MADAGASCAR DANS L’OIF ET LA FRANCOPHONIE

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« Feuillages » (JPRA)


                                 MADAGASCAR DANS L’OIF ET LA FRANCOPHONIE

Le 20 mars de chaque année marque la Journée Mondiale de la Francophonie.

La cause francophone porte naturellement la voix, l’écrit, le son, le goût, les variations et l’éclat de la langue française à travers le monde et véhicule les valeurs générées par les variétés culturelles des régions où se pratique cette langue. Mais paradoxalement c’est en France où cette Francophonie semble se reconnaître le moins…Certes, Paris est le siège de l’Organisation Internationale de la Francophonie et de ses différents organes opérationnels. La Ville-Lumière est aussi le siège de La Renaissance Française, organisation fondée par le Président Raymond Poincarré en 1915 en pleine guerre mondiale, la première du genre, pour porter haut et loin le prestige et l’idéal de Paix que génère la langue française (cf. sur ce même blog notre article intitulé « La Renaissance Française » en date du 11/6/2014).

Et  qu’en est-il à Madagascar ?

Avec des réactions réfractaires nées d’un nationalisme ombrageux, Madagascar avait toujours semblé avoir un problème avec la Francophonie…

Avec le tournant socialiste que Madagascar avait connu dans les années 1970 et suivantes, son appartenance à la grande famille francophone avait été écartée puis ré-initiée à la fin des années 1980, pour finalement s’opérer avec difficulté par la suite, jusqu’à ce que, sur le tard, ce pays amorce résolument sa réinsertion dans le concert international au début des années 2000.

Un parcours francophone en dents de scie, donc…

Et en dernier lieu, d’aucuns se posaient encore la question de savoir si oui ou non Antananarivo devait recevoir, en novembre 2016, le Sommet de la Francophonie.

Or, au regard des faits la question ne devait pas se poser – et ne se pose – pas en ces termes ; elle était, par contre, de savoir comment Madagascar et les Malagasy allaient savoir se mobiliser résolument pour désormais être dignes de la confiance et de la considération manifestées par la communauté francophone, et pour récolter les bénéfices à en attendre.

D’autres se posaient la question de savoir ce que la Francophonie pouvait apporter à Madagascar et aux Malagasy …

Ici également, la question ne devait pas se poser en ces termes alimentaires ; elle était, par contre, de se convaincre qu’en partageant les valeurs et les moyens générés par chacun des membres de la Francophonie, ce au-delà du simple partage du français comme langue, c’est un enrichissement mutuel, mais aussi un enrichissement particulier pour chacun des membres, qu’il convenait d’entretenir et d’amplifier.

Or, comme on le verra dans les lignes qui suivent, Madagascar avait eu un rôle précurseur dans la création d’une véritable organisation internationale à vocation universelle qu’est l’Organisation Internationale de la Francophonie actuelle (OIF)  avec l’adoption en 2005 à Antananarivo de la nouvelle Charte de la Francophonie qui fait de l’OIF une véritable organisation internationale universelle, c’est à dire ouverte à tous pays et non pas uniquement à ceux où la langue française se pratique habituellement.

RAPPEL DES ACQUIS DIPLOMATIQUES

Afin de se convaincre, s’il en est besoin, de l’obligation morale où Madagascar et les Malagasy se trouvaient que cette mobilisation se devait d’être transformée en une cause nationale, un rappel des acquis diplomatiques malagasy est nécessaire ; des acquis qui étaient – et sont toujours – à capitaliser et à exploiter absolument.

Ainsi :

  1.      Depuis qu’en octobre 2002, le Président Ravalomanana avait réussi, au Sommet de Beyrouth, à capter l’attention des pays membres de la Francophonie grâce à une proposition inédite (la création d’un « Label artisanal francophone »), Madagascar a tracé en Francophonie un destin remarqué. C’est alors qu’au bout d’un travail intense, en particulier avec l’équipe rapprochée du Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, le Représentant personnel du Président Ravalomanana – que j’étais – fut tôt sollicité pour faire partie d’un comité restreint de rédaction de la nouvelle charte devant faire de l’OIF une organisation digne de l’importance croissante des missions que ses membres lui assignaient ;
  2.       Dès lors, dans un élan aussi logique qu’incontournable et pour faire honneur à l’implication signalée de Madagascar pour le développement de la Francophonie, Antananarivo fut choisie pour recevoir en novembre 2005 le Conseil permanent de la Francophonie ainsi que la Conférence ministérielle de la Francophonie, où figurait à l’ordre du jour, à titre principal, l’examen suivi de l’adoption de la nouvelle Charte de la Francophonie. Cette Charte fut adoptée à l’unanimité, de sorte que l’OIF dans sa structure et configuration actuelles, avec sa vocation multidimensionnelle au service de la Francophonie, fut née à Antananarivo, de sorte  également que la nouvelle charte  de l’OIF porte officiellement et tout naturellement le nom de « Charte d’Antananarivo » ;

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Carte commémorative de l’adoption, le 23/11/2005, de la Charte d’Antananarivo, remise au Secrétaire général de l’OIF et aux Représentants personnels des pays membres par le Représentant personnel du Président de Madagascar – Carte que j’avais conçue et illustrée par une de mes peintures (acrylique) -.


  1.     La troisième étape de ce qui est désormais considéré comme une avancée diplomatique importante de Madagascar vient en 2006, lors du Sommet de la Francophonie à Bucarest (Roumanie). Toujours à la suite d’un travail intense du Représentant personnel du Président Ravalomanana auprès de l’OIF que j’étais, le principe de la tenue en 2010 du Sommet de la Francophonie à Antananarivo avait été retenu pour être définitivement acquis, entraînant subséquemment la mise à l’écart des candidatures de Phnom-Penh (Cambodge) et du Congo-Kinshasa ;
  2.      Par la suite, cet acquis diplomatique important pour Madagascar marquant le grand intérêt manifesté par l’ensemble du monde Francophone à notre pays, a été formellement acté lors du Sommet de la Francophonie de 2008 à Québec (Canada), la règle étant que la décision formelle concernant le lieu du Sommet intervienne seulement deux ans avant ledit Sommet ;
  3.      Nous savons tous pourquoi malheureusement, dû aux destructions et avatars du coup d’Etat de mars 2009, ce Sommet 2010 de la Francophonie n’a finalement pas pu se tenir à Antananarivo, ce à la grande déception des membres de l’OIF. Le Sommet 2010 s’est donc tenu à Montreux (Suisse). Les Sommets suivants se sont tenus successivement à Kinsasha (2012) et à Dakar (2014).

L’OBLIGATION DE REUSSIR

           C’est dire que pour confirmer l’important acquis diplomatique des années considérées, durement mais brillamment obtenu, pour son honneur et pour respecter ses engagements historiques, sans parler des bénéfices de tous ordres attendus, Madagascar se devait de tout mettre en œuvre afin que ce Sommet 2016 se tienne effectivement à Antananarivo.

Au nom de la continuité diplomatique, et pour que Madagascar maintienne son rang au sein de la grande famille francophone, c’est donc une grande responsabilité qui incombait au Chef de l’Etat malagasy et à son gouvernement.

           Or, on sait que de sérieuses interrogations sont intervenues devant les retards enregistrés pour le financement du budget, dans la construction du village consacré au Sommet, dans la mise en place du dispositif de communication ou dans la formation des équipes logistiques, pour ne citer que ces aspects, tout cela ayant semé un grand doute à seulement quelques semaines de ce grand rendez-vous diplomatique.

          Ni le Chef de l’Etat, ni le gouvernement, n’avaient en effet sérieusement communiqué pour donner concrètement aux Malagasy et à la communauté francophone les assurances attendues. Or, les communications intervenues à ce jour apparaissaient bien trop parcellaires, évasives…et pourtant grandiloquentes.

           Il y avait donc urgence à ce que, a minima, certaines initiatives aient été prises. Certes, le Président de la République lui-même avait tenu des propos qui se voulaient rassurants. Mais, cela ne suffisait pas…

Madagascar et les Malagasy avaient donc tout à gagner à réussir cet évènement qu’était la tenue du prochain Sommet de la Francophonie à Antananarivo en Novembre 2016, constituant ainsi un des marqueurs de cette polarisation et de ce redressement que de façon constante nous souhaitions ardemment pour la 4ème plus grande île du monde.

Ledit Sommet s’était effectivement tenu, mais avec un succès mitigé, au résultat duquel Madagascar n’a rien engrangé de particulier en termes de représentativité et de positionnement au sein de la grande famille francophone.

Quant à nous, étant libéré depuis 2008 de notre responsabilité de Représentant personnel du Président de la République de Madagascar mais demeuré défenseur malgache invétéré de la cause francophone, pour marquer dans les esprits l’appartenance sans fard de Madagascar à la francophonie et célébrer à notre façon la Journée Mondiale de la Francophonie le 20 mars, avons-nous organisé avec succès en 2019, dans le cadre de La Renaissance Française où nous présidons la Délégation de Madagascar, un concours de portraitistes talentueux réservé aux jeunes peintres malgaches (cf. notre article intitulé « 20 mars: Madagascar et les Malagasy dans la Francophonie » daté du 20/3/2019).

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

Ancien Représentant personnel du Président de la République de Madagascar auprès de l’OIF et ancien membre du Conseil permanent de la Francophonie (2002-2008).

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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« FUKUSHIMA MON AMOUR » – RETOUR SUR UNE CATASTROPHE NUCLEAIRE

nature

« Nature » (JPRA)


Les trépidations que nous impose le rythme effréné de notre mode de vie actuel nous donne la mémoire courte…Or, souvenons-nous…

Souvenons-nous, le 16 février 2021 un nouveau et très fort tremblement de terre s’est produit dans la Préfecture de Fukushima, faisant 150 victimes et provoquant d’importants dégâts matériels.

Souvenons-nous, dix ans auparavant en mars 2011 intervint la terrible catastrophe nucléaire de Fukushima, provoquant un important tremblement de terre et un tsunami géant, un énorme traumatisme dont les stigmates sont encore aujourd’hui bien vivaces.

Au centre de nos préoccupations se trouve le danger nucléaire. Civil comme militaire.

Quant à lui, le danger nucléaire civil s’avère tout aussi dévastateur, en termes de pertes en vies humaines et de destructions écologiques, que son équivalent militaire, les catastrophes de Tchernobyl hier puis celle, plus récente, de Fukushima nous le prouvent suffisamment et doivent alerter tout aussi suffisamment.

Or, il s’agit là de centrales nucléaires dont les équivalents actuels sont censés avoir réuni le summum de garantie de sécurité, et dont on continue obstinément de vanter l’absence de nuisance environnementale…!

Sans verser dans le catastrophisme, il faut avouer que l’humanité va au devant d’autres catastrophes, cette fois-ci aux conséquences encore plus terribles face à la multiplication des centrales nucléaires dans le monde, dont on semble ne point vouloir réellement en mesurer l’extrême gravité.

Il n’est, en effet, que de se rappeler l’ampleur de la catastrophe nucléaire de Fukushima.

   « FUKUSHIMA MON AMOUR » – RETOUR SUR UNE CATASTROPHE NUCLEAIRE

L’amant japonais de la Française, venue à Hiroshima en quête de paix en 1952 dans le fameux film de Alain Resnais « Hiroshima mon amour », lui disait avec lassitude et fatalité : « Tu n’as rien vu à Hiroshima », tant la dévastation atomique qui s’y abattit en 1945 laissait peu d’espoir pour le présent et l’avenir…

S’agissant de la catastrophe nucléaire de Fukushima, « Tu n’as rien vu à Fukushima », pourrait-on dire aussi par analogie au cas d’espèce – mais, peut-être dans un trait quelque peu forcé –  ?

Dans notre article « Haro sur les catastrophes écologiques d’origine humaine » (cf. sur ce même blog en date du 11 mars 2014), nous ajoutions notre modeste voix à celles, plus nombreuses de jour en jour et suscitant un intérêt grandissant dans l’opinion publique, qui dénoncent et préconisent des mesures drastiques pour extraire l’économie de considérations spéculatives de rentabilité financière immédiate et l’engager résolument sur un modèle durable (cf. notre article « Un monde nouveau », sur ce même blog, en date du 13 mai 2014).

Car, récemment encore en regardant un reportage édifiant de la « NHK », la télévision nationale japonaise, sur les conséquences de la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi qui intervint mi-mars 2011, on demeure saisi par l’ampleur et la profondeur des dégâts.

La soudaineté de ceux-ci avait frappé au moment où cette catastrophe survint, tout en nous faisant poser la question des conséquences inévitables.

Eh bien, aujourd’hui on est édifié !

D’abord, par l’incapacité où se trouvent les autorités chargées de la sécurité nucléaire à juguler les effets immédiats et à terme tant sur l’homme que sur les cultures ; ensuite, par les incertitudes quant à l’efficacité des mesures supposées propres à arrêter les dégâts.

Par référence aux études scientifiques disponibles, essayons d’en faire le bilan actuel.

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« Nature  2 »  (JPRA)


Malgré les mesures d’extrême urgence prises, le combustible fondu et enfoui dans les sous-sols des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 de la centrale nucléaire de Fukushima, ceux qui ont subi les plus forts dégâts dus au séisme et au raz-de-marée du tsunami, continuent de chauffer dangereusement et de dégager un haut taux de radioactivité.

Cela malgré que de l’eau y soit injectée jour et nuit, cette eau étant à son tour contaminée et doit être systématiquement pompée pour être partiellement décontaminée, puis stockée dans d’énormes cuves qui se comptent actuellement à plus d’un millier (combien seront-elles par la suite, et à quelle échéance ?…), rien n’y fait vraiment.

Bien entendu, aucun homme ne peut s’approcher de ces sous-sols, seules des machines télécommandées ou des robots le peuvent. Mais, même les robots finissent par être détruits par les radiations…

S’agissant maintenant des habitants et des champs agricoles, la situation est toujours intenable.

C’est que la catastrophe nucléaire avait projeté ses effets dans un rayon de 20 Km aux alentours, sur terre comme sur mer, sachant que Fukushima Daiichi, la centrale nucléaire, se situe à peu près à mi-chemin entre la mer – l’océan pacifique – et la ville de Fukushima à une soixantaine de kilomètres à l’intérieur des terres. Près de 160.000 personnes avaient alors fui dans la panique générale dès les premières minutes de la catastrophe.

Les autorités japonaises avaient agi prestement en définissant trois zones :

. la première zone est totalement interdite parce que hautement contaminée (50 millisieverts/an, sachant que la Commission internationale de protection radiologique fixe à 1 millisievert/an la « dose » supportable). Ses habitants sont déplacés de façon définitive, la décontamination de cette zone étant considérée comme définitivement impossible ;

. la seconde zone, qui a reçu entre 50 et 20 millisieverts, est en cours de décontamination et est destinée à recevoir à nouveau ses habitants avec leurs activités d’avant catastrophe, notamment agricoles. Mais ses habitants pourront-ils jamais goûter à nouveau aux pommes, poires et produits de la pêche d’avant catastrophe ? ;

. et la troisième, où la radioactivité oscille entre 1 et 20 millisieverts, fait actuellement l’objet d’un retour progressif de la population, les autorités japonaises l’y poussant, mais pourtant les risques de contamination ne sont pas entièrement éliminés…

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« Nature 3 » (JPRA)


Dans le reportage de la « NHK » auquel nous faisons référence, on y voit partout avec désolation des énormes sacs emplis de terre et de végétaux contaminés arrachés aux zones frappées par la radiation.

Quant aux eaux contaminées des réacteurs radioactifs de la centrale nucléaire provisoirement stockées dans d’énormes cuves, ainsi qu’au combustible contaminé provenant des piscines des réacteurs, leur évacuation pose actuellement d’énormes problèmes.

Qu’en faire ?…

Telle est la situation s’agissant de l’intérieur des terres.

Tout autre est celle de la contamination du pourtour maritime de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, car l’Océan pacifique dans la localité de la centrale est pollué par des rejets radioactifs, entraînant des dégâts énormes à toute la faune maritime et aux activités de pêche.

Dès lors, le démantèlement prévu de l’ensemble des réacteurs s’annonce comme d’une urgence particulièrement signalée mais en l’état actuel ne peut, semble-t-il, pas encore être programmé…

Fukushima restera ainsi, malheureusement, comme Hiroshima naguère détruite par l’explosion de la bombe nucléaire lancée par les Etats-Unis pour vaincre le Japon en 1945, mais avec sans doute moins d’intensité, d’ampleur et de drame, un autre symbole de l’horreur nucléaire, civile cette fois-ci.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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MACHICOR, OFFICIER MALAGASY A LA COUR DE LOUIS XIV

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« Vitraux » – Jipiera – (Reproduction interdite)


                                  MACHICOR, OFFICIER MALAGASY A LA COUR DE LOUIS XIV

Qui aurait pu croire qu’un Malagasy, d’origine princière, bien de sa personne et d’une double élégance physique et morale, doté d’un esprit signalé, ait pu compter parmi les officiers de l’entourage du Grand Roi-Soleil Louis XIV ?

Eh bien, si !

L’histoire, aussi extraordinaire, par conséquent passionnante, que propice à l’imaginaire, donc, qui devrait susciter des recherches approfondies, repose sur un ouvrage original, un manuscrit écrit par un certain sieur De l’Hermine, un contemporain du roi Louis XIV, et publié seulement deux siècles plus tard en 1886 par la Société Industrielle de Mulhouse.

Ce noble seigneur De l’Hermine avait parcouru à deux reprises l’Alsace en 1674-76 et 1681 et écrivit ses mémoires sous le long titre de : « Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace en 1674-76 et 1681, avec un itinéraire descriptif de Paris à Basle et des vues d’Altkirch et de Belfort dessinées par l’auteur ».

machicor « Machicor », aquarelle – Jipiera – Reproduction interdite – Cette représentation de Machicor vient de ma pure imagination. Sa tenue vestimentaire emprunte à celle des Mousquetaires de son époque…Mousquetaire qu’en fait il était !

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Ce qui nous intéresse par rapport à notre officier d’origine malagasy, que De l’Hermine dénomma Machicor, se trouve à la page 82 de son ouvrage, et qui selon ses mots de l’époque dit textuellement ceci :

« A la foire qui arrive le jour de St-Jacques et de St-Chritophe, en Juillet, je fis connaissance avec un homme d’une autre nation et d’une autre couleur. C’est un prince affriquain qu’on appelle Machicor, qui a été enlevé par les vaisseaux du Roy de l’Isle de Madagascar, son païs natal, avec un de ses cousins nommé Palola, à l’âge de quatre ou cinq ans, et amenés en France où ils ont été élevés par le Duc Mazarin dans tous les exercices convenables à des gentilshommes. Palola, qui était plus âgé de quelques années que son cousin lorsqu’ils furent pris, a toujours été fort mélancolique, et enfin il s’est laissé mourir de chagrin. Pour Machicor, il étoit de mon tems cornette des gardes du duc Mazarin, fort content de sa condition ; c’était un jeune homme d’environ 25 ans, très bien fait dans sa taille médiocre, qui dançoit à la perfection. Il avait, comme on peut le juger, le teint d’un nègre, mais ce n’était pas d’un beau noir, il tirait plutôt sur la couleur du musc olivâtre. Ce qui me paraît particulier, c’est que contre l’ordinaire des Maures, il a les cheveux droits et plats, ce que j’ay remarqué en diverses occasion où je l’ay vu sans perruque ; avec cela il avait de l’esprit comme un démon, agréable en compagnie et fort bien venu partout ; car outre son mérite personnel on révéroit encore sa naissance quoiqu’inconnüe, et on ne l’appelait communément en Alsace que « Königssohon ». J’ay fait plusieurs questions à M. Machicor touchant son enfance, mais il n’avoit qu’un mémoire confuse de son païs ; il ne savait même pas deux mots de sa langue maternelle, il se souvenait seulement assez bien de son enlèvement ».

On est nécessairement saisi par une vive curiosité et, à l’instant par réflexe nous nous référons à notre propre documentation autant qu’à nos modestes écrits, pour établir – provisoirement et à charge de vérification plus poussée – ceci :

. si Machicor avait « environ 25 ans » au moment où, en 1681au plus tard De l’Hermine avait fait sa connaissance, notre noble officier malagasy devait avoir été « enlevé » de Madagascar vers 1661, année où il avait cinq ans ;

. or, à cette époque c’est sur les côtes est de Madagascar que s’étaient concentrés les efforts d’établissement de la France à Madagascar, plus précisément au sud-est à partir de 1642, par la construction d’une place forte à Tolagnaro (Fort-Dauphin) dans un large projet de sécurisation de la route maritime de la Compagnie des Indes Françaises, suivant en cela les fortes recommandations d’un nommé François Caron à Colbert, ce dernier alors contrôleur général des finances du puissant royaume de France (cf. sur ce même blog notre article « Samuraï diplomates et ambassadeurs » daté du 26 décembre 2015)

C’est donc très vraisemblablement à l’occasion des conflits armés avec les chefs et rois locaux de cette vaste région malagasy que Machicor et son cousin Palola furent pris, enlevés et amenés en France. Toujours selon toute vraisemblance, ces derniers étaient donc d’origine Antanosy, voire Betsimisaraka.

Mais, émettons une autre hypothèse radicalement opposée : « Machicor » serait-il le nom francisé du nom malagasy « Masikoro » ?

Dès lors, si l’on se réfère au peuple malagasy des Masikoro, établis au nord du fleuve Onilahy du royaume malagasy du Menabe qui était sous la domination du puissant roi Andriandahifotsy (1610-1685), notre Machicor et son cousin Palola seraient donc originaires de ce peuple.

Mais alors, à quelle occasion auraient-ils été enlevés, et que faisaient les Français dans cette partie maritime des côtes malagasy du sud-ouest où, au XVIIe siècle, aucune visée française n’était particulièrement signalée ?…Mais, ce qui est attesté également, c’est que des navigateurs et pirates français et hollandais rôdaient à cette époque au large des régions concernées.

Alors ?…

Quant au « Duc de Mazarin » visé par le récit du sieur de l’Hermine, il s’agit de l’époux d’une des nièces du fameux Cardinal de Mazarin, le précepteur du jeune Louis XIV.

Mazarin, le cardinal qui gérait d’une main de fer les affaires du royaume, avait préconisé à l’encore jeune Louis XIV de régner sans partage pour être mieux obéi, et à la mort de ce précieux mentor le Roi avait suivi à la lettre cette prescription.

Ceci était devenu une grande nécessité en cette époque de la vie d’adulte de « notre » Machicor qui, imagine-t-on, devait donc évoluer en tant qu’officier au milieu d’une ambiance de guerres incessantes puisqu’en particulier de 1672 à 1678 se déroulait la guerre de Hollande et que les préparatifs de la guerre de la ligue d’Augsbourg, qui s’étalera de 1688 à 1697, battaient leur plein.

Etait-il alors engagé dans ces différentes guerres ?…

C’est dire qu’en ayant été officier dans la garde du cercle familial du puissant cardinal Mazarin, Machicor avait semble-t-il une position enviée, en tout cas très en vue, et semée d’évènements cruciaux sans doute en rapport plus ou moins étroit avec les faits et gestes de Louis le Grand.

Mais, poussons encore plus loin les hypothèses que notre inspiration imaginative suggère :

Machicor, selon les propos de son « découvreur », le Seigneur de L’Hermine,  était « bel homme », « bien proportionné malgré sa petite taille », « dansait bien », « de compagnie agréable », « fort bien reçu partout »…bref, très certainement il attirait les regards intéressés – davantage, probablement…- des dames de la Cour et d’ailleurs…jusqu’au point où, assurément il eut quelques rencontres poussées, desquelles résulteraient quelques progénitures…Il faudrait faire des recherches sur ce plan, car il serait fort intéressant de savoir si oui ou non Machicor est à l’origine d’une descendance certaine…

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« Florales », acrylique – Jipiera – Reproduction interdite –

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Cette histoire extraordinaire de Machicor nous rappelle irrésistiblement celle d’un certain Yasuke, un Africain originaire de l’actuelle Mozambique, qui également à la fin du XVIème siècle/début XVIIème siècle, étant devenu Samuraï au service de l’unificateur du Japon, Nobunaga, avait connu au Japon d’extraordinaires aventures, y compris d’avoir séduit maintes Japonaises, des oeuvres avec lesquelles il eut une descendance…- Voir, au sujet de Yasuke, notre article intitulé « Le Namban, ou la rencontre civilisationnelle du Japon avec l’Occident » sur ce même blog – .

Assurément, pour Usufe – nom d’origine de Yasuke – comme pour Machicor, dans les deux cas les petites histoires friandes font la grande histoire…! Nous sommes bien d’accord…!

S’agissant de Machicor, voilà un épisode qui là aussi sort de l’ordinaire, partagé entre Madagascar et la France, mal connu et suffisamment extraordinaire du point de vue historique pour mériter un roman historique que je me propose d’écrire tantôt !…en espérant avoir du talent, du style et un esprit pénétrant pour être conforme à la consistance des faits et à une nécessaire vue prospective.

Mais devant la maigreur des faits avérés et révélés, il nous faudra aussi mêler subtilement histoire et légendes…

Rendez-vous est donc pris.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations
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La citation du texte entre guillemets de l’ouvrage de De l’Hermine est tirée d’une communication faite le 17 décembre 1931 par Monsieur Seyrig à l’Académie Malgache – Bulletin Nouvelle série – Tome XIV, page 39.