LA COUR ET LE GOUVERNEMENT MALGACHES DU TEMPS DE LA ROYAUTE – IIème partie –

LA COUR ET LE GOUVERNEMENT MALGACHES DU TEMPS DE LA ROYAUTE

                                                                – IIème partie –

Voninahitra

« Voninahitra – Honneur » (jpra)


Dans notre Ière partie (voir sur ce même Blog, en date du 25 janvier 2015), nous avons décrit les contours de la Cour royale malgache.

C’est la Reine Ranavalona 1ère qui en fixa le protocole de façon définitive, en regroupant les principaux rites alors en vigueur depuis les temps de ses prédécesseurs, lesquels furent quelque peu négligés par le Roi Radama 1er, ce qui fut une des causes majeures de la fin tragique de ce roi de la modernité.

Un panthéon divinatoire sur fond de paganisme fut ainsi érigé. On en voit bien là toute la contradiction, car de divinités il n’y en eu point si l’on s’en tient à la substance des choses. En effet, seuls les rites païens autour d’idoles existaient.

La réalité, c’est qu’on a ainsi voulu « simplement » donner un socle sacramental à la Reine. D’où, des dérives de toutes sortes pour peu qu’elle-même ou ses soutiens devaient considérer quelque infraction – souvent inventée – de la part de quiconque.

Les idoles « Kelimalaza » (« le fameux esprit malin ») et « Manjakatsiroa » (« le règne sans partage ») et les devins (les « mpisikidy ») non seulement avaient leur place privilégiée à la Cour, mais souvent leur pouvoir s’exerçait de façon déterminante puisque la Reine avait l’habitude de fixer ses choix et de prendre ses décisions en conformité stricte avec les prédictions de ces idoles et prêtres.

La Reine avait un pouvoir absolu de vie et de mort sur ses sujets, quels qu’ils soient, nobles, roturiers, serfs ou esclaves. Il s’exerçait immédiatement, auquel cas le malheureux ou la malheureuse avait la tête coupée, était sagayé(e) ou crucifié (e), ou encore était jugé(e) au moyen de l’épreuve du tanguin (poison).

Dans ce dernier cas, était considéré comme innocent l’heureux (ou l’heureuse) qui, après absorption du tanguin, survit (ce qui était cependant très rarement le cas…), lequel (ou laquelle) généralement, il faut bien le dire, était dans un piteux état après une telle épreuve…

Les oligarques n’osaient contester ni à la Reine ni à ses prêtres ou procureurs l’immense étendue de leurs pouvoirs dans ces circonstances. Bien au contraire, très habilement ou de façon grossière et jouant de la flatterie, ils parvenaient toujours à en faire les complices ou les bras armés de leur politique et de leurs manœuvres ou complots.

C’est ainsi que par l’intermédiaire de Andriamihaja au début du règne de Ranavalona 1ère, celui-ci étant alors le favori de la Reine, ils firent des gardiens des idoles les exécutants du pire en pourchassant et en tuant les membres de la famille proche de Radama 1er et en torturant Lyall, Représentant à Madagascar du Roi d’Angleterre et du gouvernement anglais.

Mais, une autre institution était hors de portée de l’influence des oligarques : les militaires commis au service de la garde de la Reine, eux-mêmes tenus sous étroite surveillance par les devins. Ces gardes étaient d’ailleurs constitués en différentes formations :

. les « Miaramila Mpiambin’Andriana » (« la Garde des Nobles ») surveillaient les abords lointains du Rova (l’enceinte royale);

. les « Mpiambina ny Mpitandefona » (Gardes porteurs de sagaies) surveillaient les abords immédiats du Rova et détenaient les clés des accès ;

. les « Tsiarondahy » (serfs ou esclaves royaux) avaient pour mission de garder l’enceinte du palais royal ;

. la « Garde royale », les « Mpiambona ny Mpanjaka », avaient des missions de surveillance très précises et secrètes ;

. les « Terak’Ambohidava » (gardes originaires d’Ambohidava) surveillaient l’intérieur du palais royal et les accès aux appartements de la Reine.

Ces formations très disciplinées et durement entraînées à la manière malgache, entièrement dévouées à la Reine, totalisaient plus d’un millier d’hommes résolus.

Tout ceci explique, au moins en partie, pourquoi il était tout aussi important pour les chefs de l’oligarchie au pouvoir de partager la couche de la Reine et de devenir son amant pour mieux contourner et contrôler ces obstacles apparemment infranchissables que sont les devins et les gardes du palais, et ce malgré qu’ils aient placé à la tête des gardiens des idoles et des hommes sûrs, comme ce fut le cas de Andriananahary, vieux chef hova d’un village proche d’Ambohimanga.

La Reine elle-même avait partie prenante dans cette pratique de pouvoir à travers la chair, son intérêt étant, quant à elle, de pouvoir participer directement à la conduite des affaires politiques du pays et aussi aux affaires tout court.

Mais, la vie à la Cour royale malgache de l’époque prenait aussi des tours grandioses.

La Reine ne manquait jamais une occasion de montrer aux étrangers la splendeur des us et coutumes malgaches et de leur démontrer les capacités de ses sujets. Ainsi, si la Reine elle-même ne recevait jamais en personne l’étranger en son palais pour un banquet, un des hauts dignitaires de l’Etat s’en chargeait bien volontiers au nom de la Reine dans sa propre demeure située généralement aux alentours immédiats du Rova.

Un banquet offert dans ces circonstances était toujours gargantuesque : aux plats de l’excellente viande de zébu s’ajoutaient des plats d’oies bien en chair, des poissons d’eau douce, des volailles bien dodues, des œufs de différentes tailles, du jambon bien gras, du riz rond ou long, blanc ou rouge de la meilleure qualité bien sûr, de différents fruits dont abonde Madagascar, de légumes aussi variés que pouvaient en produire les environs, du champagne importés spécialement de France comme il se devait, du vin de même provenance, du rhum local…

De plus, un banquet était toujours l’occasion privilégiée pour l’heureux hôte de traiter d’affaires pour la Reine, cet hôte étranger en étant toujours préalablement prévenu afin qu’à l’occasion de sa visite il puisse venir avec des propositions déjà conséquentes en poche.

Les invités étrangers de marque et les très rares résidents étrangers admis dans la capitale royale pour y résider – Jean Laborde, Napoléon de Lastelle, les principaux missionnaires autorisés à y demeurer, la voyageuse autrichienne Ida Pfeifer étaient parmi ceux-là – pouvaient goûter à une des distractions préférées de la Reine : les combats de taureaux ! La Reine possédait pas moins de cinq cents taureaux. Les plus fameux, parce qu’invincibles, avaient pour noms Maindambana et Ikambo.

Les combats, qui pouvaient durer toute une journée, se tenaient dans l’enceinte même du Rova, dans la cour d’honneur. Le peuple y était convié et participait avec allégresse, rares moments de joie en ces temps de terreur, toutes ces réjouissances collectives enchantant pleinement la souveraine.

Les bals en faisaient partie. A ces occasions la Reine s’enorgueillissait de porter, d’ailleurs avec une élégance certaine, les toilettes les plus représentatives de la mode en cours en Europe, celles-ci faisant partie des lots amenés à « sa » Reine par un Napoléon de Lastelle promu au rang d’homme d’affaires exclusif de Sa Majesté Ranavalona Manjaka.

Toutes les grandes dames de la Cour en faisaient de même, sans toutefois vouloir ou pouvoir concurrencer la Reine, mais cette fois-ci, il faut le reconnaître, avec plus ou moins de bonheur dans le port des vêtements… Les hommes n’étaient pas en reste puisque les plus beaux uniformes d’officiers s’arrachaient et leur étaient apportés par la même entremise de de Lastelle.

Le champagne et l’alcool coulaient à flot et en grande quantité dans une atmosphère d’autant plus surréaliste que le parfum, là aussi importé de France, embaumaient les salles d’un mélange d’émanations suaves accentuées par les musiques aux rythmes étourdissants. Cela aidait les plus timides ou les plus maladroits des danseurs à ranger leur inhibition pour inviter les dames dans des rondes folles.

A toutes ces occasions, le palais de « Manjakamiadana » s’illuminait de tous ses feux, les réjouissances déroulant ses éclats, et quelques fois ses frasques, jusqu’au petit matin…

D’autres moments forts de déploiement de fastes et d’exercices rituels réglés avec précision survenaient quand, chaque année, la cérémonie officielle du « Fandroana » (la « Fête du Bain »), fête nationale du Renouveau, se tenait en toute solennité dans l’enceinte du palais royal en présence de toute la Cour au grand complet.

La Reine y prenait une part personnelle très active et aspergeait l’assistance d’eau, en l’occurrence bénite par sa seule grâce, laquelle eau devant être porteuse de bienfait.

cortège royale de rasoherina

« Cortège royal du temps de la Reine Rasoherina – année 1865 –  » (jpra)


Enfin, personne ne saurait oublier le goût particulier de Ranavalona 1ère pour les déplacements en ses terres ancestrales, dans ses résidences secondaires ou dans ses provinces lointaines.

Pour se ressourcer, pour une partie de chasse, pour se baigner ou pique-niquer, ou tout simplement pour se promener ; bref, la Reine aimait se promener et s’échapper de temps en temps de la lourde atmosphère de la Cour.

Mais, souvent c’est pour faire pèlerinage ou se réfugier à Ambohimanga, foyer de ses aïeux et berceau de la dynastie royale. Ces voyages donnèrent toujours lieu à des cérémonies incantatoires avant tout départ du Rova, et suivant un protocole particulier chacun au sein du cortège royal devait tenir strictement son rang sous peine de mise à mort.

Invariablement, la Reine était précédée de sa fanfare, un héritage de feu Radama 1er, de militaires à cheval, d’une troupe d’avant-garde, et elle-même était portée soit à dos d’homme soit en « filanzana » (chaise ou, en l’occurrence, le trône à porteurs) découvert ou couvert selon les circonstances, entourée d’une partie de sa garde personnelle, de sa Cour et de certains de ses nombreux conseillers, et à sa suite venaient des officiers et soldats, ses servants, ses esclaves.

Le nombre de ces personnes (d’un millier à plusieurs dizaines de milliers d’hommes et de femmes) variait suivant l’importance et à la distance de ses déplacements. Presque toujours ils laissaient des séquelles : des hommes et des femmes tombaient malade ou mouraient en route.

Au retour à Antananarivo, la Reine et sa suite devaient d’abord camper dans la plaine de Mahamasina, au pied du Rova, afin que les devins puissent exercer leur ministère et indiquer le jour le plus faste pour la rentrée solennelle de la Reine en son palais. A cette occasion chacun devait former, autour de la tente de la Reine, un cercle avec ses quartiers, reproduction en concentré des différents quartiers d’Antananarivo et du Rova.

Les membres du gouvernement, à l’exception des principaux dignitaires, ne faisaient généralement pas partie de ces processions. Ils attendaient le retour de la souveraine, étant à leur poste à la capitale.

En dépit de la mainmise des oligarques sur tous les leviers du pouvoir, la Reine et sa Cour conservaient donc leurs prérogatives propres, toutefois tant qu’elles s’exerçaient selon la tradition et qu’elles n’empiétaient pas sur le pouvoir politique.

(fin)

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations


• Ce texte tiré de mon ouvrage « La geste éphémère de Ranavalona 1ère, l’expédition diplomatique malgache en Europe , 1836-1837 », L’Harmattan, 1997.

LA COUR ET LE GOUVERNEMENT MALGACHES DU TEMPS DE LA ROYAUTE

artisanat malagasy

« Artisanat malagasy » (jpra)


         LA COUR ET LE GOUVERNEMENT MALGACHES DU TEMPS DE LA ROYAUTE

Dans la tradition royale malgache, la Cour regroupait la famille immédiate du souverain régnant, ses proches conseillers, ses favoris et ses gardes.

Tout ce monde vivait d’ailleurs avec le souverain à l’intérieur de son « Rova », délimité par un périmètre inviolable et fortement gardé.

Habituellement, les représentants des nobles (Andriana), la grande famille élargie composée des sept maisons royales et princières ayant compté dans leurs rangs des rois et reines, subdivisés en différentes classes dont la hiérarchisation a évoluée par rapport à celle fixée par le roi Ralambo, le premier à l’avoir instituée, étaient regroupés dans une sorte de « Conseil des pairs » qui se réunissait autant de fois que le souhaitait le souverain.

Ainsi que le reconnaissaient les souverains-fondateurs du Royaume, ce jusqu’à Andrinanampoinimerina au début du XIXème siècle, s’y distinguaient les maisons fondatrices des Andrianteloray (c’est à dire les maisons des Andriantompokoindrindra, des Andrianambononolona et des Andriandranando), sources, par les femmes, desdits souverains.

C’était donc là, à leur origine et pour l’Histoire, le socle permanent du pouvoir et, surtout, de la légitimité monarchique. La classification intervenue, voulue par la seule volonté du roi Andriamasinavalona au XVIIIème siècle, lui-même pourtant issu desdites maisons des Andrianteloray, lequel entendait privilégier en les plaçant en première catégorie sa propre famille en instituant les maisons des Zanakandriana et des Zazamarolahy, puis la sienne propre, les Andriamasinavalona, n’avait ainsi qu’un caractère circonstanciel.

Quant au Gouvernement, son institutionnalisation ne se fit que progressivement.

Au début, il consistait en un regroupement de différentes personnalités titulaires de certaines responsabilités ou de charges, telles que celles dévolues au gardien des idoles (fonction qui de nos jours peut s’apparenter à celle d’un ministre de l’intérieur et du culte), au chef de l’armée ou aux différents gouverneurs ou représentants du souverain établis dans les territoires conquis.

Il s’agissait du Cercle des conseillers, composé de nobles et de roturiers, souvent originaires du fief du souverain régnant mais également de régions choyées par celui-ci.

Cependant, traditionnellement c’est le souverain qui, s’appuyant sur le Conseil des pairs et exerçant un pouvoir absolu et de droit quasi divin, dirigeait le pays sans partage.

Toutefois, progressivement et dès lors qu’il convenait de plus en plus de faire adhérer le peuple lui-même à la politique ou aux choix voulus par le souverain, celui-ci ne pouvait que s’adresser à ses chefs. D’où le rôle grandissant joué par le Cercle des conseillers et, en son sein, par les chefs hova (c’est-à-dire, les chefs de populations de la classe des roturiers et des hommes libres).

Ce phénomène fit glisser le centre du pouvoir au profit du Cercle des conseillers du souverain. Et, tout naturellement la lutte pour le pouvoir s’exerçait là, les protagonistes étant essentiellement mus par la recherche de privilèges, la consolidation et l’extension de leur patrimoine foncier.

Du temps du roi Andrianampoinimerina, bien que le souverain continuait à jouir d’un pouvoir absolu à la manière d’un Louis XIV, il ne prenait aucune décision sans consulter ses conseillers en amont ou en aval, et la prépondérance du rôle de ces derniers n’a fait que s’accentuer considérablement.

Radama 1er , le « Napoléon malgache » épris de gloires et animé d’une ardente vision progressiste, mit un terme provisoire à cette prépondérance en s’appuyant sur une forte armée et sur un corps qu’on qualifierait de grands serviteurs de l’Etat totalement à sa dévotion.

Mais, le retour en force du Cercle des conseillers, ces conseillers emplis de rancœur envers l’ « expérience » de Radama 1er, ne tarda pas avec le décès du Grand Roi et l’élévation de Ramavo, sa vieille épouse, sous le nom de Ranavalona 1ère, en prenant une forme tout à fait significative de sa volonté d’accaparer tous les leviers du pouvoir.

En effet, sous Ranavalona 1ère la Cour englobait non seulement les corps cités plus haut mais également les ministres, les hauts dignitaires civils et militaires du régime auxquels s’ajoutaient les nombreux aides de camp de la reine qui portaient le titre d’ « Officiers du Palais ».

En réalité, très curieusement, comme si tout ce monde entendait absolument marquer et faire remarquer sa position de proximité auprès de la personne même de la Reine, la plupart des ministres et dignitaires du régime s’appliquait à se faire reconnaître le titre très recherché d’ « Officier du Palais ».

Ceci dénote la relative moindre importance du rôle du Gouvernement à proprement parler, alors encore perçu et conçu comme un regroupement non structuré de ministres ayant un pouvoir plus administratif que politique, mais dénote surtout un besoin de légitimation, l’appartenance à ce corps d’Officiers du Palais suffisant à elle seule à prouver la confiance accordée par la souveraine.

D’ailleurs, vis-à-vis des étrangers, tous les favoris de la Reine et tous les membres influents du Gouvernement, à commencer par Andriamihaja, Rainiharo ou Rainijohary, ne manquèrent jamais, soit individuellement soit collectivement, de se présenter sous ce titre d’Officiers du Palais plutôt que celui de ministres.

En fait, la délimitation des rôles entre les différents cercles du pouvoir (Conseil des pairs, Cercle des conseillers, les favoris du souverain, les officiers de sa garde personnelle, ministres, hauts dignitaires civils et militaires, Officiers du Palais, Gouvernement) s’est largement estompée, aggravant le phénomène de la confusion des pouvoirs.

Comme on dit, la Cour et le Gouvernement manquaient de « lisibilité », car on ne pouvait clairement reconnaître leurs contours ni même leur structure, tant la confusion des rôles, des prérogatives et des pouvoirs était quasi-totale. En effet, les principaux tenants du régime étaient tôt parvenus à investir tous les cercles d’influence politique et tous les rouages sociaux, de sorte qu’ils pouvaient au gré des circonstances se présenter sous l’une ou l’autre des appellations.

Néanmoins, la Cour en elle-même, dans sa conception limitée à la personne de la Reine, conservait ses attributs, ses traditions et ses coutumes, et l’étiquette était très sévère.

Et sous Ranavalona 1ère, qui était superstitieuse à un point non encore égalé, elles avaient acquis une importance considérable.

Par exemple, pour ceux qui n’étaient pas des familiers ou pour les familiers qui avaient quitté le « Rova » pendant plus de trois jours, un rituel très précis de purification présidait à l’approche de la Reine : le devin devait d’abord donner une réponse favorable, puis le visiteur devait subir une triple aspersion (le « Afana »).

De plus, surtout si le visiteur devait entrer dans les appartements privés de la Reine, une autorisation spéciale devait être obtenue, suivie de salutations et de dialogues aux formules consacrées.

Et le cérémonial était beaucoup plus solennel dès qu’il s’agissait d’un visiteur étranger.

Celui-ci était d’ailleurs réceptionné dans la cour d’honneur au milieu de soldats, la Reine apparaissant au balcon du palais entourée de la Cour.

…/…
(à suivre)

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations


Ce texte est tiré de mon ouvrage « La geste éphémère de Ranavalona 1ère, l’expédition diplomatique malgache en Europe , 1836-1837 », L’Harmattan, 1997.

11 JANVIER 2015 : LE SURSAUT REPUBLICAIN ET LA CELEBRATION DES VALEURS PARTAGEES

floraison de pensées 6

« Floraison de fraternité » (jpra)


La mémoire nourrit la conscience.

En ce début de mois de janvier 2023, et toutes les fois que cela s’avère nécessaire à pareille époque puisque le monde est de plain-pied dans l’indispensable mobilisation contre la terreur, il est bon de se rappeler, du moins en France, ce que fut cette belle solidarité républicaine qu’aujourd’hui encore il faut entretenir et renforcer.

A cet égard, le 11 janvier 2015 est à marquer d’une pierre blanche.

                                                                    11 janvier 2015 :

           LE SURSAUT REPUBLICAIN ET LA CELEBRATION DES VALEURS PARTAGEES

Le terrible attentat de Charlie Hebdo à Paris qui a décimé une grande partie de son équipe rédactionnelle, suivi d’autres actes sauvages dont furent victimes de simples passants en ces funestes jours du 7 et 8 janvier 2015, ont ébranlé les consciences.

Et après les tueries de ces derniers jours, la riposte citoyenne, spontanée et massive est venue prestement dès le 11 janvier dans un élan extraordinaire : forte, imposante, puissante, et lourdement dissuasive à l’adresse des professionnels de la terreur et de la barbarie !

Plus de 40 chefs d’Etat et de gouvernement ont tenu à manifester par leur présence physique à Paris, leur solidarité pour la Liberté, la Fraternité, la Démocratie.

La solidarité des peuples à travers le monde est également à souligner comme étant le signe incontestable d’une formidable mobilisation des citoyens du monde.

Ma famille et moi étions parmi eux dans les rues de Paris. Et je cite aussi bien volontiers la présence de mes amis malgaches, américains, anglais et japonais (au nombre de ces derniers, notamment un ami directeur au ministère japonais des affaires étrangères).

Surtout, une foule compacte, fraternelle, rassemblait tout le corps social dans sa diversité et à travers toutes ses générations, du bébé jusqu’au plus vieux, mais aussi avec une présence étrangère importante, dont malgache. Cette foule était si nombreuse et dense (plus d’un million cinq cents mille ? ), que de marche il ne pouvait point y avoir de la Place de la République à la Place de la Nation, même à travers les trois parcours prévus pour y converger.

De 15H à 17H, les deux pôles de cette Marche Républicaine, la Place de la République d’où devait s’ébranler la marche, et la Place de la Nation, où elle devait aboutir, étaient si pleins et débordants de cette masse humaine affluant de partout aux alentours, que c’est finalement dans la position statique que les « manifestants » durent patienter des heures durant avant de pouvoir enfin marcher tard vers 19H.

Seuls les chefs d’Etat et de gouvernement ont pu, sous la conduite du Président Hollande, marcher en rang serré durant seulement une vingtaine de minutes.

floraison de pensées 2

« Floraison de fraternité 2  » (JPRA)


C’est un évènement sociétal sans précédent !

Jamais, depuis la Libération de Paris en 1944, une foule aussi nombreuse ne s’était unie, réunie et associée dans un élan aussi spontané pour la défense de nos valeurs partagées à travers le monde ! Et, à l’instar de ce qui se produisit 71 ans auparavant dans Paris en liesse, cette fois-ci ce sont non point les soldats qui furent célébrés et applaudis, mais les forces de l’ordre que sont les gendarmes et les policiers. Ils le méritent tant !

La vivacité et la solidarité de toute une nation se mesurent à ces aunes.

Ma famille et moi tenions à être présents sur les lieux, dans cette communion républicaine et démocratique exceptionnelle.

L’hommage dû à toutes les victimes de ces tueries de ces jours à Paris en janvier 2015 et dans sa région ne nous fait pas oublier en cette même année 2015 les autres victimes, trop nombreuses, et tombées pareillement sous les balles de ces maudits terroristes à travers le monde. En particulier, aux mêmes moments, en Afrique, au Nigeria, sous les coups de « Boko Haram », où il y eut des centaines de morts dans plusieurs villages, lesquels furent décimés.

Il faut que la vague d’indignation et de mobilisation, que la force de la justice et le souffle de la fraternité, dont la communauté internationale est capable, se répandent également sur ce continent africain beaucoup trop souvent meurtri.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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LA DERNIERE AMBASSADE ROYALE ITINERANTE MALGACHE DE 1882

ambassade 1882

Debout de gauche à droite: Tacchi, Andrianisa, Ranjalahy, Rabibisoa; assis, de gauche à droite : Ravoninahitriniarivo et Ramaniraka. Document tiré de l’ouvrage de Suzanne Razafy-Andriamihaingo: « Colline sacrée des souverains de Madagascar », L’Harmattan, 1889 – reproduction interdite).


           LA DERNIERE AMBASSADE ROYALE ITINERANTE MALGACHE DE 1882

« Le Japon de l’Océan indien » !

Ainsi fut qualifiée Madagascar par certains observateurs étrangers de la fin des années 1860, tant des progrès furent enregistrés matériellement et socialement, qui sont toutefois moins le fait de Rainilaiarivony, un Premier ministre omnipotent essentiellement soucieux des intérêts des siens, que des Malgaches eux-mêmes, désormais ouverts sur le monde depuis que les derniers rois bâtisseurs que furent Radama 1er dans les années 1810-20 et Radama II pendant son règne éphémère d’une vingtaine de mois, leur avaient cumulativement fait goûter les bienfaits de l’avancée civilisationnelle.

En réalité, le Japon est déjà loin, très loin devant : la « Restauration de Meiji » (Meiji Ishin) correspond à la modernisation des institutions, l’ouverture du pays, l’abolition du shogunat dès le 3 janvier 1868 avec la pleine restitution à l’Empereur de toutes ses prérogatives, le transfert du centre du pouvoir à Edo, baptisée Tokyo, la « capitale de l’Est », la conversion des « Bushi » (la classe des samuraï) dans la modernité d’une administration au service du peuple, et l’émergence généralisée d’une bourgeoisie active et créative, etc…

Bref, toutes ces transformations fondamentales qui font du Japon, concentré sur lui-même mais ouvert au monde, une grande puissance en devenir.

La France, quant à elle, très affaiblie par la guerre avec le puissant empire allemand, amputée de l’Alsace-Lorraine, ne se relève que très difficilement sur le plan européen tout en s’activant à l’international avec ses conquêtes coloniales, mais avec Madagascar elle perd davantage de terrain, c’est le cas de le dire puisque les troupes malgaches occupent depuis plusieurs mois la côte de Sambirano considérée par les Français comme étant sous leur protectorat.

Et ne voilà-t-il pas qu’à la mort de Jean Laborde le 27 décembre 1878 le gouvernement malgache refuse de reconnaître les droits de ses héritiers en avançant l’argument selon lequel il est interdit aux étrangers de posséder des terres à Madagascar.

LES EVENEMENTS SE PRECIPITENT… 

En riposte, la France s’apprête à envoyer une force expéditionnaire.

Le gouvernement malgache s’apprête à recevoir de la part de la France une notification en due forme de déclaration de guerre à la suite du départ d’Antananarivo le 21 mai 1881 de Baudais, consul de France.

A nouveau, comme en 1836, afin de prévenir toute agression sur son territoire et rechercher des alliances avec les autres grandes puissances, Madagascar décide d’envoyer dans la précipitation une ambassade itinérante.

Le 19 juillet 1882, la reine Ranavalona II s’adresse aux puissances étrangères en ces termes, qu’elle transpose en forme de lettres de créances confiées au chef de l’ambassade itinérante :

« Nous venons Vous saluer par les présentes et Vous annoncer que Nous avons choisi des personnalités de toute confiance, Ravoninahitriniarivo (15 honneurs), Officer du Palais, Ministre des relations extérieures, et Ramaniraka (14 honneurs), Officier du Palais, un de Nos conseillers privés, comme ambassadeurs plénipotentiaires… Nous déclarons leur avoir donné pleins pouvoirs pour traiter les affaires au sujet desquelles Nous les avons envoyés ».

La même forme de lettres de créances est ainsi adressée aux chefs d’Etat français, anglais, allemand et américain.

L’ambassade se forme aussitôt le lendemain 20 juillet 1882.

Les leçons des échecs passés lors des ambassades de 1836 et de 1863, lesquelles étaient pourvues de pouvoirs accréditifs insuffisants ou ambigus, sont ainsi retenues et mises en application, car cette ambassade de 1882, il est vrai dirigée par le chef de la diplomatie malgache lui-même, ne sera pas mise en devoir de consultation auprès du gouvernement en cas d’éventuelles difficultés.

L’ambassade est complétée par deux secrétaires, Andrianisa et Ranjalahy, et par deux interprètes, l’Anglais Tacchi et Rabibisoa.

Mais, la précipitation sous l’empire de laquelle cette ambassade se met en branle lui fait prendre de mauvais plis.

Car, sa première destination prévue étant Paris, elle s’est en quelque sorte elle-même privée de l’appui matériel anglais au moment où, pourtant, les rapports avec l’Angleterre impériale étaient plus qu’au beau fixe.

L’ambassade a donc dès le départ du faire face à d’inattendues difficultés matérielles de transport, en particulier à Tamatave où le consul Baudais s’était replié après son départ d’Antananarivo en mai 1881 et fit tout pour retarder l’embarcation de l’ambassade malgache à bord d’un navire…français.

Et ce n’est que le 19 août 1882 que l’ambassade itinérante malgache put s’embarquer sur « Le Touareg » pour n’arriver à Paris, avec une escale de courte durée à Marseille, que le 6 octobre 1882.

C’est le 14 octobre 1882 que Duclerc, le Ministre français des affaires étrangères, reçoit son homologue malgache et sa délégation pour une formelle et première prise de contact.

Les pourparlers, qui voient les Malgaches face à des interlocuteurs du Quai d’Orsay et du ministère de la Marine, commencent le 17 du même mois avec, d’emblée, des difficultés référentielles car, de façon provocatrice la partie française conteste la souveraineté de la Reine Ranavalona II sur toute l’étendue de Madagascar, le titre de « Roi de Madagascar » ayant pourtant été acté et reconnu de jure à Radama 1er et cette référence de souveraineté n’ayant été depuis lors nullement contestée au regard du droit des gens, cette norme juridique alors en vigueur sur le plan international.

Les pourparlers devaient-ils alors se trouver ainsi bloqués, la partie française faisant de la question un préalable ?

LES PRIX A PAYER DE L’IMPROVISATION

Le chef de la mission diplomatique malgache cherche alors du côté anglais, par le biais d’un message pressant, une sorte d’intermédiation.

Mais l’Angleterre impériale, dont la Reine Victoria était devenue depuis 1877 l’ « Impératrice des Indes » et qui avait fort à faire contre les Boers en Afrique du Sud, sans parler de ses propres difficultés en Egypte, n’entendait point, une fois encore, s’embarrasser d’éventuelles difficultés avec la France au moment où ces deux puissances coloniales poursuivaient dans leurs sphères d‘expansion respectives des buts hautement stratégiques à l’échelle de la planète (souvenons-nous déjà des réticences anglaises face aux sollicitations diplomatiques malgaches lors des difficiles négociations malgacho-françaises de 1863…- voir notre article daté du 4 octobre 2014 : « L’ambassade royale malgache de 1863 » sur ce même Blog – ).

Ainsi, ces pourparlers malgacho-français se bloquèrent-ils, ce même en dépit d’une ultime contre-proposition de Ravoninahitriniarivo qui pensait pouvoir satisfaire les Français en leur proposant le principe de concessions sous forme de baux emphytéotiques.

Fresque.

« Retrospective », acrylique – Jipiera – Reproduction interdite –

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Perdant patience, le ministre français des affaires étrangères adresse le 17 novembre 1882 à son homologue malgache une note en forme d’ultimatum, exigeant que la partie malgache reconnaisse le principe du protectorat français sur les portions de territoires que les soldats malgaches avaient occupées sur la côté est de Madagascar.

Dès lors, les évènements diplomatiques se précipitent.

La mort dans l’âme, Ravoninahitriniarivo et Ramaniraka décident de jouer le tout pour le tout en abandonnant là provisoirement les pourparlers avec la France et se rendent en Angleterre avec toute la délégation dès le 26 novembre.

A Londres, le 2 décembre ils sont reçus dignement par Lord Granville, le Secrétaire d’Etat au Foreign office et sont même reçus par la Reine Victoria à Windsor.

Mais, rien n’y fait, l’Angleterre au bout de plus de deux mois de pourparlers ne veut pas donner satisfaction aux malgaches au détriment éventuel de ses rapports avec la France… !

Après cet autre échec, que Ravoninahitriniarivo et sa délégation veulent considérer comme provisoire, l’ambassade malgache part le 20 février 1883 aux Etats-Unis où elle arrive d’abord à New-York le 3 mars, et c’est le 6 du même mois qu’à Washington elle est reçue par le Président A. Arthur.

Les Etats-Unis sont animés d’un sentiment plutôt avenant par rapport à la situation dans laquelle se trouve Madagascar vis-à-vis de la France et, d’une certaine façon, de l’Angleterre. La vision internationale des Etats-Unis, nourrie par la « doctrine Monroe », n’a pas du tout les mêmes références que celles de la France.

Cela donne quelques aises à la diplomatie malgache qui trouve là une ouverture importante, puisqu’au résultat de pourparlers fructueux un traité d’amitié est signé le 12 mars 1883 aux termes duquel, en particulier, la souveraineté de la Reine Ranavalona II sur toute l’étendue de Madagascar est implicitement reconnue.

Néanmoins, les Etats-Unis n’entendent point aller plus loin, notamment dans un soutien diplomatique, et surtout pas matériel, aux revendications malgaches face à la France.

L’ambassade malgache est cependant rassérénée par son périple américain et revient en Angleterre le 10 avril 1883 reprendre là où elle les avait laissés des pourparlers qu’elle espère désormais faire aboutir avec les Anglais. Mais, ces derniers restent fermes : no way, tel put être résumée la réponse anglaise… !

Qu’à cela ne tienne, tenaces, Ravoninahitriniarivo et sa délégation partent pour l’Allemagne où ils arrivent dès le 18 avril, étant reçus par le ministre allemand des affaires étrangères puis par l’Empereur Guillaume II lui-même, espérant toujours qu’entre-temps les « amis » anglais se raviseraient. Ici à Berlin, le même scenario qu’à Washington se déroule : signature d’un traité, cette fois-ci de commerce, mais refus de l’Allemagne de s’avancer davantage dans le sens d’un soutien diplomatique aux malgaches face à la France…

Retour à Londres.

Mais, l’obsession de l’ambassade malgache commence à gêner les Anglais…Entre-temps, vient de Paris une invitation de Jules Ferry, l’ « apôtre » de la « colonisation civilisatrice » et néanmoins Président du Conseil français.

C’est uniquement pour signifier à Ravoninahitriniarivo le 18 juin 1883 que les pourparlers avec la France sont définitivement rompus, puisque de fait dès mai 1883 les navires de guerre français de l’Amiral Pierre s’étaient présentés face à Majunga, que dès le 25 mai les troupes françaises avaient occupé le port, et que tous les autres accès maritimes malgaches furent prestement encerclés par la marine française.

Ainsi prend fin la dernière ambassade royale itinérante malgache.

Comble de malheur, le 13 juillet 1883 la Reine Ranavalona II meurt.

L’ambassade rentre à Madagascar pour y débarquer le 24 septembre 1883.

En 1885, au résultat d’un conflit mi-armé mi-diplomatique Madagascar est contrainte de signer un traité léonin imposé par la France le 17 décembre 1885, établissant à Madagascar un protectorat qui ne dit pas son nom mais en vertu duquel la diplomatie malgache entre désormais dans le rang français, faisant de Madagascar un royaume en sursis (sur ces développements, voir nos articles datés du 14 octobre 2013 et du 16 octobre 2013 : « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », 8ème et 9ème parties sur ce même Blog).

De fait, quand en 1886 le Premier ministre Rainilaiarivony tente un ultime sursaut diplomatique en envoyant en France de prétendues « ambassades » dirigées successivement par le général anglais Willoughby et son fils Rajoelina, ceux-ci ne pouvant se prévaloir du statut d’Ambassadeur, les autorités françaises leur opposent l’indifférence et ces « envoyés spéciaux » malgaches ne trouveront rien de mieux à faire, chacun en son temps, que de passer ce temps à dilapider les fonds qui leur avaient été alloués en folles dépenses personnelles…(voir sur le sujet l’article intitulé « Les interminables et dispendieuses négociations franco-malgaches de 1886 » sur ce même blog, daté du 19/2/2017).

C’est que de jure, le traité du 17 décembre 1885 avait fait perdre à Madagascar toutes ses compétences diplomatiques et de politique étrangère, et sa colonisation prochaine était ainsi clairement annoncée …

Une triste réalité que le Premier ministre Rainilaiarivony s’était effrontément refusé à admettre contre toute évidence…

Le début de la fin est proche : Madagascar est au bord du précipice de la colonisation.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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