LE JAPON A L’HEURE DE LA FEMME

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« Comme un poisson dans l’eau » (JPRA)


                                            LE JAPON A L’HEURE DE LA FEMME

L’image écornée d’une société japonaise moderne où la femme est brimée est-elle à ranger dans les oubliettes ?

Pour mémoire, rappelons tout de même que le Pays du Soleil Levant n’avait pas hésité à son origine à confier aux femmes, aux confins des VIIème et VIIIème siècles, sa destinée puisque à plusieurs reprises celles-ci occupaient les plus hautes incarnations dans le panthéon divinatoire et identitaire, soulignant ainsi le rôle déterminant de la gente féminine dans la nécessaire légitimation d’une nation qui entendait affirmer sa spécificité par rapport à la Chine et à la Corée.

A commencer, tout d’abord et bien avant ces périodes, par la Déesse Amaterasu, créatrice mythique de la nation nippone et matrice légendaire de l’institution des Tennô (empereurs), pour se poursuivre notamment au Vème siècle par l’impératrice Jingû et d’autres impératrices et autres figures divinatoires référentielles.

Et puis, entre autres caractéristiques traditionnelles propres à une nation diverse, cette diversité étant source de dynamisme réel, en l’occurrence ici dû aux femmes, on ne peut qu’être fasciné devant les prouesses de ces femmes-pêcheuses, les « Kai-Jo » (« femmes de la mer ») qui font partie de ce peuplement, aujourd’hui encore bien actif, des Ama répartis le long des côtes japonaises de l’île principale du Honshu et de l’île méridionale du Kyushu.

  • * Dès ici, à ce stade de notre article qui prend en compte l’actualité brûlante de ce vendredi 8 juillet 2022, nous vous invitons à vous reporter au Postscriptum en fin d’article au sujet de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe.

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KAI-JO (Essai de calligraphie – JPRA -)


Parmi ces femmes, rendons un hommage particulier à celles de l’île de Hekura.

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Elles plongent hardiment en apnée avec un courage et une technique de pêche éprouvés à faire pâlir les hommes, et d’ailleurs ces derniers n’ont qu’admiration à leur égard et, de juste, les meilleurs artistes japonais comme Hokusaï, Hiroshige, Kitagawa et bien d’autres, ont sublimé ces femmes pourvoyeuses des meilleurs produits de la mer, coquillages, crustacés, algues, poissons rares, au grand bonheur d’une population qui aujourd’hui encore et bien entendu demain, se régale et se régalera toujours de ce que la gastronomie japonaise est seule capable, à partir de ces produits de la pêche, d’offrir aux palais les plus exigeants.

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Peinture de Utamaro Kitagawa – Partie de pêche à Awabi


Aujourd’hui, ces racines traditionnelles se rappellent-t-elles opportunément aux dirigeants de la seconde plus puissante économie mondiale (en 2017) consciente du vieillissement de sa population et, par conséquent, de la perte de dynamisme de ses ressorts vitaux ?

Une réalité comparative qui interpelle mais motive

En 2015 :

. 74,5% des Japonaises de la tranche d’âge de 25 à 54 ans, celle donc dans la force de l’âge pour travailler, travaillent réellement, ce contre 83,5% des Françaises et 83,8% des Danoises ;

. parmi ces 74,5% de Japonaises, seules 11% sont cadres dans des entreprises privées ou des administrations publiques, alors que la proportion est de 30% en Europe et de 40% aux Etats-Unis ;

. par contre, 59% des femmes japonaises de la génération des 25-35 ans ont un diplôme universitaire.

Ces quelques chiffres, qui confirment le rang médiocre du Japon, classé 104ème sur un total de 142 pays observés par le « Global gender gap report » de la « World Economic Forum » de 2014, parlent d’eux-mêmes.

Ce qui n’a fait que contribuer à faire réagir vigoureusement le gouvernement japonais du Premier ministre Shinzo Abe qui, en particulier déjà en septembre 2014 avait fait tenir à Tokyo un « Symposium international visant à la réalisation d’une société où brillent les femmes », auquel participèrent tout ce que le Japon et le monde comptaient de hauts dirigeants – principalement femmes ! – soucieux de lancer des plans d’actions aux niveaux national et international !

Occasion pour le Japon, faisant écho au discours de Madame Lagarde, directrice générale du FMI, qui prônait « l’autonomisation des femmes comme moteur économique », d’exposer son propre plan axé sur trois leviers : soutien aux initiatives en faveur de la promotion professionnelle des femmes ; programme d’aides pour concilier travail et éducation des enfants ; favoriser les actions destinées à promouvoir la place des femmes dans la vie sociale japonaise.

Ce faisant, la collaboration du Japon avec les organes de l’ONU dédiés à la Femme s’est renforcée, se traduisant notamment par l’ouverture à Tokyo prévue pour 2015 d’un Bureau de l’ONU-FEMMES et la participation plus active du Japon dans : la réaffirmation du rôle des femmes dans la prévention des conflits et la construction de la Paix ; l’augmentation des aides japonaises au profit des programmes onusiens pour promouvoir la sécurité humaine dans la cadre de l’agenda onusien de développement post-2015.

Des objectifs ambitieux

La constance du Japon dans ce qui constitue désormais comme une priorité nationale en faveur du rôle accru de la femme comme devant être au cœur de la politique de croissance japonaise, est remarquable.

Ce qui récemment se présentait comme une politique volontariste de croissance qualifiée sous la formule de « Abenomics », du nom du Premier ministre Shinzo Abe, devenu le chantre de la renaissance japonaise, se confirme dès 2012, s’agissant spécifiquement de la Femme, dans son caractère mobilisateur.

Ainsi se sont formulé, en parallèle des « Abenomics », les « Womenomics » !

L’hypothèse pessimiste de départ est que la population active du Japon, au rythme actuel du vieillissement et de la dénatalité que connaît le pays, pourrait descendre jusqu’à seulement 50 millions d’actifs en 2050.

De quoi inquiéter effectivement…

Un changement des mentalités devenait donc nécessaire.

Ainsi les « Womenomics » visent à faire en sorte, selon les propres termes du Premier ministre japonais, Shinzo Abe, que « les vraies réformes n’aboutiront que si plus de femmes se hissent en tête de leurs organisations ».

Ceci a amené à une série d’initiatives gouvernementales, notamment par l’adoption par le Parlement d’une loi fin août 2015 tendant : à ce que la vie des femmes au travail soit facilitée (augmentation du nombre de crèches, aménagement du temps de travail, incitation des pères à prendre un congé paternité) ; au réaménagement de la fiscalité pénalisante pour les couples dont les deux membres travaillent ; à imposer aux entreprises de plus de 300 employés un cadre d’action contraignant pour promouvoir le recrutement des femmes et leur nomination à des postes de direction, ce avec suivi des résultats.

Mais comme il ne saurait y avoir changement des mentalités sans qu’il concerne aussi la sphère politique, le ton est donné avec en particulier un nombre croissant de femmes accédant à de hautes fonctions publiques, dont actuellement la ministre de la Défense ou la gouverneure de Tokyo sont des exemples emblématiques.

A cela s’ajoute qu’une politique nataliste se met en œuvre, la faible natalité au Japon devenant inquiétante, celle-ci plafonnant actuellement à une moyenne de 1,4 enfant par femme.

Or, le gouvernement japonais met en avant le constat encourageant selon lequel l’indice de fécondité tend à augmenter avec le taux d’activité des femmes, ce qui incite à une accentuation de la politique actuelle de promotion du rôle des femmes …

Fait également partie de cet ensemble de mesures incitatives la décision gouvernementale toute récente incitant les entreprises à aménager des temps de relaxation et de détente à leurs employés actuellement soumis à trop de pression au travail (moyenne hebdomadaire de 50 heures, voire 60 heures, provoquant souvent « burnout » et autres pathologies…). En fait partie le « vendredi magnifique », au moins une fois toutes les trois semaines, se traduisant par un raccourcissement de l’horaire de sortie dès le début de l’après-midi…

A tous ces égards, les objectifs à atteindre pour 2018 donnent à nourrir l’optimisme quant à de meilleures conditions de travail pour tous, et spécialement pour les femmes.

Ainsi est-il prévu que :

. le P.I.B augmentera de 9% si les femmes travaillent autant que les hommes ;

. 400.000 places de crèches supplémentaires seront créées par rapport à 2013 ;

Et pour couronner le tout, l’objectif pour 2020 est qu’au moins 30% des postes à responsabilité soient occupés par des femmes.

Le Japon deviendrait-il alors, à brève échéance, un pays modèle pouvant dépasser les pays nordiques en ce qui concerne le rôle des femmes ?

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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* La photographie de la plongeuse de Hekura, la carte situant l’île de Hekura et la reproduction de la peinture de Utamaro Kitagawa sont tirées de l’excellent ouvrage de Fosco Marraini « L’incanto delle Donne del Mare », Fotografie. Giappone 1954. Città di Lugano, Museo delle Culture, Esovisioni 1, Gamm Giunti.

 * POSTSCRIPTUM:

Nous sommes le 8 juillet 2022. On apprend avec stupeur l’assassinat, ce matin au Japon à Nara lors d’un meeting politique dans le cadre des élections sénatoriales japonaises, de l’ancien Premier Ministre Shinzo Abe, celui-là même qui est le père des « Abenomics » – série de mesures socio-économiques visant la « renaissance japonaise » – et des « Womenomics » – série de mesures visant à régénérer la société japonaise grâce à la promotion des femmes – . Un « grand » de la vie politique japonaise et un homme qui incontestablement avait un rayonnement international.

Labodiplo entend ici lui rendre hommage en lui dédiant l’article ci-dessus.

LES INTERMINABLES ET DISPENDIEUSES NEGOCIATIONS FRANCO-MALGACHES DE 1886

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« Floraison d’été » (JPRA)


                    LES INTERMINABLES ET DISPENDIEUSES NEGOCIATIONS

                                                 FRANCO-MALAGASY DE 1886

Le traité du 17 décembre 1885 (voir sur ce même blog l’article « Le traité du 17 décembre 1885 établit un protectorat de fait à Madagascar » daté du 7 février 2017) marque incontestablement le début de la fin de la souveraineté malgache avec un protectorat qui ne veut pas dire son nom, uniquement pour ménager quelque peu la fierté nationale.

Trois mois auparavant, il s’en était fallu de peu pour que les navires français détruisent tout et vainquent du seul fait de leurs canons l’armée royale malagasy qui, fort heureusement s’était reprise malgré ses deux mille tués, et faisait subir aux Français débarqués imprudemment à Farafaty des pertes obligeant ceux-ci à reculer.

L’honneur malagasy était-il sauf ?

Cette victoire relative permettait surtout un répit qui mettait en selle la diplomatie.

Mais, on l’a vu précédemment (voir l’article ci-dessus référencé), le rapport des forces en présence jouait incontestablement en faveur des Français, et la présence en force des Anglais en appui aux Malagasy ne fera nullement pencher la balance de leur côté.

Au contraire, jamais la France de Jules Ferry n’aurait pu rêver position plus avantageuse pour son dessein colonial.

Mais, dans son orgueil et obstination maladifs, sources d’erreurs d’appréciation et d’actions, le Premier ministre malagasy, Rainilaiarivony, préfère donner à s’illusionner à la Reine Ranavalona III (âgée seulement de 24 ans !)  et aux Malagasy sur la supposée sauvegarde de leur souveraineté, ceux-ci étant savamment entretenus – mais, surtout muselés –  dans l’ignorance totale de la réalité de la situation…laquelle s’aggrave de jour en jour.

Ceci amène en particulier Rainilaiarivony, malgré le scepticisme réitéré de la reine elle-même et celui de la noblesse de plus en plus révolté devant les frasques du Premier ministre et de sa famille, à multiplier vainement les négociations avec la France, qu’il savait pourtant perdues d’avance et surtout inutilement fort dispendieuses…

Or, la réalité était que désormais Madagascar était placée sous protectorat de fait de la France et, formellement du point de vue du droit des gens (appellation du droit international de l’époque), n’avait donc plus la maîtrise de sa diplomatie et, par conséquent, ne pouvait plus de jure se targuer de pouvoir envoyer à l’extérieur des ambassades ni des ambassadeurs à proprement parler (la dernière ambassade du genre étant donc bien celle de 1882).

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DU PROTECTORAT DE FAIT

Avant d’évoquer ces « négociations », et sans revenir sur les indications que nous donnions précédemment sur le plan géopolitique, afin de fixer l’esprit de tout un chacun rappelons tout d’abord les dispositions pertinentes de ce traité du 17 décembre 1885.

Celles-ci sont, en effet, sans ambiguïté quant à la perte de souveraineté internationale de Madagascar, qui eût pu lui permettre de continuer à envoyer des ambassades et des ambassadeurs à l’extérieur comme auparavant.

Article 1er – Le gouvernement de la République (française) représentera Madagascar dans toutes ses relations extérieures… ;

Article 2 – Un résident, représentant le gouvernement de la République, présidera aux relations extérieures de Madagascar, sans s’immiscer dans l’administration intérieure des Etats de sa Majesté la reine ;

(…)

Article 5 – Les Français seront régis par la loi française pour la répression de tous les crimes et délits commis à Madagascar ;

(…)

Article 8 – Le gouvernement de la reine s’engage à payer la somme de dix millions de francs, applicable tant au règlement des réclamations françaises liquidées antérieurement au conflit survenu entre les deux parties qu’à la réparation  de tous les dommages causés aux particuliers étrangers par le fait du conflit. L’examen et le règlement de ces indemnités sont dévolus au gouvernement français ;

Article 9 – Jusqu’au parfait paiement de ladite somme de dix millions, Tamatave sera occupé par les troupes françaises ;

(…)

Article 14 – Le gouvernement de la République, afin de seconder la marche du gouvernement et du peuple malgaches dans la voie de la civilisation et du progrès, s’engage à mettre à la disposition de la reine les instructeurs militaires, les ingénieurs, les professeurs et chefs d’atelier qui lui sont demandés ;

Article 15 – Le gouvernement de la République se réserve le droit d’occuper la Baie de Diego-Suarez et d’y faire des installations à sa convenance…

LES ESCARMOUCHES DIPLOMATIQUES…

Signe que même du côté malagasy la maîtrise des négociations ayant abouti à ce traité scélérat échappait au Premier ministre Rainilaiarivony et à son gouvernement, il est nommément signé côté malagasy de « Digby willoughby, commandant les troupes malgaches pour Madagascar » !…

Au surplus, il est un fait établi que le Premier ministre prit soin de cacher à la jeune et candide reine, aux nobles sourcilleux et à la population tenue dans la torpeur, la dureté des dispositions de l’article 8 du traité, comme il pensait aussi pouvoir « rouler » le nouveau résident, Le Myre de Vilers auquel il avait d’ailleurs réservé en mai 1886 un accueil des plus méprisant.

Pour Rainilaiarivony en effet il avait accepté les termes du traité de décembre 1885 par pure tactique, pensant que comme à son habitude il allait pouvoir amadouer les Français au moment de son application, en particulier s’agissant de la maîtrise de la diplomatie malagasy…

Or, là autour de la conjugaison de  ces trois questions se trouve le nœud de la problématique franco-malagasy.

Le nœud gordien !

De fait, au moment où Le Myre de Vilers débarquait à Tamatave et s’apprêtait à monter sur Antananarivo en avril 1886 pour assurer l’application pleine et entière du traité franco-malagasy de décembre 1885, auparavant Rainilaiarivony avait cru judicieux de convaincre « sa » reine de munir le général sud-africain Willoughby, l’homme de confiance du Premier ministre malagasy, d’une lettre accréditive faisant de lui un « ambassadeur » avec mission d’ouvrir…des ambassades malagasy permanentes à Londres et ailleurs !…

Mais, ni Londres, ni Paris n’avaient considéré l’ »ambassadeur » de sa Majesté la Reine Ranavalona III, ni sa mission, dignes de considération, et celui-ci ne fut reçut par aucune des hautes autorités des deux grandes capitales européennes…sauf, semble-t-il, à Rome par le Roi Umberto 1er d’Italie et à Berlin par le prince héritier de la Prusse, mais sans aucun résultat.

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« Feuillages » (JPRA)


Ce flop diplomatique retentissant en serait resté là, si ce n’est que malheureusement pour les finances royales malagasy Willoughby profita de ses longs séjours européens de plus de huit mois pour dépenser sans compter l’argent à lui confié par un Rainilaiarivony furieux et vengeur. Ce sera source des grosses difficultés du général sud-africain à son retour à Madagascar, qui causera son élimination de la scène publique malagasy deux ans plus tard…

Non content d’un tel échec, Rainilaiarivony fait également jouer avec l’arrogance qu’on lui connaît sa progéniture dans cette délicate relationnelle franco-malagasy, en particulier ses deux fêtards de fils, Rajoelina et Mariavelo, qui très vite vont jouer leur mauvaise partition…

Voici le 14 juillet 1886, l’occasion privilégiée pour le Résident français, Le Myre de Vilers, de démontrer à tous la splendeur et la puissance de la France, notamment autour d’une cérémonie militaire au cours de laquelle l’armée française défile dans les rues d’Antananarivo dans le quartier d’Andohalo.

Alors que Rainilaiarivony venait d’honorer de sa présence la cérémonie suivie le soir d’une réception à la résidence du Résident français, Mariavelo surgit pour semer le trouble….obligeant le Premier ministre, face au scandale, à présenter ses excuses à contre-cœur.

Mais, cet incident traduit bien la tension régnant autour de l’application du traité de décembre 1885, ce malgré que le fringant quinquagénaire Le Myre de Vilers, aidé par le talentueux capitaine Cazeneuve, réussit à attirer, au détriment d’un Rainilaiarivony viscéralement jaloux et vieillissant, les faveurs de la jeune Reine Ranavalona III à qui de somptueux cadeaux sont offerts par le Résident français au nom du Président de la République française et du gouvernement de la France.

Cette sorte de connivence personnelle de la reine avec le Résident français, de même que les récriminations de la noblesse, dont les membres sont rassemblés au sein du collège des grands officiers du Palais, ne sont pas sans influence sur la volonté désormais franchement affichée de Rainilaiarivony de renier la signature, par son représentant, du traité du 17 décembre 1885.

Car, pour la postérité il ressent plus que jamais le besoin de donner des gages de rempart du royaume et de se forger l’image d’un défenseur intransigeant de la nation malagasy.

Après les échecs diplomatiques retentissants du général Willoughby, revoici donc Mariavelo, le fils préféré de Rainilaiarivony, de nouveau en selle !

Mi-décembre 1886 Mariavelo Rainilaiarivony est mis à la tête d’une « ambassade » de douze autres officiers du Palais, parmi lesquels Rasanjy et Rabibisoa, ceux-là même qui avaient, fort de leurs compétences conjuguées, fait partie de l’ambassade royale de 1882.

Sa mission : réussir, là où Willoughby avait échoué plusieurs mois auparavant !

Parallèlement et pour donner des gages de sa bonne volonté envers la France dans l’application des dispositions du traité de décembre 1885 (cf. articles 8 et 9), autant que pour aider à la réussite de la mission de son fils en France, le Premier ministre Rainilaiarivony emprunte la somme convenue de dix millions de francs…au Comptoir Français d’Escompte à un taux de 6%, ne craignant pas d’accentuer ainsi la dépendance de Madagascar à la France !

Mais peu importe à Rainilaiarivony, la dette envers la France stipulée par le traité de 1885 s’éteint ainsi, …même au prix d’un nouvel endettement et d’une dépendance à la France, car de cette façon dans l’immédiat il offre à son fils les meilleures conditions financières pour sa réussite diplomatique espérée…

Mais, bien sûr, il s’illusionne…

LES FRASQUES DU SOI DISANT « AMBASSADEUR » MARIAVELO…

L’ « ambassadeur » Mariavelo saura-t-il profiter de telles conditions favorables réservées par son papa d Premier ministre ?

Hélas, non ! – dirions-nous plutôt: bien sûr que non…! -.

Certes, malgré que Madagascar soit sous tutelle française (cf. en particulier articles 1er et 2 du traité de 1885), la privant de la maîtrise de sa politique étrangère, Mariavelo est tout de même reçu au Palais de l’Elysée par le Président Jules Grévy ! Cependant, il y est reçu non pas en qualité d’Ambassadeur mais en celle d’Envoyé personnel du Premier ministre malagasy et accessoirement de la Reine, la nuance diplomatique étant de taille !

Son père Rainilaiarivony n’a que faire d’une telle subtilité diplomatique et langagière, il ne se sent plus, et de grande fierté décide de fêter immédiatement au Palais royal de Manjakamiadana ce qu’il considère comme un évènement sans précédent. Pour le fait, Mariavelo est même promu XVI Honneurs !…le grade le plus élevé dans la nomenklatura de l’époque, correspondant à Maréchal supérieur…

Mais, personne n’est dupe, ni à Paris ni au Palais à Antananarivo, où d’ailleurs les nobles n’ont de cesse de nourrir leur mépris pour un Mariavelo qui, en réalité à Paris se comportait comme l’avait fait auparavant Willoughby, à fréquenter durant les quatre mois de son séjour la vie frivole parisienne et à dilapider l’argent provenant de l’emprunt contracté quelque temps auparavant par son père auprès du Comptoir Français d’Escompte…

A Londres où Mariavelo avait séjourné également, son comportement ne fut pas mieux.

Car de bien entendu sur le plan strictement diplomatique, la mission de Mariavelo est un échec aussi retentissant que celle de Willoughby…sauf qu’il avait la bonne idée, en obéissance des instructions de son père, de rapporter à la Reine Ranavalona III de belles parures, de beaux vêtements et de belles choses achetés à Paris, et qui flattaient incontestablement les goûts raffinés de la coquette et jeune souveraine dont la beauté continue de séduire le Résident français, Le Myre de Vilers.

En 1887-88, si les relations du Résident français, et par conséquent celles de la France, avec la reine malagasy sont au beau fixe, il n’en est pas de même de celles avec le Premier ministre Rainilaiarivony.

Pour preuve, celles, exécrables nées de la question des exequaturs accordés aux consuls étrangers établis à Madagascar. Rappelons à nouveau que le traité de 1885 ôte au gouvernement malagasy la maîtrise de ses affaires étrangères, ce qui concrètement non seulement le prive d’envoyer des ambassadeurs en titre à l’extérieur, mais aussi sur son sol d’accorder ces exequaturs, permettant aux consuls d’exercer les prérogatives reconnues internationalement et en vertu du traité de 1885.

Le différend franco-malagasy atteint un point de rupture, car Rainilaiarivony décide de ne rien céder même si Madagascar s’est engagée en vertu du traité de 1885 à confier à la France la tutelle de ses relations avec l’extérieur. Mais finalement, craignant l’isolement puisque la Reine semble acquise aux vues du Résident français, il cède…

Et, chose ahurissante, il limoge celui qui fait figure de Ministre des Affaires étrangères en titre, Ravoninahitriniarivo !

Un vrai bouc émissaire que ce dernier ?

Pas si sûr, car ce dernier serait un conspirateur…à la solde des Anglais.

Ce qui fait que, pour le coup, le Résident français appuie circonstanciellement Rainilaiarivony dans ce qui se présente comme un complot – un de plus – ourdi par certains hauts personnages du Palais fatigués par les frasques du Premier ministre et de sa famille.

De son côté, la Reine Ranavalona III se lasse de toutes ces intrigues, elle est inquiète et dépitée.

En décembre 1887 elle décide donc de prendre l’air et part en pèlerinage à Tsinjoarivo, une cité de villégiature située à quelque centaine de kilomètres de sa capitale et créée par sa lointaine parente, la reine Ranavalona Ière.

Tandis que le navire Madagascar, lui, vogue désormais en eaux troubles vers l’inconnu dans la poigne de fer d’un Rainilaiarivony plus borné que jamais…

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations

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UN AMERICAIN, EPHEMERE MINISTRE DU ROI RADAMA II

Paravent vitrail 2

« Diversity » – Maquette de vitrail – (Jipiera ou JPRA) – Reproduction interdite –


                       UN AMERICAIN, EPHEMERE MINISTRE DU ROI RADAMA II

Avec le Roi Radama II, monté sur le trône en août 1861, Madagascar la Grande Ile était entrée dans une période de respiration nouvelle après les affres du long règne de sa mère, la Reine Ranavalona 1ère (voir sur ce même site l’article « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar, 4ème et 5ème parties », datés du 10 oct. 2013  et du 12 oct. 2013).

Une nouvelle gouvernance, entendant s’ouvrir sur un horizon d’ouverture, se met en place (voir sur ce même site l’article « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar, 6ème partie, daté du 13 octobre 2013).

Et dans le nouveau paysage relationnel malgache de l’époque à l’international un nouveau venu, qui s’ajoute à l’Angleterre et à la France,  fait une entrée remarquée : les Etats-Unis !

Le contexte local

Cela se traduit donc rapidement au niveau des institutions politiques, tout particulièrement celles destinées à doter Madagascar des rouages et instruments devant la doter d’un dispositif au service d’une politique étrangère ambitieuse voulue par le Roi (voir aussi sur ce même site l’article « Lambert, ambassadeur itinérant de sa Majesté le Roi Radama II » daté du 6 décembre 2014).

Le modèle institutionnel du souverain décidant seul (cas de Andrianampoinimerina et de Radama 1er), ensuite aidé uniquement d’une sorte de conseil gouvernemental à la tête duquel était placé en position dominante une sorte de maire du Palais (cas en particulier de Rainiharo sous Ranavalona 1ère), était révolu.

Désormais, Radama II entendait ériger un véritable Gouvernement sur le modèle européen, c’est-à-dire composé de départements ministériels déterminés.

Mais, ses intentions étaient mal définies et plutôt que de mettre en place un tel dispositif de toute pièce en un temps T, il se laissait guider par ses faiblesses organisationnelles et par ses douteuses amitiés avec la phalange des « Menamaso », ses compagnons de lutte et de joyeusetés fêtardes. Parmi les « Menamaso » il faut cependant reconnaître qu’il y avait d’authentiques hommes de progrès, certains emplis d’humanité, d’autres capables de prouesses innovantes en matière technique, comme par exemple la construction de la première locomotive à Madagascar ou la construction de ponts.

Néanmoins, dès son accession au trône en août 1861 (son couronnement étant fixé en septembre 1862 pour respecter l’année de deuil national après le décès de Ranavalona 1ère) Radama II eut la clairvoyance de nommer deux personnalités de premier rang : Rainivoninahitriniony comme « Commandant en chef », confiant à ce dernier la barre gouvernementale ; et à la tête du département des Affaires étrangères, Rahaniraka, sous le titre de « Principal Secretary of State for Foreign affairs ».

La réalité est que personne, y compris le roi lui-même, tout le monde étant encore sous la lourde chape psychologique du long règne précédent, n’a le poids suffisant face aux intrigues de l’oligarchie toujours omnipotente pour s’imposer, et chacun feint donc l’autorité derrière l’éclat des « Voninahitra » ( « honneurs ») reçus ou octroyés. Les « Voninahitra » étant peu ou prou l’équivalent malgache de la Légion d’Honneur française…

Pour mieux asseoir et son autorité et la machine gouvernementale face aux luttes internes que se livraient les titulaires des plus hauts grades dans la hiérarchie des « Voninahitra » (ceux-ci étaient regroupés au sein d’une sorte de Conseil du Roi), mais aussi pour conjurer toute velléité conspiratrice, en mai 1862 Radama II eut alors l’idée de doter chaque département ministériel d’un collège de trois ministres, l’un recruté au sein de la famille dominante de Rainivoninahitriniony (les « Andafiavaratra », clan des Tsimiamboholahy d’Ilafy), l’autre au sein du vieux parti des « Tsimahafotsy » d’Ambohimanga, et le troisième au sein du « parti du progrès » (c’est-à-dire parmi les « Menamaso », groupe  composé pour l’essentiel de gens du sud de l’Imerina, par opposition à ceux du nord représentés par les deux parties citées précédemment).

Dans la foulée, il promut Rainivoninahitriniony en le nommant Premier ministre en titre, et le frère puîné de ce dernier, le bientôt fameux Rainilaiarivony, Commandant en chef et Ministre de la Guerre.

Par ce subtil mais bien fragile équilibre, le Roi Radama II espérait régler la question de la stabilité de son gouvernement.

   Le département des Affaires étrangères

Le rôle grandissant du francophile Rainilaiarivony dépassait le cadre de ses attributions ministérielles puisqu’il fut actif dans la négociation même des deux traités, l’un franco-malgache du 12 septembre 1862, et l’autre, anglo-malgache du 5 décembre 1862, et qu’il y apposa sa propre signature avec celles des parties au bas de ces traités.

Ceci étant, le rôle joué par le Ministre en titre des Affaires étrangères, Rahaniraka, ne s’en trouva nullement affaibli.

Toutes les correspondances officielles passaient par lui et il engageait avec autorité et confiance auprès des puissances étrangères, comme il se doit, par sa parole et par ses écrits la position du roi et de son gouvernement. Lui-même jouissait d’une haute personnalité, due à son origine princière mais aussi à sa haute éducation acquise en Angleterre.

Rahaniraka, le Lettré formé comme son frère jumeau Raombana aux humanités à Londres durant le règne de Radama 1er, « The Right Honorable Ra-haniraka 15 honor Officer of the Palace, Principal Secretary of State for Foreign Affairs », était d’ailleurs jaloux de ses hautes prérogatives et ses positions anglophiles le mettaient quelque fois en opposition avec Rainilaiarivony, mais jamais le roi lui-même ne se mit en travers des vues de Rahaniraka.

Il dut cependant rapidement se soumettre à la règle du triumvirat ministériel.

En particulier, à ses dépens Rahaniraka fut en effet un court temps secondé et « surveillé » par un nommé Ravanomanana, un personnage issu du clan du Premier ministre, mais par sa seule autorité Rahaniraka l’élimina, et il en fut de même d’autres impétrants, ce jusqu’à son décès le 17 novembre 1862…

La mémoire de Rahaniraka continua tant à s’imposer au Roi Radama II que celui-ci nomma Ramaniraka, le fils du défunt,  Principal Secretary of State for Foreign Affairs, ce dans la même qualité. Mais, cette fois-ci furent fermement imposés au nouveau ministre deux autres ministres nouvellement nommés par le roi lui-même : d’une part, Clément Laborde (fils métis du Consul Jean Laborde), tout spécialement chargé des affaires françaises ; d’autre part, dans un premier temps Raharolahy, puis finalement un mois après, Razanakombana, propre neveu de Rahaniraka et donc cousin du ministre principal des affaires étrangères…

De tels changements provoqua chez les Anglais, par la voix du Consul Pakenham, et au Foreign Office à Londres, une très vive réaction, y voyant de mauvaises manières puisqu’un français, Clément Laborde, certes de mère malgache, était ainsi placé à une telle position d’incompatibilité au sein du département des affaires étrangères, Lambert étant par ailleurs ambassadeur itinérant du Roi et Jean Laborde consul de France !

L’entrée des Etats-Unis par la grande porte

Le Ministère français des affaires étrangères dut composer et Clément Laborde cessa ses fonctions…à la mort par assassinat du Roi Radama II le 11 mai 1863.

Mais entre temps, Radama II eut le temps de réagir et crut habile d’ajouter à l’organigramme du Département des affaires étrangères un quatrième ministre, ce en la personne cette fois-ci…d’un Américain.

Voici donc William Marks, citoyen américain !

C’est un personnage loin d’être un inconnu, mais il est surprenant de le voir à cette haute fonction ministérielle, même s’il est vrai que les Etats-Unis étaient à ce moment-là le nouveau venu dans la sphère diplomatique malgache de l’époque. On note à cet égard que dès le 20 septembre 1862 un certain Jules Xaver avait été nommé agent consulaire des Etats-Unis à Tamatave, acte annonciateur de l’ouverture prochaine d’un consulat à part entière.

On a vu dans notre livraison précédente (voir « réformateurs et modernisateurs de Madagascar, 6ème partie », daté du 13 octobre 2013) comment durant le règne de Ranavalona 1ère Marks se rendit indispensable, à Majunga, puis à Tamatave, au développement du commerce, notamment des esclaves, entre les états du sud des Etats-Unis et Madagascar, et par la suite entre l’Etat fédéral américain et Madagascar pour diverses denrées et autres ressources. De sorte qu’avec le français De Lastelle, Marks était l’un des deux hommes d’affaires attitrés de la reine malgache. A l’avènement de Radama II, il se précipita donc auprès du nouveau roi pour faire valoir ses services.

Le Roi Radama II retira à Ramaniraka la gestion des affaires anglaises- dirions-nous, les affaires « anglo-saxonnes » –  pour la confier à Marks ! Un curieux attelage se mit ainsi en place, car sans que Ramaniraka soit totalement dépossédé des affaires anglaises avec le puissant révérend Ellis à ses côtés, ne voilà-t-il pas que le paysage relationnel se complique quelque peu ?!

La réalité, c’est que le Roi comptait sur les capacités de Marks à s’attirer les bonnes grâces des riches commerçants indiens et arabes de la côte ouest avec lesquels l’homme d’affaires américain avait tissé de très solides ramifications commerciales et industrielles. Marks était également à la tête de toute une flottille capable de traverser les océans depuis Madagascar, en passant par l’Afrique et parvenir jusqu’en Amérique.

Tout ceci acheva de convaincre le roi Radama II, dans son incohérence, de nommer finalement Marks dans la qualité de « Principal Secretary of State for Foreign Affairs » avec le grade exceptionnel de 15 « Voninahitra » le 24 février 1863, c’est-à-dire le même que Ramaniraka !…

On voit à travers ces faits, et sous le prisme des affaires étrangères, combien désordonnée et mal ajustée était l’idée première du Roi Radama II de moderniser son gouvernement et de consolider son règne.

Mais, d’une part il fut prisonnier à la fois de ses zélateurs (les « Menamaso ») et de la pesante oligarchie aristo-roturière de laquelle il voulait se rendre indépendant, et d’autre part par son réel désir d’ouverture sur l’extérieur, tout cela le rendit perméable à des pressions venus de l’étranger, ajouté à tout cela son indétermination à suivre une ligne claire et solidement ancrée.

Le résultat, en dehors du complot dont il fera l’objet et sera l’ultime victime, est que Radama II s’est lui-même fait prendre dans son propre piège et s’y enfermer sans pouvoir se frayer une porte de sortie…

Très dommage pour ce personnage – Radama II – intéressant moralement, spirituellement et intellectuellement, mais au caractère insuffisamment trempé.

Et, surtout, très dommage pour Madagascar qui, une fois encore, manque le tournant de l’Histoire…pour s’engager sur des chemins cahoteux à la merci d’une classe politicienne qui se gargarise de ses propres suffisances, experte impénitente dans les délices des manoeuvres scabreuses et qui n’a – ou qui ne sait – que faire du bien-être du peuple.

Cette caractéristique, ainsi nourrie par l’histoire d’un pays riche en diversités diverses, se retrouve aujourd’hui avec une splendeur – c’est un euphémisme, bien entendu…! – décuplée par une pléthore d’acteurs tous aussi avides les uns que les autres devant les maigres butins d’une économie sous emprise…

Ainsi va et continue d’aller Madagascar…

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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LE TRAITE DU 17 DECEMBRE 1885 ETABLIT UN PROTECTORAT DE FAIT A MADAGASCAR

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« Souveraineté » (JPRA)


                         LE TRAITE DU 17 DECEMBRE 1885 ETABLIT A MADAGASCAR

                                                           UN PROTECTORAT DE FAIT

Les suffisances et simulacres de l' »homme fort » du royaume malgache, le Premier ministre Rainilaiarivony (le « Shogun » malgache), révèleront rapidement les failles béantes d’un régime déjà en bout de souffle dix ans avant même que Madagascar ne devienne formellement une colonie française.

En effet, Madagascar amorce une pente dangereuse dès le début des années 1870, et sans se rendre compte de la dangerosité de ses choix à l’international, l’omnipotent Premier ministre Rainilaiarivony va entraîner toute une nation vers sa perte (cf. sur ce même blog l’article « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », 8ème partie, daté du 14 octobre 2013, pour revenir sur le cheminement antérieur).

Comment en est-on arrivé là, immédiatement après que la dernière ambassade royale malgache de 1882 soit rentrée au pays (cf. l’article « La dernière ambassade royale itinérante malgache de 1882 » sur ce même blog, daté du 6 janvier 2015) ?

LE CONTEXTE NATIONAL ET INTERNATIONAL

En ce mois de mai 1883, Rainilaiarivony, soixante deux ans, l’« homme fort » du moment, entame son troisième « règne » à travers sa nouvelle épouse, la jeune et belle princesse Razafindrahety, faite Reine Ranavalona III.

Cet attelage juvénile lui permettra, pense-t-il, de consolider son pouvoir personnel, tenir le pays et affronter, dans un jeu triangulaire Madagascar-France-Angleterre, une situation militaro-diplomatique dramatique, duquel il faut sortir vainqueur ou, tout au moins, qu’il faut maîtriser.

Or, Madagascar est déjà prise en tenaille puisque les canons et le dispositif militaire français sont solidement installés à Majunga et à Nosy-Be à l’ouest, à Tamatave, à l’Ile Sainte-Marie et dans la Baie d’Antongil à l’est, et au Cap d’Ambre et dans la Baie de Diego-Suarez à l’extrême nord.

C’est bien un vaste territoire compris dans un triangle au-dessus du 16ème parallèle, ayant jadis fait l’objet de l’ultimatum de l’amiral Pierre, que la France soustrait au contrôle du gouvernement malgache.

Nonobstant, dans la capitale malgache on s’affaire, ce 13 juillet 1883, pour la montée sur le trône de la gracieuse Ranavalona III, petite-nièce de la défunte Ranavalona II.

La guerre larvée fait qu’à nouveau, profitant d’un relatif effacement anglais, la France s’impose d’une façon pesante à Madagascar. C’est que l’Angleterre est maintenant pleinement occupée dans la partie australe du continent africain à combattre les Etats Boers et à se positionner solidement pour l’exploitation des mines d’or et de diamant dont d’énormes gisements viennent d’être découverts.

D’ailleurs, cette Angleterre là a, à ce moment là, d’autant moins intérêt à gêner l’expansion française en Afrique – en l’occurrence à Madagascar – que la France s’est adjugée le contrôle du canal de Suez magistralement rendu praticable aux navires anglais par Ferdinand de Lesseps, ces navires servant en particulier les intérêts britanniques en Inde, devenue colonie britannique, la reine Victoria étant désormais bien installée dans son nouveau titre acquis dès 1877 d’ «  Impératrice des Indes ».

Ajouté à cela que, dans un souci d’équilibre et de partage équitable de l’Afrique les principales puissances coloniales s’acheminent vers un accord en bonne et due forme.

Tout ceci s’alimente en France d’une envolée colonialiste qui donne satisfaction à un nationalisme exacerbé par la perte en 1870 de l’Alsace-Lorraine. Mais, pour ne pas engager immédiatement et trop brutalement les hostilités avec Madagascar et, au contraire, donner sa chance à des initiatives tendant à affaiblir en interne le pouvoir absolu du Premier ministre malgache Rainilaiarivony, la France mise sur la jeune reine Ranavalona III et lui multiplie les marques d’attention.

Ainsi, le Président de la République française, Sadi Carnot, lui envoie un magnifique manteau de cérémonie brodé pour son prochain couronnement prévu pour le 22 novembre 1883, au surplus jour de son vingt-deuxième anniversaire.

Mais, Rainilaiarivony, qui veut montrer qu’il n’est pas dupe, entend faire son affaire personnelle des rapports France-Madagascar, résiste à la tentative de diktat français notifié par l’amiral Miot et le consul Baudais, et pense pouvoir profiter d’un apparent répit relationnel pour ouvrir de nouvelles négociations.

Miot et Patrimonio sont maintenant à la manoeuvre côté français, tandis que côté malgache Rainilaiarivony, soucieux d’impressionner les Français, s’adjoint les services du général anglais Digby Willoughby, par ailleurs nommé par lui commandant en chef des armées malgaches, et le renfort de son propre fils, Rainizanamanga.

DES NEGOCIATIONS ÂPRES

Les négociations sont âpres et durent plus d’un an avant d’aboutir à la signature d’un traité le 17 décembre 1885 qui, trois fois hélas !, traduit en termes très négatifs pour les Malgaches les effets de cette « realpolitik » qui constitue le mode opératoire de l’impérialisme colonial.

En effet, sans que le terme de « protectorat » soit utilisé, dans les faits à Madagascar la France est désormais placée dans la position d’une puissance tutélaire.

De fait, la France établit progressivement une sorte de « protection » sur Madagascar et, en particulier, obtient la cession de la Baie de Diego-Suarez dont la rade est faite base stratégique de première valeur pour le contrôle de l’Océan indien, et le paiement d’une substantielle indemnité de dix millions de francs en dédommagement de la confiscation par les autorités malgaches de biens nationaux français (à ne pas confondre avec le million de francs déjà réglé en contrepartie de la « spoliation » de l’héritage Laborde d’antan).

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Les négociateurs du traité de 1885 : au premier plan, de gauche à droite, Patrimonio, plénipotentiaire français; Rainilaiarivony, Premier ministre malgache, qui fait son affaire personnelle des difficiles négociations, l’amiral Miot, commandant en chef des forces expéditionnaires française; Rainizanamanga, fils du premier ministre malgache; Willoughby, commandant en chef des forces malgaches, un ancien officier supérieur des armées britanniques en Afrique du Sud, auquel Rainilaiarivony demanda d’instruire l’armée royale malgache. Photo tirée de l’ouvrage « Colline sacrée des souverains de Madagascar, le Rova d’Antananarivo », de Suzanne Razafy-Andriamihaingo, L’Harmattan, 1989 – Reproduction interdite -.


Madagascar n’a plus la maîtrise de sa politique étrangère ni d’une partie de ses compétences intérieures, et la forte imbrication des intérêts patrimoniaux, culturels, économiques et commerciaux fait que Madagascar est totalement insérée et enserrée dans le dispositif colonial français.

Avec la nation malgache, la reine Ranavalona III est plongée dans une immense peine, sa douleur étant intensifiée par la perte de sa propre mère trois jours après.

Le 14 mai 1886 arrive à Madagascar Le Myre de Vilers, le premier Résident général français à Madagascar, pour mettre en œuvre toutes ces dispositions. Cette imbrication d’intérêts est telle que le Comptoir National d’Escompte de Paris va jusqu’à prêter au gouvernement malgache le montant de l’indemnité prévue par le traité de 1885…Et, en prime, mais par compensation !, la reine Ranavalona III est élevée à la dignité de grand’croix de la Légion d’Honneur !

La France ne craint plus rien à Madagascar.

Car la concurrence anglaise a été réduite et est même devenue inexistante puisque par l’effet d’une convention coloniale du 5 août 1890 entre la France et l’Angleterre, cette dernière reconnaît sans équivoque le protectorat français sur Madagascar en échange de la reconnaissance par la France et par l’Allemagne du protectorat britannique sur Zanzibar.

Cette nouvelle posture française se traduit, le 14 juillet 1892, par l’inauguration par la reine Ranavalona III elle-même de la nouvelle Résidence du Représentant français à Madagascar, une belle et imposante bâtisse sise à Ambohitsorohitra construite par l’architecte Anthony Jully.

Devant tant d’abandons de souveraineté plus graves encore que ceux consentis en son temps par le roi Radama II, Rainilaiarivony, piqué au vif dans son orgueil personnel, mise sur la duplicité que ses aïeux et lui-même savaient pratiquer, et son attitude sournoise, accentuée par son vieillissement, l’incite à laisser se détériorer la situation politique, économique et sociale de son pays.

La France sent donc le moment venu de passer à la vitesse supérieure, c’est-à-dire imposer à Madagascar un régime de protectorat pur et dur qui ne cache plus son nom mais qui s’exercerait dans toute sa rigueur.

Un nouveau projet de traité est présenté au Premier ministre malgache.

Devant la réponse négative, logique et déterminée de Rainilaiarivony, le 27 octobre 1894 Le Myre de Vilers quitte la capitale malgache, cependant que les préparatifs guerriers français sont en cours.

Le 11 décembre 1894 la France notifie au gouvernement malgache l’état de guerre et dès le lendemain les navires français stationnés au large de Tamatave lance un ultimatum au gouverneur malgache, le fameux général Rainandriamampandry.

Celui-ci ne répond pas à l’ultimatum et se retranche sur les terres intérieures. L’attaque frontale ne viendra pas de ce côté-là du littoral malgache. Elle vient à l’ouest avec l’occupation de Majunga par les troupes françaises le 15 janvier 1895.

Ramasombazaha, le gouverneur de la région, se retranche lui aussi sur l’intérieur des terres, en choisissant Marovoay, située à l’embouchure du fleuve Bestiboka, comme place forte. De son côté, le Premier ministre Rainilaiarivony donne à la population entière le signal de la mobilisation générale pour une « guerre sainte » le 7 février 1895 et le fier drapeau rouge est hissé au sommet du palais royal « Manjakamiadana ».

Au total, l’armée royale aligne près de cinquante mille hommes, tandis que la force expéditionnaire française, équipée pour la mobilité sur le terrain et composée de troupes aguerries, compte quinze mille hommes.

Les opérations militaires, que nous relatons dans notre article « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar, 9ème partie » daté du 16 octobre 2013 sur ce même blog, font crier de rage et désespoir  la reine Ranavalona III en larmes : «c’en est fait, mon royaume est déchiré ! ».

En effet, les troupes françaises poussent résolument leur avantage sur un front qui s’effrite progressivement du côté des troupes royales malgaches et finissent par atteindre les faubourgs de la capitale royale, et c’est ainsi que dans le début d’après-midi du 30 septembre 1895, après que des obus aient  frappé de plein fouet les abords du palais royal « Manjakamiadana», la reine, la rage au cœur et la mort dans l’âme, finit par donner l’ordre de la reddition sans condition.

Il est 15h30 ce 30 septembre 1895, le pavillon royal est amené tandis que le drapeau blanc de la reddition le remplace.

Le 1er octobre 1895, le général Duchesne présente à la reine le traité imposant à Madagascar le protectorat tant recherché par la France.

Et bientôt, le parlement français adopte une loi proclamant « colonie française l’île de Madagascar avec les îles qui en dépendent ».

Une administration spéciale, dite de « Madagascar et dépendances » est ainsi mise en place localement.

Cet engrenage fatal est parachevé par deux actes majeurs successifs:

. le Général Gallieni, qui venait d’être nommé Résident Général de Madagascar, arrive dans la Grande Île le 16 septembre 1896;

. et le 27 février 1897, c’est nuitamment qu’est signifié à la Reine Ranavalona III sa déposition par un Général Gallieni dominateur qui, entre-temps, s’était fait nommer Gouverneur Général de Madagascar et Dépendances.

Nous relatons tout cela par ailleurs.

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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LES ETATS-UNIS D’AMERIQUE ET LA « DOCTRINE MONROE »

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« Rising stars » (JPRA)


                          LES ETATS-UNIS D’AMERIQUE ET LA « DOCTRINE MONROE »

Le repli des Etats-Unis sur eux-mêmes, qui s’accompagne d’une volonté délibérée de domination, n’est pas un phénomène nouveau.

Il a ses racines dans l’histoire même de la formation au début du XIXème siècle de cet Etat.

Certes, ce positionnement bicéphale avait été prôné et pratiqué avec brutalité, sans nuance et avec des visées expansionnistes sans équivoque par un Président Trump volontairement provocateur et ne s’embarrassant d’aucune retenue diplomatique.

Mais, il n’avait rien inventé en lançant à tout va « l’Amérique aux Américains ! » ou « make America great again ».

Avec cependant les nuances que l’Histoire suggère …

Certes aujourd’hui, depuis peu, l’habillage plus civile et « soft » du nouveau Président Biden semble reléguer aux oubliettes les formules choc que chérissait son prédécesseur, mais la vision de fond change-t-elle pour autant ? La question se pose…Et le très récent coup de tonnerre en ce mi-septembre 2021, du « pied de nez » fait à la France avec l’annulation par l’Australie, fortement poussée par les Etats-unis de façon plus que cavalière du « contrat du siècle » des sous-marins semble confirmer cette propension américaine à vouloir régenter le monde quitte à froisser ses meilleurs alliés.

C’était le Président James Monroe qui le premier en 1823, face aux velléités interventionnistes de la Sainte Alliance contre tous les soulèvements nationaux et libéraux, y compris aux Amériques après la désagrégation de l’empire colonial de l’Espagne et du Portugal, avait adressé au Congrès des Etats-Unis un message exprimant les principes de politique étrangère à suivre afin de s’opposer à ce qui à l’époque se présentait comme de l’ « impérialisme européen » aux Amériques.

Car, à l’époque les Etats-Unis – appuyés par la libérale Angleterre  –  soutenaient les indépendances nouvellement acquises (y compris par l’établissement de dictatures) dans les anciennes colonies de leurs pourtours : au nord (Alaska), face à la Russie ; au sud (Amérique centrale et du sud), face aux interventions espagnoles.

QUELS PRINCIPES ?

Ces principes, présentés par la suite comme étant la « Doctrine Monroe », se résument donc en ceci :

. le continent américain – le Nouveau Continent – est réservé aux Américains, ce qui exclut toute intervention des puissances européennes mais implique l’intervention des Etats-Unis pour défendre l’intégrité et l’indépendance des Etats américains du sud nouvellement constitués et d’empêcher la Russie à s’introduire par le nord ;

. toute intervention d’une puissance européenne sur le continent américain serait considérée comme un acte inamical pouvant entraîner une réaction (proportionnée) des Etats-Unis.

En réalité, à cette époque les Etats-Unis ne disposant pas de forces militaires à la hauteur de telles ambitions, ils n’eurent aucun moyen de s’opposer militairement à certaines opérations européennes sur le continent de l’Amérique du sud, sauf à se contenter de se référer à la « Doctrine Monroe » – et de la réaffirmer avec force verbiage – dans des dépêches diplomatiques, par exemple quand l’Espagne venait de réoccuper l’île de la Dominique et quand la France en 1867 tentait de replacer Maximilien sur le trône du Mexique…

De même, en dépit du fait que les Etats-Unis voyaient d’un très mauvais œil le percement du Canal du Panama par Ferdinand de Lesseps début des années 1880, ils ne purent s’y opposer, malgré une interprétation extensive de la « Doctrine Monroe » qui voulait que les Etats-Unis ne tolèreraient point tout « transfert d’intérêt » au profit d’une puissance autre qu’américaine sur le Nouveau Continent (sauf que les Etats-Unis s’approprieront vingt ans plus tard ledit canal à la faveur du scandale du même nom)…

Ainsi, la « Doctrine Monroe » fut à ces débuts, et par la force des choses, conçue et appliquée comme un support idéologique et de diplomatie à titre exclusivement défensif, mais l’on voit bien déjà poindre les germes d’une volonté de puissance et de domination.

Le grand essor industriel américain du début du XXème siècle va changer de tout au tout le cours des choses.

Offrande de fruits

« Le goût des fruits » (JPRA)


APPLICATIONS A GEOMETRIE VARIABLE

La « Doctrine Monroe » change de cap et acquiert de la consistance au service exclusif de la domination US sur le Nouveau Continent, ce qui servira plus tard de prémices à ce que d’aucuns qualifieront au cours de la seconde moitié du XXème siècle d’ « Impérialisme américain ».

Déjà les Etats-Unis entrent en guerre contre l’Espagne en 1898 pour s’approprier Cuba et, dans la foulée en vertu du Traité de Paris la même année, obtiennent l’île de Guam et Porto-Rico, décrètent l’annexion de l’île d’Hawaï et occupent les Philippines. L’achat par les Etats-Unis de l’Alaska à la Russie entrait dans le même dessein dominateur.

Parallèlement, la « politique du gros bâton » – the « big stick policy » – consistant à défendre par la force les intérêts économiques et financiers américains en Amérique du sud prend de l’ampleur. Et pour parachever le tout, des conférences panaméricaines organisées et tenues sous la domination des Etats-Unis étaient destinées à maintenir et à renforcer la domination de ce pays sur le Nouveau Continent.

A cela s’ajoutent en renfort deux déclarations explicites et sans équivoque :

. celle du Président Roosevelt qui explique que la défense des intérêts des Etats-Unis peut les amener à jouer les « gendarmes du monde » ;

. et celle du président R. Taft, qui prône la « diplomatie du dollar ».

Dès les années 1940 la menace nazie et la nécessité de mettre à bas le totalitarisme en résultant, partout dans le monde, n’ont bien entendu fait qu’accentuer les tendances extensives de la « Doctrine Monroe », laquelle, on le voit, s’abreuve à la source des changements planétaires, en particulier aux ères de la récente bipolarité géopolitique mondiale et ensuite de la multipolarité actuelle, pour se donner des orientations nouvelles adaptées à la vision du moment du peuple et des présidents US.

Avec cette constante : « l’Amérique aux Américains ».

LES INQUIETANTES INCARTADES DU PRESIDENT TRUMP N’AURONT-ELLES ETE QU’UN ECRAN DE FUMEE ?

« L’Amérique aux Américains ».

Sur le fond cette formule ne diffère point de l’esprit de celles que le Président Trump favorisait en clamant à tout-va :

. « America first » et « We will make America great again ».

Ce qui est convenu d’appeler – abusivement – « la doctrine Monroe », qui n’a jamais fait l’objet d’aucune théorisation ni d’une construction idéologique quelconque, apparaît au fait au départ comme une posture de sanctuarisation territoriale, et par la suite devenue un instrument de stratégie d’expansion au seul profit des Etats-Unis, avec des applications diversifiées selon l’état du monde.

Devant un tel éventail d’interprétations ainsi permis, avec cette fois-ci plus clairement agressif de la « Doctrine Monroe » dont très curieusement le Président Trump n’avait fait encore aucune allusion, au début on se perdait en conjectures pour savoir comment ce qui est considéré comme une constante de la diplomatie US va se formuler « diplomatiquement » avec clarté…d’où le scepticisme ambiant parmi les partenaires traditionnels des Etats-Unis, et les inquiétudes du reste du monde.

Ces inquiétudes commençaient à se manifester assez clairement et ouvertement, et la « grande tournée diplomatique » de Donald Trump de la fin du mois de mai 2017 en Arabie saoudite, au Vatican, à Bruxelles et à Taormina (Italie) en avait donné l’occasion à certains chefs d’Etat et de gouvernements européens.

A Bruxelles, le comportement indigne du Président américain, vu à la télévision par le monde entier, lui qui n’avait pas hésité à bousculer le Premier ministre du Monténégro pour lui passer devant et se présenter avec arrogance devant les caméras, lui qui rappela brutalement et sans précaution de langage la volonté des Etats-Unis de faire plus contribuer les autres membres de l’Alliance Atlantique au budget de l’OTAN, se rangeait implicitement à la détestable « théorie » du « Big stick policy » qui se pratiqua autrefois pour défendre par la force – et par le rapport de force – les intérêts économiques et financiers des Etats-Unis.

Cette fois-ci à Taormina, en Sicile, le Président Trump avait joué de la patience des autres membres du G7 – et celle du monde entier – au sujet de la position définitive des Etats-Unis quant à l’application effective ou pas des Accords de Paris de fin décembre 2016 dans le cadre de la COP21. Rappelons qu’il avait déclaré avec constance ne pas vouloir respecter les engagements que pourtant les Etats-Unis avaient solennellement pris sous la présidence Obama en signant les accords de Paris.

Or, Donald Trump préféra maintenir un  suspens déloyal en annonçant une déclaration postérieure, sine die et hors sommet, pour sans doute ne pas avoir à faire face à ses principaux partenaires dans le cadre du G7…Eh bien ! Le 1er juin 2017, on en avait connu l’épilogue redouté : les Etats-Unis se retirent des accords de Paris. Mais, on sait que l’une des premières décisions du nouveau Président Biden avait été de réintégrer les Etats-Unis dans lesdits Accords de Paris, ce qui avait été unanimement salué par toutes les parties.

Ces incartades, assumées avec arrogance se traduisaient ici par le reniement de la signature donnée et le mépris opposé aux cosignataires d’un traité international étaient sidérantes.

Après ces séries olé olé d’un « Président » sûr de lui-même et dominateur, la Chancelière Merkel avait parfaitement raison de considérer en des termes à peine voilés que désormais, après ces incartades américaines, les Européens ne devaient plus compter que sur eux-mêmes et elle appelait à une meilleure cohésion européenne face aux Etats-Unis.

Au même moment, en contre-pied « exemplaire » à la nouvelle position américaine, et comme pour se donner le beau rôle de puissance dominante, la Chine par la voix de son Premier ministre déclarait, comme aussi en forme de réponse du berger à la bergère, – ou inversement…-, que non seulement elle honorerait sa signature donnée pour les accords de Paris, mais qu’elle intensifierait son dispositif de lutte contre le réchauffement climatique…

FIN DU « VERY BIG STICK POLICY » OU SIMPLE ATTENUATION ?… 

On avait espéré qu’à l’occasion des premiers grands rendez-vous diplomatiques de ce mois de mai 2017 auxquels le Président Trump allait participer, il aurait à cœur de présenter un profil de responsabilité et de respectabilité quelque peu rassurant et que, implicitement l’on pourrait discerner quelque nouvelle interprétation moderne à donner à la « Doctrine Monroe ».

Que nenni !

Par la voix de Donald Trump, les Etats-Unis choisissaient donc la voie de l’isolationnisme d’antan avec une nouvelle application du « big stick policy », voie durcie par une volonté unilatérale , une « Very Big stick policy » consistant à en imposer et à se dégager de certains accords internationaux conclus multilatéralement pour favoriser égoïstement les seuls intérêts américains à travers le monde, et préférant, pour cela, s’en tenir à des formules et décisions à l’emporte-pièce…de caractère franchement provocateur…et frappant !

On ne pouvait interpréter autrement la récente décision américaine du 8 mai 2018 (l’ironie de l’histoire veut, en plus, qu’elle intervienne le jour anniversaire de victoire sur l’Allemagne nazie…) de sortir de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Car, en plus de créer en connaissance de cause un séisme diplomatique le Président Trump rétablit en les aggravant les sanctions américaines contre l’Iran et celles appliquées à toutes entreprises, y compris étrangères, en affaires avec l’Iran. C’est ce qui faisait dire à certains commentateurs prétendument avisés la mise en oeuvre de lois « extraterritoriales » américaines, notion qui en Droit international strict n’existe pas…

Comme si cela ne suffisait pas, pour assurer aux Etats-Unis une suprématie désormais revendiquée sans fard, le même Président Trump présentait au Congrès un budget de près de 88 milliards de dollars destiné à la fabrication « urgente » de « minibombes nucléaires », lesquelles devaient être opérationnelles dès 2019.

Le Président Trump avait cependant tort de verser ainsi effrontément dans le cynisme et de refuser d’apprendre, ne serait-ce que le b-a-ba de la bienséance, lui qui n’hésitait pas à qualifier certains pays de « merde » (sic), car ni la scène internationale ni les rencontres diplomatiques ne sont autant d’arènes où se pratiquent le rodéo ou les rudesses de cow-boy…!

Mais, bien plus grave que cela, il risquait de provoquer, cette fois-ci en imputation de responsabilité aggravée, un embrasement conflictuel pouvant mener à une guerre nucléaire (voir sur ce même blog notre article « Allons gaiement vers la guerre nucléaire », daté du 7 mai 2018).

A cela s’ajoutait, le 10 août 2018, l’annonce par tweet – son instrument « diplomatique » préféré ! – d’une énième armée, celle de l’Espace, les Etats-Unis se dotant ainsi d’une panoplie complète d’armes spatiales offensives et défensives, déclenchant et accentuant de cette façon assurément une nouvelle course à l’armement, notamment nucléaire, certes déjà bien entamée également du côté de la Russie et de la Chine, deux autres super-puissances militaires qui – forfanterie oblige…- clament haut et fort posséder des armes équivalentes.

Ces dispositions guerrières sont loin d’être remises en cause par la nouvelle administration Biden, de sorte qu’on est face à des constantes d’une vision dominatrice américaine qui, il est vrai, n’est pas sans être encouragée par les propres postures tout aussi guerrières de la Russie et de la Chine. Le coup de Jarnac fait à la France en ce mi-septembre 2021 avec l’annulation forcée, du fait des Etats-Unis, de l’énorme contrat de vente de sous-marins français à l’Australie  en est une illustration sur fond de spéculation stratégique inspirée par les tentatives de domination maritime chinoise dans le vaste océan indo-pacifique…

La « Doctrine Monroe » à géométrie variable continue donc à avoir de beaux jours…!

Comme si les dangers de toutes sortes, y compris sanitaires, ne suffisaient pas, chacun doit donc prendre conscience que sur Terre, sous-Terre, dans les airs, sur mer, sous la mer et dans l’Espace, notre univers est voué à vivre l’enfer !

Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo

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