« L’approche de Madagascar, XVIème siècle », gouache – Jipiera – Reproduction interdite –
L’ « EMPEREUR DE MADAGASCAR »
Hier comme aujourd’hui, c’est dans les méandres et les louvoiements du cours de l’histoire malgache qu’interviennent des personnages d’aventures qui, pour certains d’entre eux, étant pourtant dignes d’intérêt historique, mais pas nécessairement glorieux, méritent cependant d’être contés.
C’est le cas de Benyowski. Nous sommes au début du XVIIIème siècle.
Ce d’autant plus qu’un célèbre écrivain français de notre temps a cru devoir glorifier notre aventurier du titre d' »unificateur de Madagascar »…- Cf. notre Postscriptum en fin d’article -.
Alors, faisons le point sur le « cas Benyowski ».
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Baron ou Comte, on ne sait plus, Benyowski le polono-hongrois qui cachait bien la source de ses origines, fut un aventurier haut en couleur d’une espèce aussi rare que fascinante, issu d’une classe mondaine saisie par le désoeuvrement mais douée d’une intelligence et d’une verve certaines.
A la suite de quelques méfaits commis ici et là qui lui valurent quelques condamnations carcérales, le voici qui s’évade d’une prison russe au Kamtchatka dans des conditions aussi rocambolesques qu’obscures, comme il se doit…pour finalement parvenir à l’Ile Maurice, alors « Ile de France ».
De là, notre personnage saisit l’occasion des échecs successifs d’implantations françaises à Madagascar, en particulier à Fort-Dauphin et ses environs (cf. sur ce même Blog les articles intitulés « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », 1ère partie, daté du 5/10/2013, et « Ramananolona : la fidélité et la loyauté d’un prince », daté du 10/8/2014), pour présenter au gouvernement français ses services.
Voici donc Benyowski à Versailles en 1773, emportant la conviction des ministres du Roi Louis XV, qui lui confient le soin d’organiser et de mener une expédition armée à Madagascar !
Benyowski n’en attendait pas tant, lui qui avait prétendu bénéficier d’un grand prestige personnel auprès des chefs locaux malgaches, lesquels d’après ses dires pourraient l’aider à conquérir de vastes territoires, et certainement l’île entière de Madagascar !!! Il lui suffirait pour cela de seulement une centaine d’hommes !
En effet, Benyowski avaient sous son influence quelques petits chefs locaux de la côte orientale du nord de Madagascar, lui étant suffisamment naïf et mégalomane pour s’imaginer que tous les autres chefs ou roitelets locaux seraient du même acabit.
Il partit donc pour Madagascar avec un petit corps expéditionnaire d’une centaine d’hommes, les « Volontaires de Benyowski » accompagnés de quelques colons, avec pour mission officielle de créer un poste de traite dans la Baie d’Antongil (dans un triangle compris entre Mananara à l’ouest, le Cap Masoala à l’est et Maroantsetra au nord), avec l’appui des autorités françaises de l’Ile de France (l’Ile deviendra « Ile Maurice » après sa cession aux Anglais en 1810).
Dans ses vues grandioses, et pour emporter cette décision inédite, Benyowski dit avoir créé un bourg baptisé… « Louisbourg » en hommage au Roi Louis XV, et avoir établi plusieurs postes aux alentours, notamment à Mananara et à Foulpointe, et dans sa mégalomanie voulut faire croire qu’à partir de ce tremplin il pourrait étendre notablement son territoire !
Dans ses rapports envoyés à ses ministres en France, Benyowski prétendait avoir conquis rien de moins que l’ïle entière de Madagascar, ce qui, poursuit-il, aurait permis d’ouvrir une route reliant la côte est de Madagascar à sa côte ouest !!!…A l’appui de ses dires il envoya même quelques plans factices de bâtiments et villes qu’il aurait élevés par ses propres moyens !
Cependant, les autorités françaises de l’Ile de France n’y voyaient que pure affabulations et en avertirent leur gouvernement, mais Benyowski avait suffisamment de partisans zélés à la cour de Versailles, si bien que ce n’est seulement qu’en 1776 que deux commissaires-enquêteurs purent constater in situ combien le gouvernement français avait été trompé par les facéties de Benyowski.
Celui-ci dut rentrer en France, mais curieusement aucune sanction ne lui fut infligée.
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A nouveau donc, le noble slave Benyowski fit jouer ses indéniables qualités de paroles pour tenter de monter une autre expédition, cette fois-ci auprès de son propre souverain l’empereur d’Autriche puis auprès du gouvernement anglais, disant à qui voulait l’entendre que, reconnu par les Malgaches comme un Zafi-Raminia (descendant de Raminia) *, ceux-ci non seulement attendaient impatiemment son retour mais l’avaient déjà reconnu comme un « MpanzakaBe » (empereur) de Madagascar !
C’est finalement l’Américain Benjamin Franklin qui le conseilla d’aller aux Etats-Unis défendre son projet et, de fait, Benyowski y trouva bon accueil auprès d’une compagnie maritime anglo-américaine qui non seulement lui affréta un navire mais dont la plupart des porteurs de parts firent le voyage de Madagascar avec lui.
Fort de ce nouvel appui qui lui donna toute liberté d’action, et déterminé à réaliser ses projets chimériques, Benyowski embarque à Baltimore pour débarquer au bout d’un long périple au cap Saint-Sébastien à Madagascar.
Mais, très vite Benyowski abandonne ses compagnons de route pour aller attaquer les quelques petits postes militaires français établis sur les côtes est de Madagascar et réaliser ses ambitions de « conquête », en particulier en organisant le soulèvement des roitelets et chefs locaux contre les commerçants français.
Les autorités françaises de l’Ile de France, alertées par ces nouvelles incartades benyowskiniennes appuyées, au surplus, par des Anglo-saxons, montèrent très vite une expédition militaire avec pour unique mission de capturer Benyowski.
Celui-ci, qui ne manquait pas de courage et de bravoure au combat, fut finalement tué lors d’une bataille le 24 mai 1786.
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« Montagnes sacrées », acrylique – Jipiera – Reproduction interdite –
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Ainsi prirent fin les aventures malheureuses du prétendu « Empereur de Madagascar » qui, à n’en pas douter, a trompé tout son monde, en France comme à Madagascar et ailleurs.
Mais assurément, grâce à la magie du verbe à laquelle les Malgaches sont extrêmement (trop) sensibles, il réussit à exciter leur imagination et les a fortement impressionnés et, de la sorte, il n’était pas étonnant que beaucoup des roitelets et chefs malgaches des côtes orientales, désireux d’asseoir ou d’étendre leur autorité et leurs territoires face aux traitants français, l’aient, au moins par affection ou par fascination devant un homme aussi volontaire, gratifié du titre mirifique d’ »Empereur de Madagascar » !
D’autre part, il faut tout de même rendre justice à Benyowski. Car, son « oeuvre » n’a pas été négative sur toute la ligne, loin de là…
En effet, il avait envoyé, vers l’intérieur des terres malgaches des hauts-plateaux alors inconnues des Européens, des missions d’exploration grâce auxquelles en particulier Mayeur, le « découvreur » français de l’Imerina et du futur grand-roi Andrianampoinimerina, put décrire ce que ce prospère pays des terres centrales malgaches recelait de richesses en hommes et en réalisations par rapport aux pays des côtes, ce même en dépit des troubles politiques qui s’y déroulaient en ces temps-là.
Enfin, il faut bien reconnaître que les aventures de Benyowski avaient également excité l’imagination d’un public européen épris de récits extraordinaires.
Benyowski a relaté ses aventures dans des « Mémoires », avec la même verve et les mêmes capacités emphatiques que quand il parlait.
Si bien qu’après sa mort la publication de ses Mémoires à Londres en 1790 fut un surprenant succès, à telle enseigne que des traductions en plusieurs langues durent être assurées.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
POSTSCRIPTUM:
Telle est en résumé la vérité historique très contrastée, de laquelle l’académicien et écrivain Jean-Christophe Rufin, dont la qualité d’écriture est par ailleurs indéniablement pénétrante, s’est imprudemment écarté dans son dernier ouvrage « Le tour du monde du roi Zibeline » en affirmant péremptoirement – et en le répétant avec force conviction dans une émission radiophonique de « France Inter » en mai 2017 – que Beniowsky « a unifié Madagascar » et a été « Roi de Madagascar »…!
Quelle erreur !
* NOTE :
La tradition malgache fait venir Raminia (l’ancêtre commun des Zafi-Raminia – Zafi : descendant de…-) et ses compagnons, d’Indonésie en passant par La Mecque puis à travers la côte orientale africaine avant de s’établir à Madagascar sur la côte orientale pour être à l’origine d’au moins une population locale dominante de cette partie de la Grande Ile, les Antemoro (ou Antaimoro). De fait, cette population locale malgache fort cultivée et douée de multiples qualités, qui a enrichi la civilisation malgache d’apports inestimables et dont l’un des représentants les plus illustres, le prince Andriamahazonoro, fut un conseiller très écouté des roi Andriananpoinimerina et Radama 1er, a toujours revendiqué une profonde et ancienne attache à la civilisation arabo-persique.
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