équilibre stratégique savamment calculé, Radama 1er ne voulut pas donner à son alliance avec l’Angleterre, matérialisée par un traité du 23 octobre 1817, un tour trop exclusif.

C’est ainsi que pour maintenir avec le gouverneur de l’Ile de la Réunion, par conséquent avec la France, un dialogue de bon aloi, il ménagea quelque peu le roi Jean-René des Betsimisaraka, l’allié des Français sur la côte est de Madagascar, et s’adjugea les bons et efficaces conseils d’un Français issu des armées napoléoniennes, Robin, lequel lui apprit le français et contribua grandement à la formation des unités d’élite de l’armée de Radama.

D’autre part, sur le front des affaires intérieures, c’est-à-dire celui du rôle distributif à assurer aux clans roturiers, ce sous peine que ceux-ci se sentent distancés ou écartés du pouvoir, précisément eu égard aux positions déterminantes que Radama 1er décida de réserver aux nobles, et parmi ceux-ci à son entourage familial proche, ce dernier décida d’accorder au clan Tsimahafotsy, notamment en la personne de Ratsiantery, mais aussi aux clans du Sud de l’Imerina, le soin de diriger sous sa haute autorité les différentes formations de l’armée royale.

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fourreau (2)
« Fourreau de sabre » (jpra)
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C’est donc dans cet environnement composite que le bouillant Ramananolona, foncièrement épris d’un fort sentiment qu’on qualifierait aujourd’hui de « patriotique », prend ses quartiers.

Non sans heurts avec les conseillers étrangers du roi Radama 1er, en particulier avec le sergent Craden, instructeur militaire qui s’était montré quelque peu brutal au goût du prince-colonel. Ramananolona, entier de caractère et doté d’une énergie certaine, n’hésita pas à lui asséner un coup de poing qui envoya l’Anglais au sol ! Cet incident insolite qui fit grand bruit parvint bien sûr, sur plainte de la « victime », jusqu’aux oreilles du roi Radama 1er qui calma tout le monde.

Mais, c’est surtout à l’encontre de James Hastie que Ramananaolona avait le plus d’inimitié, considérant que le conseiller anglais de son roi avait sur ce dernier trop d’ascendant, tout spécialement en matière de choix politique et stratégique.

Cette inimitié était d’ailleurs réciproque, ce qui n’arrangea pas l’avancement de la carrière de Ramananolona, notamment à propos de sa difficile mission de conquérir la lointaine Fort-Dauphin dans les confins sud de la grande île, dont l’Anglais souffla à Radama 1er la suggestion, sans doute dans le but d’éloigner de sa présence Ramananolona.

Or, peu de temps avant, un grave incident qui faillit très mal tourner pour James Hastie survint lors d’un exercice militaire où, dans un geste inconsidéré perçu par Ramananolona comme une provocation, celui-ci mit James Hastie en joue avec son pistolet, effectivement prêt à tirer, avant qu’un officier n’eut le salutaire réflexe de détourner l’arme.

Alors que les canons n’étaient pas une arme inconnue dès l’époque même du roi Andrianampoinimerina (le premier canon introduit en Imerina lors de batailles le fut bien avant grâce aux Andriandranando, notamment gardiens du talisman militaire royal, au début du XVIIIème siècle), son fils le roi Radama 1er forma autour de cette arme redoutable, avec l’aide de l’Anglais Lovett, le premier bataillon « Royal Artillery ».

La tradition des artilleurs malgaches, réelle et remarquable jusqu’à notre ère moderne, en particulier lors des deux dernières guerres mondiales (cf. sur ce même Blog les articles « Hommage aux combattants malgaches de la grande guerre » daté du 10/11/2013 + « 8 mai 1945 : la victoire sur l’horreur nazie » daté du 8/5/2014), remonte ainsi aux époques conjuguées des XVIII-XIX et XXèmes siècles .

Au total autour de 1820, l’armée royale malgache, bien formée, fortement équipée de fusils, de baïonnettes, de sabres et de canons de modèles récents, correctement disciplinée et motivée, comptait environ 15.000 hommes.

Des corps d’occupation des territoires conquis furent confiés aux différents gouverneurs de province, tandis qu’en réserve un corps mobile avait pour rôle de venir au secours de l’un ou l’autre de ces corps d’occupation, mais aussi pour servir de force de frappe. A l’époque, le grade le plus élevé était celui de 10 Voninahitra (« honneurs »), équivalent à Général (cf. notre article « Ordres royaux de Madagascar » sur ce même Blog, daté du 15/5/2014). Les voninahitra (« fleurs des champs ») sont acquises à l’épreuve des campagnes militaires et de certaines missions spéciales ordonnées par le roi.

Mais, c’est dès 1817 que Ramananolona fut, à l’âge de 27 ans, mis par Radama 1er à la tête de la division des « Ambodirano », dont le chef-lieu était Antsahadinta (l’histoire joue parfois de ces coïncidences ! , Antsahadinta étant un des principaux fiefs du roi Andriamboatsimarofy, l’adversaire intime du père de Radama 1er…) .

Cette année 1817 là, la répartition des formations militaires, avec leur commandant en chef respectif, était la suivante :

. Ratefinanahary, X voninahitra, à la tête des fameux « Voromahery » ;
. Ramanetaka, IX voninahitra, à la tête des « Avaradrano » ;
. Brady, IX voninahitra, à la tête des « Vaninisisaony » ;
. Razatovo, IX voninahitra, à la tête des « Marovatana » ;
. Ramananolona, IX voninahitra, à la tête des « Ambodirano » ;
. Rainitsiroba, IX voninahitra, à la tête des « Mainty » ;
. Andrianaivodofotra, IX voninahitra, à la tête des « Rainiolona ».

De 1817 à 1824, les témoignages et documents manquent pour déterminer exactement quelles furent les activités de Ramananolona.

Mais, ce qui est certain, par la simple déduction de la relation des faits si intenses dans les domaines militaires et diplomatiques durant cette période cruciale pour l’achèvement de l’unité malgache, c’est qu’avec les autres conseillers influents de Radama 1er, au nombre desquels figurait incontestablement Ramananolona, il prit aussi sa part dans les négociations, notamment celles avec les Anglais.

L’historien Andriamampandry suggère notamment que Ramananolona, paré de l’habit du diplomate, figurait parmi les négociateurs malgaches dirigés par Ratsilikaina et envoyés par le roi Radama 1er conclure sur le navire anglais « Phaëton » le fameux traité du 23 octobre 1817 aux termes duquel Madagascar renonçait à la traite des esclaves, aux expéditions et razzias vers les Comores et les côtes sud-africaines, ce contre paiement par l’Angleterre d’une contrepartie financière, de prêts pour l’armement de l’armée royale malgache et la fourniture d’un certain nombre de biens précieux.

Les campagnes militaires incessantes de Radama 1er l’amènent maintenant, en cette année1824, à vouloir conquérir cette poche territoriale toujours aux mains des Français à Fort-Dauphin. Il le suggère à Ramananolona qui, malgré les soupçons de ce dernier quant aux intentions réelles cachées derrière les conseils de James Hastie à propos de cette décision du roi, accepta finalement l’augure comme d’un défi personnel.

C’était sans doute également parce que Ramananolona, en patriote exigeant qu’il était, monté en grade pour être désormais XI voninahitra (général en chef) à l’âge de 35 ans, avait aussi la ferme volonté de crever cette poche comme un abcès. Une autre donnée s’y ajoutait : parmi les grands du royaume, seul Ramananolona n’avait alors pas encore été affecté dans un grand poste à l’extérieur de la capitale, et il fallait donc y remédier.

Malgré tout, Radama 1er, qui connaissait mieux que quiconque le caractère de Ramananolona, avait tout de même quelque hésitation à envoyer celui-ci dans la lointaine Fort-Dauphin, car le roi soupçonnait quelque peu son cousin de velléités indépendantistes et craignait, sans vraiment se l’avouer lui-même, que Ramananolona ne finisse par s‘y établir en véritable duc titulaire d’un fief.

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Or, quelle était la situation de Fort-Dauphin ?

Un fort y était construit depuis 1642, là où Flacourt y établit un relais à la gloire du Dauphin, futur Louis XIV, pour ouvrir à la France la voie à la mythique route maritime des Indes Orientales, Madagascar n’étant alors conçue que comme un passage stratégique. Dans l’avancement du temps, ce fort ne fut que très peu entretenu, sauf qu’en 1819, afin de marquer une présence française rendue indispensable pour, cette fois-ci, relayer la route maritime vers l’île voisine de La Réunion demeurée française, une petite garnison de quelques hommes bien désoeuvrés fut maintenue.

C’est donc fin 1824 qu’un corps expéditionnaire forte de 3000 hommes fut constitué, avec à sa tête Ramananaolona, secondé par deux colonels, un roturier en la personne de Ramanasina et le noble Rainizakamanga, mais parmi les seconds du prince-général figurait aussi le lieutenant-colonel Rafito qui se signalera par sa particulière bravoure.

C’est en février 1825, au bout d’un long parcours, que cette armée aperçoit enfin Fort-Dauphin de loin. Le fort est défendu par un tout petit contingent français de moins de dix hommes placé sous le commandement d’un sous-lieutenant, le jeune comte de Grasse Briançon.

Quelques traitants français sont placés sous sa protection, de même que des chefs locaux Antanosy bien contents de pouvoir commercer avec des blancs et de goûter à leurs produits, dont l’alcool qui coulait à flot…Le contingent français aperçoit lui-même avec une extrême surprise se profiler au loin une masse compacte : c’est bien l’armée de Radama 1er qui surgit, bien ordonnée et fortement armée !

C’est que personne à Fort-Dauphin ne pouvait imaginer que Radama fût capable de former ou osât constituer un corps expéditionnaire spécialement pour en déloger les Français !

Il n’y eut point d’affrontement, mais une petite délégation envoyée par le commandant du fort, porteuse d’une lettre de ce dernier, vint à la rencontre de Ramananolona. Ce dernier accepta de la recevoir, concevant pour ridicule et peu digne de son rang d’attaquer un fort défendu par une garnison aussi minuscule.

A la fois pour impressionner les Français et les honorer, espérant qu’ils cèderaient, il fit disposer avec quelques centaines d’hommes un carré compacte parfaitement aligné, tous présentant armes, baïonnettes au clair. Ramananolona lui-même, ceint dans un habit rouge doublé de soie, sabre sur le côté et ganté de jaune, était assis dans un grand fauteuil placé sur une grande natte et flanqué de sa garde rapprochée, tandis que ses officiers étaient impeccablement rangés derrière lui.

Comme dans sa lettre le sous-lieutenant de Grasse Briançon avançait le fait qu’il ne renoncerait jamais aux droits qu’il avait sur la province d’Antanosy parce que cette « propriété » appartenait à la France pour avoir été acquise des chefs Antanosy par la Compagnie des Indes Orientales, Ramananolona répondit fermement que ces chefs locaux n’avaient aucun droit à vendre ces terres appartenant au souverain de Madagascar, titre en effet reconnu par convention internationale à Radama 1er .

Comme pour ajouter du poids à ses paroles, Ramananaolona fustigea ostensiblement le drapeau français qui flottait au sommet du fort, ce qui n’arrangea pas la réputation du général malgache auprès des Français …

Chaque partie restant sur ses positions, ce lundi 7 mars 1825 Ramananolona décida de faire avancer résolument son armée face au fort en espérant qu’une telle manœuvre sans équivoque allait faire capituler le contingent français.

Mais, devant la résolution des Français, et Ramananolona refusant toujours la situation ridicule d’avoir à massacrer moins de dix soldats français par plusieurs centaines de soldats malgaches, choisit la ruse et c’est donc de bonne guerre que le 15 mars 1825 il donna ordre à une vingtaine de ses soldats de capturer vivants ces défenseurs « héroïques », lesquels par la suite purent quitter Fort-Dauphin sains et saufs pour rejoindre, à leur choix, soit Sainte-Luce soit l’île de la Réunion.

Assurément, connaissant la fierté de Ramananolona, un tel « fait d’arme », qui certes s’était conclu par un succès total avec la « conquête » de Fort-Dauphin et mettait en même temps en exergue sa magnanimité, n’entrait pas dans ses prévisions d’homme de guerre soucieux de gloires militaires, lesquelles prévisions le voyaient sans aucun doute dans une posture plus en rapport avec sa pugnacité et sa combativité. Est-ce une des raisons de sa grande déprime par la suite ?

Car, l’homme ordinairement bien mis, svelte et élégant, privé ainsi d’une grande victoire militaire incontestée, qui plus est contre la France, cette puissance coloniale qu’il n’avait pas du tout dans son cœur, avait anormalement grossi et s’était enfermé dans sa rancœur, soupçonnant même que son cousin de roi l’avait abandonné dans cette contrée lointaine hors de sa considération.

En tout cas, au-delà de cet épisode militaire inédit, il est reconnu à Ramananolona, le gouverneur éclairé, d’avoir réussi contre vents et marées à pacifier toute une province jusque là fortement travaillée par la France, allant jusqu’à finalement se faire aimer de ses habitants.

Certes, il y eut bien des révoltes, notamment celle qui coûta la vie au valeureux lieutenant-colonel Rafito qui, pris en tenaille par près de 10.000 guerriers Antanosy alors qu’il ne disposait que de quelques 200 hommes, se retrouva vite seul, cerné, sabre en main, se battit courageusement jusqu’à épuisement et fut tué. Et, à un moment donné Ramananolona lui-même fut mis en danger de mort du fait d’une révolte généralisée des Antanosy. Mais, en fin de compte, il sut jouer de la dissuasion et les Antanosy n’osant plus se révolter, la paix s’imposa.

D’autre part, et ceci n’était pas le moindre de ses mérites, cette fois-ci sur le plan géostratégique, car le gouverneur de l’île Bourbon (La Réunion) fut bien forcé d’accepter le fait accompli malgache, ce d’autant plus qu’il n’avait pas les moyens militaires de reconquérir une place forte à jamais perdue pour la France, ce même si au moment où Ramananolona fut mis en danger, comme indiqué plus haut, le gouverneur de Freycinet avait sérieusement songé à saisir cette occasion pour reconquérir Fort-Dauphin.

L’aurait-il cependant voulu ou fait qu’il aurait quand même risqué une défaite devant les troupes aguerries de Ramananolona, renforcées par des éléments mobiles de l’armée royale, restés en réserve et placés directement sous le commandement du roi Radama 1er, et de plus le gouverneur français se serait heurté à une très forte réaction de l’Angleterre, l’alliée fidèle de Radama 1er, par l’île Maurice interposée.

La paix étant définitivement assurée dans sa province, Ramananolona put donc alléger son dispositif militaire sur place en rapatriant à Antananarivo 1500 de ses soldats. Cette aubaine ne pouvait que satisfaire grandement le roi Radama 1er qui parachevait en cette année 1825 l’unité de Madagascar en éliminant le dernier point d’ancrage français sur la côte orientale de la Grande Ile.

Car, désormais Radama souhaitait, en s’inscrivant dans la lignée des grands souverains constructeurs du temps de l’épopée de l’ « âge d’or » de l’Imerina et de Madagascar dont il se souvenait, mobiliser son armée pour permettre la mise en valeur des terres cultivables par de grands travaux et pour assurer la sécurité des zones « libérées » devant faire place au commerce et à l’exploitation agricole, maraîchère, artisanale ou industrielle.

Tout ceci coïncidait également avec l’arrivée massive – en tout cas pour l’époque – de missionnaires et de traitants européens, venus prêter main-forte à l’ambition royale d’éveiller la civilisation malgache à la modernité.

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Vient l’année 1827 avec un regain de tension avec les Antanosy.

Ramananolona lui-même a radicalement changé, selon le témoignage attristé d’un traitant français, Leguevel de Lacombe, qui l’avait auparavant connu en 1823 pour être un fringant et brillant général de l’état-major du roi Radama 1er. Le gouverneur de Fort-Dauphin avait considérablement grossi, désormais incapable de monter à cheval et était par ailleurs persuadé que Radama son roi l’avait effectivement et définitivement abandonné à son sort isolé dans cette province lointaine, l’incitant alors à assurer sa propre survie.

Fin juin 1827 Radama 1er n’avait-il pas mobilisé un corps expéditionnaire fort de 7000 hommes pour aller à Matitanana sur la côte sud-est sans vouloir pousser jusqu’à Fort-Dauphin pour rendre visite à son cousin ?

Le traitant français sentait bien également une malsaine atmosphère de méfiance qui régnait au sein de l’entourage de Ramananolona, de plus en plus peuplé d’ambitieux comploteurs sûrs de pouvoir un jour prochain supplanter l’infortuné gouverneur, auquel on reprocha aussi son autoritarisme.

En conséquence de quoi, le « ady seza », la « complotite » à la malgache battait son plein, cette sorte de sport national qu’on retrouve aujourd’hui dans les mœurs politiques de Madagascar, consistant à tout faire, grâce à de basses besognes, pour gagner honneurs, hautes fonctions et privilèges divers …

Et voici que se présente l’année 1828, celle de tous les dangers.

Le roi Radama 1er, son roi, son cousin, meurt ; et Ranavalona 1ère lui succédant, le cri douloureux du cœur fit s’exclamer Ramananolona devant ses lieutenants : « Terre et ciel se ferment…pourquoi n’est-ce pas Rabodosahondra qui a été choisie reine au lieu de cette affreuse femme aux dents rougies par les années ? Ils ont fait un très mauvais choix de souverain… ! ».

Cette franchise légendaire de Ramananolona contribua assurément à sceller son sort, ce au même titre que celui des trois autres princes de sang, Ratefy, Ramanetaka et Rafaralahy : la mise à mort immédiate.

Mais, pour ce faire, on utilisa d’abord de façon méthodique, comme de coutume, la ruse pour préliminairement les attirer à Antananarivo se présenter à la Reine par convocation comminatoire. Cependant, dans le cas de Ramananaolona, non seulement celui-ci n’obéit point, mais il s’apprêtait semble-t-il à monter sur Antananarivo ou, autre alternative, à résister dans son fort retranché à Fort-Dauphin.

Mais, c’était sans compter sur les comploteurs de son propre état-major, le roturier Ramanasina en tête, lesquels furent encouragés dans leur funeste projet de tuer leur général en chef, par les mirobolantes promesses de grandes promotions et d’enrichissement que leur avaient signifié les zélateurs de la nouvelle reine Ranavalona 1ère.

Tout ceci mit tout de même un certain temps, puisque ce n’est qu’au milieu de 1829, au mois d’avril, que par de vils subterfuges consistant à prétendre faire procéder à des réparations du toit de la chambre de Ramananolona que Ramanasina réussit à y pénétrer, d’abord pour repérer les lieux et, ensuite pour prétexter l’urgence pour y introduire nuitamment ses acolytes et tuer leur chef.

C’est Ramanasina lui-même qui porta sur Ramananaolona un fort coup de sagaie fatal, qui trancha la gorge de son général en chef ! Son corps désarticulé, dû aux sévices que les assassins lui firent ensuite subir, fut enterré provisoirement dans une fosse prestement creusée hors de l’enceinte du fort…

Une telle exécution digne de la sauvagerie n’avait d’égale que celles, les unes plus ou moins atroces que les autres, infligées auparavant, un an plus tôt de juillet à août 1828, à tous les autres membres de la famille immédiate de Radama 1er .

On le sait, seul Ramanetaka, le frère aîné de Ramananolona put s’enfuir à Anjouan d’où il tenta de reconquérir le pouvoir à Antananarivo, mais sans pouvoir réussir il s’établit définitivement dans cette île de l’archipel des Comores en y créant, avec l’approbation de la population locale, sa propre dynastie régnante (cf. sur ce même Blog « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », 3ème et 4ème partie, datés du 8/10/2013 et du 10/10/2013).

La dépouille mortelle de Ramananolona fut finalement ramenée dans le tombeau familial à Antanjondroa (colline sacrée d’Ambohidratrimo), où il repose désormais en paix avec son fils Ralahiarivony dans une sépulture surmontée du Tranomanara, comme de tradition dans la haute noblesse de sang royal.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

• Reproduction, même partielle, interdite tant du texte que des illustrations.

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ABOLIR LA PEINE DE MORT

Bouclier
« Bouclier de la Justice » (jpra)
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Partout dans le monde, la peine capitale vit encore de beaux jours…et plus encore que jamais…! Cette constatation est malheureusement documentée par de multiples preuves à travers différents pays des différents continents.

L’Humanité régresse, c’est certain.

La France est réputée mère putative des Droits de l’Homme.

Mais, ce n’est que le 9 octobre 1981 que, sous l’impulsion salutaire et solidaire de François Mitterrand et de son Garde des Sceaux Robert Badinter, la peine de mort est abolie par une loi.

Et c’est sous la présidence de Jacques Chirac que l’abolition de la peine de mort est inscrite dans la Constitution, interdisant ainsi son éventuel rétablissement. 

 

                                        ABOLIR LA PEINE DE MORT

Au moment où cette question fondamentale de civilisation resurgit avec, notamment, les horreurs du terrorisme – de toutes sortes d’ailleurs – et la volonté de certains pays, et non des moindres puisqu’il s’agit de la Turquie, des Philippines et, très récemment ce 24 juillet 2019, des Etats-Unis de Donald Trump !, de rétablir la peine capitale, nous rappelons ce que nous écrivions il y a cinq ans, puisque depuis lors la situation, loin d’évoluer favorablement, s’aggrave.

Ces orientations inquiétantes, s’agissant des Etats-Unis, s’étaient déjà exprimées par la « vision » rétrograde d’une administration Trump triomphante au début du mandat du nouveau président américain…et dont on parlera plus loin dans cet exposé.

Mais, on remarquera que partout dans ce bas monde les résurgences du passé barbare de l’Homme refont surface et lui font penser, au plus haut niveau de dirigeants qui se gaussent de sens de leurs « responsabilités », qu’il conviendrait de rétablir la peine de mort pour punir certains crimes…!

                                                                      _  *  _

Fin septembre 2015, pour ne prendre que ces exemples, l’horreur des crimes « légaux » avec l’annonce de l’exécution par décapitation suivie de la crucifixion du corps d’un jeune homme saoudien coupable d’opposition au régime de son pays, l’Arabie Saoudite, et avec le maintien dans beaucoup trop de pays dits « civilisés » de différentes formes d’exécutions dictées par la justice, ne peut que révolter les consciences et appeler de fortes réactions.

Mais, face à de telles horreurs, Dieu que le message onusien était déplorable !

Car en 2015 ce même pays présidait, par son ambassadeur et en vertu d’un système de vote onusien (présidence tournante par zone géographique) qui révèle ainsi  l’absurdité de la situation, l’une des instances du Conseil  des Droits de l’Homme à Genève !!!…

Ledit Conseil se parait alors d’une érubescence qui le marquera pour longtemps.

Or, abolir la peine de mort dans le monde figure parmi les objectifs majeurs de la communauté internationale et l’ONU doit s’en saisir d’urgence et avec une constance déterminée, comme étant un devoir d’humanité.

Or, en cette année 2022 où nous revenons sur la question cruciale de l’abolition de la peine de mort, on constate qu’à travers le monde la peine de mort se multiplie significativement. 

Dans nos propos parus il y a cinq ans, nous rappelions ci-dessous les données de la question.

LE TOUR DE LA QUESTION

Ceci ne concerne plus la France, patrie putative des droits de l’Homme, en tout cas inventeur de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen en 1789, mais qui n’avait abolie la peine de mort que par une loi du 9 octobre 1981, dont le projet fut si brillamment défendu par Robert Badinter devant la représentation nationale, et ce sur les hautes et profondes inspirations du Président François Mitterrand.

Mais, l’inconsidération des hommes a failli reprendre le dessus en 2004, quand un certain nombre de députés proposait le rétablissement de la peine de mort contre les auteurs d’actes de terrorisme, faisant ainsi écho à un vent grandissant de nostalgiques de la manière forte contre des criminels de sang, tant il est vrai que ce qu’il leur restait de conscience les poussait sans doute à se sentir autorisés à tuer avec une relative impunité, quelque fois avec les pires cruautés.

Dès lors, pour fermer la porte aux révisionnistes de la peine capitale, l’interdiction de la peine de mort est désormais inscrite en 2007 dans la Constitution française.

Malgré ses hautes inspirations et son aversion pour la peine de mort, à laquelle il fut lui-même condamné pour avoir osé désobéir et lutter contre le régime de Vichy et le maréchal Pétain, le général De Gaulle n’a donc pas été le père de l’abolition de la peine de mort en France.

Et, on mesure le lent cheminement pour y parvenir, sachant que comparativement, parmi les démocraties européennes, le Royaume-Uni n’a devancé la France, avec sa guillotine, que d’une courte tête en ayant abolie en 1965 cette forme de peine capitale qui, chez lui, se pratiquait au moyen de la pendaison.

Faut-il que ces deux pays, l’un inventeur des droits de l’Homme, l’autre de l’Habeas Corpus, s’en enorgueillissent ?

Certes non.

Car, s’ils prônent une diplomatie d’influence en matière de droits de l’Homme et de démocratie, ces deux pays ne font pas de l’abolition de la peine de mort dans le monde une matière principale.

LA SITUATION AU PLAN INTERNATIONAL

En cela, il ne convient cependant point de leur jeter la pierre, la diplomatie étant ce qu’elle est, c’est-à-dire regardante à plusieurs fois du contexte mondial et des intérêts stratégiques en jeu.

En effet, si à travers le monde l’on compte environ cent quarante pays abolitionnistes en droit ou dans les faits, il reste quand même près d’une soixantaine de pays non-abolitionnistes, parmi lesquels des nations aussi importantes que les Etats-Unis d’Amérique, le Japon, l’Arabie Saoudite, la Chine, Taïwan, la Malaisie, l’Inde, Singapour, qui voisinent ainsi dans ce cercle peu reluisant avec des pays bien complaisamment traités de « voyous » comme l’Iran, la Corée du Nord, sans compter nombre de pays arabes dont la Charia tient lieu de loi suprême.

Pour ce qui concerne Madagascar, la peine de mort n’était plus prononcée ni pratiquée depuis 1958, et dernièrement par une loi du 12 décembre 2014, adoptée à l’unanimité des députés présents, l’Assemblée nationale malgache a aboli la peine de mort.

Amnesty International et l’Union Européenne s’en sont vivement félicités.

Honneur à mon pays !…et à l’Afrique !

Car, un autre pays africain, la République Centrafricaine, vient de faire adopter par son Parlement, en mai 2022, une loi abolissant la peine de mort. 

Face à ces exceptions, faut-il rappeler d’ailleurs que la peine de mort est sans doute celle qui suscite le plus d’imagination macabre : avec la chaise électrique, la chambre à gaz  (Etats-Unis, dans trente-deux de leurs Etats fédérés) dont, d’ailleurs, les systèmes de fonctionnement sont parfois défectueux et occasionnent de ce fait des tortures effroyables aux condamnés. Et la panoplie comprend aussi les injections létales sensées être plus « civilisées », « sûres » et « indolores », et là encore générant parfois des tortures parfaitement révoltantes (encore les Etats-Unis + la Chine, Taïwan, la Thaïlande), l’exécution par armes à feu (Chine), la pendaison (Japon, Singapour, Inde et l’Iran) ou, pourquoi pas, la décapitation au sabre (Arabie Saoudite).

La liste n’est, bien entendu, ni exhaustive ni close…

Ce, d’autant plus que le législateur lui-même ne manque pas d’imagination non plus quand il s’agit de prévoir les types de crimes passibles de la peine de mort.

Sans abonder dans le macabre, disons pour faire simple qu’il y a encore des pays où la peine de mort est automatique en cas de meurtre, sans que le juge ait à décider de la proportionnalité de la peine : Singapour et la Malaisie, pour ne citer que ces exemples (sauf à corriger si l’information n’est pas actualisée), la seule possibilité pour le condamné d’y échapper est la décision du Premier ministre ici, et celle du Roi là.

A décharge, reconnaissons cependant que des pays comme le Japon pratiquent très très parcimonieusement l’exécution capitale.

S’agissant des Etats-Unis, on pouvait noter qu’auparavant un débat quasi-permanent s’était instauré quant à l’opportunité d’abolir la peine de mort, mais désormais depuis ce 24 juillet 2019 le feu vert est donné par le gouvernement fédéral trumpien de reprendre au niveau fédéral la reprise des exécutions et, par voie de conséquence cela ne pourra que faciliter aux Etats de la Fédération la pleine souveraineté chez eux en la matière (d’ailleurs, en 2018 la course à la diversification avait pris une tournure franchement barbare : pour des considérations bassement « économiques », certains Etats comme l’Utah trouvent plus « rentable » de recourir au peloton d’exécution, tandis que le Tennessee et l’Alabama redécouvrent les vertus de la chaise électrique, et l’Alabama se distingue dans la suffocation par inhalation d’azote…!).

Quant à la Cour Suprême des Etats-Unis, qui avait manifesté des tendances inverses, maintenant qu’elle est désormais à majorité républicaine (rappelons que la Cour Suprême est soumise à la loi de la majorité selon le principe de l’élection des juges suprêmes) nul doute, sauf surprise, qu’elle ira dans le sens d’une liberté des exécutions capitales prônée par le Président Trump. Et ce n’est certainement pas parce que le 8ème amendement de la Constitution américaine proscrit tous « châtiments cruels ou inhabituels » que lesdites exécutions capitales pourraient être interdites.

D’ailleurs, même auparavant allez savoir ou comprendre quels sont ces « châtiments cruels ou inhabituels »….

En l’état actuel des choses, un arrêt « Furman v. Georgia » (1972) de cette Cour Suprême retient comme principe, sans prendre la peine d’aller plus loin, que la peine de mort viole la Constitution des Etats-Unis ; tandis que dans une autre décision ultérieure, « Gregg v. Georgia » (1976), elle déclare a contrario la peine de mort constitutionnelle à condition de respecter certains principes et conditions… ! Tout récemment, le 7 octobre 2018, l’Etat de Washington déclare la peine de mort contraire à la Constitution du seul fait qu’elle a dans cet Etat un caractère « raciste »…! Il est certain qu’au milieu de ces incohérences, et avec la nomination récente d’un juge extrémiste de droite, choisi expressément par le président Trump pour renverser en sa faveur la majorité au sein de la Cour Suprême des Etats-Unis, l’abolition de peine de mort aux Etats-Unis n’est pas pour demain sur des bases juridiques et éthiques certaines…* (voir NOTA en fin d’article).

Bravo donc, – nous plaisantons, bien sûr…- pour la « sécurité juridique » et pour les avancées là même où aux Etats-Unis, comme au Royaume-Uni, l’Habeas Corpus tient toujours lieu de bible en matière de respect de l’intégrité de la personne humaine !

« Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort ! », tonnait Robert Badinter à la tribune de l’Assemblée nationale française ce 17 septembre 1981 mémorable où le garde des sceaux qu’il fut, ayant auparavant eu à défendre des condamnés à mort durant son exercice professionnel d’avocat, défendait ce fameux projet de loi dont l’adoption n’a pas été sans durs débats.

bâton d'honneur
« Bâton du Commandeur » (jpra)
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QU’EN EST-IL AU NIVEAU DE L’ONU ?

La communauté internationale quant à elle, cette masse multiforme difficile à saisir, saura-t-elle s’inspirer de cette même invite pressante d’un Robert Badinter si profondément inspiré ?

Nos remarques de début de cet article plantent déjà, d’une certaine façon, le décor…

Or, rappelons qu’au niveau des Nations Unies, le « Pacte International relatif aux droits civils et politiques » reconnaît la peine de mort !

Cette réalité choquante n’est pas pour trop étonner quand on considère que loin d’être un « gouvernement mondial » idéal ou une « autorité morale » de référence, les Nations Unies sont tout simplement le reflet de la diplomatie dominante…

Ceci étant, de bonnes consciences au sein et dans le cadre des Nations Unies, et parmi celles-là le Saint Siège  – mais le Saint-Siège n’a que le statut d’Observateur à l’ONU… – (cf. nos articles « La diplomatie avant-gardiste du Saint-Siège » et « L’Académie pontificale ecclésiastique », in http://www.labodiplo.wordpress.com, datés respectivement du 27 sept. 2013 et du 7 jan. 2014), n’ont de cesse de pousser à l’adoption de textes, cependant non-contraignants à ce jour, tendant à abolir la peine de mort à travers le monde.

Ainsi, le 15 décembre 1980 fut adopté un « 2ème Protocole se rapportant au Pacte International relatif aux droits civils et politiques », qui vise à abolir la peine de mort…mais, cet instrument n’est que de caractère facultatif.

Puis, c’est l’Assemblée Générale des Nations Unies qui, par une Résolution (62/149) du 18 décembre 2007, appelle à un moratoire sur les exécutions dans le monde.

C’est maigre !

Cette décision non-contraignante de l’Assemblée Générale des Nations Unies fait notamment écho au 3ème Congrès Mondial Contre la Peine de Mort qui s’était tenu à Paris, à la Cité Internationale Universitaire de Paris, du 1er au 3 février 2007 et qui avait adopté un texte afin qu’ « ensemble la peine de mort soit abolie ».

J’y avais eu l’honneur de représenter Madagascar, en ma qualité d’ambassadeur, en apposant avec application et détermination, moi l’avocat de condition professionnelle, ma signature au nom de mon pays.

Assurément, le long chemin vers l’humanisation de la Justice ne dégage pas encore sur son horizon ce lourd devoir de l’abolition généralisée de la peine de mort.

L’actualité internationale elle-même semble en interdire l’occurrente nécessité, puisque, parmi d’autres « raisons » avouées ou implicites, les actes de terreur et de terrorisme, pour ne prendre que ces exemples, incitent à n’y point préparer les esprits.

Mais, nul doute que cet horizon qui tend vers l’humanisation de la Justice imposera peu à peu, mais sûrement, ses contours.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

Ancien Ambassadeur, Expert international en matière de bonne gouvernance et de promotion et de défense de la Démocratie, Avocat honoraire au Barreau de Paris.

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et des illustrations

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* Nota:

Le 12 janvier 2021, nous apprenons qu’après un sursis pour vérification de son état de santé mentale (!…), une cour fédérale américaine a fait exécuter, par injection létale, une femme, faisant d’elle la première femme condamnée mise à mort légalement aux Etats-Unis !

Quelle tristesse !… Quelle honte !…