« Comme un poisson dans l’eau » (JPRA)
LE JAPON A L’HEURE DE LA FEMME
L’image écornée d’une société japonaise moderne où la femme est brimée est-elle à ranger dans les oubliettes ?
Pour mémoire, rappelons tout de même que le Pays du Soleil Levant n’avait pas hésité à son origine à confier aux femmes, aux confins des VIIème et VIIIème siècles, sa destinée puisque à plusieurs reprises celles-ci occupaient les plus hautes incarnations dans le panthéon divinatoire et identitaire, soulignant ainsi le rôle déterminant de la gente féminine dans la nécessaire légitimation d’une nation qui entendait affirmer sa spécificité par rapport à la Chine et à la Corée.
A commencer, tout d’abord et bien avant ces périodes, par la Déesse Amaterasu, créatrice mythique de la nation nippone et matrice légendaire de l’institution des Tennô (empereurs), pour se poursuivre notamment au Vème siècle par l’impératrice Jingû et d’autres impératrices et autres figures divinatoires référentielles.
Et puis, entre autres caractéristiques traditionnelles propres à une nation diverse, cette diversité étant source de dynamisme réel, en l’occurrence ici dû aux femmes, on ne peut qu’être fasciné devant les prouesses de ces femmes-pêcheuses, les « Kai-Jo » (« femmes de la mer ») qui font partie de ce peuplement, aujourd’hui encore bien actif, des Ama répartis le long des côtes japonaises de l’île principale du Honshu et de l’île méridionale du Kyushu.
- * Dès ici, à ce stade de notre article qui prend en compte l’actualité brûlante de ce vendredi 8 juillet 2022, nous vous invitons à vous reporter au Postscriptum en fin d’article au sujet de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe.
KAI-JO (Essai de calligraphie – JPRA -)
Parmi ces femmes, rendons un hommage particulier à celles de l’île de Hekura.
Elles plongent hardiment en apnée avec un courage et une technique de pêche éprouvés à faire pâlir les hommes, et d’ailleurs ces derniers n’ont qu’admiration à leur égard et, de juste, les meilleurs artistes japonais comme Hokusaï, Hiroshige, Kitagawa et bien d’autres, ont sublimé ces femmes pourvoyeuses des meilleurs produits de la mer, coquillages, crustacés, algues, poissons rares, au grand bonheur d’une population qui aujourd’hui encore et bien entendu demain, se régale et se régalera toujours de ce que la gastronomie japonaise est seule capable, à partir de ces produits de la pêche, d’offrir aux palais les plus exigeants.
Peinture de Utamaro Kitagawa – Partie de pêche à Awabi
Aujourd’hui, ces racines traditionnelles se rappellent-t-elles opportunément aux dirigeants de la seconde plus puissante économie mondiale (en 2017) consciente du vieillissement de sa population et, par conséquent, de la perte de dynamisme de ses ressorts vitaux ?
Une réalité comparative qui interpelle mais motive
En 2015 :
. 74,5% des Japonaises de la tranche d’âge de 25 à 54 ans, celle donc dans la force de l’âge pour travailler, travaillent réellement, ce contre 83,5% des Françaises et 83,8% des Danoises ;
. parmi ces 74,5% de Japonaises, seules 11% sont cadres dans des entreprises privées ou des administrations publiques, alors que la proportion est de 30% en Europe et de 40% aux Etats-Unis ;
. par contre, 59% des femmes japonaises de la génération des 25-35 ans ont un diplôme universitaire.
Ces quelques chiffres, qui confirment le rang médiocre du Japon, classé 104ème sur un total de 142 pays observés par le « Global gender gap report » de la « World Economic Forum » de 2014, parlent d’eux-mêmes.
Ce qui n’a fait que contribuer à faire réagir vigoureusement le gouvernement japonais du Premier ministre Shinzo Abe qui, en particulier déjà en septembre 2014 avait fait tenir à Tokyo un « Symposium international visant à la réalisation d’une société où brillent les femmes », auquel participèrent tout ce que le Japon et le monde comptaient de hauts dirigeants – principalement femmes ! – soucieux de lancer des plans d’actions aux niveaux national et international !
Occasion pour le Japon, faisant écho au discours de Madame Lagarde, directrice générale du FMI, qui prônait « l’autonomisation des femmes comme moteur économique », d’exposer son propre plan axé sur trois leviers : soutien aux initiatives en faveur de la promotion professionnelle des femmes ; programme d’aides pour concilier travail et éducation des enfants ; favoriser les actions destinées à promouvoir la place des femmes dans la vie sociale japonaise.
Ce faisant, la collaboration du Japon avec les organes de l’ONU dédiés à la Femme s’est renforcée, se traduisant notamment par l’ouverture à Tokyo prévue pour 2015 d’un Bureau de l’ONU-FEMMES et la participation plus active du Japon dans : la réaffirmation du rôle des femmes dans la prévention des conflits et la construction de la Paix ; l’augmentation des aides japonaises au profit des programmes onusiens pour promouvoir la sécurité humaine dans la cadre de l’agenda onusien de développement post-2015.
Des objectifs ambitieux
La constance du Japon dans ce qui constitue désormais comme une priorité nationale en faveur du rôle accru de la femme comme devant être au cœur de la politique de croissance japonaise, est remarquable.
Ce qui récemment se présentait comme une politique volontariste de croissance qualifiée sous la formule de « Abenomics », du nom du Premier ministre Shinzo Abe, devenu le chantre de la renaissance japonaise, se confirme dès 2012, s’agissant spécifiquement de la Femme, dans son caractère mobilisateur.
Ainsi se sont formulé, en parallèle des « Abenomics », les « Womenomics » !
L’hypothèse pessimiste de départ est que la population active du Japon, au rythme actuel du vieillissement et de la dénatalité que connaît le pays, pourrait descendre jusqu’à seulement 50 millions d’actifs en 2050.
De quoi inquiéter effectivement…
Un changement des mentalités devenait donc nécessaire.
Ainsi les « Womenomics » visent à faire en sorte, selon les propres termes du Premier ministre japonais, Shinzo Abe, que « les vraies réformes n’aboutiront que si plus de femmes se hissent en tête de leurs organisations ».
Ceci a amené à une série d’initiatives gouvernementales, notamment par l’adoption par le Parlement d’une loi fin août 2015 tendant : à ce que la vie des femmes au travail soit facilitée (augmentation du nombre de crèches, aménagement du temps de travail, incitation des pères à prendre un congé paternité) ; au réaménagement de la fiscalité pénalisante pour les couples dont les deux membres travaillent ; à imposer aux entreprises de plus de 300 employés un cadre d’action contraignant pour promouvoir le recrutement des femmes et leur nomination à des postes de direction, ce avec suivi des résultats.
Mais comme il ne saurait y avoir changement des mentalités sans qu’il concerne aussi la sphère politique, le ton est donné avec en particulier un nombre croissant de femmes accédant à de hautes fonctions publiques, dont actuellement la ministre de la Défense ou la gouverneure de Tokyo sont des exemples emblématiques.
A cela s’ajoute qu’une politique nataliste se met en œuvre, la faible natalité au Japon devenant inquiétante, celle-ci plafonnant actuellement à une moyenne de 1,4 enfant par femme.
Or, le gouvernement japonais met en avant le constat encourageant selon lequel l’indice de fécondité tend à augmenter avec le taux d’activité des femmes, ce qui incite à une accentuation de la politique actuelle de promotion du rôle des femmes …
Fait également partie de cet ensemble de mesures incitatives la décision gouvernementale toute récente incitant les entreprises à aménager des temps de relaxation et de détente à leurs employés actuellement soumis à trop de pression au travail (moyenne hebdomadaire de 50 heures, voire 60 heures, provoquant souvent « burnout » et autres pathologies…). En fait partie le « vendredi magnifique », au moins une fois toutes les trois semaines, se traduisant par un raccourcissement de l’horaire de sortie dès le début de l’après-midi…
A tous ces égards, les objectifs à atteindre pour 2018 donnent à nourrir l’optimisme quant à de meilleures conditions de travail pour tous, et spécialement pour les femmes.
Ainsi est-il prévu que :
. le P.I.B augmentera de 9% si les femmes travaillent autant que les hommes ;
. 400.000 places de crèches supplémentaires seront créées par rapport à 2013 ;
Et pour couronner le tout, l’objectif pour 2020 est qu’au moins 30% des postes à responsabilité soient occupés par des femmes.
Le Japon deviendrait-il alors, à brève échéance, un pays modèle pouvant dépasser les pays nordiques en ce qui concerne le rôle des femmes ?
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations
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* La photographie de la plongeuse de Hekura, la carte situant l’île de Hekura et la reproduction de la peinture de Utamaro Kitagawa sont tirées de l’excellent ouvrage de Fosco Marraini « L’incanto delle Donne del Mare », Fotografie. Giappone 1954. Città di Lugano, Museo delle Culture, Esovisioni 1, Gamm Giunti.
* POSTSCRIPTUM:
Nous sommes le 8 juillet 2022. On apprend avec stupeur l’assassinat, ce matin au Japon à Nara lors d’un meeting politique dans le cadre des élections sénatoriales japonaises, de l’ancien Premier Ministre Shinzo Abe, celui-là même qui est le père des « Abenomics » – série de mesures socio-économiques visant la « renaissance japonaise » – et des « Womenomics » – série de mesures visant à régénérer la société japonaise grâce à la promotion des femmes – . Un « grand » de la vie politique japonaise et un homme qui incontestablement avait un rayonnement international.
Labodiplo entend ici lui rendre hommage en lui dédiant l’article ci-dessus.