
Dans la nomenklatura diplomatique le poste d’ambassadeur près le Saint-Siège représente le summum de la carrière.
Illustration : Ambassadeur près le Saint-Siège en uniforme, porteur de la grand’croix de l’Ordre de Saint Grégoire-le-Grand.
L’ART ET LA MANIERE DU METIER D’AMBASSADEUR
Sur « LaboDiplo, l’Ouverture à l’International », maints articles relatifs aux ambassadeurs et aux ambassades de Madagascar, depuis la royauté jusqu’à un futur souhaité à l’horizon 2025, ont été publiés, en particulier, en dernier lieu, à travers la série intitulée « Visite officielle en France de sa Majesté le Roi Radama III » (articles datés successivement : 4 juin 2017; 11 juin 2017; 8 juillet 2017; 4 août 2017; 12 août 2017. Cliquer sur les mois correspondants).
Il est donc temps de rappeler quelques notions essentielles sur ce beau et noble métier d’ambassadeur que j’avais eu le grand honneur d’exercer à la suite de mon regretté père.
Surtout qu’enfin – mieux vaut tard que jamais, mais en l’occurrence la tardiveté porte la marque de l’impréparation – , Madagascar après un saut qualitatif relationnel à l’international des années 2002 à 2008, semble s’être maintenant réveillée sur le tard pour tenter de redécouvrir la fonction diplomatique au quotidien avec les récentes nominations d’ambassadeurs en fin de l’année 2017, cependant au compte-goutte…et parfois sur des critères pour le moins discutables…mais n’allons pas plus loin dans cette appréciation…
Car, loin s’en faut, là ne doit pas être la question dans cet article où, au-delà du cas singulier malgache l’on traitera du sujet sur le fond et dans sa généralité mais dans toute son étendue…
QUALITES INTRINSEQUES RIMENT AVEC ECLECTISME DE COMPETENCES
Un ambassadeur ne doit pas se contenter de représenter – certes dignement et avec compétences techniques – son pays auprès d’un Etat ou d’une organisation internationale accréditaire.
Encore faut-il qu’il sache se frotter aux réalités et, pour cela, conjuguer qualités de caractère intrinsèques à sa personnalité apte à susciter confiance, crédibilité, dignité et, j’ajouterais, à provoquer de l’entrain.
Car, il convient de ne pas oublier que l’ambassadeur doit évoluer avec aisance comme un poisson dans l’eau dans un contexte qui a priori lui est, du moins au départ, étranger. Dès lors, à n’en pas douter, rechercher, trouver, entretenir et développer, mais aussi diversifier le meilleur climat de compréhension mutuelle, de savoir aplanir des différends, des conflits ou des difficultés, permanents ou circonstanciels, demandent des qualités d’« accommodements » qui ne sont pas le lot de tout le monde. Auxquels se conjugueront avantageusement la vivacité d’esprit, le sens de la patience, de la fermeté et de la clarté de l’expression, mais toujours avec les formes courtoises, tout le contraire du langage emprunté qu’on attribue trop souvent – et à tort – à un ambassadeur…
Bien entendu, n’oublions pas qu’il aura à cultiver la maîtrise du temps tout en restant en alerte pour l’urgence ou, au contraire, en observant un certain recul – donner du temps au temps, comme disait le Président Mitterrand…- , à savoir aussi pratiquer le secret, la confidence, le silence et l’art de la parole sans effets de manches !
Or, de telles dispositions d’esprit et de comportement seront très utilement servies par l’éclectisme de compétences.
De par son métier de diplomate, l’ambassadeur aura tout d’abord à cœur d’acquérir une véritable culture du pays ou de l’organisation internationale où il va s’immerger. De plus, puisqu’il doit représenter son pays en connaissance de cause, mieux vaut qu’il sache aborder tous les sujets concernés ou pouvant constituer des spécificités particulières.
C’est donc dire que l’ambassadeur aura à appréhender, maîtriser, aborder et traiter de questions les plus diverses, non pas « en touriste » et en effleurant les sujets, mais avec des compétences reconnues, le tout avec intelligence et sans prétention. Bien entendu, au besoin il sera secondé par un spécialiste, mais c’est lui qui sera en première ligne et détiendra les clés décisionnelles en lien avec sa tutelle.
C’est dire aussi que l’ambassadeur ayant vocation à agir, en amont et en aval, dans un contexte interministériel, car ses domaines d’action ne concernent pas uniquement ceux du département des affaires étrangères mais bien au-delà, il se doit d’avoir les meilleurs rapports avec différents interlocuteurs aux spécialités souvent pointues.
A l’éclectisme de compétences, il convient d’ajouter l’interculturalité qui, au fond, doit constituer une seconde nature chez l’ambassadeur. Comprendre de façon quasi-innée l’autre, avec une mise en pratique de l’altérité, ne peut que l’aider grandement dans l’accomplissement de ses fonctions, notamment pour déceler instantanément obstacles rédhibitoires ou voies d’action, ou pour créer opportunément un climat de confiance et de considération mutuelles.
DIGNITE ET ETHIQUE POUR OPTIMISER L’EXERCICE DES FONCTIONS DIPLOMATIQUES
La dignité est la résultante d’une personnalité intègre, indépendante et d’une noblesse d’esprit reconnue.
Elle est aussi la marque visible du respect que la fonction d’ambassadeur inspire naturellement, car en lui se reconnaissent un Etat, son gouvernement, son pays et son peuple, dont il est le dépositaire, le gardien et le défenseur à l’étranger.
Une autre facette de cette dignité à entretenir est la faculté que doit avoir un ambassadeur à ouvrir son esprit.
Qu’est-ce à dire ?
Dans son pays d’accréditation l’ambassadeur ne doit pas être cet inconnu retranché dans son ambassade ; il doit fréquenter le monde mais aussi les différents cercles de la société de son pays d’accréditation pour se faire apprécier, et à travers lui son pays et les différentes facettes de ce dernier dans ce qu’il a de représentatif. Quelle meilleure satisfaction que de susciter l’intérêt – même la simple curiosité bienveillante – de simples gens dans des régions reculées !…
En outre, sa culture propre, au-delà de la simple connaissance livresque, des faits ou autres, doit transparaître avec tact et simplicité, avec cette aménité propre aux gens cultivés et attentionnés. Bref, avoir une tête bien faite et pas uniquement bien pleine, alliée à une prestance naturelle…
Dignité ne va pas sans éthique, bien entendu.
Sur ce registre, c’est dans l’action que se mesure le mieux l’éthique. Tout d’abord pour dire, par référence à Henri Bergson (que je cite dans mon ouvrage « La geste éphémère de Ranavalona 1ère, l’expédition diplomatique malgache en Europe, 1836-1837 », L’Harmattan, 1997) : « Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action ». Quelle belle formule pour résumer celle d’une fonction essentielle d’un ambassadeur !
Mais cette formule doit s’entendre dans ce sens où action et pensée doivent être dirigées par une méthode sincère et respectueuse, et nourrie par la recherche d’une effectivité d’objectif(s). Sinon, l’action d’un ambassadeur ne serait que gesticulation et simulation. Or, la parole donnée par un ambassadeur se doit d’être sincère, responsable et exempte de toute duplicité ou d’agressivité, tout le contraire du bluff, du coup de poker menteur ou, pire, de la volonté d’induire son interlocuteur en erreur (que d’aucuns appellent le « deceptio »)…
C’est dire aussi que l’ambassadeur doit, quand cela s’avère nécessaire, avoir la force de caractère de s’opposer à toute instruction émanant de son chef d’Etat ou de son gouvernement d’agir contrairement à ces règles de dignité et d’éthique…Bien entendu, il arrivera – même assez souvent…- qu’il doive avaler des couleuvres, mais en toutes circonstances son éthique personnelle, la déontologie et sa conscience le guideront, tout ceci non pas nécessairement pour son confort moral mais bien dans l’intérêt supérieur de l’Etat et du pays qu’il représente. Charge à lui, bien entendu, ici également en toutes circonstances, de s’en ouvrir sans fard à son Chef d’Etat, à son gouvernement ou à son ministre de tutelle, celui des affaires étrangères, tout dépendant de l’acuité, de l’urgence, du caractère secret ou confidentiel, et de l’importance de la question en cause.
Tout cela est une question de confiance mutuelle.
Un dernier point mérite d’être considéré : le conflit d’intérêt.
Certes l’ambassadeur doit se consacrer entièrement aux fonctions essentielles qu’on décrira dans les lignes suivantes. Mais rien ne lui interdit, sauf à en informer dûment et préalablement les autorités accréditantes et accréditaires, et dans le souci de ne point créer des conflits d’intérêt, d’assurer parallèlement et occasionnellement, sans que le temps qu’il y consacre soit absorbant, des cours ou conférences au sein d’établissements d’enseignement supérieur, d’écrire des ouvrages dont les thématiques ne soient pas en contradiction avec le fond de ses missions, ou d’exercer ses talents d’artiste, le tout toujours dans la discrétion et la dignité qui conviennent.
RAPPEL DES FONCTIONS ESSENTIELLES
Ce qui est dit plus haut ne constitue bien entendu qu’un survol de ces qualités requises qui, à n’en pas douter, ne s’improvisent pas.
Or, elles déterminent la bonne et exacte exécution des différentes missions dont un ambassadeur a la charge pour un temps déterminé.
Celles-ci peuvent être classées dans les catégories suivantes :
- haute représentation de l’Etat, du Chef de l’Etat et du Gouvernement de l’Etat accréditant ;
- porter des messages entre les chefs d’Etats et gouvernements des pays accréditaires et accréditants (résumé par la formule : « faire des représentations »);
- défense des intérêts de l’Etat accréditant ainsi que ceux de ses ressortissants dans l’Etat accréditaire (dans le cas des ressortissants, si leurs droits, au-delà de leurs simples intérêts, sont menacés dans le pays accréditaire, l’ambassade supervise ou supplante le consul s’il y en a un localement) ;
- approche, négociation, pourparlers, concertation, conclusion d’accords avec les hautes autorités du pays d’accréditation ;
- s’informer, se renseigner, instruire, éclairer et conseiller les hautes autorités accréditantes sur le pays d’accréditation, sur son état, son évolution, ses atouts, ses difficultés, sa géopolitique et géostratégie, etc… ;
- pratiquer l’intelligence économique (notion d’ « information licite » selon la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, pour éviter l’espionnage), développer, consolider, orienter les relations bilatérales, et s’ouvrir à la dimension multilatérale autour du positionnement du pays accréditaire ;
- en cas de nécessité, faire valoir le droit et éventuellement engager auprès des instances compétentes et selon les procédures appropriées la responsabilité internationale des autorités de l’Etat accréditaire dans la défense des intérêts visés en 3 ci-dessus ;
- communiquer, informer, promouvoir sans verser dans la propagande, ni le marketing ni la démagogie.
Nous n’aborderons pas l’analyse, ni même l’exposé succinct, de ces catégories de fonctions d’un ambassadeur au risque d’être trop long dans le cadre de ces simples évocations destinées à seulement les situer.
Car, oui, on l’a compris, être ambassadeur est un véritable métier. Et en exercer les fonctions ne s’improvise point.
In fine, et afin de tordre le cou à une idée reçue, la diplomatie ne s’arrête pas à la frontière de la guerre, et le militaire ne se substitue jamais au diplomate.
Bien au contraire, – et le philosophe-stratège chinois Sun Ze l’a théorisé -, le diplomate doit toujours prendre le pas sur le militaire. Le tout est de savoir cadencer et articuler l’usage de ces deux instruments fondamentaux à la disposition des gouvernants. Sachant, comme devant servir de postulat, que la diplomatie fait partie de la gouvernance tandis que l’instrument militaire est le bras armé d’une stratégie globalisante qui s’intègre, de façon très spécifique en termes d’objectifs et limitative dans le temps et dans l’espace, dans cette gouvernance, laquelle par définition procède d’une vision à multiples paramètres.
HOMMAGE PARTICULIER
Pour terminer, en guise de post-scriptum, puisque je l’ai appris bien après avoir écrit l’article ci-dessus, je voudrais rendre un bien grand hommage à mon ami Bernard Dorin, Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Bernard Dorin, notamment Commandeur de la Légion d’Honneur, l’ambassadeur par excellence qui incarne si bien avec une élégance rare les qualités d’homme, de culture et de compétences que j’évoquais plus haut.
Il était Ambassadeur de France, un titre honorifique et une dignité accordés à un ambassadeur en fin de carrière ayant rendu à son pays des services éminents, qui équivaut chez les militaires à la dignité de Maréchal qui, comme on le sait, n’est attribué qu’en tant de guerre.
Je l’ai connu quand j’étais moi-même ambassadeur à Rome, et depuis lors nous nous sommes liés d’une amitié si rare dans laquelle je me complaisais avec ce confort moral que permettent l’extrême amabilité et la complicité amicale d’un homme qui pourtant était à mille lieux au-dessus de soi en termes de si haut niveau de culture et de connaissance innée des réalités du monde et des hommes. Après une carrière hors du commun qui l’a amené à occuper des postes aussi importants que celui de représenter la France au Brésil, au Royaume-Uni, en Russie, en Italie ou en Afrique du Sud, à sa retraite il intégrait ce corps noble des ambassadeurs de référence avec le titre honorifique envié d’Ambassadeur de France.
Les conférences et séminaires qu’il donnait et animait étaient très courues, car sa grande connaissance des problématiques géopolitiques et géostratégiques était fort bien appréciée et recherchée. J’avais aussi le plaisir de le retrouver comme collègue dans le cadre plus formel et néanmoins agréable du conseil d’administration de La Renaissance Française, et nul doute qu’il y laisse un grand vide.
Notre complicité amicale s’étendait à nos goûts communs pour les belles choses de la vie et de la Nature – la Sublime Nature ! – , lui mon aîné d’au moins une génération gardant une jeunesse d’esprit étonnante sans jamais être donneur de leçons, et la proximité de nos résidences parisiennes respectives permettait souvent le plaisir de rencontres impromptues dans la rue…
Bernard Dorin nous a quittés début février 2019.
Il est notamment l’auteur d’un ouvrage de référence: « Appelez-moi Excellence », dont l’intitulé même du livre dit le sens inné de l’humour dont il est coutumier !

Oui, Bernard, reposes en Paix ! Je te pleure. Mais, je ne t’oublierai jamais. Tu étais – et es toujours – un Ambassadeur-modèle.
A ce titre, je te dédie l’article que j’ai écrit ci-dessus.
Jean-Pierre Razafy-Andriamihaingo
Reproduction, même partielle, interdite des textes et illustrations
Nota :
. En illustration figure le portrait en pied d’un ambassadeur en uniforme près le Saint-Siège, porteur de la plus haute distinction conférée par le Vatican: la grand’croix de l’ordre de Saint Grégoire-Le-Grand. Sachant que le poste d’ambassadeur près le Saint-Siège est, dans l’ordre ascendant, sans doute celui qui, pour toutes les nations, est le plus prestigieux dans la carrière diplomatique.
Au Saint-Siège, fait encore partie des usages le port de l’uniforme d’ambassadeur, une belle tradition que certains observent jalousement, surtout parmi les ambassadeurs de pays européens. Quant aux ambassadeurs d’autres pays, la règle tacite est de porter leurs meilleurs atouts vestimentaires représentatifs des traditions privilégiées de leur pays. Pour ma part, je portais bien volontiers mon Lambamena confectionné par les meilleures artisanes de mes clans paternels, les maisons princières des Andriandranando de Ambohibe-Manankasina-Ambohipotsy et des Andrianamboninolona d’Ambohitromby.

Mon arrivée au Palais Apostolique au Vatican, sous la conduite d’un gentilhomme de la Cour du souverain pontife. 2006. Rappelons que le Saint-Siège est considéré comme une monarchie où le maintien de l’apparat est de règle.

2003. Mon portrait d’ambassadeur au Palais royal de Madrid lors de la présentation de mes Lettres de créance à Sa Majesté le Roi Juan Carlos 1er. Décoration: grand’croix de l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand – Reproduction interdite –