« Fleurs en hommage » (JPRA)
LES DOUZE COLLINES SACREES DE L’IMERINA
Qui n’a pas été « bercé » dans la légende des « douze collines sacrées de l’Imerina » ?
Mais, qu’en est-il véritablement de ces collines ?
Avant que l’Imerina n’emprunte au milieu du XVIIIème siècle la voie vers un royaume unitaire et que plus tard Madagascar ne soit une réalité étatique dument reconnue par les puissances dominantes du moment au début du XIXème siècle, la légende avait forgé dans les esprits des références devenues historiques à force de croyance réitérée (cf. sur ce même blog la série de treize articles intitulée « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar », septembre-octobre 2013 ).
Il en est ainsi des fameuses « douze collines sacrées de l’Imerina » ».
La légende forme le mythe, et le mythe forge et consolide la croyance d’une communauté et d’une nation. Par comparaison, il en est aussi ainsi de Rome dont la légende établit que la ville créée par Romulus est bâtie sur « sept collines sacrées », là aussi en réalité bien plus nombreuses…
LEGENDE ET HISTOIRE
Elles sont réputées receler distributivement la matrice du puissant royaume de l’Imerina, bien que la réalité historique soit plus nuancée, ainsi que nous l’évoquions au sujet des collines sacrées de Ambohibe-Manankasina-Ambohipotsy (cf. les deux articles « Les sites sacrés de Ambohibe-Manankasina-Ambohipotsy » sur ce même blog, datés respectivement du 28/12/2013 et du 30/12/2013).
D’ailleurs, il serait plus exact de considérer que ces douze collines étaient représentatives de petits royaumes ou principautés, certes influents, qui se dressaient alors face à Analamanga devenue Antananarivo.
De fait, ces « douze collines » entourent comme une ceinture de soie Analamanga-Antananarivo, tant elles forment, comme autant de vagues circulaires, une chaîne continue d’où se rappelle à la mémoire des temps la gloire passée de ces petits royaumes et principautés aux destins plus ou moins pérennes.
Douze est d’ailleurs un chiffrage bien arbitraire, qui correspondrait bien plus à une croyance innée dans les civilisations orientales, qu’on retrouve chez les Malagasy, qui considèrent en cosmologie le chiffre douze comme la représentation de l’accomplissement et de la plénitude, et d’ailleurs le regretté professeur Pierre Vérin, archéologue et historien émérite, en avait dénombré, quant à lui, bien plus…
Et selon nous, il y en aurait au moins quatorze ou quinze, ce sans même compter celles, par exemple, d’Ambohibe-Manankasina-Ambohipotsy, ou celles des lieux de naissance et de souveraineté des autres princes et princesses issus des Andrianteloray qui, en ligne directe par le sang, étaient de façon avérée et établie à l’origine des rois et reines de l’Imerina et de Madagascar, ce qui ferait de ces « collines sacrées des souverains » malagasy au nombre d’au moins une bonne vingtaine… !
Mais, on retiendra que les anciens autant que la croyance communément et largement partagée considèrent ces collines comme étant sacrées, moins par leur passée historique, certes bien établi, que comme étant celles d’où seraient originaires les « douze femmes » du grand roi Andrianampoinimerina…ou encore, plus prosaïquement si l’on peut dire, mais de façon moins crédible et quelque peu complaisante, d’où seraient originaires, selon une légende qui s’avère incertaine, les « douze souverains » ayant fait l’Imerina.
D’où le fait que malgré ces réserves, elles constituent, néanmoins, des lieux où se perpétuent certaines formes du culte des ancêtres qu’entretiennent de plus en plus maints astrologues plus ou moins inspirés en ces temps de crise existentielle à Madagascar.
Une telle relativité historique est à relever mais n’enlève cependant rien à l’authenticité même de ces « collines sacrées », demeurées des lieux mémoriels mais cependant d’inégale importance, comme on le verra maintenant.
LA DIVERSITE DES LIEUX
En allant dans le sens d’une aiguille d’une montre, voici donc chacune de ces quatorze « collines sacrées » principales, sans compter ni énumérer ici les autres d’entre elles, en partant du centre qu’est Antananarivo, l’ancienne Analamanga conquise par le roi Andrianjaka au XVIIème siècle (cf. sur ce même blog la série d’articles consacrée au « Rova d’Antananarivo », datés respectivement 6/11/2013, 8/11/2013, 13/11/2013, 15/11/2013 et 17/11/2013).
« Fleurs en hommage 2 » (JPRA)
Au Nord-Ouest :
. Ambohidratrimo : ancienne capitale du petit royaume du Marovatana, il fut le fief du roi Rabehety et plus tard d’un des quatre fils du roi Andriamasinavalona.
. Imerimandroso : son nom prédestiné de « L’Imerina qui progresse » que lui donna son fondateur, le roi Andrianampoinimerina lui-même, en dit long sur la vocation de ce bourg à l’avant-garde du « Grand-Ouest », du temps où le grand roi ambitionnait de conquérir cette riche et vaste région.
Au Nord :
. Ambohimanga : la « colline bleue », bleue d’azur mais aussi et surtout bleue de sainteté, est à la fois le Trianon et le Saint-Denis de la royauté Merina mais aussi Malagasy. Nous avons consacré une série d’articles sur ce site royal par excellence (cf. sur ce même blog l’article intitulé « Ambohimanga, le berceau de la royauté de Madagascar » daté du 24/5/2016, 3/6/2016 et du 15/10/2016).
. Namehana : actuel gros bourg accolé à Sabotsy, devenu Sabotsy-Namehana, où se trouve le tombeau du prince Andriambolanambo, l’ensemble du site comprend également la colline d’Antsofinondry (nous y avons là l’une de nos propriétés où une enfance heureuse nous avait bercés…).
Au Nord-Est :
. Ambohidrabiby : fut la capitale royale du grand roi Ralambo, un véritable moderniste de son temps, et qui structura tant la cour royale que la grande famille des nobles. Il y est enseveli.
. Ilafy : au-delà des sites princiers d’Ambohibe-Manankasina-Ambohipotsy voisins, Ilafy n’eut de façon notoire aucun passé royal ni princier jusqu’à ce que le roi Radama II en fit un lieu de villégiature et qu’il y fut enterré en 1863 après son assassinat. Par contre, ce site fut le fief du puissant clan roturier des Tsimiamboholahy.
A l’Est :
. Ambohimanambola : est un lieu saint où était conservé l’idole « Kelimalaza », protecteur suprême du souverain régnant, inventé par le roi Ralambo. Du temps de la royauté, aucun étranger n’était autorisé à pénétrer dans ce bourg.
Au Sud-Est :
. Alasora : lieu de sépulture de la reine Rafohy, fut la capitale du roi Andriamanelo, fils de la reine Rangita et père du roi Ralambo, fondateur du royaume Merina et sa capitale, est ainsi considérée comme étant l’un de deux berceaux du même royaume, l’autre étant Ampandrana-Ambohimasimbola (voir ci-dessous).
. Imerimanjaka : c’est au XVIème siècle que les reines Rangita et Rafohy y établirent leur capitale, mais si Rangita y fut par la suite enterrée, Rafohy elle, établit sa dernière demeure à Alasora, mais, joignant la matérialité au spirituel, les fidèles sujets desdites reines renfermirent les viscères des deux reines dans des pirogues en argent qui furent ensuite immergées dans les marais environnants pour les nourrir à jamais en fertilité.
. Ambohijanaka : est un village qui vit naître au XVIIème siècle le futur roi Andriamasinavalona.
Au Sud-Ouest :
. Manjakazafy : lieu de naissance de la princesse Razafindrahety, ayant régné sous le nom de Ranavalona III.
. Ambohidrapeto : dont il restera à découvrir l’intérêt historique.
. Antsahadinta : un important site royal, fondé par le roi Andriamangarira, et plus tard fief du roi Andriamboatsimarofy qui par la suite régna à Antananarivo avant que son adversaire le roi Andrianampoinimerina ne le vainquit. Nous consacrerons un article spécial sur cet important site royal.
. Ampandrana-Ambohimasimbola : dispute à Alasora la qualité de berceau de la royauté Merina, car à Ampandrana est le lieu de résidence et de sépulture du prince Andriampandrana, le premier roi Merina (fin XIIIème-début XIVème siècle) ayant vaincu les Vazimba (premiers habitants des hautes terres). Andriampandrana avait comme frère le prince Andriandranorana, les descendances parallèles des deux frères étant à l’origine de la consolidation de la monarchie Merina, et par la suite de celle de Madagascar, grâce à l’alliance matrimoniale personnifiée par le mariage du roi Andriamanelo (branche représentée par les reines Rangita et Rafohy) avec la princesse Rasalodimanga (branche représentée par le roi Andriamamilazabe et le prince Andriandranando) au XVIème siècle.
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Telles sont, sans pouvoir en déterminer le nombre réel exact pour les raisons rappelées plus haut, ce que la légende considère comme étant les « douze collines sacrées » des souverains de l’Imerina.
Leur force d’évocation de même que la référence mémorielle qu’elles recèlent prennent de plus en plus d’importance dans le vécu populaire, et il est donc essentiel d’en prendre conscience, comme de savoir que la légende, ici, s’affranchit quelque peu de l’Histoire pour fabriquer le mythe en usage à partir du règne de Andrianampoinimerina où, faut-il le rappeler, il fallait asseoir, pour la postérité et pour la prospérité, sa légitimité.
Et tout cela, pour une nation aussi férue d’imaginaire comme en usent bien volontiers les Malgaches – Malagasy -, est essentiel tant à leur vécu qu’au soutien de leur espérance.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
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