LA COUR ET LE GOUVERNEMENT MALGACHES DU TEMPS DE LA ROYAUTE
– IIème partie –
« Voninahitra – Honneur » (jpra)
Dans notre Ière partie (voir sur ce même Blog, en date du 25 janvier 2015), nous avons décrit les contours de la Cour royale malgache.
C’est la Reine Ranavalona 1ère qui en fixa le protocole de façon définitive, en regroupant les principaux rites alors en vigueur depuis les temps de ses prédécesseurs, lesquels furent quelque peu négligés par le Roi Radama 1er, ce qui fut une des causes majeures de la fin tragique de ce roi de la modernité.
Un panthéon divinatoire sur fond de paganisme fut ainsi érigé. On en voit bien là toute la contradiction, car de divinités il n’y en eu point si l’on s’en tient à la substance des choses. En effet, seuls les rites païens autour d’idoles existaient.
La réalité, c’est qu’on a ainsi voulu « simplement » donner un socle sacramental à la Reine. D’où, des dérives de toutes sortes pour peu qu’elle-même ou ses soutiens devaient considérer quelque infraction – souvent inventée – de la part de quiconque.
Les idoles « Kelimalaza » (« le fameux esprit malin ») et « Manjakatsiroa » (« le règne sans partage ») et les devins (les « mpisikidy ») non seulement avaient leur place privilégiée à la Cour, mais souvent leur pouvoir s’exerçait de façon déterminante puisque la Reine avait l’habitude de fixer ses choix et de prendre ses décisions en conformité stricte avec les prédictions de ces idoles et prêtres.
La Reine avait un pouvoir absolu de vie et de mort sur ses sujets, quels qu’ils soient, nobles, roturiers, serfs ou esclaves. Il s’exerçait immédiatement, auquel cas le malheureux ou la malheureuse avait la tête coupée, était sagayé(e) ou crucifié (e), ou encore était jugé(e) au moyen de l’épreuve du tanguin (poison).
Dans ce dernier cas, était considéré comme innocent l’heureux (ou l’heureuse) qui, après absorption du tanguin, survit (ce qui était cependant très rarement le cas…), lequel (ou laquelle) généralement, il faut bien le dire, était dans un piteux état après une telle épreuve…
Les oligarques n’osaient contester ni à la Reine ni à ses prêtres ou procureurs l’immense étendue de leurs pouvoirs dans ces circonstances. Bien au contraire, très habilement ou de façon grossière et jouant de la flatterie, ils parvenaient toujours à en faire les complices ou les bras armés de leur politique et de leurs manœuvres ou complots.
C’est ainsi que par l’intermédiaire de Andriamihaja au début du règne de Ranavalona 1ère, celui-ci étant alors le favori de la Reine, ils firent des gardiens des idoles les exécutants du pire en pourchassant et en tuant les membres de la famille proche de Radama 1er et en torturant Lyall, Représentant à Madagascar du Roi d’Angleterre et du gouvernement anglais.
Mais, une autre institution était hors de portée de l’influence des oligarques : les militaires commis au service de la garde de la Reine, eux-mêmes tenus sous étroite surveillance par les devins. Ces gardes étaient d’ailleurs constitués en différentes formations :
. les « Miaramila Mpiambin’Andriana » (« la Garde des Nobles ») surveillaient les abords lointains du Rova (l’enceinte royale);
. les « Mpiambina ny Mpitandefona » (Gardes porteurs de sagaies) surveillaient les abords immédiats du Rova et détenaient les clés des accès ;
. les « Tsiarondahy » (serfs ou esclaves royaux) avaient pour mission de garder l’enceinte du palais royal ;
. la « Garde royale », les « Mpiambona ny Mpanjaka », avaient des missions de surveillance très précises et secrètes ;
. les « Terak’Ambohidava » (gardes originaires d’Ambohidava) surveillaient l’intérieur du palais royal et les accès aux appartements de la Reine.
Ces formations très disciplinées et durement entraînées à la manière malgache, entièrement dévouées à la Reine, totalisaient plus d’un millier d’hommes résolus.
Tout ceci explique, au moins en partie, pourquoi il était tout aussi important pour les chefs de l’oligarchie au pouvoir de partager la couche de la Reine et de devenir son amant pour mieux contourner et contrôler ces obstacles apparemment infranchissables que sont les devins et les gardes du palais, et ce malgré qu’ils aient placé à la tête des gardiens des idoles et des hommes sûrs, comme ce fut le cas de Andriananahary, vieux chef hova d’un village proche d’Ambohimanga.
La Reine elle-même avait partie prenante dans cette pratique de pouvoir à travers la chair, son intérêt étant, quant à elle, de pouvoir participer directement à la conduite des affaires politiques du pays et aussi aux affaires tout court.
Mais, la vie à la Cour royale malgache de l’époque prenait aussi des tours grandioses.
La Reine ne manquait jamais une occasion de montrer aux étrangers la splendeur des us et coutumes malgaches et de leur démontrer les capacités de ses sujets. Ainsi, si la Reine elle-même ne recevait jamais en personne l’étranger en son palais pour un banquet, un des hauts dignitaires de l’Etat s’en chargeait bien volontiers au nom de la Reine dans sa propre demeure située généralement aux alentours immédiats du Rova.
Un banquet offert dans ces circonstances était toujours gargantuesque : aux plats de l’excellente viande de zébu s’ajoutaient des plats d’oies bien en chair, des poissons d’eau douce, des volailles bien dodues, des œufs de différentes tailles, du jambon bien gras, du riz rond ou long, blanc ou rouge de la meilleure qualité bien sûr, de différents fruits dont abonde Madagascar, de légumes aussi variés que pouvaient en produire les environs, du champagne importés spécialement de France comme il se devait, du vin de même provenance, du rhum local…
De plus, un banquet était toujours l’occasion privilégiée pour l’heureux hôte de traiter d’affaires pour la Reine, cet hôte étranger en étant toujours préalablement prévenu afin qu’à l’occasion de sa visite il puisse venir avec des propositions déjà conséquentes en poche.
Les invités étrangers de marque et les très rares résidents étrangers admis dans la capitale royale pour y résider – Jean Laborde, Napoléon de Lastelle, les principaux missionnaires autorisés à y demeurer, la voyageuse autrichienne Ida Pfeifer étaient parmi ceux-là – pouvaient goûter à une des distractions préférées de la Reine : les combats de taureaux ! La Reine possédait pas moins de cinq cents taureaux. Les plus fameux, parce qu’invincibles, avaient pour noms Maindambana et Ikambo.
Les combats, qui pouvaient durer toute une journée, se tenaient dans l’enceinte même du Rova, dans la cour d’honneur. Le peuple y était convié et participait avec allégresse, rares moments de joie en ces temps de terreur, toutes ces réjouissances collectives enchantant pleinement la souveraine.
Les bals en faisaient partie. A ces occasions la Reine s’enorgueillissait de porter, d’ailleurs avec une élégance certaine, les toilettes les plus représentatives de la mode en cours en Europe, celles-ci faisant partie des lots amenés à « sa » Reine par un Napoléon de Lastelle promu au rang d’homme d’affaires exclusif de Sa Majesté Ranavalona Manjaka.
Toutes les grandes dames de la Cour en faisaient de même, sans toutefois vouloir ou pouvoir concurrencer la Reine, mais cette fois-ci, il faut le reconnaître, avec plus ou moins de bonheur dans le port des vêtements… Les hommes n’étaient pas en reste puisque les plus beaux uniformes d’officiers s’arrachaient et leur étaient apportés par la même entremise de de Lastelle.
Le champagne et l’alcool coulaient à flot et en grande quantité dans une atmosphère d’autant plus surréaliste que le parfum, là aussi importé de France, embaumaient les salles d’un mélange d’émanations suaves accentuées par les musiques aux rythmes étourdissants. Cela aidait les plus timides ou les plus maladroits des danseurs à ranger leur inhibition pour inviter les dames dans des rondes folles.
A toutes ces occasions, le palais de « Manjakamiadana » s’illuminait de tous ses feux, les réjouissances déroulant ses éclats, et quelques fois ses frasques, jusqu’au petit matin…
D’autres moments forts de déploiement de fastes et d’exercices rituels réglés avec précision survenaient quand, chaque année, la cérémonie officielle du « Fandroana » (la « Fête du Bain »), fête nationale du Renouveau, se tenait en toute solennité dans l’enceinte du palais royal en présence de toute la Cour au grand complet.
La Reine y prenait une part personnelle très active et aspergeait l’assistance d’eau, en l’occurrence bénite par sa seule grâce, laquelle eau devant être porteuse de bienfait.
« Cortège royal du temps de la Reine Rasoherina – année 1865 – » (jpra)
Enfin, personne ne saurait oublier le goût particulier de Ranavalona 1ère pour les déplacements en ses terres ancestrales, dans ses résidences secondaires ou dans ses provinces lointaines.
Pour se ressourcer, pour une partie de chasse, pour se baigner ou pique-niquer, ou tout simplement pour se promener ; bref, la Reine aimait se promener et s’échapper de temps en temps de la lourde atmosphère de la Cour.
Mais, souvent c’est pour faire pèlerinage ou se réfugier à Ambohimanga, foyer de ses aïeux et berceau de la dynastie royale. Ces voyages donnèrent toujours lieu à des cérémonies incantatoires avant tout départ du Rova, et suivant un protocole particulier chacun au sein du cortège royal devait tenir strictement son rang sous peine de mise à mort.
Invariablement, la Reine était précédée de sa fanfare, un héritage de feu Radama 1er, de militaires à cheval, d’une troupe d’avant-garde, et elle-même était portée soit à dos d’homme soit en « filanzana » (chaise ou, en l’occurrence, le trône à porteurs) découvert ou couvert selon les circonstances, entourée d’une partie de sa garde personnelle, de sa Cour et de certains de ses nombreux conseillers, et à sa suite venaient des officiers et soldats, ses servants, ses esclaves.
Le nombre de ces personnes (d’un millier à plusieurs dizaines de milliers d’hommes et de femmes) variait suivant l’importance et à la distance de ses déplacements. Presque toujours ils laissaient des séquelles : des hommes et des femmes tombaient malade ou mouraient en route.
Au retour à Antananarivo, la Reine et sa suite devaient d’abord camper dans la plaine de Mahamasina, au pied du Rova, afin que les devins puissent exercer leur ministère et indiquer le jour le plus faste pour la rentrée solennelle de la Reine en son palais. A cette occasion chacun devait former, autour de la tente de la Reine, un cercle avec ses quartiers, reproduction en concentré des différents quartiers d’Antananarivo et du Rova.
Les membres du gouvernement, à l’exception des principaux dignitaires, ne faisaient généralement pas partie de ces processions. Ils attendaient le retour de la souveraine, étant à leur poste à la capitale.
En dépit de la mainmise des oligarques sur tous les leviers du pouvoir, la Reine et sa Cour conservaient donc leurs prérogatives propres, toutefois tant qu’elles s’exerçaient selon la tradition et qu’elles n’empiétaient pas sur le pouvoir politique.
(fin)
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
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• Ce texte tiré de mon ouvrage « La geste éphémère de Ranavalona 1ère, l’expédition diplomatique malgache en Europe , 1836-1837 », L’Harmattan, 1997.