RADAMA 1er LE GRAND
(dernière partie)
Visage de Radama 1er, tiré de son portait exécuté par André Coppalle en janvier 1826
Quel homme !
Oui, Radama 1er nous a fait parcourir aux pas de course une page passionnante de l’histoire de Madagascar, ce sur une voie de crêtes.
Résumons, tel que nous l’exposions dans les deux premières parties de notre série d’articles: désigné comme héritier du trône dès 1809 par son père, le Grand Roi Andrianampoinimerina, le voici une fois installé sur le trône très rapidement engagé sur une pente ascendante pour imprimer à son règne un rythme soutenu, avec une apogée diplomatique à son actif qui aboutit à établir en Océan Indien occidental une sorte de « Pax Malgachica » qui fait de Madagascar un phare. S’y ajoutent des avancées jamais connues en matière d’éducation, de progrès matériels et sociaux.
Si Andrianampoinimerina avait les traits d’un Roi-Soleil, son fils Radama 1er , lui, empruntait à Napoléon 1er sa vision des choses publiques.
Il a réalisé en un temps record l’émaillage d’une fédération de peuples, lesquels bientôt se découvriront, malgré eux, les richesses communes dont il s’agissait en cette étape du moment de travailler l’étoffe.
C’est cette œuvre d’engendrement d’une nation en devenir à laquelle, au fond de lui-même, le roi Radama 1er voulait se consacrer.
En cela, il fut à des années lumières en avance sur son temps et, en particulier, sur les hommes de son époque et de son entourage…
Ce qui, comme en pareilles circonstances, avait immanquablement provoqué chez ces retardataires patentés les réactions épidermiques que leur inspirait la haine passionnelle…
En effet, Radama avait une réelle vision économique et sociale pour son pays, pour son peuple.
LE TITRE NON USURPE DE « RADAMA LE GRAND »
Après les élans vus précédemment, c’est une autre préoccupation majeure qui saisit le roi malagasy à ce stade avancé de sa gouvernance d’un pays aussi vaste et diversifié que Madagascar :
. son économie, et par conséquent ses finances publiques.
La maîtrise territoriale doit bien entendu s’étendre aux accès maritimes de la Grande Ile, où s’activent les échanges commerciaux.
Ceci le décide à prendre un décret royal autorisant l’entrée de tous les navires anglais dans tous les ports de Madagascar et les Anglais à résider dans l’Ile,facilités refusées pour l’heure aux Français afin de ne pas risquer de créer des brèches revanchardes françaises.
Dans la foulée, il établit aussi les douanes dans les ports et les rades de Madagascar, imposant des droits tant à l’importation qu’à l’exportation.
Sur ce, c’est mi- janvier 1826 que André Coppalle termine enfin le portrait que le roi Radama 1er lui avait commandé. Le tableau, de 1,92m x 1,5m est d’une dimension imposante. Le roi est dans sa posture la plus avantageuse qui puisse se faire (voir : « Radama 1er le Grand, 2ème partie » sur ce même blog, daté du 10 novembre 2015).
Dans le récit de son séjour à Madagascar dans « Voyage dans l’intérieur de Madagascar et à la capitale du roi Radama pendant les années 1825 et 1826 », Coppalle avoue qu’il ne lui était pas facile de réaliser son œuvre en ces termes :
. « J’ai commencé le portrait de Radama, qui vient poser le matin lorsque les plaisirs de la nuit ne le retiennent pas trop longtemps au lit »… !
C’est tout dire…C’est que Radama, en effet, croquait la vie à belle dent et, de façon assidue, la gente féminine, lui « l’homme de 30 ans, écrit encore Coppalle, petit mais bien proportionné…Ses yeux annoncent de l’esprit, il est d’une vivacité extraordinaire », ce que ne dément pas un autre observateur étranger, l’officier français Carayon qui dit :
. « Vif et enjoué dans le commerce ordinaire de la vie, il savait, dans l’occasion, prendre l’air imposant que donne l’habitude du commandement ».
Mais quant au titre non usurpé de « Radama le Grand », ce sont les Anglais, missionnaires et officiers ayant côtoyé Radama 1er qui, en dépit des réserves de l’historien, l’homme d’Etat et biographe Raombana, finalement écrit :
. « … au total, il fut reconnu comme un bon souverain, aimé de ses sujets, un grand souverain », le lui décernèrent bien volontiers.
Ce, sur différents sujets.
Tout d’abord à propos de l’ambition d’unité du roi, qu’il réalisa de toute son énergie qualifiée d’ « exceptionnellement puissante », et avec un « courage personnel » sans égal.
C’est aussi parce que Radama faisait preuve d’une « soif de connaître » et d’éducation de son peuple, ceci avec une « liberté d’esprit » dans un pays encore sous l’empire de Sampy (« esprits »), tels Imanjakatsiroa, Rakilimalaza ou Rafantaka, auxquels les souverains précédents vouaient un respect total.
UNE REELLE VISION SOCIO-ECONOMIQUE HOLISTIQUE
Puis, en 1826, le roi passe une convention avec la Compagnie Blancard, une société prospère de négoces de l’Ile Maurice, ce pour une durée de cinq ans.
Cependant, cette convention établit un tel monopole commercial et de navigation qu’il ne plut ni aux Anglais ni bien entendu aux Français, ni non plus aux traitants étrangers, qui tous y virent une atteinte intolérable à la sacro-sainte liberté du commerce.
Piastres espagnoles (en bas à droite : pièce à l’effigie de Radama 1er). Ces pièces figuraient dans la salle réservée à Radama 1er au Palais Manampisoa du Rova d’Antananarivo, où notre regrettée mère, conservateur en chef du musée national, les avait placées et exposées sous verre pour le public. – Reproduction interdite –
Cette ambition de Radama va de pair avec le développement d’une économie monétarisée, relevée et soulignée par des connaisseurs de Madagascar qu’étaient notamment Mayeur, le découvreur français de l’Imerina qui y pénétra pour la première fois à la fin du XVIIIème siècle, et du lieutenant de vaisseau Frappaz.
Il est vrai que les droits de douane précédemment instaurés par Radama dès 1822 y conduisirent, et les commerçants étrangers arabes, français, anglais, hollandais ou américains, y avaient recours.
Mais, de plus en plus sur les marchés intérieurs du pays le troc, qui recula progressivement depuis la fin du XVIIème siècle, fut rapidement remplacé par la monnaie, la piastre (dite « piastre d’Espagne », mais certains, comme Raombana, parlaient même de « dollar »…), comme l’a constaté le traitant Blancard.
Et c’est Radama 1er qui amplifia le mouvement, là aussi dans un élan inspiré par son souci de moderniser l’économie malagasy.
La piastre espagnole devenait l’unité monétaire, qui se subdivisait en la découpant en portions égales (les « vaky vaky ») pesées scrupuleusement. On les pesait ainsi sur de petites balances (les « mizana tsy mandainga » – « balances qui ne mentent pas » -), de cette façon les portions de piastre étaient évaluées uniformément leur valeur de poids.
Mais, quant à elle, la « Convention Blancard » signée en 1826 provoquera de graves difficultés diplomatiques.
Car en définitive, l’audace du roi malagasy le plaça tout d’un coup dans un rapport de force avec l’Angleterre qui n’en démordait pas de considérer la geste royale malagasy comme une entrave inadmissible au principe de liberté du commerce et des accès maritimes.
Résistant un temps, durant deux ans, à la tempête anglaise, finalement le 6 juin 1828 Radama s’est lui-même contraint, la mort dans l’âme, à mettre fin à cette Convention Blancard. Non sans grands remous ni conséquences inattendues et graves sur le front intérieur.
En ce début du XIXème siècle, trop de contradictions sèment leur venin dans la marche déterminée d’un monarque aussi volontaire et déterminé que Radama 1er sur tous les fronts, sauf sur le terrain militaire.
A tout cela s’ajoute l’accumulation par le roi des plaisirs immodérés des sens, en particulier l’abus d’alcool, ce qui n’a pas manqué d’attiser les défauts de l’homme devenu irascible, ses facultés pourtant d’ordinaire bien affûtées s’amoindrissant d’autant.
La vieille garde composée des vétérans issus de l’ancienne cour du grand roi Andrianampoinimerina, déjà viscéralement réfractaire aux élans modernistes de Radama, et reléguée pour cette raison à un moindre rôle, ne tarda plus à saisir l’opportunité ainsi offerte pour fourbir ses armes en vue de prendre sa revanche.
UNE FIN TRAGIQUE
Voici Radama 1er qui profite d’une campagne militaire prolongée à Tamatave et dans ses environs, de juin 1826 à novembre 1827, pour s’égayer avec des officiers anglais dont les navires mouillent au large.
Il reçoit le docteur Lyall, représentant britannique nouvellement accrédité auprès de lui en qualité d’Ambassadeur.
Par la magie du charisme du roi malagasy, les deux hommes devinrent très vite des amis.
Cette nouvelle et forte amitié intervenant au milieu d’une série d’épreuves, en particulier celle entourant la convention Blancard, devait sans aucun doute inciter Radama à se relâcher franchement et à abuser des plaisirs de la chair, le tout abondamment arrosé d’alcool fort.
Si bien que quand Radama revient à Antananarivo, c’est un souverain affaibli qui apparaît. La vieille garde n’en demande pas plus pour passer à l’acte et assouvir sa haine, sourde mais tenace, et met à exécution un complot trop longtemps caché, un complot prémédité depuis longtemps.
Au milieu de cette ambiance de plomb, le roi ne peut même pas se consoler de l’achèvement si longtemps attendu de son palais de Soanierana, un bijou de bâtisse d’agrément, implanté au sud-ouest d’Antananarivo, qu’il commanda en 1825 à l’architecte-charpentier Louis Gros, celui-là même qui lui construisit de belle façon le Palais « Tranovola » au Rova d’Antananarivo.
Lui qui en surveillait l’avancement des travaux dès ceux des fondations, avec l’espoir de jouir des beaux jardins botaniques dessinés par des botanistes allemands, se désespère désormais de pouvoir y habiter jamais…
Plan du Palais inachevé de Soanierana – Archives familiales – Reproduction interdite –
Or, mi-juillet 1828, comble de malheur, Radama 1er commence son agonie dans d’horribles douleurs, totalement isolé des siens et abandonné de tous, sauf de ses fidèles serviteurs qui surent résister aux tentatives d’éloignement exercées par les comploteurs, mais au milieu des regards hostiles et de l’impatience de ses ennemis qui rodent comme des vautours.
Et le 2 août 1828, le grand roi Radama 1er meurt.
Il n’a que trente-six ans.
Avec Radama 1er prend également fin la race de ces rois-guerriers malagasy pourfendeurs de considérations rétrogrades mais inventeurs de voies nouvelles.
Plus tragiquement encore, au nom d’une fallacieuse recherche d’une illusoire « authenticité malgache » conçue à l’aune des seules traditions tournées vers l’arrière, à laquelle un peuple tout entier est et sera contraint avec une méthode inquisitoriale croissante, Madagascar quitte la voie privilégiée de l’Histoire pour emprunter un long, un interminable et si étroit chemin ombrageux à rebours.
C’est une autre ère, un autre cycle faisant intervenir d’autres considérations claniques et ouvrant la voie à des parvenus qui commence : ceux des souverains soumis, en l’occurrence des femmes obligées, à commencer par la reine Ranavalona 1ère, mais à l’exception notoire du règne éphémère du roi Radama II, de 1861 à 1863, toutes tenues par la poigne des « faiseurs de rois » – nous devrions dire : des « faiseurs de reines » ! – et placées tant sous l’influence qu’au service exclusif d’une nouvelle et implacable oligarchie aristo-roturière.
Les dramatiques péripéties de cette fin de règne tragique sont relatées dans nos articles « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar, 4e et 5e parties » sur ce même blog.
Radama 1er avait de son union avec la princesse Rasalimo une fille prénommée Raketaka*, laquelle en situation normale aurait dû régner à la suite de son père. Or, on sait (voir les articles référencés ci-dessus) dans quelles conditions dramatiques la première épouse du roi, Ramavo (devenue reine Ranavalona 1ère), aidée de ses zélateurs, prit le pouvoir par ce que nous appelons aujourd’hui un coup d’Etat sanglant, bouleversant ainsi la règle normale de dévolution au trône.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations
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- Le visage de Radama 1er ainsi que la photo des piastres sont tirés de l’ouvrage consacré à « Raombana – histoires » 2 , édité sous la direction de Simon Ayache et sous le patronage de l’Académie Malgache ; tandis que la photo du plan du palais de Soanierana provient de l’ouvrage « Colline sacrée des souverains de Madagascar, le Rova d’Antananarivo », de Suzanne Razafy-Andriamihaingo, L’Harmattan, 1989.
* NOTA: A PROPOS DE L’ASCENDANCE DE LA PRINCESSE RAKETAKA
Le grand roi Radama 1er, en choisissant d’épouser en secondes noces la princesse Rasalimo, fille du roi Sakalava (du Menabe) Ramitraho qu’il venait de vaincre, connaissait son ascendance Merina et s’en félicitait vivement afin de raviver sa propre descendance.
En effet, il voulut ardemment d’elle un enfant. Ce fut une fille : Raketaka.
En remontant l’ascendance de cette dernière, on constate ceci : sa mère Rasalimo avait donc pour père le roi Ramitraho, lequel descend lui-même, respectivement : de la princesse Ravorikiniandriana, celle-ci procédant du prince Andriamanalina, lui-même étant le fils de la princesse Ramatoafotsindrindravambo, fille du prince Andriampoinandriana, le fils aîné du prince Andriandranando résidant à Ambohimailala.