« Esprit du sabre » – jpra –
DE LA NECESSAIRE RIGUEUR DANS LA PRATIQUE INSTITUTIONNELLE
Il y a deux ans le 30 mai 2015 à Madagascar, le moins que l’on puisse dire est que les sautes d’humeur d’une large majorité de députés malgaches, se saisissant fébrilement de pouvoirs qu’ils estiment les leurs, sans véritablement en mesurer les dramatiques conséquences, en déroutent plus d’un.
Et cette propension subsiste.
Dès lors, maintes questions fondamentales doivent être posées, afin que certaines dérives soient évitées.
1. La première, et non des moindres, concerne le sens à donner à la notion de « responsabilité des gouvernants », cette notion devant être entendue ici dans son sens le plus large, c’est-à-dire incluant toutes les catégories de personnel politique, principalement celles de l’exécutif et du législatif.
Or, la responsabilité des députés et celle de l’Assemblée nationale sont largement et singulièrement engagées, et devant le peuple et au regard des principes juridiques et démocratiques fondamentaux.
Car, l’Assemblée nationale, se saisissant à la hussarde de sa « responsabilité », n’avait alors pas hésité à inventer une procédure de « destitution » non prévue par la Constitution et qui, en tout état de cause, ressemble à une fiction juridique puisque sans le dire elle s’inspire de l’ « impeachment » à la mode américain, avouant ainsi sans ambages le caractère mi-judiciaire mi-politique à sa démarche.
Ceci est en particulier établi par le fait qu’elle invoque de « multiples » violation de la constitution, mais sans jamais – semble-t-il – viser un quelconque crime qu’implique la notion de « haute trahison », seule qualification que la Constitution actuelle retient pour mettre le Président de la République en accusation dans l’exercice de sa fonction et viser sa destitution.
2. Et, c’est ici où se situe et se pose la deuxième question fondamentale : car, n’obéissant qu’à sa fougue l’Assemblée nationale s’est empressée de déposer une requête auprès de la Haute Cour Constitutionnelle afin que celle-ci « valide » ou « acte » la résolution adoptée au sein de ladite assemblée.
En somme, une démarche tendant à instrumentaliser le juge constitutionnel…
Un tel procédé est en effet pour le moins singulier.
En effet, si la procédure d’ « impeachment », pour autant qu’elle soit conforme à la Constitution, devait juridiquement aboutir à la destitution du Président de la République, et se suffire ainsi comme étant une décision définitive et exécutoire, pourquoi avoir encore besoin d’une « validation » ou d’un « donné acte » du juge constitutionnel ?
L’incohérence ici est mère de toutes les dérives aux très lourdes conséquences et pouvant engager la responsabilité de ceux qui ont été à l’initiative et en appui de cette singulière procédure.
3. De plus, – et c’est la troisième question fondamentale – à supposer même qu’il faille considérer cette procédure d’ « impeachment » régulièrement engagée en la forme, encore faut-il se poser la question substantielle de l’instruction nécessaire et préalable à toute accusation.
C’est le minimum que l’on puisse attendre d’une Assemblée législative qui s’auto-érige, non plus en contrôleur des actes gouvernementaux, mais en juge des actes du Président de la République.
Or, ladite Assemblée a-t-elle pris la peine de constituer en son sein une commission spéciale et impartiale afin que cette dernière nomme préalablement un procureur spécial dont le rôle attendu est de réunir et vérifier les éléments d’accusation ?
Puis, une fois son travail accompli et pour autant que ces éléments d’accusation soient pertinents, ledit procureur aura à saisir un juge d’instruction dont le rôle est d’instruire et de faire la part des choses.
Et, au bout de la chaîne d’instruction spéciale, a-t-on prévu d’ériger – en l’absence d’une Haute Cour de Justice, dont l’absence d’installation n’est pas le seul fait du Président de la République – une juridiction spéciale et d’exception pour juger le Président de la République si tant est que l’instruction ait établi des « faits graves et concordants » pour « violations répétées et graves » de la Constitution, faits qui seraient passibles de la qualification de « haute trahison » ?
4. Enfin, il appert que les députés auteur de cette procédure hautement critiquable confondent – à dessein ou par ignorance ? – erreurs politiques et incriminations juridiques.
Or, une faute pénale – puisque tel est le cas évoqué – n’est nullement liée aux actes de la fonction mais à un acte personnel et intentionnel.
La frontière entre ces deux notions doit être strictement délimitée, sinon c’est la porte ouverte à tous les abus procéduraux. La tentation de la criminalisation du politique, si grande soit-elle, doit être refrénée quand on est en charge d’une responsabilité aussi lourde que la représentation du peuple.
D’où la nécessité, comme c’est le cas ici, de la mise en branle d’une procédure judiciaire comportant toutes les garanties du droit avec la mise en place d’un parquet, d’une instruction et d’une juridiction dédiés.
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« Profusion florale » (JPRA)
Mille autres questionnements se justifieraient devant ce malheureux épisode d’une pratique politique hautement préjudiciable.
On pourrait encore admettre que les députés aient soudainement pris conscience de l’intérêt national, que forts de la gouvernance représentative dont ils ont l’apanage ils aient entendu exercer leur mandat pleinement.
Mais alors, n’ont-ils pas en l’occurrence pêché ici par un jugement d’à-propos politique trop empressé, c’est-à-dire par ce qu’on qualifie outre-atlantique par la notion de « convenience » ?
Les délices de l’exercice démocratique demandent de la rigueur dans la pratique institutionnelle.
Les tripatouillages et les coups de boutoir en sont les ennemis.
De même, les agissements et considérations exclusivement partisans, quoi qu’il advienne, et qui donnent naissance à des comportements que d’aucuns qualifient sous le terme de « partitocratiques », ne sont qu’autant d’hommages du vice à la vertu et, au final, aboutissent à forger une démocratie sans le peuple.
Gageons cependant que viendra – le plus tôt possible ! – le jour où nos gouvernants parviendront à donner à l’autre notion de « accountability » (rendre compte de ses actes) toutes ses lettres de noblesse au lieu et place de la « combinazione » ambiante.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo, Ancien Ambassadeur, Avocat honoraire au Barreau de Paris, Expert en Bonne gouvernance.
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