AMBOHIMANGA, LE BERCEAU DE LA ROYAUTE DE MADAGASCAR

Voromahery et trône porté

Filanjana et Voromahery, deux symboles de la royauté de Madagascar – reproduction strictement interdite – Archives familiales – jpra –


AMBOHIMANGA, LE BERCEAU DE LA ROYAUTE  DE  MADAGASCAR

On dit d’Ambohimanga, la cité royale berceau de la royauté de Madagascar de l’après période mythique des rois fondateurs de l’Imerina (cf. nos articles sur ce même blog intitulé « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », de la 1ère  à la 3ème parties), que la colline sacrée qui l’abrite a le profil d’un bœuf accroupi.

Il convient toutefois de relativiser quelque peu ce caractère « antique » de la cité royale, volontiers mis en scène par le « Tantaran’Ny Andriana » (vaste récit rapporté au XIXème siècle sous la forme d’un édit des faits et gestes royaux essentiellement centré autour de la gloire du Grand Roi Andrianampoinimerina).

Car, la réalité historique confère à d’autres sites royaux et princiers des alentours d’Antananarivo et d’Antananarivo même, une valeur « antique » égale et en tout cas spécifique à chaque lieu dans ce qu’il faut considérer comme étant à la source de la royauté à Madagascar (citons entre autres: Ambohidratrimo, Ambohitrabiby, Antsahadinta, Ambohimalaza (On se réfèrera aussi à notre article intitulé « Les sites sacrés d’Ambohibe-Manankasina-Ambohipotsy » sur ce même blog).

APERCU GENERAL

Un « boeuf accroupi », disions-nous. C’est dire toute la symbolique d’un animal quasi sacré chez les Malgaches dans les époques passées, et qui de ce fait confère à Ambohimanga « le souffle de l’esprit », avec ce que cela suppose d’inspiration.

Et dire que ces lieux faillirent brûler début de l’année 2016 suite à un incendie criminel, comme à quelques lieux de là au sud, au Rova à Antananarivo une funeste nuit du 5 au 6 novembre 1995… !

Or, Ambohimanga derrière ses hautes murailles et bercé par le doux bruissement des antiques ficus, est empli des mystères de sa gloire passée.

Ici, les portes de l’antique cité, qui s’identifient dans leurs personnalités propres : Ambatomitsangana la majestueuse ; Amboara qui se cache sous les arbres ;  Andranomatsatso avec sa grosse pierre ronde ; et Andakana qui se pare d’une route fièrement empierrée, toutes signifient la solennité qui prévaut au-delà à leur seuil et au-delà.

Ambohimanga, 2 portes principales.jpg

Les deux portes principales d’accès.


Puis là, les différents pavillons des reines,  les cases « Mahandrihono » et « Manjakamiadana » du grand Roi Andrianampoinimerina, la Porte intérieure du Rova, les bassins, le grand escalier de pierre et l’ancienne fosse à bœufs semblent se jouer des dédales de couloirs et de chemins sinueux par lesquels le visiteur se plaît à inscrire ses pas.

Au flanc de la colline se trouve l’étang sacré des souverains, où de jeunes femmes venaient puiser de l’eau. La forêt elle-même renferme notamment de vieux tombeaux de princes et de nobles, et s’y trouve également la case de bois où fut gardée l’idole Rakelimalaza…

LES ORIGINES DE LA CITE ROYALE

C’est Andriamborona, un prince détrôné de l’Imamo, un royaume situé dans les marches à l’ouest de l’Imerina, qui vint s’installer le premier à Ambohimanga et commença à y créer une cité. Nous sommes au début du XVIIIème siècle à l’époque où le roi Andriamasinavalona régnait à Antananarivo.

Un jour, apercevant de la fumée jaillir d’Ambohimanga, le roi vint à la rencontre de Andriamborona et lui demanda que l’un de ses fils, le prince Andriantsimitoviaminandriana s’installe sur la colline d’Ambohimanga, ce que Andriamborona accepta bien volontiers, lui-même s’y réinstallant, sur la même colline, en un lieu-dit Ambohimirary.

Mais, l’appétit du roi Andriamasinavalona en faveur de son fils le conduisit à exiger de Andriamborona qu’il cède également au prince ce lieu-dit d’Ambohimirary…et ainsi de suite au cours des mois !

Tant et si bien que Andriamborona et Andriantsimitoviaminandriana cohabitèrent à Ambohimanga…ce jusqu’à ce que le premier et sa femme moururent…de sorte que tout naturellement et tant par la vertu d’une situation de fait qu’en celle de la volonté testamentaire du roi Andriamasinavalona, son fils Andriantsimitoviaminandriana s’installe désormais comme Roi d’Ambohimanga.

Cette prise territoriale se fit d’ailleurs conformément à un partage voulu par le roi Andriamasinavalona, puisque avant sa mort ce dernier, dans l’exercice immodéré d’un amour paternel, entendait partager son royaume entre ses quatre fils…

Ambohimanga, lieu de serment

Lieu de serment au roi Andriantsimitoviaminandriana.


Dès lors, Andriantsimitiviaminandriana, pétri d’ambitions nouvelles et envisageant même de devenir le seul maître de tout l’Imerina au détriment de ses trois autres frères, se mit à peupler significativement son nouveau royaume en faisant prêter serment de fidélité à ses nouveaux sujets selon des rites très précis et empreints de solennités si profondes et implacables que le peuple n’avait d’autre choix que d’y adhérer avec ferveur, et de sorte que les premiers sujets du roi formèrent un clan très solidaire sous le nom de « Tsimadilo ».

Ainsi donc débuta l’essor de Ambohimanga sous la férule d’un roi qui s’imposera effectivement sur toute l’étendue de l’Imerina et y créera une dynastie royale qui, bientôt au-delà même de Ambohimanga s’imposera à Madagascar au cours des XVIIIème et XIXème siècles (cf. par ailleurs nos articles « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar » précités + les articles consacrés aux « Dynasties royales et princières de Madagascar » sur ce même blog).

Ambohimanga, lac sacré.jpg

Le lac (ou étang ) sacré


Ainsi donc, à Ambohimanga devenu la source royale par excellence régnèrent successivement :

Andriantsimitoviaminandriana, de 1740 à 1755 ; Andriambelomasina, de 1755 à 1766 ; Andrianjafy, de 1766 à 1787, qui en fait résida plus souvent à Ilafy non loin de Ambohimanga au sud ; Andrianampoinimerina, qui régna d’abord à Ambohimanga avant d’enlever Antananarivo au roi Andriamboatsimarofy et y résidant sans pour autant délaisser Ambohimanga.

On se rappelle de la fameuse formule de ce dernier : « Je ne veux point les séparer (Ambohimanga et Antananarivo), car c’est à Ambohimanga que j’ai régné, et c’est à Antananarivo que j’ai formé le royaume de l’Imerina » !

(A suivre)

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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Nota :

En sa qualité de conservateur en chef des musées des Rova d’Antananarivo et d’Ambohimanga, de 1946 à 1961, notre très regrettée mère, ainsi qu’à sa suite notre bien regrettée marraine et tante, Jeanne Ramboatsimarofy, eurent à cœur de valoriser à sa juste dimension historique le Rova d’Ambohimanga qui, du point de vue de l’administration coloniale française d’avant la proclamation de la République malgache en 1958, fut quelque peu délaissé.

D’ailleurs, le Président Tsiranana lui-même, dans un geste qu’il convient de saluer, avait tenu au début de sa prise de fonction à rendre un hommage particulier aux souverains ayant par le passé régné à Ambohimanga, notamment en s’y rendant, ce au côté du général de Gaulle à l’occasion de la seconde visite de ce dernier à Madagascar en 1958. Tout naturellement notre mère, en sa qualité de conservateur, les y accompagna.

DISCOURS FONDATEUR DU PRESIDENT TSIRANANA A MAHAMASINA LE 22 AOUT 1958

Gouvernement Tsiranana 1957 – reproduction interdite –

Premier Gouvernement de Madagascar formé le 29 mai 1957 par Philibert Tsiranana (3ème à partir de la gauche) dans le cadre de la « loi Deferre » de 1956. JPRA (Reproduction interdite).


   DISCOURS FONDATEUR DE PHILIBERT TSIRANANA A MAHAMASINA LE 22 AOUT 1958

Tous, nous avons en mémoire – et nous nous devons de l’avoir – le fameux discours du général De Gaulle (voir son intégralité dans notre article daté du 21 avril 2016 sur ce même blog) de l’après-midi de ce 22 août 1958, date fondatrice du retour de Madagascar à la souveraineté.

Pour respecter la chronologie des faits, ce discours du général De Gaulle suivit en guise de réponse celui non moins historique, quelques minutes auparavant sur le même lieu à Mahamasina, ce célèbre Champs de Mars malgache d’Antananarivo, de l’hôte que fut le président Philibert Tsiranana.

Président l’était-il en effet déjà à l’époque ; mais Président du Conseil de Gouvernement de Madagascar, titre et fonction qui lui furent dévolus le 26 juillet 1958 dans le cadre de la « Loi Gaston Deferre » du 23 juin 1956, dite « loi-cadre d’autonomie interne ». Et on sait que, par la suite, en vertu de la proclamation de la 1ère République malgache le 14 octobre 1958, Philibert Tsiranana sera nommé Président de la nouvelle République.

Mais pour l’heur, n’anticipons pas cette échéance, écoutons le Président Tsiranana en son discours de cette après-midi du 22 août 1958 dans l’enceinte de Mahamasina.

                                                                               *

Ecoutons le président Tsiranana dans l’intégralité de son discours : 

« Mon Général, 

En mon nom, en celui de la population ici rassemblée, je vous adresse nos souhaits de bienvenue sur notre terre malgache que vous connaissez déjà.

Deux proverbes de nos ancêtres disent : 

« Celui qui visite souvent sa famille est aimé de ses parents. »

« Vous êtes passé dans ma maison mais votre souvenir est demeuré parmi nous . » 

Votre souvenir est en effet resté parmi nous et reste attaché à tous nos espoirs. Nous vous aimons encore plus puisque vous nous rendez visite. 

Mon Général, pour la première fois dans l’histoire de Madagascar, la venue du Président du Conseil de la République démontre clairement l’intérêt, l’estime, la considération que le nouveau Gouvernement porte à notre pays. 

Cette visite historique marquera dans l’histoire de Madagascar, de l’Union Française, et peut-être même du monde.

Vous avez bien voulu, et ce geste nous touche beaucoup, venir ici, à Tananarive, donner au peuple malgache la primeur de la nouvelle Constitution proposée, et ceci avant même d’en avoir informé nos frères de la Métropole, ceux qui demain pourront effectivement devenir nos frères français dans une Communauté d’Etats libres et égaux. 

Vous avez ardemment lutté pour la liberté de la France. 

Vous fûtes, à Brazzaville, le promoteur d’une ère nouvelle pour les Territoires d’Outre-Mer, fraternellement unis par vous dans une Union Française qui marquait déjà un immense pas en avant. 

Aujourd’hui, de nouveau, de retour au pouvoir à un moment grave où le sort de la France et des Territoires d’Outre-Mer est à un tournant dangereux et décisif de l’histoire, vous avez, sur des bases nouvelles, entrepris l’œuvre gigantesque et audacieuse de la réforme constitutionnelle. 

Je puis vous assurer que vous nous apportez ainsi un immense espoir, car cette constitution doit pour nous, Populations d’Outre-Mer, nous apporter des statuts nouveaux et, en même temps que l’égalité, une véritable indépendance.

A ce sujet, je me dois de vous renouveler le vœu exprimé presque unanimement par l’Assemblée Représentative de Madagascar, à savoir la création d’une République Malgache indépendante fédérée à la France.

En mon nom, comme en celui de l’immense majorité de mes compatriotes qui veulent, comme moi, mener Madagascar vers le libre et heureux accomplissement de son destin, je vous remercie de votre attention, et en particulier des promesses que vous avez bien voulu me faire en m’assurant que de toute façon, et même au sein de la Communauté envisagée, la Grande Ile bénéficierait d’un statut particulier. 

A ce propos, nous savons que certaines lois sont devenues caduques et dépassées par les faits.

C’est pourquoi, dans le but de démontrer à Madagascar l’intention évidente du Gouvernement Français de manifester un libéralisme encore inaccoutumé, je vous demande de bien vouloir veiller à ce que, quel que soit notre nouveau statut, il porte en lui-même l’abrogation de la Loi d’annexion de 1896. 

Monsieur le Président du Conseil, 

La population qui est là, venue nombreuse pour vous accueillir et vous entendre, sait que les heures sont graves et que son avenir est en jeu. 

En vous renouvelant notre grande confiance, je puis vous donner l’assurance que nous serons de cœur à vos côtés dans cette immense entreprise pour bâtir une véritable Communauté d’hommes libres où tous les hommes seront frères et les Etats égaux. 

Mon Général, je vous laisse la parole en vous exprimant à nouveau nos souhaits de bienvenue et vous demandant de dissiper nos craintes, nos incertitudes et les mensonges qui cherchent à déformer vos buts et ceux de la République que vous représentez. 

« Quand la vérité paraît le mensonge s’enfuit » dit un proverbe de mon pays. 

Et, en cette journée mémorable où, pour une fois, Madagascar se trouve particulièrement honoré, je terminerai en souhaitant et proclamant :

Vive la France !

Vive la Communauté franco-malgache ! 

Vive la future République Malgache ! »

                                                                               **

On sait qu’avant ce moment solennel des deux discours fondateurs de la République Malgache de 1958 que furent ceux du président Tsiranana et du général De Gaulle à Mahamasina en cet après-midi du 22 août, le général avait auparavant décrit dans les détails le matin de ce 22 août 1958 devant l’Assemblée Représentative de Madagascar (dans l’amphithéâtre du Lycée Gallieni, aujourd’hui Lycée d’Andohalo) ce que seraient la nature fédérale et les structures de la Communauté Française au sein de laquelle Madagascar serait membre, étant redevenue une soixantaine d’année plus tard, le 26 juin 1960, un Etat pleinement souverain en droit international.

Nous reproduirons dans son intégralité cet autre discours essentiel à la bonne compréhension du cheminement rapide vers la pleine souveraineté internationale de Madagascar.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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. NOTA : nous avons souligné dans le texte du discours les passages les plus significatifs.