LA DEPOSITION DE LA REINE RANAVALONA III ET L’ABOLITION DE LA MONARCHIE DE MADAGASCAR

souveraineté

« Souveraineté », acrylique sur toile – JPRA – Reproduction interdite –


LA DEPOSITION DE LA REINE RANAVALONA III ET L’ABOLITION DE LA MONARCHIE DE MADAGASCAR

Qui eût cru que ce 27 février 1897 le général Galliéni pût déposer la Reine de Madagascar, Ranavalona III, avec grande brutalité, et qu’en outre il prît soin de s’imposer en personne à cette femme pourtant déjà apeurée ; et qu’immédiatement après ce « jeneraly masika » (« général méchant ») ait décidé tout aussi rudement l’abolition de la monarchie malagasy ?

Car, le « jeneraly masika » n’y est pas allé de main morte, bien au contraire il voulait faire mal et humilier !

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En voici les circonstances.

Et d’abord, les faits centraux :

. le 27 février 1897 à 20h, la reine Ranavalona III est dans le salon de son pavillon préféré « Tsarahafatra » au Rova d’Antananarivo quand soudain le ministre de l’Intérieur Rasanjy, accompagné du commandant Gérard, s’introduit pour annoncer sans ménagement à sa souveraine sa déposition, d’ordre du général Galliéni. Il lui dit également d’avoir à ramasser quelques uns de ses effets personnels car elle devra quitter nuitamment le Palais, le Rova, les siens, son pays, ce pour l’exil à La Réunion ;

. le lendemain 28 février à une heure du matin, c’est sous la conduite d’un simple sous-lieutenant, Durand, que Galliéni ordonne à celle qu’il considère désormais comme étant l’ex-Reine Ranavalona III de suivre un convoi placé sous l’escorte d’une petite compagnie de soldats français. Pour ce périple, elle n’est autorisée à se faire accompagner que de Razafindrazaka, l’un de ses gardes favoris, les princesses Rasendranoro, sœur de la reine, et Razafinadriamanitra, sa tante, n’étant quant à elles, sur les supplications de Ranavalona III, autorisées à rejoindre cette dernière que le lendemain par un autre convoi ;

. le même jour, par une décision visant à faire table rase des institutions de la royauté de Madagascar, Galliéni s’applique à prendre un décret qui abolie « la monarchie merina » ;

. le 12 mars 1897, Ranavalona III, rejointe à Tamatave par quelques membres de sa famille proche, appareille pour La Réunion à bord du navire « La Peyrouse » pour accoster le surlendemain à Saint-denis-de-La-Réunion ;

. interpellé devant le Sénat le 3 avril 1897, le Ministre français des Colonies, Lebon, déclare pourtant « regretter que les circonstances eussent forcé le général Galliéni à prendre (la décision de déposer la reine Ranavalona III) sans avoir pu avoir l’adhésion préalable du gouvernement… », signifiant ainsi clairement que le général Galliéni avait agi de son propre chef sans autorisation expresse de son gouvernement.

Comment en est-on arrivé là ?

La chronologie implacable des évènements nous le fait comprendre.

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L’ENGRENAGE FATAL

Fin septembre 1895, un dernier baroud d’honneur du vaillant général Rainianjalahy sur le front ouest se traduisant par de courageuses attaques des ailes du corps expéditionnaire français n’y fait rien.

La situation militaire est sans espoir du côté malagasy.

Les marches conduisant aux accès nord-ouest des faubourgs d’Antananarivo s’ouvrent aux forces françaises.

Dès le 29 septembre 1895 au petit matin, le gros des troupes françaises emprunte le large couloir de Sabotsy-Nahamena tandis que des éléments avancés de celles-ci équipés de canons à longue portée se positionnent solidement, au nord-ouest sur les crêtes des collines environnantes, et au nord et à l’est dans les faubourgs d’Antananarivo.

Par une tactique de contournement qui désoriente les troupes royales malagasy, lesquelles résistent par d’intenses tirs d’artillerie de campagne, le 30 septembre en fin de matinée ce n’est non pas dans une attaque frontale à partir du nord-est ou du nord que le général Duchesne décide de l’assaut final, mais par un bombardement du Rova d’Antananarivo à partir des collines ouest de la capitale royale.

Ce même 30 septembre 1895, les tirs intenses de l’artillerie française commencent à 14h55.

Le Palais de Manjakamiadana, qui abrite une population effrayée, venue là se mettre sous la protection de la Reine Ranavalona III, et où sont entassés un stock de poudre et des munitions, est touché par de multiples éclats d’obus.

Dès ce 30 septembre 1895 à 15h30, ce seul fait décide la Reine Ranavalona, afin d’éviter le carnage, – puisque, au surplus le Rova étant composé des autres palais en bois que sont Besakana, Manampisoa ou le Tranovola -, à ordonner le cessez-le-feu unilatéral et à faire immédiatement amener le pavillon royal au sommet du palais pour y hisser le drapeau blanc de la reddition.

Les évènements se précipitent alors :

– le 1er octobre 1895, le général Duchesne du côté français, et les ministres Razanakombana et Rasanjy du côté malagasy, signent le traité établissant le protectorat de Madagascar : « Article 1er : Le gouvernement de S.M la reine de Madagascar reconnaît et accepte le protectorat de la France, avec toutes ses conséquences » ;

– le 2 octobre 1895, Rainilaiarivony est démis de ses fonctions de Premier ministre et de commandant en chef des armées royales. Il est remplacé par Rainitsimbazafy, un francophile notoire, tandis que Rasanjy, le véritable homme fort du régime de protectorat, est ministre de l’Intérieur ;

– le 3 octobre, le général Duchesne, commandant en chef des forces expéditionnaires françaises, rend une visite courtoise à la reine Ranavalona III au Palais « Tranovola » dans le salon des Ambassadeurs, et le lendemain 4 octobre présente à la ratification de la Reine Ranavalona III le nouveau traité de 1895, qui remplace celui du 17 décembre 1885 (signé, côté français par Patrimonio et Miot, et côté malagasy par Digby Willoughby à qui Rainilaiarivony avait confié et le commandement en chef des troupes malagasy et le soin de négocier avec les Français… !), lequel établissait déjà un régime de protectorat déguisé sur Madagascar ;

Le gouvernement royal malagasy et l’administration restent en fonction mais placés sous le strict contrôle du Résident général de la France à Madagascar (cf. Article V du traité de 1895), tandis que la Reine Ranavalona III « s’engage à procéder aux réformes que le gouvernement français jugera utiles…ainsi qu’au développement économique de l’île et au progrès de la civilisation », et une disposition spéciale (cf. article IV, alinea 2) stipule que le gouvernement français « prend l’engagement de prêter un constant appui à S.M la reine de Madagascar contre tout danger qui la menacerait ou qui compromettrait la tranquillité de ses Etats » ;

– le 20 janvier 1896, en signe aussi respectueux qu’affectif, le Résident général français, Laroche, au nom du gouvernement français remet à la reine Ranavalona III, qui ne manque pas de séduire les hautes autorités françaises, un fabuleux collier de diamants ;

– Début février 1896, Rainilaiarivony, le maître de Madagascar, l’époux morganatique des différentes reines depuis Rasoherina, est contraint de partir en exil à Alger. Il y meurt le 17 juillet.

diadème de ranavalona III

Bijoux de diamants de la reine Ranavalona III (photo extraite de l’ouvrage « Colline sacrée des souverains de Madagascar, le Rova d’Antananarivo », de Suzanne Razafy-Andriamihaingo, L’Harmattan, 1989. Archives familiales – Reproduction interdite -).


                                                                           

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L’ECHEC DE LA « PACIFICATION »…

Ainsi donc est fixé le nouveau cadre institutionnel malagasy.

La France croit pouvoir se rassurer.

Mais, les évènements politiques internes, la situation psychologique et psychique d’un peuple soumis et humilié, ainsi que les actes du colonisateur vont faire prendre au cours de l’histoire malagasy un tour dramatique.

Tout naturellement, suite à l’abaissement de la royauté et de la nation malagasy, un mouvement de révolte générale s’instaure dans les provinces et Antananarivo est secouée par la rumeur, le dépérissement des structures et l’égarement des sentiments.

La reine, pourtant, ne cesse d’appeler à la raison, notamment en payant de sa personne dans de nombreux déplacements en province, mais ni sa voix ni sa geste ne portent plus. Certains, de plus en plus nombreux, n’hésitent plus à la discréditer, en particulier en lui reprochant de n’avoir pas eu le cran de se démarquer de son Premier ministre et époux Rainilaiarivony.

Et pis encore, son autorité est directement contestée par les traditionalistes nostalgiques du temps des rois combattants ; du moins, ainsi se présentent-ils afin de donner le maximum de lustre à leurs actions. Ils se constituent en une légion armée, les Menalamba, « ceux à l’étoffe rouge », allusion à la couleur royale mais également au drapeau rouge, étendard de la « guerre sainte » contre l’envahisseur étranger.

Le désordre est si persistant qu’un soulèvement généralisé est craint. Néanmoins, on soigne les apparences et par un grand défilé du 14 juillet, suivi d’un bal à la Résidence de France d’Antaninarenina, la France entend faire la démonstration de sa puissance.

Or, sur le terrain ses forces armées, transformées en forces d’occupation et en forces de l’ordre avec pour mission urgente de pacifier l’île, s’embourbent. La pacification de Madagascar après la victoire armée sur les troupes royales malagasy est donc un échec patent.

En France, les députés et hauts dirigeants décident donc de l’annexion pure et simple de Madagascar, ce qui se traduit rapidement par l’adoption, le 6 août 1896, d’une loi prestement adoptée par la Chambre des Députés et proclamant « colonie française l’île de Madagascar avec les îles qui en dépendent ».

Après ceux instaurés par le traité du 17 décembre 1885 qui établit un protectorat déguisé, ensuite par le traité du 1er octobre 1895 qui établit un protectorat formel, un troisième cadre institutionnel, cette fois-ci de colonisation est ainsi mis en place.

Il entraîne donc l’installation de l’ « Administration de Madagascar et Dépendances ».

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GALLIENI, LE TOMBEUR DE LA REINE ET DE MADAGASCAR

Pour asseoir ce nouveau régime, la France envoie à Madagascar le général Galliéni, le tombeur du Tonkin et du Soudan, qui arrive prestement sur place dès le 16 septembre 1896.

Ici encore, à cette étape des difficiles des rapports malagasy-français, de part et d’autre des autorités on s’efforce de sauver les apparences, à défaut de résoudre sur le fond la question malagasy.

En voici les faits saillants :

– entourée de toute sa cour, la reine Ranavalona III, précédée non pas de son pavillon royal mais du drapeau tricolore français, pousse l’abnégation jusqu’à se rendre en personne, le 28 septembre 1896 à 15h, au quartier général français où le général Galliéni s’applique à lui faire une réception solennelle et ostensiblement respectueuse, mais personne n’est dupe du caractère de soumission d’un tel acte ;

– dès le lendemain 29 septembre, c’est Galliéni qui se met en devoir de rendre visite à la reine Ranavalona III en son Palais du Rova d’Antananarivo, son entrée étant saluée par vingt et une salves de canon, le drapeau tricolore déployant ses couleurs au sommet du palais Manjakamiadana ;

– encore une fois, tout ceci ne parvient cependant pas à masquer la dure réalité sur le terrain, de sorte que devant l’emprise française et l’impuissance de la reine à incarner une quelconque forme de résistance, son oncle le prince Ratsimamanga et le chef de l’oligarchie hova, le général Rainandriamampandry, tentent par un front commun de l’organiser. Mal préparée et menée dans l’improvisation, et sans doute intervenant trop tardivement, leur entreprise échoue. Arrêtés sur l’ordre de Galliéni, ils sont fusillés sur la place publique le 15 octobre 1896 ;

– comme si de rien n’était, le 21 novembre 1896 la veille de la « Fête du Bain », Fête nationale malagasy, la reine Ranavalona III offre aux Français une grande réception en son Palais.

Arrive alors le début d’année 1897, devant l’aggravation de la situation le général Gallieni obtenant entre temps d’être nommé Gouverneur général de Madagascar et Dépendances, ce qui lui donne les pleins pouvoirs pour « pacifier » comme il l’entend la Grande Ile.

En vérité, il avait en projet bien précis dans sa tête la déposition de la reine Ranavalona III qu’il soupçonne d’un double jeu dans cette difficile « pacification » qu’il ne réussit pas dans les délais qu’il s’était fixés.

C’est pourquoi, Galliéni décida ce que nous relatons ci-dessus au début de ce récit.

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PROSPECTIVE…

Nous n’abordons pas ici les suites de ces évènements, renvoyant le lecteur à notre article « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar, 9ème partie », daté du 16 octobre 2013, et, concernant la personnalité de la reine Ranavalona III, à celui consacré à « La personnalité attachante de Ranavalona III, la dernière reine de Madagascar » daté du 6 décembre 2015, tous deux publiés sur ce même blog.

Par contre, en guise de prospective, disons ici que si un cycle s’est ainsi terminé pour Madagascar, et que si jusqu’à aujourd’hui les lointains avatars de cette fin peu glorieuse de la monarchie malgache trainent toujours leurs néfastes conséquences institutionnelles, lesquelles sont si peu adaptées à ce pays pétri de traditions façonnées et ancrées par l’Histoire, un nouveau cycle, précisément novateur, doit désormais être enclenché.

Il n’en est plus que temps…!

Ce cycle novateur – indispensable, car à l’évidence Madagascar et les Malagasy traînent un lourd passé, actuellement toujours plombé par ce pesant fardeau d’une décolonisation mal achevée -, ne peut que se trouver dans la mise en place d’une monarchie qui, sur le plan dynastique, prendra nécessairement racine dans nos traditions premières à la source des Andrianteloray (voir notre article intitulé « Dynasties royales et princières de Madagascar » paru sur ce même blog le 28/1/2016), mais aussi dans la vraie modernité d’un système institutionnel en connection avec les valeurs et sources authentiquement malgaches mais nourries par les  meilleures références internationales.

C’est ce que nous exposons sur ce même blog dans un article intitulé « Madagasikara mijoro » daté du 20 juillet 2014, auquel nous invitons nos lecteurs à se reporter.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations.
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IL Y A PLUS DE CENT ANS : LES GRANDES BATAILLES DE VERDUN ET DE LA SOMME

fleurs épanouies 6

« Hommage » – Acrylique sur papier doré – JPRA


            IL Y A PLUS DE CENT ANS : LES BATAILLES DE VERDUN ET DE LA SOMME

Il est un fait que l’absolue absurdité et inhumanité des guerres ne suffisent pas à dissuader les nations à récidiver, ni hier ni aujourd’hui.

Et les jeux d’alliances ne font qu’attiser tensions et déclenchement plus ou moins automatique des conflits.

C’est ce qui survint quand l’Archiduc héritier du trône de l’Autriche-Hongrie, François Ferdinand, fut assassiné le 28 juin 1914 par un activiste serbe à Sarajevo. Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie déclara immédiatement la guerre à la Serbie.

Venant au secours de la Serbie, dans la foulée la Russie déclara à son tour la guerre à l’Autriche-Hongrie ; par le jeu des alliances, l’Allemagne déclara la guerre à la France le 3 août 1914 ; l’Angleterre fit de même à l’Allemagne le 4 août ; et ainsi de suite, de sorte que dès 1915, sur terre, sur mer et dans les airs, le double caractère mondial et général de cette folie guerrière devint une triste réalité à laquelle aucune nation n’échappa.

BRISER LE PLAN STRATEGIQUE ALLEMAND

Pour l’Allemagne, qui disposait d’une impressionnante armée d’environ 1.700.000 hommes au total, il fallait vaincre à la fois l’armée française à l’ouest et l’armée russe à l’est, mais avec une priorité contre l’armée française considérée comme la plus dangereuse, l’armée russe étant plus lente à se mobiliser et ne serait attaquée que dans un second temps.

Une sorte de rideau armé fut donc déployée face à la Russie avec une seule armée pour la contenir, tandis que le gros de l’armada allemande, forte de sept armées, s’attaqua à l’ « épée des armées alliées », c’est-à-dire à ces forces françaises réputées pour leurs qualités combatives, composées de cinq armées placées sous le haut commandement du général Joffre.

L’invasion allemande se fit par le franchissement des frontières belges dès la mi-août 1914, mais un mois après les armées françaises et britanniques arrêtèrent nette cette offensive dans la fameuse et victorieuse bataille de la Marne, opérations matérialisées par une retraite générale des armées allemandes, puis la stabilisation du front, et enfin le début de la guerre des tranchées.

De part et d’autre, on déplora près de 400.000 hommes hors de combat.

La stabilisation du front européen laissait cependant place à des tentatives de contournement, comme celui des Alliés consistant à gagner les bords de mer au nord, ou la tentative des Allemands qui concevaient de gagner des villes du nord de la France pour en faire des places fortes comme à Arras ou sur le front de l’Yser.

C’est d’ailleurs dès cette période de l’automne 1914 que l’armée française bénéficia de très importants renforts en masse en provenance d’Afrique, de Madagascar et d’Indochine, tant en hommes de combat qu’en matières premières et en force de travail, ce sur tous les fronts en Europe et ailleurs (cf. notamment sur ce même blog, l’article intitulé « Hommage aux combattants malgaches de la grande guerre », daté du 10 novembre 2013).

Ce qui fut confirmé et renforcé encore durant toutes les années 1915 et 1916.

Ces occurrences s’imposèrent d’autant plus qu’en Afrique, les Alliés eurent à conquérir les colonies allemandes du Togo et du Cameroun, mais aussi à défendre le Maroc, sans compter les campagnes de Turquie, l’alliée de l’Allemagne, et dans les Balkans.

Puis, survinrent les batailles de Champagne et de l’Artois en France même…

soldats africains

Le fanion d’un bataillon africain décoré de la Croix de Guerre avec Palme en 1916 sur le front de Verdun


Mais bien qu’elles aient perdu du terrain sur le front français et en Afrique, les armées allemandes parviennent à s’enfoncer suffisamment en Russie et gagnent du terrain dans les Balkans, ce qui allait convaincre le général von Falkenhayn, le chef d’état-major de l’Empire allemand, de concentrer à nouveau ses efforts sur le front français qu’il fallait absolument crever avant que les Alliés ne parviennent, par le renforcement considérable de leurs capacités de production en armement et, parallèlement, par le relatif ralentissement de l’industrie allemande, à prendre un avantage stratégique majeur.

LES BATAILLES DE VERDUN ET DE LA SOMME

C’est donc dans ce contexte global qu’interviennent les batailles décisives de Verdun et de la Somme au début de l’année 1916, lesquelles sur le plan stratégique doivent être associées.

Car, les Allemands sont pressés d’en découdre.

Le 21 février 1916 à 7h15 du matin, ils commencent donc à déverser sur Verdun, comme jamais, un déluge de fer et de feu. 150.000 hommes sont, comme jamais, prêts à se lancer en masse dans de multiples attaques meurtrières sur un champ de bataille vallonné en bord de la Meuse, les petits monts alternant avec des taillis et de petits bois, et des forts et divers ouvrages fortifiés complétant le décor.

Devant cette forte poussée allemande, dans un premier temps les lignes françaises cèdent. Mais, très vite l’élan allemand est brisé cinq jours après, le 26 février. Ceci permet aux forces alliées de reprendre l’avantage mi-octobre 1916, en particulier par la reprise de Douaumont, de Vaux et de Louvemont.

Dans ces faits d’armes, dans l’enfer de Verdun, à nouveau les bataillons et formations des troupes coloniales, totalisant environ 15.000 hommes rien que sur le front de Verdun, se sont brillamment illustrés dans les combats meurtriers au coude à coude avec les Européens.

Ce fut en particulier le cas lors de la reconquête du fort de Douaumont, une victoire qui porta un coup très dur à la supposée supériorité militaire allemande.

L’attaque surprise de Verdun par les forces allemandes retarda le déclenchement par les forces alliées d’une vaste offensive dans la région de la Somme, laquelle fut prévue pour décembre 1915. Elle n’intervint donc que le 1er juillet 1916. Et ici encore, les troupes coloniales prirent leur part très active, parmi elles cinq bataillons malgaches sur le front.

soldats africains 2

Les Africains montent à l’assaut – Front de la Somme en 1916 –


Au final, la bataille de Verdun fit près de 700.000 morts de part et d’autre. Une vraie boucherie.

Sur la Somme, la guerre de mouvements fit vite place à la guerre des tranchées.

Les experts militaires estiment que « la bataille de la Somme a contribué, sans aucun doute, à arrêter et neutraliser les Allemands à Verdun, mais aussi à soulager nos alliés russes et italiens » (cf. « Héros méconnus 1914-1918 et 1939-1945, Mémorial des combattants d’Afrique noire et de Madagascar », de Maurice Rives et Robert Dietrich, Association française Frères d’Armes, 1993, ouvrage couronné par l’Académie des Sciences d’Outre-Mer).

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations
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* Les deux photographies produites sont issues des archives du S.I.R.P.A et tirées de l’excellent ouvrage « Héros méconnus 1916-1918 et 1939-1945 » cité ci-dessus.

RAOMBANA, HISTORIEN ET GRAND SERVITEUR DU ROYAUME DE MADAGASCAR – 1ère partie –

 

paravent 13

« Paravent » (jpra)


 

RAOMBANA, HISTORIEN ET GRAND SERVITEUR DU ROYAUME DE MADAGASCAR – 1ère partie –

Au-delà de la qualité de « premier historien malgache » que lui attribue très justement Simon Ayache, Raombana est d’abord un prince – lui-même s’attribuant toutefois le titre de Duc pour « expliquer » son rang à ses amis anglais – né en 1809 de la plus prestigieuse lignée directement issue du roi Andriamasinavalona.

Ce dernier eut comme fils et successeur le roi Andriantsimitoviaminandriana, lequel choisit comme successeur, non pas son propre fils Rafondrazaka mais son neveu utérin Andriambelomasina. Par rapport à Rafondrazaka, Raombana et son frère jumeau Rahaniraka, fils de Andrianavalona, sont, de la propre indication de notre prince dans ses mémoires, les « arrière-petits-fils du prince Rafondrazaka ». – Cf. sur ce même blog l’article intitulé « Dynasties royales et princières de Madagascar » daté du 28 janvier 2016 -.

Mais, Raombana et Rahaniraka ont démontré par l’exemplarité que la haute considération due à la condition princière des Andriana procède avant tout des mérites exceptionnels résultant d’une vie couronnée par l’abnégation aux valeurs et cimentée par un sens inné du service dans l’action.

Sans aucun doute, l’exercice d’une telle vie fut nourri aux traditions militaires et terriennes de leurs origines, mais c’est aussi parce que ces deux princes eurent la chance avec eux, celle que leur ouvrit le roi Radama 1er en 1820 quand ce grand roi de la modernité malagasy – que Raombana n’adula cependant pas vraiment…- les choisit avec sept autres jeunes gens de la noblesse et de la bourgeoisie naissante pour recevoir en Angleterre une éducation complète confiée aux directeurs de la toute puissante London Missionary Society.

C’est ainsi que Raombana, âgé seulement de 11 ans, fréquenta les meilleurs collèges de Londres (1821-1823) et de Manchester (1823-1828) où il put se former aux humanités et à ce que nous appellerions aujourd’hui la Bonne gouvernance. Mais, quand Raombana et Rahaniraka, âgés de 20 ans, revinrent à Madagascar en juin 1829, le roi Radama leur protecteur et qui escomptait fort légitimement les mettre au service de ses ambitions, était déjà mort dans les affreuses conditions que nous avions relatées (cf. « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », 3ème et. 4ème parties, sur ce même blog).

Ce fut donc la reine Ranavalona 1ère qui bénéficia des compétences de Raombana et de Rahaniraka, et rétrospectivement nous ne pouvons pas ne pas regretter profondément l’énorme ratage d’un tel scénario, un gâchis que dans sa malignité l’histoire réserve parfois…

Car, que de belle manière ces deux-là n’auraient-ils pas œuvré au service des hautes inspirations d’un Radama 1er parvenu à cette époque au croisement de voies dangereusement contradictoires et en proie à des complots les plus sordides !…Mais, l’on se consolera sans doute quelque peu en considérant, qu’au milieu d’une gouvernance terrifiante instaurée par les zélateurs de la reine Ranavalona 1ère , ils avaient pu imprimer une certaine justesse à certains actes officiels au milieu d’une ambiance délétère.

Nous relevions dans nos propres écrits comment Ramavo devenue reine Ranavalona 1ère fut elle-même terrifiée par ses propres audaces jusqu’à paniquer à l’idée même d’outrager la mémoire de son défunt mari Radama 1er ; et comment également, sans aucun doute aidée par son amant du moment, Andriamihaja, elle sut finalement relever la tête, surmonter ses angoisses et préserver un périmètre d’autonomie pour ne pas être entièrement absorbée par les dérives de ses zélateurs (cf. « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », 4ème et 5ème parties, sur ce même blog).

Ce contexte psycho-politique explique sans doute, outre les nécessités relationnelles du moment avec cette Angleterre demeurée omniprésente durant la période transitoire du début de règne de Ranavalona, pourquoi Raombana fut considéré comme « the right man in the right place » ; et pourquoi lui-même se considérait comme indispensable au maintien d’une certaine continuité relationnelle avec l’Angleterre et à la préservation d’une certaine respectabilité du royaume de Madagascar vue de l’extérieur.

Sinon, comment expliquer qu’il fût à 20 ans et dès son arrivée à Madagascar en 1829 immédiatement nommé au grade supérieur de 9 Voninahitra (Honneurs – cf. sur ce même blog notre article intitulé « Les ordres royaux de Madagascar », daté du 15 mai 2014) et que par la suite il ait été élevé à la dignité de 12 Voninahitra, tout ceci de façon exceptionnelle bien sûr et à titre civil ?

D’ailleurs, Raombana n’entra point dans le système gouvernemental des roturiers, bientôt dominé par Rainiharo et Rainijohary. Non, il fut affecté par la reine elle-même auprès d’elle, et d’elle seule comme son secrétaire particulier, ce jusqu’à le faire entrer dans son alcôve pour quelque affaires urgentes à traiter sur le champ, mais d’une façon générale il fut plus spécialement chargé des affaires étrangères et de la rédaction des discours et actes formels (décrets, ordonnances, etc…).

Raombana fut donc, sans aucun doute possible, le témoin privilégié de cette époque charnière de toute l’histoire moderne de Madagascar qui se scinde en deux étapes : la dramatique rupture provoquée par la fin tragique du règne de Radama 1er pour faire place à l’installation dans la douleur du régime de la nouvelle reine Ranavalona 1ère ; et la période transitoire d’un régime qui finit par imposer sa loi d’airain. Témoin l’était-il, certes.

Mais, davantage encore puisqu’il était lui-même acteur au plus près de l’intimité royale et au plus haut niveau des responsabilités ; et plus encore, puisque sa science acquise d’historien à la mode européenne lui permit de rapporter avec précision et liberté, même au prix de quelque appréciations personnelles – mais, à sa place et dans les circonstances de son existence, qui ne l’aurait pas fait ? -, des faits, des relations de faits et des évaluations que nul autre ne l’a jamais fait.

Sur ce dernier point, il importe d’ailleurs de souligner combien intéressante est la comparaison de points de vue entre les manuscrits de Raombana, le monumental « Histoire Madagascar » dispersé dans six mille pages, et le « Tantara ny Andriana ». Les uns se fondent sur des observations vécues, des constatations sur terrain et des analyses précises, tandis que l’autre rapporte des traditions orales recueillies des siècles après les faits cités en référence.

Certains diraient même que Raombana défend un point de vue aristocratique de l’histoire de Madagascar qui contrebalance opportunément la vision des « Tantara ny Andriana » qui feraient la part trop belle à la tradition hova des « faiseurs de rois » et des rois et reines – notamment Andrianampoinimerina et Ranavalona 1ère – de leur invention…

Le fait est qu’au centre de nos préoccupations figure le nécessaire sens critique à exercer, surtout au regard des débats entourant certaines relations de faits dont la vérité historique est encore à établir. Incontestablement, les manuscrits de Raombana nous donnent des clés essentielles. On y reviendra dans les parties suivantes.

Raombana mourut prématurément en 1855, frappé par une attaque d’apoplexie.

Etait-ce due aux énormes pressions et stress d’une vie de cour et de responsabilités aussi envahissantes que lourdes propices à tous les enfoncements ?

En tout cas, la haute personnalité de Raombana se détache par sa courtoisie et son courage légendaires, par son sens moral également, lui qui pourtant n’embrassa jamais la religion chrétienne dans les préceptes de laquelle il fut éduqué en Angleterre.

(A suivre : 2ème partie)

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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