« Litchi » (jpra)
Le 13 janvier 2015, Giorgio Napolitano, le Président de la République italienne, démissionna.
Ce fut un coup de tonnerre en Italie.
Car, c’est une grande figure de la vie politique italienne qui s’en alla, dignement et sans fracas ; mais c’est aussi sans doute l’un des derniers chefs d’Etat d’une très grande envergure qui disparaissait de la scène politique, et ce pour une retraite certes amplement méritée mais qui laissa un vide considérable dans un paysage politique, public et moral en ces temps mal en point en Italie et ailleurs.
L’hommage que j’avais tenu à lui rendre le 28 août 2014 dans l’article ci-dessous, ma modeste personne l’ayant connu et si profondément apprécié, connait ainsi une actualité renouvelée.
Cette actualité rebondit l’année dernière avec les élections législatives du dimanche 4 mars 2018 qui, confirmant les grandes craintes de la classe démocratique avaient (re)conduit aux affaires gouvernementales de l’Italie une extrême-droite aux relents fascisants. Car, crise migratoire et grandes difficultés économiques aidant, une large majorité d’Italiens n’ont pas hésité à se jeter dans les bras d’une droite dure dont une frange importante prend ses références du côté de l’expérience mussolinienne et d’une certaine nostalgie de grandeur italienne.
Dès lors, l’évocation, ici, du parcours exemplaire d’un grand démocrate à la figure emblématique, qui avait assuré à l’Italie une réelle stabilité sociale et politique, prend tout son sens.
Et fort heureusement, le successeur de Giorgio Napolitano à la tête de l’Etat italien en qualité de Président de la République, Sergio Mattarella, ancien juge à la Cour constitutionnelle, entré en fonction dès le 3 février 2015, a su – et sait – maintenir ferme la barre démocratique face aux agissements et orientations quelque peu inquiétants d’un gouvernement ouvertement provocateur.
GIORGIO NAPOLITANO : L’AME DE L’ITALIE DEMOCRATIQUE
En Europe et dans le monde, trop rares maintenant sont ces hommes et ces femmes de cette « race » des grands démocrates issus de cette génération de la seconde guerre mondiale et de l’après, encore en fonction au plus haut niveau de leur Etat respectif et qui continuent de se nourrir de leurs expériences de lutte pour le triomphe de la Démocratie et des valeurs de bonne gouvernance.
De par leur culture vécue, de façon innée ils savent où ils vont, ils savent où il faut aller et où il ne faut pas. De par également leur connaissance vécue et des gémonies locales, ils savent où se trouvent les penchants néfastes comme ceux bénéfiques de leurs compatriotes, et donc comment les orienter afin qu’ils ne tombent pas dans leur propre piège.
Un parcours exemplaire
Giorgio Napolitano, Président de la République Italienne depuis le 10 mai 2006 jusqu’au 15 janvier 2015, né à Naples le 29 juin 1925, est de ceux-là.
L’homme est unanimement respecté, et si la Démocratie italienne tient toujours malgré les soubresauts politiciens d’un pays, l’Italie, sociologiquement et économiquement divisé entre un Nord richissime et un Sud constamment à la recherche de lui-même, souvent fort agité par des courants politiques et claniques solidement implantés, c’est assurément parce qu’il a toujours su tenir ferme la barre.
En ces temps de pénurie idéologique et référentielle où les recettes du marketing politique tiennent malheureusement lieu de seule bouée, le Malgache que je suis se plaît à souligner l’exemplarité de cet homme d’Etat, que j’ai un peu connu, issu d’un Sud italien plein de vie, de richesse intrinsèque et de potentiels inexplorés, mais quelque peu oublié dans ses spécificités propres comme le sont, certes à des degrés et dans des contextes différents, beaucoup de ces pays encore dans une recherche besogneuse de leur (ré) émergence.
Tout naturellement, ce Président italien qui, auparavant n’a eu de cesse de lutter pour le développement de son Sud italien natal, tant comme actif animateur du « Movimento per la Rinascita del Mezzogiono » (Mouvement pour la Renaissance de l’Italie du Sud) que comme député (de 1953 à 1996) de la circonscription de Naples, cela l’a sans doute rapproché des problématiques des pays en développement comme Madagascar.
Car, à l’occasion de la remise entre ces mains de mes Lettres de créances comme ambassadeur en 2008 et à celles d’entretiens ultérieurs que j’avais pu avoir avec le Président Giorgio Napolitano, j’avais toujours été frappé par l’intérêt tout particulier qu’il portait à la nouvelle expérience démocratique, de redressement moral et de développement matériel de Madagascar, ainsi qu’aux encouragements qu’il prodiguait à l’attention de son collègue, le Président de la République de Madagascar, ce qui donnait lieu à de véritables échanges entre nous, qui dépassaient l’aspect purement formel et protocolaire.
Lors de la présentation de mes lettres de créances au Président Napolitano au Palais du Quirinal (sept. 2008).
L’expérience, faite des dures épreuves de la vie, fait l’Homme.
Cette vérité première s’était appliquée à un De Gaulle dont l’inégalable action publique et la dimension référentielle, de racines chrétiennes et catholiques, sont immenses.
J’ose dire que celles du communiste Giorgio Napolitano, qui ne sont certes pas encore terminées et sans doute pas du même niveau, mais se projetant en définitive pour les mêmes valeurs, sont en tout cas de la même veine démocratique et anti-fasciste.
Cette dimension est, on ne peut plus d’actualité à l’heure où la montée de l’extrémisme droitier concerne l’Europe tout entière.
L’adhésion originelle de Giorgio Napolitano au Parti communiste en 1945 n’avait bien entendu pas été étrangère à la lutte de nombreux Italiens contre le fascisme mussolinien dont, toutefois, les réminiscences sont aujourd’hui encore vivantes, notamment avec la Ligue du Nord et un groupe grandissant de nostalgiques mussoliniens qui ne craignent plus de célébrer avec force démonstrations le souvenir d’un Duce adulé par ceux-là mêmes qui, pour donner plus de « légitimité » à leur actions, n’hésitent pas à s’approprier la grandeur de l’Antique Rome.
A Rome, je continue de regretter vivement que rien n’ait jamais été fait pour au moins masquer cette imposante colonne dédiée au Duce et à la « gloire mussolinienne », à l’entrée du Stadio Olympico, à un endroit privilégié à la vue de tous, là même où en 1960 se déroulait la plupart des épreuves des jeux olympiques et où continuent de déambuler et de circuler piétons et véhicules.
La vigie de la légitimité démocratique italienne
La légitimité démocratique italienne, est parfaitement incarnée par cet homme, Giorgio Napolitano, maintes fois honoré par les meilleures institutions académiques à travers le monde, notamment par La Sorbonne qui l’a fait Docteur honoris causa.
Sur le front politique et politicien aussi compliqué de la vie publique italienne, marquée par un parlementarisme souvent porté récemment à son paroxysme à cause des frasques d’un Silvio Berlusconi si habile à manipuler les rouages, étant aidé par une popularité non négligeable, Napolitano est toujours parvenu par sa sagesse et sa connaissance innée des forces contradictoires d’un pays aux multiples facettes, à juguler les crises et à trouver les hommes du moment, même si ces moments furent singulièrement courts.
La période berlusconienne étant révolue en novembre 2011 à la suite d’évènements assez pittoresques où Napolitano lui-même avait su échapper à une malicieuse procédure d’impeachment, le voici pleinement inspiré dans les choix successifs de deux personnalités de haute volée choisies dans les meilleurs cercles de la haute technocratie italienne, les Mario Monti et Enrico Letta, avant que ne s’impose en février 2014 un jeune représentant de l’élite politique italienne, ancien maire de Florence, Matteo Renzi.
« Tiges » (jpra)
On le sait, le parlementarisme à l’italienne est un héritage démocratique issu d’un processus pour lequel le Parti communiste italien, qui n’a rien à voir avec le stalinisme d’après-guerre et qui a toujours su garder ses distances par rapport aux communismes soviétique, chinois, vietnamien ou d’Europe centrale et orientale, a pris sa part importante.
Le Gouvernement, dirigé par un Président du Conseil puissant et à bien des égards omnipotent, surtout du temps de Berlusconi, ne doit pas moins tenir étroitement compte des avis et postures qui sont ceux du Président de la République, qui reste le garant intransigeant de l’unité nationale, de la cohésion sociale et de la permanence des valeurs républicaines, dont l’autorité est pleinement respectée.
Sans bien sûr rien dévoiler ici des tenants et aboutissants des rapports ayant existé entre le Président Napolitano et le Président du Conseil Berlusconi, je peux témoigner, du moins s’agissant de Madagascar, d’une parfaite convergence de vues entre ces deux personnalités de filiation régionale, sociale et politique pourtant si différentes, l’un étant du Sud, juriste et économiste, communiste et pétri de sagesse, l’autre étant du Nord, hommes d’affaires, amateur de femmes, proche de la Ligue du Nord.
Mes rapports personnels entretenus avec eux ont toujours étaient empreints, de leur part, d’une bienveillance remarquable vis-à-vis de leurs homologues malgaches et des soucis de ces derniers pour le bien-être des Malgaches.
Et, j’y ajoute ma propre expérience de leurs disponibilités permanentes, empreintes de cette simplicité avenante, chacun à sa façon, s’agissant de personnalités à l’antipode l’une de l’autre, simplicité qui met tout de suite un modeste personnage comme moi dans un confort psychologique très appréciée.
Ce n’est ainsi évidemment pas un hasard si pendant cette période d’avant coup d’Etat à Madagascar, les relations italo-malgaches avaient été marqués par une embellie remarquable, ponctuées par des investissements italiens à Madagascar, la promotion du tourisme et de produits Malgaches en Italie (notamment : café, fruits, objets artisanaux), moi-même ayant mes entrées facilitées au Palais du Quirinal (résidence du Président de la République italienne), au Palais Chigi (résidence du Président du Conseil italien), à la Farnesina, siège du Ministère italien des affaires étrangères où de vrais amis sont en poste, ou auprès des autorités régionales et municipales d’un pays où la réalité de la décentralisation est concrétisée par un pouvoir local avancé, avec lequel j’avais pu initier des accords de coopération économique.
Ainsi, le capitaine du navire Italie qu’est Giorgio Napolitano, la boussole de la trajectoire actuellement apaisée de ce pays pétri de créativité, sont le gage même de la prospérité certainement retrouvée, et en tout cas promise, de ce pays si attachant et figurant toujours parmi les piliers relationnels de Madagascar.
Aujourd’hui, l’Italie retrouve-t-elle de l’intérêt pour Madagascar ?
La question peut être posée.
Mais, pour mémoire, l’intérêt de l’Italie pour Madagascar a ses racines depuis 1960 où mon propre père avait initié les relations italo-malgaches avec des résultats remarquables dans tous les domaines, diplomatique, économique et culturel (voir sur ce même blog l’article intitulé « Centenaire d’une haute figure de la diplomatie malgache »). Pour ma part et plus récemment, je me souviens en particulier du redéploiement africain initié par le gouvernement Berlusconi en 2008, dans lequel Madagascar tenait une place de choix.
Ce redéploiement africain est repris aujourd’hui par un dynamique Matteo Renzi qui avait récemment entamé au Congo, au Mozambique et en Angola une tournée africaine remarquée.
Mais, il est certain que, s’agissant de Madagascar, cet intérêt italien est actuellement et malheureusement freiné par une sorte de « vide » relationnel côté malgache, dû à l’absence forcée de l’ambassadeur malgache à Rome, du fait du pouvoir putschiste malgache issu du coup d’Etat de 2009.
Avec cet hommage à un homme d’Etat exceptionnel, c’est aussi l’hommage pleinement ressenti que je fais bien volontiers pour un pays, l’Italie, et pour la « ville éternelle », Rome, qui furent les premières terres privilégiées européennes où j’avais posé mes pieds en 1959, alors bien trop jeune pour d’emblée apprécier à leur juste mesure leur immense et incomparable richesse.
L’Italie d’aujourd’hui, comme celle d’hier, demeure une terre de créativité sans comparaison, et je ne parle pas uniquement des arts et des métiers d’arts, qu’elle cultive et promeut si bien, comme en France et au Japon d’ailleurs, mais aussi des industries où l’inventivité m’a frappé (notamment en matière d’énergies renouvelables et propres), et n’oublions pas, bien sûr, cette profusion d’idées qui, sur le plan politique, donne naissance à toutes les nuances idéologiques, parfois portées avec maladresse, mais dont tendent à s’en inspirer bien des intellectuels et des acteurs publics en Europe.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
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POST SCRIPTUM
Ici, je voudrais exprimer mon admiration devant la tenue, l’extrême amabilité et le prestige que dégage la Garde Républicaine italienne, spécialement celle assignée exclusivement à la garde du Palais du Quirinal.
Et ceci acquiert une dimension visiblement imposante, car aucun de ses membres ne mesure moins de 2 mètres ! Quant à leur formation, les éclaircissements qui m’en sont donnés forcent en effet cette admiration pour cette unité d’élite qui, je dois l’avouer, est sans doute sans équivalent au monde.
C’est donc toujours un grand plaisir renouvelé que de franchir, à l’occasion de la présentation de mes lettres de créance et des cérémonies officielles solennelles, l’accès principal du Palais du Quirinal et d’arpenter ses salons et allées de jardin ainsi placés sous une garde aussi prestigieuse, attentive et prévenante.
Le Palais du Quirinal lui-même offre à la vue et à la sensation tout son caractère chaleureux, cette ancienne résidence des souverains pontifes se muant avantageusement à la suite des accords de Latran en 1929 aux valeurs républicaines.
JPRA
Façade principale du Palais du Quirinal à Rome, qui domine en contre-bas le vieux quartier historique central de Rome (Fontaine de Trévi, Palais Chigi, le Parlement, etc…).
Un Garde Républicain du Palais du Quirinal devant l’accès aux jardins où se déroule notamment la traditionnelle garden party à l’occasion de la Fête nationale italienne.