
« Abondance » Pastel sec – Jipiera – Reproduction interdite
Madagascar : les bases de sa polarisation internationale
Bon Dieu, que la vie est dure…!!
Quand interviendra donc cette qualification de Madagascar pour le développement et prétendre au statut de pays émergent à une échéance raisonnable, ainsi que la Banque Mondiale tout début 2009 l’avait pronostiqué pour 2015 – sans avoir pu prévoir le coup d’Etat sanglant de mars 2009 – ?…
Pour cela, il y a une condition sine qua none.
Que la quatrième plus grande île du monde sache une bonne fois pour toute rouvrir avec adéquation ses horizons à l’international, en se rappelant ses élans des origines grâce auxquels elle fut un phare pour les migrants venus de la lointaine Asie, de l’Océanie, du Golfe persique, de l’Afrique orientale et australe.
A l’ère des échanges de toutes natures et de l’internationalisation (la relation entre les nations et non de la mondialisation uniformisatrice et réductrice de la diversité), où le dialogue des civilisations constitue une donnée fondamentale, Madagascar a toute sa place. Et la diversité même qui la caractérise prouve, s’il en est besoin, sa vocation à recevoir et à donner autant que possible, dès lors qu’elle en tire profit pour l’affirmation accrue de sa propre personnalité.
Quand pour 2009, avant la crise, la Banque Mondiale pronostiquait pour Madagascar un taux de croissance record de 9% avec un statut de future puissance émergente, en se fondant sur les performances accumulées des années précédentes et alors en cours, elle faisait référence à cette vocation internationale.
Ceci contraste terriblement avec le très récent classement du Fonds Monétaire International rangeant Madagascar en 2015 parmi les cinq pays les plus pauvres de la planète Terre (étant même celui qui parmi eux s’appauvrit le plus…) !…Un classement dans le fond de l’abîme qui s’aggrave d’année en année, qui plonge plus de 80% de la population malgache sous le seuil de la pauvreté !
Et à cela s’ajoute, autre dimension déterminante, que Madagascar est actuellement sous le joug russe avec la présence sur son sol du Groupe Wagner …
Tout ceci ne devrait-il pas réveiller et secouer les uns et les autres dans un sursaut salutaire de redressement moral, mental et vital ?
Approches qualifiantes à booster et réunion des bailleurs de fonds
Tant les autorités malgaches dans leur composition entière (exécutif, législatif, tous autres corps constitués, société civile, etc…), légitimées par les missions qui leur sont attribuées distributivement, que la communauté internationale, réintroduite depuis au moins la fin de la grave crise de 2009 dans le jeu relationnel normal avec un pays en état de nécessité, ont à définir ensemble des rapports sur la base d’approches qualifiantes.
En ne nous lassant pas de le marteler à travers nos écrits sur ce blog, en premier lieu, sans aucun doute dans l’urgence absolue avec une volonté déterminée et affichée, Madagascar se doit d’inventorier sans concession ses besoins, de prioriser les actions devant servir de leviers, de mettre en place les structures garantissant une bonne gouvernance, fixer les objectifs en termes économiques, sociaux et matériels, le tout dans une démarche planifiée, chiffrée, articulée et programmée en termes législatifs et réglementaires (lois de programmation et dispositifs organiques) sur le court, moyen et longs termes.
Car, au-delà de la fixation des objectifs toute action, toute mobilisation des moyens et des ressources ont besoin d’une planification rigoureuse de nature intégratrice et directive, donc d’une visibilité et d’un cap identifiés.
C’est à ces conditions – et la communauté internationale présente à Madagascar n’a de cesse de le rappeler – que ce pays pourra légitimement, utilement et efficacement faire appel à toutes les contributions financières et techniques internationales, bilatérales et multilatérales, privées ou publiques.
Parallèlement et de son côté, la communauté internationale, – en particulier en son sein la SADC, l’Union Africaine, l’ONU (à travers ses différentes instances et organisations spécialisées : FAO, OMS, etc), l’OIF, l’Union Européenne, les agences publiques de coopération de Japon (JICA) et d’autres partenaires de Madagascar -, est appelée à se coordonner davantage à ces différents niveaux afin de mieux accompagner le peuple malgache dans sa quête de développement.
Ceci n’exclut bien entendu pas que chacune de ces entités internationales, de même que chaque partenaire bilatéral de Madagascar, programment leurs propres actions en fonction des urgences du moment (en particulier dans le cadre de la sécurité alimentaire et de la sécurité sanitaire).
Or, ces préalables n’ayant été nullement réunis jusqu’ici, alors même – pour ne prendre que cet exemple – que la récente conférence internationale des bailleurs de fonds organisée à Paris en décembre 2016 avait pu lever près de 7 milliards de dollars US de promesses de fonds alloués au gouvernement malgache (pour sa part, le Burkina-Faso à la même époque a su drainer plus de 10 milliards…!) , tout passe par pertes et profits.
C’est qu’à défaut d’une planification organique relayée par des lois de programmation économique et budgétaire nourries par des projets concrets, que nous ne cessons pas ici dans ces colonnes de préconiser en urgence, cette manne financière internationale risque tout simplement – une fois encore ! – de demeurer dans les vitrines poussiéreuses d’une gouvernance sans teint.
Or, il est plus qu’urgent que les sommes disponibles trouvent immédiatement leurs destinations clairement identifiées par un tel dispositif planificateur et programmateur, tant au niveau national que dans ses déclinaisons régionales et locales, sectorielles et thématiques.
D’ailleurs en la matière, le retard enregistré pour la tenue d’une telle conférence de bailleurs de fonds est sidérant, car c’est dès le début de la « normalisation institutionnelle » acquise en 2013 qu’une telle initiative aurait dû être prise !…
Mais, ici comme ailleurs, il est temps, plus que temps, de rattraper le retard à l’allumage… !

« Florilège » acrylique – Jipiera – Reproduction interdite
Quels leviers ?
Polariser Madagascar ainsi n’est pas une simple formule.
Ici aussi, nous ne cesserons pas de le marteler…
Car, tout d’abord, la polarisation de notre Ile est une réalité géographique – et par conséquent, géopolitique et géostratégique – qui doit se retrouver en termes diplomatiques et relationnels.
Au nombre de nos partenaires principaux, la France est incontournable.
Elle reçoit régulièrement à Paris ou ailleurs toute l’Afrique, et sur le dossier malgache, jusqu’ici elle attend vainement une occasion privilégiée d’ajuster sa position devenue quelque peu problématique à Madagascar due à un désamour latent.
C’est donc, tout naturellement, à la partie malgache de prendre toutes les initiatives nécessaires afin qu’il en soit autrement.
Celles-ci doivent faire référence à la marque reconnaissable des traditions séculaires françaises en matière de défense et de promotion des Libertés et de la Démocratie, à condition que cette « France éternelle » ne répète elle-même pas à Madagascar des erreurs qu’elle avait commises ou continuent de commettre un temps donné avant et pendant la crise de 2009. Car, il ne faut point se voiler la face, la responsabilité de la France est énorme sur cette malheureuse séquence…
A cet égard, dans la mémoire d’un peuple, l’Histoire n’a-t-elle pas ses relents, lesquels méritent la meilleure attention ?
Une telle disposition d’esprit est également à retenir à l’égard d’une autre grande puissance avec laquelle Madagascar partage une histoire commune à valoriser.
Il S’agit des Etats-Unis d’Amérique, ce en dépit des incertitudes. Rappelons ceci :
. Le Malgache se souvient qu’alors que dans les années 1880 Madagascar avait maille à partir avec une France violemment colonialiste, ce puissant royaume de l’Océan Indien avait recherché alliance avec les Etats-Unis et des échanges commerciaux se sont développés;
. que durant les pires moments des évènements de 1947 pendant lesquels les Malgaches étaient dans une quête désespérée pour l’Indépendance, l’Amérique était appelée à la rescousse ;
. qu’après son accession à l’Indépendance début 1960, par un juste retour des choses l’ambassadeur des Etats-Unis avait offert à Madagascar, dans un attachant geste symbolique de reconnaissance, des plants de riz de Californie originaires de Madagascar ;
. qu’à la même époque, la NASA avait installé sur les hauts plateaux malgaches à Imerintsitosika une importante station de suivi de satellites ;
; que le célèbre jazzman Andy Razafy et la pianiste classique Pfeiffer, tous deux d’origine noble malgache, avaient enrichi considérablement de leur virtuosité, et chacun dans sa discipline, le répertoire musical américain ;
. que les fameuses glaces américaines se signalent à travers le monde pour leur saveur crémeuse grâce essentiellement à l’incomparable qualité de la vanille de Madagascar ;
. que récemment, sous la présidence de Marc Ravalomanana, jamais les relations bilatérales de Madagascar avec le pays de l’Oncle Sam n’ont été aussi mutuellement fructueuses dans un contexte d’ouverture tous azimuts sur le monde;
. que les récentes incursions chinoise et surtout russe en terre malgache, y compris sur le plan militaire avec la Russie – une donnée plus qu’inquiétante – , ne peuvent qu’induire des problématiques en profondeur qui mettent à l’épreuve le positionnement de Madagascar sur le plan géostratégique et géopolitique à l’échelle régionale mais aussi mondiale.
Aujourd’hui, plus que jamais, Madagascar et ses dirigeants doivent donc être capables d’appréhender dans leur globalité mais aussi dans leurs spécificités propres toutes ces dimensions, auxquelles bien entendu s’ajoutent d’autres avec d’autres partenaires internationaux, ce sous peine d’anéantissement.

« Jeu de raisins » pastel à l’huile – Jipiera – Reproduction interdite
Pratiquer une « diplomatie d’influence »
La diplomatie est un tout.
Il n’y a pas lieu à la découper en morceaux au prétexte de développer des « spécialités », d’ailleurs illusoires.
Et d’aucuns parlent comme d’une formule incantatoire de « diplomatie économique ». Pourquoi pas, mais en se basant sur quelle vision englobante, sur quels piliers et avec quels moyens ?
Plus que de cela, qui implique une vision par trop sectoriel, il faut donc parler de « diplomatie d’influence ».
La « diplomatie d’influence » n’est pas réservée aux grands de ce monde. Car une Nation est comme un individu : elle a et doit avoir une personnalité, sa personnalité, son aura propre, et c’est cette personnalité qui doit mériter la considération d’autrui.
C’est donc d’abord un travail sur soi, une construction de soi, une concentration sur ses propres capacités.
Forte de ces atouts, Madagascar se doit de prendre les initiatives nécessaires pour débloquer une situation devenue intolérable sur le plan diplomatique.
Une refondation de la relationnelle internationale et régionale en Océan Indien, fondée sur des considérations géostratégiques et à partir d’un axe triangulaire franco-américano-malgache, notamment basée sur cette double mémoire commune évoquée plus haut avec la France et les Etats-Unis, est assurément appelée à se formuler sans tarder dans un esprit de respect mutuel, d’intérêts partagés et de sentiments réciproques.
Cet axe triangulaire de base renforcé sera le signal d’un redéploiement diplomatique où la place respective de la relation bilatérale avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suisse, la Russie et la Turquie retrouvera l’équilibre.
A cet axe triangulaire devront s’ajouter des accords stratégiques spécifiques avec l’Asie et l’Océanie en misant sur la Chine (en ajoutant une relation économique et culturelle avec Taïwan), le Japon, la Corée du Sud, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Mais, pour autant ce serait une grave erreur de ne pas inclure l’Inde dans une ouverture nécessaire avec cette puissance montante. Car l’Inde est un autre partenaire de poids et l’histoire partagée que nous avons avec elle doit être valorisée et développée.
Bref, il faut que Madagascar mise résolument sur cette nouvelle dimension de la vision de l géopolitique: l’Indo-Pacifique. Son positionnement géographique à la jointure de l’Asie, du sub-continent indien et de l’Afrique, doit l’y orienter naturellement.
Enfin, le renforcement de nos liens avec la SADC, la COMESA et la Commission de l’Océan Indien complètera une toile relationnelle nécessaire avec l’Afrique et le monde afro-asiatique.
Dans ce contexte général, dans la suite du Sommet de la Francophonie de novembre 2016 Madagascar devra reprendre pleinement sa place au sein de la Francophonie où, nous pouvons en témoigner pour avoir été à l’oeuvre, de 2002 à 2007 elle avait acquis une position enviée qui s’était notamment traduite par l’adoption en novembre 2005 à Antananarivo de la nouvelle charte de la Francophonie, faisant de l’Organisation Internationale de la Francophonie une véritable organisation internationale à vocation universelle aux plans politique et de coopération multidimensionnelle qu’on connaît aujourd’hui.

« Nature morte dans la nuit » (pastel sec – Jipiera – Reproduction interdite
Actuellement : un alignement sur la Russie et un assèchement relationnel suicidaires
L’assèchement actuel des canaux relationnels de Madagascar avec l’extérieur et la latente incompréhension, voire incompétence, de nos dirigeants à la dimension internationale (qui est fort malheureusement une constante historique malgache – cf. notre série d’articles intitulée « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », voir archives d’octobre 2013 sur ce même blog) – ont besoin de cette salutaire refondation pour provoquer une re-générescence.
Pourvu seulement que le moment venu – Dieu seul sait ce « moment » – les dirigeants en charge sachent rouvrir les vannes d’un long fleuve qui charrieront les contrées traversées des sèves nouvelles du renouveau relationnel qui ne doit exclure personne mais, au contraire, qui polarise Madagascar dans l’affirmation de sa personnalité propre !
Car, rien ne serait pire que de réitérer, comme dans un récent passé ou dans un contexte d’intense compétition d’influence ou d’intérêts, les résurgences d’une conception manichéenne de nos rapports internationaux, sachant que la révélation récente des immenses richesses minière, énergétique, agricole, halieutique, en terres ou en matières rares, attisent comme jamais les convoitises les plus potentiellement dangereuses, y compris en termes d’équilibre géopolitique.
Or, tout récemment en février 2022 Madagascar s’est jeté dans les bras d’une Russie dévoreuse, qui profite d’un mouvement général de retrait militaire français en Afrique en concluant avec elle un accord de défense, C’est la porte grande ouverte au Groupe Wagner qui était déjà à l’oeuvre à Madagascar au moment de l’élection présidentielle de 2019. Une telle inféodation rappelle, de façon encore plus dangereuse, l’alignement contre-nature de Madagascar dans l’orbite moscovite durant la période ratsirakienne des année 70 et qui marqua le début de la descente aux enfers de la Grande Île. L’histoire semble se répéter à Madagascar puisqu’actuellement et en s’aggravant, le taux de pauvreté atteint des sommets, l’économie est atone et les structures étatiques sont toutes dans le délabrement attisé par un assèchement des finances publiques…
Par ailleurs ,quand certains autres pays, surtout parmi les puissances montantes du Golfe persique et d’Arabie qu’on ne citera pas ici s’intéressent de très près à Madagascar en marquant concrètement et exclusivement leur présence pour l’exploitation de ses richesses, sans parler du renforcement de certaines visées stratégiques inavouées, éventuellement appuyées par des considérations idéologiques et religieuses qui ne sont jamais loin de se manifester et de créer à terme des tensions, il est plus que temps d’y remédier.
Quand on sait également que des prédateurs patentés originaires de certains pays asiatiques s’acharnent à vider Madagascar de véritables trésors minéraux qui se retrouvent ensuite sur les marchés internationaux sans leur marque d’origine, on mesure le drame vécu par une population dépouillée de son dû.
Par ailleurs, et pour aborder une autre dimension hautement stratégique pour Madagascar, en ces temps où le droit de la mer et les standards internationaux accordent à Madagascar la légitimité de se voir restituer la souveraineté des Iles Eparses insidieusement « oubliées » dans leur transfert à l’Etat malgache lors de l’accession de Madagascar à la souveraineté internationale en 1960, quand on considère les tensions existant dans l’Océan Indien occidental du fait de la piraterie ou des extensions possibles du terrorisme à partir de l’Afrique orientale, et quand on constate que le pourtour maritime de Madagascar recèle des gisements halieutiques disputés par des chalutiers européens, japonais et chinois, le tout au milieu d’un trafic maritime, sur le canal du Mozambique, de pétroliers géants, on mesure l’importance stratégique de la Grande Ile.
En cette dernière matière, fin juin 2016 nous avions conduit une « Mission économique Fandrosoana » qui comportait au nombre des projets portés et proposés aux hautes autorités malgaches celui de mettre en œuvre les moyens d’assurer une bonne gouvernance maritime et sous-marine afin de lutter contre certaines appropriations illégales et illégitimes
Or, ce qui s’est produit avec un récent accord de pêche conclu au mois d’octobre 2018 avec la Chine ne peut qu’inquiéter grandement, car tout un pan de l’espace de pêche de Madagascar a été littéralement vendu aux groupes maritimes chinois sans aucune réelle contrepartie.
Le peuple malgache est donc impérativement appelé à se réveiller sous peine d’anéantissement et le gouvernement de Salut Public à former à impérativement adopter le dispositif décisionnel requis pour redresser ce pays et, prioritairement, à assurer ce qui constitue une partie intégrante de la sécurité maritime et stratégique de Madagascar.
Ainsi, pour éviter d’être un espace où se livrent à son détriment les mauvaises pratiques internationales, Madagascar se doit donc d’avoir une vision internationale précise, de savoir affirmer sur la scène internationale et dans les règles de l’art ce qu’elle cherche, de participer activement aux actions et missions internationales, de se forger un corps de diplomates au fait des enjeux internationaux et aguerris, ainsi que d’avoir une maîtrise certaine de son outil diplomatique servi par un personnel qualifié.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
——————————
Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations
——————————