
« Rising stars » – JPRA –
PRIVATISATION, DEVELOPPEMENT ET INTERET NATIONAL
Depuis plusieurs années, les instances financières internationales ainsi que les partenaires étrangers de Madagascar poussent notre pays de façon quelque peu insistante à accélérer le processus de privatisation de nos entreprises publiques, y compris de notre système bancaire et financier.
Mais, ne nous appartient-il pas prioritairement, à nous seuls, d’en définir les conditions dans le cadre d’une politique globale de développement et d’ouverture à l’international, car n’y va-t-il pas de l’intérêt fondamental national que nous puissions maîtriser ce processus de privatisation ?
Au sein même de l’Europe, il est actuellement significatif que devant l’afflux d’investissements chinois, notamment dans des secteurs-clés, la Commission ait émis certaines restrictions à la sacro-sainte « liberté de circulation des investissements », et que certains économistes envisagent même que la notion de contrôle des investissements étrangers (appliquée jusque dans les années 1980) redevienne la norme…
PRIVATISATION ET DEMANTELEMENT SECTORIEL
La tentation est grande de privatiser à tour de bras pour dégager des ressources financières ou pour se débarrasser de canards boiteux qui pèsent sur le budget.
Mais est-ce vraiment rentable économiquement, sachant par ailleurs que cela peut entraîner – la preuve en est à l’évidence – un démantèlement de l’outil économique et la perte d’un capital technique durement acquis ?
Et d’ailleurs, les entreprises privatisables ont-elles nécessairement des actifs suffisamment attrayants, et si c’est le cas posons la question de savoir pourquoi privatiser et au profit de qui ou de quelle logique économique ?

« Volana sy lamba » – JPRA –
Dans ce sens, pourquoi ne pas envisager une privatisation douce au moyen d’une simple ouverture du capital sans remettre en cause le contrôle public de l’entreprise ?
Autre question : plutôt que de privatiser, ne serait-il pas plus rationnel et moins onéreux de tout simplement, sans révolutionner le statut social, changer le mode et les critères de gestion des entreprises en cause afin qu’elles intègrent la notion de rentabilité financière ?
Se pose ainsi la question de la finalité même de la privatisation, surtout s’agissant d’activités qui, par nature (eau, électricité, industrie de base…) ou par nécessité structurelle ou conjoncturelle (exemple : les denrées alimentaires et rares), doivent demeurer dans le giron des services publics ou des secteurs protégés (tous les pays, y compris et surtout les pays riches à l’intérieur de l’Organisation Mondiale du Commerce, dressent une liste de ceux-ci), et ceci afin d’assurer à tout citoyen un égal accès et un minimum d’égalité.
Le choix des secteurs privatisables doit donc s’opérer de façon très sélective et selon des critères et une méthodologie très précis, tout en gardant à l’esprit des questions sous-jacentes : dans quelle proportion est-elle utile et rentable, notamment pour les finances publiques ?
A quels usages prioritaires du budget de l’Etat les nouvelles ressources financières tirées de la privatisation seront-elles affectées ?
Et surtout, qui seront les souscripteurs, et à cet égard ne faudrait-il pas introduire une clause préférentielle au bénéfice des nationaux ?
PRIVATISATION ET MAILLAGE ECONOMIQUE
Bref, si nous voulons maîtriser notre développement dans un contexte international, la privatisation ne doit pas s’interpréter comme une simple technique de gestion financière au coup par coup.
Car, en fait, nulle privatisation n’est viable sans politique économique et sociale globale nettement définie et clairement orientée.
Ceci est d’autant plus vrai quand il s’agit de banques et d’institutions financières, dont l’implication dans l’économie est fondamentale.

« Eclosion » – JPRA –
Une autre considération mérite rappel : si la notion de développement, ou plus précisément celle de développement durable et inclusive s’impose comme une règle de principe, l’économie elle-même ne se résume pas à l’activité entrepreneuriale.
Il est en effet illusoire de compter uniquement sur les effets d’entraînement que procurerait la seule rentabilité financière ou commerciale des entreprises.
De plus, prioritairement il s’agit moins de raisonner en termes exclusifs de croissance que de poser les bases d’un véritable développement au moyen d’un maillage systématique sur le plan économique et social, c’est-à-dire de reconstituer le tissu économique et social que nous avons perdu et sans lequel la croissance ne profiterait qu’aux seuls entreprises au lieu de profiter au peuple dans son ensemble.
La Banque Africaine de Développement ne résonne pas autrement en appuyant partout en Afrique toutes initiatives allant dans ce sens.
De la même façon, notre système bancaire, ou une institution financière dédiée, se doit de concourir de façon efficace à un tel maillage.
PRIVATISATION ET LEVIER CATALYSEUR
Autre question fondamentale : quel choix de filière pour un rôle catalyseur et de levier ?
En effet, il s’agit de savoir quels sont les secteurs-clés aptes à jouer les locomotives et qui vont générer le plus de profits : par exemple, les grandes maisons de négoces, ou les industries de produits à forte valeur ajoutée, ou encore le secteur touristique, ou les trois à la fois ?
D’autres combinaisons sont, bien sûr, possibles et souhaitables.
Ensuite, quels que soient les choix sectoriels, il faut trouver le moyen d’articuler ces choix dans un ensemble cohérent de développement car, encore une fois, la finalité économique et sociale doit l’emporter sur une vision exclusivement entrepreneuriale et managériale.
En somme, un nouvel esprit d’entreprise, fondée sur l’alliance de l’idée de performance et de participation doit faire comprendre aux opérateurs nationaux comme étrangers qu’il ne peut y avoir expansion sans intégration et adhésion à un projet commun qui, à l’instar de ce qui se fait en Asie (Japon, Corée, Chine, Malaisie, Indonésie), fait participer chaque entreprise et, à l’intérieur de chaque entreprise, chaque employé, à la prospérité du pays.
La « corporate image » ou l’ « entreprise citoyenne », visage vivante et valorisante de l’entreprise à la japonaise constitue un modèle que la proximité de nos valeurs individuelles et sociétales avec celles du Japon devrait nous inciter à dire qu’il y a certainement là des enseignements à tirer pour notre grand profit.
Dans ce contexte général, chacun, selon sa spécificité, ne pourra que trouver sa place, le propre de cette alliance performance/participation étant que chacun dans sa spécialité ou dans ce qu’il fait de mieux se valorisera parce qu’il se sentira pleinement intégré et concerné.

« Sérénité » – JPRA –
Chacun sait que les contraintes monétaires et financières qu’implique notre adhésion aux critères de gestion dictés par le Fonds Monétaire International, si drastiques soient-elles, sont inévitables.
Mais en ce domaine comme en d’autres, il faut se refuser à la fatalité qui consiste à dire qu’à Madagascar nous ne disposerions d’aucune marge de manoeuvre pour une politique compatible avec une nécessaire re-industrialisation/restructuration et avec les exigences qu’impliquent les spécificités de nos structures sociétales.
Peut-être ne faut-il pas hésiter, le moment venu, à accompagner la convertibilité de la monnaie nationale, l’Ariary, par l’adoption d’un Nouvel Ariary, acte volontaire qui marquerait une rupture avec le passé, et dont il faudrait attendre un impact psychologique significatif pour une nouvelle confiance en l’avenir, à la condition sine qua none qu’il soit la traduction d’une nouvelle volonté économique cohérente, affirmée, assumée et par conséquent mobilisatrice.
De telles options fondamentales doivent s’accompagner d’une redynamisation de notre système bancaire afin, en particulier, que les banques s’impliquent pleinement dans le développement et dans les affaires en tant que banques d’affaires et non de simples banques de dépôts.
Il est donc temps de développer le capital-risque, le capital-développement ou le crédit rural et le crédit mutuel, de même que la spécialisation des banques.
Il sera aussi temps que l’Etat institue une banque semi-publique d’encouragement aux restructurations et regroupements sectoriels, de même que de soutenir l’économie par le lancement de programmes séquencés de grands travaux.
Par ailleurs, la maîtrise de l’outil de privatisations doit fournir l’occasion d’un redéploiement budgétaire et permettre de s’interroger sur les types de dépenses qu’il convient de budgétiser prioritairement, au moyen de votes de lois de programmation étalée sur une période donnée, pour parvenir à une optimisation de la collecte des ressources fiscales et parafiscales.
Car, ce qui est en jeu c’est, en même temps que d’assurer les grands équilibres comptables, de pouvoir à terme redistribuer les revenus dégagés au bénéfice des catégories ou des secteurs les plus nécessiteux, et pour entreprendre des travaux d’aménagement, à travers la politique fiscale.
Ceci devrait d’ailleurs aller de pair avec la définition d’une politique de maîtrise des prix.
Car ici également, il est illusoire de croire que la seule loi du marché va réguler les principaux flux et assurer une saine gestion des prix.
La fameuse « vérité des prix » telle qu’on la conçoit dans les économies libérales des pays industrialisés ne vaut précisément que dans ces systèmes économiques réellement monétarisés.
Or, pour reprendre le cas de Madagascar, l’économie malgache, si elle a vocation à être réellement monétarisée, en est encore bien loin, ce d’autant plus que le secteur dit informel demeure non seulement étendu mais actuellement en extension,…misère oblige.
Pour avoir de justes prix et accompagner la reconstruction, un certain contrôle des prix est donc indispensable, toutes les économies occidentales ou en émergence y sont passées, et grâce nous soit rendue qu’on puisse y recourir sans nous attirer les récriminations des champions du libéralisme à tout crin.
Il ne faut cependant pas fixer des prix arbitraires car, pour le coup ce serait fausser le marché.
En jouant sur les mécanismes d’indexation par exemple ou sur des taux directeurs, l’Etat ou certaines autorités habilitées ont la possibilité d’influer sur les prix de certains produits ou services de référence, dont il conviendrait de maîtriser l’évolution parce qu’ils jouent un rôle premier dans l’économie locale ou globale, ou qu’ils ont un impact immédiat sur elles.
Alors, privatisation et ouverture aux investisseurs étrangers ?
Trois fois oui, mais dans le cadre d’une politique globale qui préserve les intérêts nationaux.
Un partenariat avec nos amis étrangers ne peut se passer des exigences exposées plus haut.
Nul doute que nos partenaires étrangers, notamment institutionnels internationaux, nous en sauraient gré car leur intérêt bien compris n’est-il pas aussi qu’ils puissent contracter avec un pays qui maîtrise son développement ?
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
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