
« Plateau de fruits » (jpra)
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LA RECONSTRUCTION DE MADAGASCAR
Le 7ème invité
PROPOS INTRODUCTIFS
Nous continuons à nourrir la rubrique « Parole aux invités de LaboDiplo », toujours dans l’esprit d’une « polarisation » souhaitable de Madagascar, les invités étant d’origine étrangère, lesquels se proposent de nous dire, à nous Malgaches et à la face du monde, comment ils voient notre retour indispensable sur la scène internationale.
Nous leur avons ainsi proposé le thème : « La reconstruction de Madagascar ».
Dans cette nouvelle quête au développement de Madagascar, la Grande Ile doit naturellement retrouver avec ses partenaires de toujours des rapports de confiance réciproque et ceux-ci sont encouragés à conserver dans l’espace malgache une place de choix et un rôle moteur.
Parallèlement, Madagascar a à assurer chez elle le renouveau de la Démocratie et à mettre en œuvre une planification devant garantir une bonne articulation des politiques sectorielles et une harmonisation des niveaux de développement dans les régions.
Pour cela également, dans un monde en constant bouleversement Madagascar se doit d’être plus attentive que jamais à son environnement géostratégique et géopolitique, son positionnement géographique et les leçons de son histoire lui commandant d’être au diapason des questions internationales.
PANEL DES INTERVENANTS
Je remercie vivement mes invités qui ont bien voulu marquer par leurs écrits le vif intérêt qu’ils portent au redressement nécessaire de Madagascar, pays qu’ils aiment et dont ils reconnaissent les énormes potentiels.
Ils nous livrent respectivement leur vision personnelle, et il est certain que compte tenu des hautes responsabilités qui furent ou qui demeurent les leurs, nous ne pouvons qu’être d’autant plus attentifs à leur contribution expertale.
– Précédemment :
Pour commencer, j’avais donné la parole le 20 novembre 2013 à l’Amiral Laurent Mérer, ancien Commandant de la Zone maritime de l’Océan indien et ancien Préfet maritime de l’Atlantique. Il nous a livré ses pertinentes réflexions sur un thème d’une actualité certaine et d’un intérêt permanent : « Madagascar, l’environnement stratégique ».
Puis, c’est le docteur Didier Coulomb, le Directeur de l’Institut International du Froid (IIF), une organisation internationale intergouvernementale d’une importance croissante, qui intervenait pour la nécessaire maîtrise, pour Madagascar, de la chaîne du froid, dispositif stratégique indispensable pour assurer la sécurité alimentaire et sanitaire, mais aussi la diversification et la promotion des produits agricoles et halieutiques, notamment à travers les techniques de conservation et de distribution.
Le 24 novembre, ce fut au tour du colonel (er) Hughes Lelouvier Aumont de Bazouge d’intervenir, un grand spécialiste de l’Afrique et de Madagascar, et, devrait-on ajouter, un grand amoureux de Madagascar. Il a abordé les « perspectives du développement de Madagascar » sous un angle inédit et plein d’enseignements.
Puis, le 26 novembre nous avons donné la parole à Monsieur René-Paul Victoria, ex Député-Maire de Saint-Denis de La Réunion et ex Président du Groupe d’Amitié France-Madagascar de l’Assemblée nationale française, un fin observateur des réalités malgaches et qui continue à œuvrer à l’optimisation des rapports franco-malgaches. Son texte, initialement conçu pour un colloque à la Maison du Barreau de Paris en février 2013, n’en garde pas moins son actualité. Il y évoque dans un esprit positif la vocation de « géant » de Madagascar, l’idée n’étant pas sans rappeler l’expression de Alain Peyrefitte qui, à son époque dans les années 1970, évoquait l’inéluctable « Réveil de la Chine » comme d’une échéance proche…
Le 28 novembre 2013 nous avions ensuite donné la parole à un Suédois, le Professeur Per-Sigrud Agrell, spécialiste de Géopolitique, Professeur aux universités de Stockholm et de Londres, Directeur de recherche à l’Ecole des Mines de Paris et associé à la Société suédoise « Secana » liée au Ministère suédois de la Défense. Il est particulièrement intéressant de voir comment un natif d’un pays aussi éloigné de Madagascar, la Suède, pays-modèle en matière de démocratie, perçoit notre problématique de reconstruction. Il évoque la nécessité pour Madagascar de faire le bon choix en matière systémique, la bonne articulation des rouages étatiques à tous les niveaux étant fondamental pour une application efficace des politiques et pour une transmission effective des directives, de même que pour une remontée indispensable des informations en provenance du terrain. Autrement dit : pour assurer une bonne connexion, soignons l’ information et la communication.
Madame Annie Favrie fut la sixième invitée, une distinguée économiste-urbaniste, chargée de cours à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, qui, forte de sa longue expérience d’expert-consultant missionnée notamment par le CDE de l’Union Européenne et par la Banque Mondiale en Afrique et ailleurs, a mis en place des clusters pour la filière textile à Madagascar de 2004 à 2011. Sa grande connaissance du secteur et de son environnement social et économique fait des lignes qu’elle développait sous le titre « Ouvrir une fenêtre sur le monde » un texte de référence.
– A présent :
Voici le Docteur Avi Assouline, un Cancérologue-Radiothérapeute exerçant à Paris dans une clinique privée mais également praticien attaché à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière, membre de la Société Américaine de Radiothérapie Oncologique, auteur de plusieurs dizaines de publications scientifiques, beaucoup étant parus dans es revues scientifiques ou relayés par des médias en France et à l’étranger, ainsi que d’ouvrages spécialisés, ces derniers notamment destinés aux étudiants en Médecine.
Il est connu pour avoir développé un protocole de radiothérapie pour lutter contre l’hypersalivation de certaines maladies neurologiques. En outre, l’intérêt qu’il porte aux problématiques des systèmes de santé dans les pays en développement le conduit tout naturellement à s’intéresser au cas de Madagascar.
– Merci Docteur ! A vous la parole !

« Raisins » (jpra)
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LA SANTE PUBLIQUE A MADAGASCAR
Etat des lieux et pistes pour (re)construire un vrai système de soins
Par le Dr Avi ASSOULINE, Cancérologue – Radiothérapeute, Boulogne-Billancourt (France)
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Madagascar, Etat d’Afrique situé dans la partie occidentale de l’océan Indien, est une île d’une superficie à peu près identique à celle de la France, et qui est habitée par environ 22 millions de Malgaches. Ce pays, à l’histoire politique tourmentée, souffre aujourd’hui d’un manque criant d’infrastructures sanitaires et d’un réel système de santé.
SITUATION DE LA SANTE A MADAGASCAR
Selon l’ONU, certaines améliorations en matière de santé ont été observées ces dernières années, malgré la crise politique qui a touché le pays de janvier 2009 à décembre 2013.
Certaines actions de santé publique, telles que l’amélioration de l’accès à l’eau potable, la lutte contre le paludisme et les activités d’amélioration de la santé des enfants ont été en effet bénéfiques pour ce pays. Mais beaucoup d’efforts restent encore à faire pour réduire le plus grand nombre de décès évitables. A Madagascar, l’espérance de vie à la naissance était de 62 ans pour un homme et 65 ans pour une femme (rapport OMS 2012). A titre d’exemple, en France, l’espérance de vie à la naissance était de 79 ans pour un homme et 85 ans pour une femme en 2012.
POLITIQUE ET SYSTEME DE SANTE A MADAGASCAR
La couverture sanitaire reste très limitée et la difficulté d’accès aux centres de santé est particulièrement ressentie en milieu rural où 35% de la population vit à plus de 10 km d’un Centre de soins. L’utilisation des services de santé reste faible ; seulement 31,2 % de la population font des consultations externes dans les centres de santé de base.
Les institutions privées à but non lucratif (ONG confessionnelles ou Organisations de la Société Civile en général) interviennent sans réelle synergie avec le secteur public. Les prestataires du secteur privé à but non lucratif (cliniques privées, praticiens libéraux..) ont un avantage comparatif considérable en milieu rural (prestations de vaccination, de consultation prénatale et accouchement) mais une attention particulière doit être apportée en vue d’une coordination d’une meilleure couverture sanitaire.
L’offre de service est limitée, car le plateau technique n’est pas toujours adéquat (les compétences techniques et humaines requises pour offrir les soins de qualité ne sont pas forcément présentes et les équipements et matériels médicaux ne sont pas en quantité et en qualité suffisants).
En matière de financement, bien que la part financée par le secteur public a baissé, le financement des bailleurs de fonds est passé de 92 à 160 millions de dollars de 2008 à 2010, sans que cela se traduise par une réelle amélioration de l’offre de soins.
Malgré la gratuité de certains produits, l’accès financier reste un grand défi à cause de la très faible couverture du système d’assurance médicale.
LES PATHOLOGIES LES PLUS FREQUENTES DANS L’ILE
Les fléaux majeurs menaçant la santé publique à Madagascar sont :
– le paludisme : même si le taux d’incidence du Paludisme soit passé de 9,28% à 1,54% de 2000 à 2009 (rapport OMS), il y a actuellement dans ce pays une recrudescence alarmante de la maladie et on en attribue la cause à une résistance des plasmodiums à la chloroquine
– la tuberculose dont l’incidence était estimée à 266/100 000 habitants en 2010.
– le VIH (SIDA) : le taux de prévalence du VIH est relativement bas à Madagascar ; cependant, entre 2003 et 2013, l’épidémie est passée de « naissante » à « concentrée » au niveau de certains groupes de la population (principalement les hommes ayant des rapports homosexuels, les professionnelles du sexe et les utilisateurs de drogues injectables)
– une autre Maladie Sexuellement Transmissible (MST), la Syphilis, est également très présente dans l’île.
– les Maladies Tropicales dites « Négligées » affectent la majorité des populations dans les zones rurales et les bidonvilles. Il s’agit de la filariose lymphatique, de la schistosomiase, des helminthiases transmises par le sol, la lèpre, la rage et la peste.
– Le Cancer : A Madagascar, le cancer frappe avant tout une population jeune et très souvent précaire. Les cancers gynécologiques sont les cas les plus fréquents à Madagascar (près de 50% des cas de cancer). Les traitements disponibles se limitent à la chirurgie et à la chimiothérapie. Et encore, une faible proportion de malades atteints du cancer a accès à ces traitements. Depuis 2009, aucune radiothérapie n’a pu être effectuée suite à la panne du seul appareil de l’île. L’introduction d’un nouvel appareil de radiothérapie demeure un rêve.
Cette thérapeutique qui occupe une place majeure dans la lutte contre le cancer dans le reste du monde, est donc inexistante à Madagascar. Les traitements disponibles sont extrêmement coûteux et hors de portée de la plupart des malades. Dans le Centre Hospitalier Universitaire Joseph Ravoahangy Andrianavalona (CHUJRA), qui est le seul service public de traitement du cancer, 80% des patients n’ont pas les moyens de se soigner. Certains d’entre eux choisissent de rentrer chez eux, et d’attendre leur dernier souffle.
Les rapports de l’Organisation mondiale de la santé parlent de 18000 nouveaux cas par an dans l’île. Toujours d’après l’OMS, 60% des cas de cancer ne sont dépistés qu’à un stade déjà avancé, ce qui diminue les chances de traitement possible et de guérison. Les patients qui ont les moyens de se soigner, partent à la Réunion pour bénéficier d’une radiothérapie. Les statistiques du ministère de la Santé publique, qui datent de 2012, ont indiqué que sur 100 évacuations sanitaires, la moitié concernait la radiothérapie. Certains patients choisissent, quand ils le peuvent, de venir en France métropolitaine.
ELEMENTS DE REFLEXION SUR LA CONSTRUCTION D’UN VERITABLE SYSTEME DE SOINS A MADAGASCAR
La mise en œuvre de la Politique Nationale de Santé Communautaire est effective mais insuffisamment coordonnée, car la crise a multiplié le nombre des Agences qui travaillent directement au niveau communautaire et chacune à leur façon. En fait, la couverture sanitaire de la population a diminué avec la fermeture de certains centres sanitaires de 2008 à 2012.
La politique nationale de lutte contre le cancer est pour le moment inexistante.
Les turbulences politiques n’aident évidemment en rien à la mise en place d’un réel « plan cancer » pourtant indispensable à ce pays. Il faudrait une réelle prise de conscience de la part des pouvoirs publics, et la mise en place d’une réelle politique de santé, hiérarchisée en fonction des pathologies rencontrées, en fonction de la répartition de la population au sein de l’île entre milieux ruraux et villes, et bien sûr en fonction des moyens disponibles.
Des investissements financiers extérieurs et des capitaux étrangers peuvent évidemment aider à la construction d’un système de soins de qualité au sein du pays. Mais ce n’est pas qu’une question de moyens financiers. Il faut avant toute chose une réelle volonté politique. Or, la situation politique actuelle à Madagascar permet-elle d’avancer dans ces questions de santé publique ?
Docteur Avi ASSOULINE
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(Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations)
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« Nature » (jpra)
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INFORMATION
A nos prochains rendez-vous sont prévus de venir d’autres spécialistes et amis provenant d’horizons divers, de France comme d’ailleurs, la communauté des nations ne manquant pas de s’intéresser à la quatrième plus grande île du monde.
Je les remercie à l’avance.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
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